Vendredi 23 décembre, veille du réveillon de Noël, mon programme était déjà tout tracé: je passais les fêtes de fin d'années dans ma famille et je sortais pour la saint-sylvestre. Je priais pour que le réveillon de Noël passe vite et je savais déjà à l'avance que ce ne serait pas le cas. Détrompez-vous, ce n'est pas que je ne suis pas famille mais ces réunions qui traînent en longueur et où tout le monde est un peu coincé: trop peu pour moi! Bref, je venais de sortir d'un cours avec des étudiants de médecine de troisième année et tout en me rendant à la salle des professeurs, je révisais mentalement ma liste de cadeau. Cadeau pour maman: acheté, cadeau pour Silas: acheté, cadeau pour Lohélia: acheté. Comme j'avais coutume de faire, je n'avais rien pris pour mon père. Lui non plus ne se donnait pas la peine de m'offrir un présent alors je n'allais pas m'inquiéter pour ça. Dans ma rêverie, je passais devant un collègue sans m'en rendre compte et pénétrait dans la salle qui nous étaient réservée par pur automatisme. Il était presque 18 heures et je terminais ma journée de cours. Bien que j'aie souvent l'habitude d'être satisfait de mes prestations, aujourd'hui un petit quelque chose me manquait. Comme si mon bonheur n'était pas forcément complet. En fait, je savais pertinemment bien ce qui se passait: je me sentais seul de retour chez moi. Pourtant j'avais du succès, encore plus depuis que j'étais devenu professeur. Certaines étudiantes avaient l'audace de me draguer et bien que je n'étais jamais passé à l'acte, cela me flattait énormément. Pourtant aujourd'hui, je me rendais de plus en plus compte que je préférais de loin le challenge qu'une fille toute prête à me tomber dans les bras. Et qu'on parle de challenge, j'avais rencontré il y a quelques temps une jolie demoiselle qui se refusait à moi et je dois avouer qu'avec les efforts que j'avais déployé, je ne comprenais plus pourquoi. Il était vrai que notre première rencontre avait été une pure catastrophe. J'étais partis écrire un cours dans un parc. J'aimais beaucoup travailler en pleine nature quand le temps me le permettait. Et à un moment, j'avais sentit un regard sur moi. C'était elle, qui me prenait en photo. D'habitude, j'aurai été flatter qu'une fille me prenne pour modèle, mais là je n'avais aucune idée de ce qu'elle ferait avec ces photos et j'avais réagi au quart de tour, rappelant à la demoiselle mon droit à l'image. Oui, j'y avais été fort et je n'avais pas jugé utile de m'escuser pour mon comportement, je n'en avais pas la moindre envie. D'ailleurs, je pensais ne jamais la revoir. Sauf que quand on aime faire la fête, on rencontre forcément des tas de personnes. Une petite semaine plus tard, je participais à une super soirée, l'alcool coulait à flot, j'avais déjà terminé mon paquet de cigarettes, bref, on pouvait dire que j'étais dans un sale état, voir complètement bourré. Pourtant, je la reconnu tout de suite et je me surpris à aller la draguer, sans même penser qu'elle étudiait dans l'université où moi j'enseignais. L'effet de l'alcool avait fait son effet, pas pour elle puisqu'elle me repoussa. C'est à partir de ce moment-là que Charlotte entra dans ma vie. Au départ, c'était juste un jeu, rien de plus, rien de moins. Je voulais simplement qu'elle cède. Mais à force de jouer, on se brûle les ailes. Et maintenant, je me rends compte que je m'accroche de plus en plus à cette jolie demoiselle. D'ailleurs, rien que d'y penser, j'ai un sourire niais sur les lèvres. Coup d'oeil à l'horloge, petite manipulation à l'ordinateur afin de consulter son horaire. Si je me dépêche et que j'ai de la chance, elle doit encore être en cours, le professeur qu'elle a pour l'instant aime retenir ses étudiants. J'attrappe ma veste et mon sac à bandouillère et je file vers les amphithéâtres opposés aux miens. Je croise quelques étudiants assez ébahis mais je ne leur prête aucune attention. J'arrive à destination juste au moment où les premiers élèves passent la porte de l'amphithéâtre. Je respire un bon coup pour reprendre mon souffle et je la cherche du regard. Mes yeux se posent enfin sur Charlotte et un sourire apparaît sur mes lèvres alors que je la détaille. Elle ne semble pas m'avoir vu, alors je m'approche, histoire de lui signaler ma présence. 'Mademoiselle Baxter. Bonjour... Pourrais-je vous parler quelques minutes?' Mon ton était d'un professionnalisme on ne pouvait plus parfait. Je n'avais pas le choix, j'étais professeur et toujours dans l'enceinte de l'université. Mieux valait ne pas jouer avec le feu.

Si il y a bien une chose que je déteste, c'est faire les boutiques la veille d'une fête comme Noël. Les gens sont pressés et capable de tout pour gagner un peu de temps. Mais ce n'est pas encore le pire. Non, le pire c'est cette musique incessante que les commerçants passent en boucle. Jingle bells & compagnie avait donc rythmé mes achats de ces derniers jours et je m'étais juré, comme chaque année, que la prochaine fois je m'y prendrais plus tôt. Sauf que de ce côté là, je n'ai vraiment aucune volonté, aucun courage. Passer son temps à arpenter les rayons à essayer de trouver le cadeau idéal pour chaque membre de sa famille n'est pas une des tâches que je préfère. Pour moi, plus vite c'est fait, mieux c'est. Mais là, je n'avais pas le choix, la définition d'un cadeau c'est justement quelque chose qui est censé faire plaisir. Alors, je m'étais appliqué et j'avais cassé ma tirelire à cette occasion. J'avais donc acheté des vêtements bien chauds pour ma mère. Mon frère aurait le droit à un CD dédicacé de son groupe préféré et ma petite soeur aurait le droit à un nouveau doudou. Organisé comme je l'étais, j'avais fait une liste avec les autres personnes à ne pas oublier. Sur celle-ci figurait le nom de Charlotte. Je n'étais toujours pas sûr que cela soit une bonne idée mais j'avais envie qu'elle se rende compte que je n'étais pas comme tous les autres hommes, que je méritais une chance. Bon d'accord, elle n'aurait pas eu tout à fait tort de me traiter de don juan car il était vrai que j'étais réputé pour collectionner les filles. Mais étrangement, avec Charlotte, ce n'était plus pareil. J'avais appris à la connaître, et par la même occasion, je la respectais. Alors, si je mettais tant d'acharnement à la conquérir, ce n'était pas pour la laisser tomber dès que nous aurions partagé le même lit. A 26 ans, je voulais un peu plus qu'une vulgaire histoire de sexe. Je pensais être prêt à m'engager de nouveau. La dernière fois que cela m'était arrivé, j'étais resté six mois avec la demoiselle. Au départ, notre relation était idyllique mais mon travail me prenait de plus en plus de temps. Résultat, je l'avais délaissé, elle avait pu penser toutes sortes de choses et avait fini par me plaquer. J'avais eu un mal fou à m'en remettre, préférant de loin coucher sans amour, ne plus m'impliquer. Jusqu'à ce fameux soir en discothèque. Charlotte m'est tombée dessus sans crier gare, je ne me doutais vraiment pas qu'en allant la draguer, je m'appretais à refaire la même bêtise que j'avais faite avec Clémence. Maintenant, il était trop tard, je commençais à m'appercevoir qu'elle m'avait apprivoisé sans le vouloir, et qu'elle faisait à présent partie de ma vie. Qu'elle accepte de sortir avec moi serait un beau cadeau de Noël mais ce n'était pas gagné. En attendant, je redoublais encore d'attention et j'avais passé un temps monstre à lui chercher un cadeau. Qu'est-ce qui aurait pu faire plaisir à Charlotte? Elle était passionnée de photos mais avait déjà tout ce qu'il lui fallait dans ce domaine. J'avais pensé à pleins de petits cadeaux mais mes idées étaient toutes assez bateaux, déjà vues, bref pas originales. Mes pas m'avaient emmenés devant une bijouterie et mon regard s'était promené sur l'étalage. Pour un bracelet, il fallait la taille du poignet, chose que je n'avais pas. Une bague représentait beaucoup trop d'engagements, on en était pas à ce niveau-là. Non, en fait, on en était nulle part. Mais passons ce détail. J'avais fini par opter pour une chaîne et un joli pendentif. Et depuis que j'avais acheté le cadeau, il était resté dans le fond de mon sac à bandouillère, attendant le bon moment. Moment qui n'était jamais venu... C'était un peu pour cette raison que je m'étais rendu du côté des amphithéâtres de Charlotte, espérant l'appercevoir. Ce fut vite le cas et j'avais été l'accoster, du manière professionnelle. Elle était avec une amie et j'avais bien remarqué que la demoiselle avait haussé un sourcil, ne comprenant pas pourquoi un professeur qu'elle ne connaissait pas voulait s'entretenir avec son amie. J'avais donc envoyé un sourire éblouissant à la demoiselle, espérant qu'elle ne pose aucune question, sinon il aurait fallu que j'invente un énorme mensonge. Et même si j'étais assez doué pour ça, j'avais bien peur de ne pas être crédible cette fois-ci. En effet, qu'aurais-je bien pu inventer comme escuse bidon pour parler à une étudiante qui n'avait aucun cours avec moi? Fort heureusement, l'amie ne fit aucun commentaire et je la saluais poliment avant qu'elle ne s'éloigne. Je suivis donc Charlotte qui nous menait vers la sortie. Elle avait parfaitement raison, une fois hors de l'université, je pourrais laisser tomber ma casquette de professeur et être enfin moi-même. Sur le chemin, Charlotte se preta au jeu et elle me vouvoya, ce qui me paru étrange, alors que ce n'était pourtant pas la première fois. J'essayais de décortiquer ce qu'elle m'avait dit, histoire de savoir si j'avais bien fait de venir et si ma présence ne l'importunait pas. Son ton semblait sympa mais je sentais encore du doute, de la méfiance, voir de la retenue. Son sourcil arqué prouvait qu'elle était certainement intriguée et son sourire me laissait perplexe. Je lui souris à mon tour avant de lui répondre. ' Oui, j'ai remarqué que votre nom apparaissait sur ma liste de cours, hors vous êtes étudiante en mode si ma mémoire ne me joue pas de tours. Auriez-vous décidé de changer d'option?' Enorme mensonge mais cela justifiait ma présence aux yeux des autres étudiants qui nous regardait d'un oeil suspect. Charlotte comprendait certainement que je voulais brouiller les pistes. C'était toujours mal vu quand un professeur sortait avec une étudiante. Et Charlotte et moi avions encore beaucoup de choses à prouver, dans des domaines totalement différents... Nous arrivâmes enfin à la grille et nous nous éloignâmes de l'université par une petite ruelle. Mon regard se reporta sur Charlotte. Je passais mon bras autour de son cou et lui fit un calin sur la joue furtivement avant de la relâcher. 'Plus sérieusement, j'avais vraiment envie de te voir. Que dirais-tu de te laisser guider pour ce soir? Je nous ai concocté une petite soirée assez sympa.'Je posais un regard interrogateur sur la jeune femme, attendant une réponse, que j'espérais positive.

La sortie de l'université ne m'avait jamais semblé aussi longue. Pourtant, je faisais ce chemin tous les jours et jamais je n'avais remarqué à quel point un chemin pouvait être long à parcourir quand on était obligé de jouer un rôle. Car c'était parfaitement ce que j'étais en train de faire pour l'instant. Jouer un rôle, être acteur d'un bout de vie que j'aurai préféré ne pas être à moi. Faire semblant d'aimer c'était facile mais faire semblant d'être indifférent, c'était une autre paire de manche. Je m'imaginais mal dans cette situation quand j'avais décidé de changer de métier. Se cacher, ne rien montrer, rester stoïque alors qu'on ne veut qu'une chose: s'afficher avec la personne, un bras autour de sa taille. Je ne m'étais pas préparé à ça. Ni aux sentiments que je pouvais éprouver ni même au fait que ceux-ci tomberaient sur une étudiante qui me repoussait. On ne contrôle pas ses sentiments, m'avait souvent répété ma mère, alors que je me maudissais de ne plus savoir m'accrocher. Parce que je n'aimais pas l'homme que j'étais devenu, ce coureur de jupon qui ne s'accrochait jamais. Ce nouveau moi ne m'avait jamais satisfait et pourtant je n'arrivais plus à ressentir des sentiments amoureux. Rien n'était contrôlable alors je jouais le don juan. Et étrangement, les filles me le rendaient assez bien. Il ne suffisait que de regarder les deux demoiselles qui se pavanaient devant moi à cet instant pour comprendre que mon charme faisait son effet. L'une d'elle me sourit, j'hochais la tête pour la saluer puis reportait mon regard vers cette sortie dont le chemin me semblait si interminable. Je voulais croire qu'avec Charlotte, tout serait différent, qu'il était encore possible que je vive une belle histoire d'amour. Sauf qu'elle ne semblait pas vouloir de moi et au fond de moi, cela m'agaçait énormément, voir me frustrait. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi elle refusait de s'ouvrir à moi avec autant de conviction alors que j'essayais de lui montrer ma bonne foi depuis autant de temps. Je me retenais de marcher plus vite pour ne pas paraître suspect aux yeux de ces curieux qui guettaient le moindre de mes gestes. Le mensonge fut donc la meilleure solution et j'inventais une histoire à Charlotte, espérant qu'elle comprenne que je jouais un jeu. Je l'observais longuement et comprit tout de suite qu'elle n'avait pas l'air d'avoir tilter. Elle avait froncé les sourcils et mon esprit s'était évadé, juste en l'observant. Je me souvenais à présent de notre première rencontre, elle avait eu ce même regard envers moi quand je l'avais accostée, pas aussi gentillement qu'aujourd'hui, il fallait l'avouer. Charlotte avait vu dès les premiers instants ce dont mon caractère de cochon était capable de faire comme dégats. Je poussais un mince soupir, à peine audible. La neige recouvrirait très vite l'herbe de Central Park, ce même parc où nous nous étions rencontré. Je n'aimais pas la neige, cela faisait partie du pack 'Noël'. L'hiver n'était pas ma saison préférée et j'aurais donné beaucoup pour pouvoir m'envoler en Australie, dans la famille. Se ballader sur la plage, en plein soleil, alors que nous étions au mois de décembre aurait été pour moi une superbe manière de terminer l'année. L'autre bonne manière aurait été de la passer auprès de Charlotte. Mais il ne fallait pas rêver, le père Noël n'existait qu'aux yeux des enfants. Encore quelques mètres et je serais de nouveau mois. Charlotte ne m'avait pas répondu à ma question qui n'en était pas une. Elle semblait perplexe, peut-être qu'elle avait du mal à jouer ce jeu, un peu comme moi je m'efforçais de nous cacher, histoire que tout se passe pour le mieux pour nous deux. Nous arrivâmes enfin dans une petite ruelle et je pu redevenir moi-même, le Sohan que Charlotte connaissait. Pour lui prouver, je l'avais prise dans mes bras, lui administrant un bisou sur la joue. Ni trop fort, ni trop faible, je ne voulais pas qu'elle croit que je ne voulais d'elle juste que pour m'amuser, ce qui était à présent parfaitement faux. J'avais donc repris mes distances à contre coeur et avait posé un regard interrogateur sur Charlotte. Je venais de lui demander de passer sa soirée avec moi et je redoutais déjà qu'elle me repousse comme elle avait l'habitude de le faire. Les quelques secondes qui séparèrent ma question de sa réponse me parurent interminables. J'observais les signes non-verbaux qu'elle m'envoyait, essayant de décrypter ce qu'elle ressentait réellement. « Oui, pourquoi pas ! J’en ai envie! » . Ce oui me libérait d'un poids et je lui adressais un sourire sincèrement heureux. Elle avait fait le bon choix, me faire confiance ne fut-ce que pour passer du temps ensemble. J'avais gagné une bataille même si je savais qu'elle n'était pas encore toute acquise. Je me permettais alors de rêver, et je me retins de dire 'tu ne seras pas déçue'. Oui, ça faisait trop prétentieux, autant ne rien dire, un sourire et un regard valaient parfois mieux que les mots. 'Que dirais-tu d'un restaurant suivi d'un cinéma? Ou d'un cinéma suivi d'un restaurant? Ou alors d'un restaurant suivi d'une sortie où je te promets de ne pas finir complètement bourré?' La dernière phrase était sortie toute seule. Complètement bourré je n'étais plus le même, j'étais beaucoup plus entreprenant. Et puis il était peut-être temps de passer des soirées dont je me souviendrais la fin. Maintenant, restait à savoir ce que préférait Charlotte entre le cinéma et la soirée. Parce que le restaurant était déjà commandé donc j'étais déjà assuré de la garder près de moi jusqu'au repas.