Son pieds fin battait la mesure des secondes qui passent, sa jambe rythmait le temps qui s’écoule sans qu’elle ne s’en rende compte. Les jambes croisées sous son bureau, pensive, penchée sur sa table de travail, elle réfléchissait. Distraitement elle annota quelque chose sur une feuille de papier, réajustant ses lunettes sur son nez. La fatigue tiraillait ses traits : à croire qu’elle n’avait pas dormit de la nuit alors que c’était tout l’inverse. Elle était pâle, trop pâle. Un bâillement lui échappa. Heureusement elle était seule. La matinée avait été calme, comme tous les lundis. Elle l’avait voulut ainsi. Son premier client et avant dernier (en théorie) de la matinée venait de s’en aller. Un homme sans finesse, misogyne, trop brutal pour être considéré comme inoffensif. Il était venu la voir de son plein gré, poussé par sa conscience sans doutes lorsque la femme qu’il disait tant aimer l’avait menacé de le quitter s’il ne cessait pas de l’humilier sans cesse. Un cas intéressant, complexe, courant pourtant mais néanmoins fascinant pour elle qui vivait sa profession comme une véritable vocation.

Yseult consulta son agenda : elle rencontrerait une nouvelle patiente aujourd’hui. Sydney Khelos. Lorsqu’elle l’avait appelé, cette dernière ne s’était pas montrée particulièrement explicite. Femme mature avec des problèmes de couples ou bien adolescente tourmentée, elle n’en savait absolument rien. Cependant il lui avait semblé que son appel n’avait rien de spontané. Il était rare que les gens admettent qu’ils consultent un psychologue, cela serait admettre que leur vie n’est pas aussi belle et tranquille qu’ils ne le prétendent. Tout comme il était rare que des gens viennent la voir de leur plein gré. Ils étaient souvent poussés par des proches, par un besoin devenu vital de se libérer de certains de leurs démons enfouis. Pour la plupart, les consultations n’étaient au début pas un plaisir parce qu’en passant le seuil de sa porte, il fallait savoir mettre de côtés ses barrières. Chose qui n’était pas facile pour tout le monde, elle pouvait le comprendre mieux que personne.

« Monsieur O’Neil ? » avait-elle demandé, venant à l’instant de quitter son bureau pour paraître dans la salle d’attente. La porte de sortie s’était refermée sur les pas quasi précipités de la silhouette d’un homme qui ne lui était pas inconnu. Elle raya de sa liste le nom de son patient fugueur : apparemment, ils ne se verraient pas ce jour. Un brin intriguée par sa précipitation soudaine, elle n’eut guère le temps d’y penser. Déjà une jeune femme se présentait devant elle. Sydney Khelos. Et bien, si son intuition n’était pas menteuse, elle dirait que cette demoiselle n’était pas étrangère au départ précipité de son patient précédent. A quel phénomène allait-elle donc avoir droit ? « J’imagine oui. Sydney Khelos dîtes -vous ? C’est bien ça … Alors soit, entrez, je vous en prie. » lui dit-elle d’une voix d’un calme olympien, souriante malgré tout. Elle l’invita à entrer dans son cabinet et referma la porte derrière elle. « Installez vous, mettez vous à l’aise. J’aurais quelques questions de routine à vous poser avant toute chose. » Un divan, un fauteuil juste en face. Cela créait une sorte d’intimité qu’elle appréciait. Certains patients restaient assis, d’autres avaient besoin de s’allonger, cela variait selon les cas. Pour l’heure elle invita juste la jeune femme à s’assoir, se plaçant juste en face d’elle. « Vous permettez que je vous appelle Sydney ? » lui demanda-t-elle, croisant les jambes, un carnet de feuilles posé sur ses genoux. « Alors, que puis -je faire pour vous ? » lui demanda-t-elle en toute simplicité. Elle ne connaissait pas la raison de sa venue, ne pourrait pas la deviner toute seule. Il lui faudrait éclairer sa lanterne. En attendant elle se figea dans un silence presque troublant. Son regard dévia sur la jeune femme, la sondant presque. Elle l’observait, la détaillait, semblait essayer de lire dans sa manière d’être, dans ses gestes, ses tics même. Elle semblait très axée sur l’apparence physique. Très belle jeune femme. Une vingtaine d’année sans doutes. Pourtant, une maturité et une force de convictions se dégageait de sa manière de se tenir. Elle lui donnerait sans doutes du fil à retordre, elle s’en doutait déjà.