Je ne sais pas trop ce que je faisais là. Je longeais la grande rue, je n'avais envie de rien faire. La nuit était déjà bien avancé; mais je ne savais pas exactement l'heure. La rue était pleine de personnes éméchés, peut-être que moi aussi mais franchement, je n'en savais rien. J'avais emprunté l'iPod de Cappy, on avait les mêmes gouts musicaux. En fait, on avait beaucoup de points communs, c'est comme ça que ça marche les meilleures amies après tout. Je n'entendais mêmes plus les tintements de bouteille avec le sol, ou mêmes les personnes qui tombaient par terre dans les ruelles adjacentes. Je baillai un coup et ne résistai pas à la tentation de m'allumer une cigarette. Je sortis mon paquet de mon sac, lentement mais sûrement. J'avais l'impression de marcher au ralenti, que tout mon esprit était moins vif qu'à l'ordinaire. C'était l'heure, surement. J'avais décidé de rentrer à Berkeley. On était vendredi soir et j'avais des tonnes de photos à faire. D'accord, cela ne me prendrait jamais longtemps de faire ça, surtout que c'était avec plaisir que je le faisais. Mais ce soir, j'avais laissé mon appareil photo dans ma chambre et ça me rendait vachement mal. Je tournais dans une rue un peu sombre, pour prendre un raccourci surtout. J'aurais pu voir des ombres qui me suivaient, mais non. En temps normal, je ne les aurait pas vus non plus... Décidément, j'avais l'impression d'être attardée. Je n'avais rien entendu avec la musique. Je compris ce qu'il m'arrivait lorsque je sentis mon dos s'écraser contre un mur en brique. Mais merde, cela fait mal. Je regardais qui m'avait poussé de la sorte, à voir sa tête, c'était fait exprès. Ah... C'est ça que l'on ressent quand on se fait agresser ? Rien, vide, néant. Je n'avais pas peur, je n'étais pas assez réceptive pour ça. Je le regardais dans les yeux, j'allais passer un sale quart d'heure.

« Vous avez rien de mieux à faire de votre vie ? »

Ohlala, je devais vraiment avoir bu pour lancer des trucs pareils. J'aimais bien être insolente, mais c'était gros que je jouais. Je n'eus le temps que de me prendre un coup avant qu'on me relâche. Euh.. quelqu'un pourrait-il m'expliquer ? Apparemment, on avait donné un coup à mon « ravisseur » et je regardais vers le haut. Mince, je le reconnaissais mais son nom m'échappait. Ah mais si ! Toonye ! Mais qu'est ce qu'il venait faire là ? Pourquoi il avait mit ce coup sur la tête de ce mec ? Il est vraiment trop bizarre.

« … Merci mais j'aurais très bien pu me débrouiller toute seule. »

Tu parles ! Je voulais juste ne pas être redevable à ce cafard.

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais à chaque fois que l'on se voyait, l'un des deux avaient bu et c'était pas très cordial entre nous. En gros, je n'avais rien à lui reprocher, juste de la tension a évacué. En temps normal, j'aurais rit lors de notre rencontre mais une accumulation de petite chose avait fait qu'il avait tout pris. Vu qu'il avait un coup dans le nez, je me suis dit qu'il ne s'en souviendrais surement pas mais je n'ai jamais vraiment été chanceuse... Au final, on se déteste pour rien. Je cherche mon paquet de Vogue à tâtons. Ma tête me tournait et je ne voyais rien. Je l'entendais soupirer à côté, c'est vrai que je devais faire pitié. Je ne suis pas sensée fumée mais là... J'en ai rien à faire. J'ai pas envie de me prendre la tête, il y a des jours comme ça. De la fierté, j'en ai pas vraiment. Je suis assise par terre, dans une ruelle sale, avec un mec que je peux pas blairer (je ne sais pas trop pourquoi) et un autre, totalement assommé qui a tenté de.. Enfin voilà quoi. Peut-être que je me donne ce genre de fille fière mais j'ai aucune répartie et je suis super susceptible. Je suis pas tombée dans la bonne case. Je l'écoutes et je ne sais pas, j'ai envie de m'endormir, parce que ça me saoule de me prendre la tête avec quelqu'un, j'ai jamais aimé ça mais des fois, il fut bien relâcher toute la tension.

« Ouais, de toute façon je te voyais plus comme l'agresseur que le saveur. »

C'est dans ces moments là, je ne sais pas si ça vous arrive mais vous pensez à rien et ça résonne dans votre tête. Vous n'entendez que ça : « Ta gueule ! Mais ta Gueule ! Putain, Bela, t'aurais du la fermer ! » et vous vous rendez compte de votre erreur avant même de l'avoir faite. Je poussai un long soupir, une mèche de mes cheveux atterri devant mon visage, je n'osais même pas le regarder. Je me sentais toute petite, surtout qu'il m'avait sauvé. Bon, j'aurais préféré que ce soit quelqu'un d'autre mais on ne peut pas tout avoir. Est-ce qu'il m'avait reconnu avant de foutre ce coup sur ce mec ? Aucune idée, cela restait une belle interrogation... Mais l'heure n'était pas au Cluedo ou tout autre jeu d'enquête. Je devais réparer une grosse bourde.

« … Toonye, écoutes. Je suis désolée pour ce que je viens de dire. C'est pas le genre de truc à dire parce que de toute manière je te connais pas. Et puis, même si je te connaissais, ça changerai rien, ça se fait pas, c'est tout. C'est comme si tu disais aux Romains que s'étaient des meurtriers. Bah, oui, réfléchis, c'est vrai mais si tu leur dit, t'es sur de crever. Je dis pas ça parce que j'ai peur que tu me violes parce que logiquement t'as violé personne. Hein ? Ouais, on est pas là pour ça, je suis désolée. »

ça, c'était la Belammée que les gens connaissent. Celle qui débite des trucs à 60/mots la minute alors que cela ne veut strictement rien dire. Enfin, il devait avoir compris l'essentiel. J'espère. Je tirais sur ma cigarette, j'avais oublié de l'allumer. Je me mis à rire, ce n'était ni l'heure, ni l'endroit mais j'en avais besoin. Le petite flamme de mon briquet éclaira brièvement la ruelle, c'est flippant mais je me sens trop molle pour bouger. Le ton que j'avais employé montrait clairement que j'avais un coup dans le nez, mais franchement, c'était sincère. Oh mon Dieu, je devais lui faire de la peine...

Je ne sais pas quoi faire, je suis perdue dans cette ruelle sombre avec un mec assommé à côté. Je pense que je vais faire attention la prochaine fois que je me ballade à cette heure là. Je prends une nouvelle bouffée de cigarette, cela m’écorche la gorge, j’ai perdu l’habitude de fumer. Je sais pas, je reste là, à regarder cet homme les yeux ouverts. Je n’ai rien répondu à Toonye, je crois pas que ça en valait la peine. J’ai les jambes tout engourdie, j’ai même pas envie de bouger. Je crois que ce mec par terre, même si il se réveillait je ne bougerais pas, j’en ai pas la force.

Après une minute, je me décidais enfin à bouger. Ma tête tournait, l’odeur de la rue m’agressait les narines et mes yeux piquaient. Ohlala, à tous les coups, j’ai attrapé un truc pas net. Je me lève, mes jambes sont encore engourdies. Mais quelle heure il est ? Je crois que l’heure est bien avancée mais je sais que je vais passer une bonne partie de la nuit à ne pas dormir. J’arrive à la sortie de l’impasse, un lampadaire m’aveugle et je perds tout mes repères. Résumons, on est à San Fransisco, on est vendredi soir, il y a un mec assommé couché dans une ruelle et un autre qui s’est barré je ne sais pas où. Je me souviens qu’il y avait pas mal de filles à Miami qui trouvaient ça super bien si ils se faisaient violer. Eh bien, ça me fait plutôt penser aux lendemains de cuite ou des bad trips. Vous savez, bouche molle et pâteuse, vous vous ne sentez pas très réveillée et vous avez beau passez votre main sur votre visage, ça n’arrange rien. Je ne les avais jamais envié ces filles-là mais j’aurais bien aimé que ça leur arrive. Pas pour être méchante – sauf une, que je n’aimais pas, mais alors pas du tout- juste pour qu’elle voit à quel point c’est flippant. On ne s’y attend pas. Et ce à quoi je m’attendais encore moins était la venue de Toonye. Je ne l’imaginais pas comme ça... Je veux dire, je ne l’imaginais pas gentil. Mais je sais que je l’avais jugé un peu vite, je suis impulsive et je m’emporte assez vite. C’est dur parce qu’on ne peut pas revenir en arrière ou alors on me prend pour une folle. Mais le génie, c’est de la folie, non ? Et les artistes sont des génies, non ? Et je suis une artiste. Ou un truc dans ce genre. Eh bien, on peut conclure que je suis folle. CQFD. Mais j’avais encore l’impression d’être suivie. Je me retourne, je distingue rien dans la nuit alors je fais légèrement demi-tour jusqu’à me heurter à quelque chose. Ou quelqu’un. Je suis étonnamment surprise.

« Toonye ? Bah… Qu’est-ce que tu fous encore là ? »