Un père vaut plus qu'une centaine de maîtres d'école. Il fallait que je le lui dise. Cela faisait six mois que j'évitais de Samuel. Mon « papa » avait dû s'en rendre compte, mais comment lui avouer que j'étais enceinte ? Je n'avais jamais eu à faire ce genre de truc avant et ça m'angoissait au plus au point. Assise sur mon lit, je fixai l'écran de mon portable. Le numéro de Mr Salaun était bien sûr enregistrer dedans. Prenant une grande inspiration, je saisis l'appareil et cherchai l'homme dans mon répertoire. Dès que je l'eus trouvé, j'appuyai sur le téléphone vert, synonyme d'appel. Malheureusement pour moi, je tombai sur la messagerie. Laissant un message demandant à Samuel de me rejoindre en ville vers quatre heures, je raccrochai. Regardant l'heure, je me rendis compte qu'il ne me restait qu'une petite heure pour y aller et que j'étais toujours en pyjama. Je sautai alors de mon lit non sans grimacer en atterrissant sur le sol...Il m'était interdit de sauter. Je me dirigeai alors vers ma penderie et choisi une robe longue au motif avec laquelle je mis ma paire de spartiates brunes. Me regardant dans la glace, je remarquai qu'on voyait trop mes formes. J'essayai différente tenue pour finalement remettre celle que j'avais choisie au départ. Malgré l'après-midi shopping que j'avais faite avec Holly il y a quelques jours, je trouvai encore que je n'avais rien à me mettre. Souriant, j'attrapai mon sac et un magazine et sortis de la maison de confrérie pour aller prendre ma voiture. Sur le chemin, je réfléchis à la façon d'annoncer la nouvelle à papa. Cependant, je ne voyais pas quelle était la meilleure façon de le dire et je préférai abandonner pour me concentrer sur les paroles de la nouvelle chanson de Lady Gaga qui passait à la radio. Je chantai à tue-tête le tube de la diva tout en m'engouffrant dans la ville. Le trafic était dense, mais je finis quand même par trouver une place, un parking sous-terrain à cinq minutes à pied du Hard Rock Cafe où j'avais donné rendez-vous à mon paternel de substitution. Souriante grâce au soleil radieux, je me mis en marche après avoir vérifié que je n'avais rien oublié dans la voiture et que je l'avais fermée. Le Hard Rock Cafe était l'un de mes endroits préférés à San Francisco. Je ne savais pas dire pourquoi, mais là-bas, je me sentais comme à la maison. Poussant la porte, je cherchai une table. Heureusement, j'en trouvai une de suite parce que bébichou commençait à boxer et je préférai qu'il shoote dans mon ventre quand j'étais assise. Prenant place à la table, j'attendis l'arrivée de Samuel.

Un père n'est pas celui qui donne la vie, ce serait trop facile, un père c'est celui qui donne l'amour.A la fois impatiente et anxieuse, j’attendais Samuel. Soudain, la porte s’ouvrit et je le vis apparaitre. Il me repaira assez vite et vint me faire la bise avant de s’asseoir face à moi. Un serveur s’approcha de la table. Je commandai un verre d’eau plate et attendit que le serveur se soit éclipsé après la commande de mon père de substitution pour répondre à la question que ce dernier m’avait posé. Il me demandait comment j’allais. Que répondre ? Devais-je tout déballer maintenant ou attendre que nous soyons bien engagés dans la conversation ? Je ne savais pas quoi faire et la situation me paniquait tellement que Bébichou n’arrêtait pas de donner des coups. « Le stress à forte dose n’était pas bon pour le bébé », voilà ce que le médecin m’avait dit. Enfin, c’était plus facile à dire qu’à respecter comme conseil. Je pris alors la parole.

Et bien, je vais bien. Je suis juste en froid avec une amie et durant les vacances, je compte partir quelques jours en France avec une amie. Je retourne au pays pour voir ma maman. Aussi non, rien de bien spécial. Et toi ?

Je ne préférais pas en dire trop maintenant. Je ne voulais pas qu'il s'énerve trop vite. Je savais comment il réagissait quand un garçon s'approchait un peu trop de moi, mais là c'était pire, j'étais enceinte, enceinte d'un delta en plus. Le serveur nous apporta nos verres. Je le remerciai et je trempai mes lèvres dans l'eau. Un frisson me parcourra l'échine. Les deux glaçons présents dans le verre avaient considérablement rafraîchi l'eau. La sensation de froid passée, ça faisait quand même du bien de boire un truc aussi glacé. Ca ne pouvait qu'éclairer mes idées. Je souris, tout en écoutant Mr Salaun parler. Quand il eut fini de me répondre, je ne me sentis pas encore le courage de lui annoncer la nouvelle. Le silence s'installa et ma conscience se mêla à l'histoire. Une partie me disait de lui dire, l'autre me dit qu'un petit mensonge ne tuerait personne. Peut-être, mais j'étais quelqu'un de droit et honnête. Et sans le vouloir les mots sortir tous seuls...

Je suis enceinte.

Je baissai la tête, consciente que ce que je venais de dire allai sûrement faire l’effet d’une bombe chez mon interlocuteur. Je ne voyais d’ailleurs pas la réaction du professeur, préférant attendre qu’il me dise quelque chose.

Un cœur de père est le chef-d’œuvre de la nature.J’attendais impatiemment une réponse de Samuel. Mon visage était rouge tomate. J’avais honte, honte qu’il ne prenne pour une trainé, honte de…honte de mon en fait. Ma mère m’a toujours élevé dans l’optique de réussir mes études et après de me trouver un mari et d’avoir des enfants ; aujourd’hui, je me retrouvais enceinte à vingt ans d’un parfait inconnu. Je l’avais annoncé à mes amis et maintenant, il ne me restait plus qu’à l’annoncer à ma famille, soit Samuel et ma mère. C’est pourquoi j’avais donné rendez-vous au professeur. On avait commencé par la conversation et moi qui voulais attendre d’être bien installé dans la conversation, j’avais lâché ma bombe quelques minutes après le début de notre entrevue. J’étais vraiment une cruche parfois. Comment on peut lâcher un truc aussi important sur le ton de la conversation ? Je me demande parfois si j’étais vraiment normal quand je suis née ou si c’est en grandissant que j’ai perdu toute mon intelligence. C’est donc par honte que j’avais baissé la tête. Je ne voulais pas soutenir le regard de déception que pourrait afficher mon « père », je n’étais pas la petite fille modèle et j’avais peur que cette grossesse inattendue rompe tout lien avec le seul homme qui soit arrivé à me faire comprendre que ce n’est pas forcément biologique l’amour paternel. Cependant, il ne fit rien. Il ne cria pas, chose plutôt rassurante pour moi. Bien sûr il y eut un blanc de quelques minutes, blanc compréhensible quand on vous apprend une nouvelle pareille. Soudain, Samuel reprit la parole. Il me demanda ce qu’il pouvait faire pour m’aider. Je relevai alors la tête et fixai l’homme avec un regard qui trahissait mes excuses, le fait que j’étais désolée. Je réfléchis alors à ce qu’il pouvait faire.

Rien. Tu ne peux rien faire mis à part être là et me soutenir. Pour le moment, je cherche un appartement. Je ne pourrais sûrement plus vivre à la maison de confrérie avec un petit bout alors je cherche un truc pas trop cher. Si tu connais un endroit où je pourrais habiter, n’hésite pas à me le dire.

Je bus une gorgée d’eau, mais elle eut difficile de passer. J’avais une boule coincée au fond. J’avais envie de pleurer, mais je retenais mes larmes. Je savais que je le décevais, mais je n’avais pas envie de me laisser abattre, il n’était pas la première personne et ne serai sûrement pas la dernière même si, ici, j’avais aussi mal que quand j’avais déçu ma mère.

On ne peut pas mesurer tout ce qu'un père donne, lui qui disait qu'on ne donne que ce qu'on n'a pas.Je n’avais jamais vraiment eu de père avant de connaitre Samuel. Ayant été élevé par une mère célibataire, je ne savais pas ce qu’était et pouvait être l’amour de cet homme qu’on nomme « papa ». Pourtant, depuis que je connais le professeur de médecine, je ne pouvais m’empêcher de le considérer comme tel, enfin une figure masculine, autre que mes professeurs du lycée et du collège, que je ne voulais pas décevoir. Cependant, j’avais l’impression qu’avec cette grossesse, s’était le cas, j’avais l’impression qu’il allait me rejeter, qu’il ne voudrait plus m’adresser la parole. C’est pour ça que je fus surprise que Sam me demande ce qu’il pouvait faire pour m’aider. Par peur, je ne lui ai rien demandé, je ne voulais pas profiter de lui ; je me suis toujours débrouillée seule et j’y arriverai sans son aide. Pour cacher mon malaise, je bus quelques gorgées d’eau, mais boire n’enlevai rien. C’est alors que je sentis la main de mon paternel de substitution se poser sur la mienne. Il me demandait de le regarder. J’exécutai l’ordre. Face à face, les yeux dans les yeux, je pus apercevoir un sourire qui s’affichait sur le visage de Mr Salaun. Le professeur me dit alors qu’il avait le même âge que moi quand il a eu son fils. J’eus alors en tête l’image d’Antoine, jeune homme blond d’une vingtaine d’années pas trop mal. A sa première phrase, il ajouta que ses parents l’avaient soutenu et que ceux de sa compagne avaient été là sans vraiment être là. Il termina par le fait qu’il savait ce que je pouvais ressentir même si ce n’était pas lui qui était enceinte. Je ne préférai pas répondre, méditant ses paroles rassurantes. Je sentis alors les mains de Samuel serrer la mienne. Une vague d’apaisement se propagea en moi. Je ne me retrouverai donc pas sans famille dans trois mois. Un semblant de sourire se dessina alors sur mon visage. L’homme en face de moi repris la parole. Il m’invitait à venir vivre chez lui. Je ne pouvais pas y croire. Je clignai deux fois des yeux croyant à une blague, mais mon « père » restait très sérieux. J’ouvris alors la bouche, mais aucun son ne sortit. Je me contentai donc de continuer à écouter. Mr Salaun me dit alors qu’il ne m’en voudrait pas si je préférai vivre chez une amie. J’eus une petite moue. Je ne pensais pas qu’une jeune étudiante, même si c’était ma meilleure amie, voudrait d’une maman de vingt-et-un ans et de son bébé braillard. D’ailleurs, je la comprenais tout à fait. Cependant, je m’abstenu de commentaire encore une fois. Sam revint alors sur le nombre de chambres libres. Alors qu’il m’avait dit que les deux, celle de Lucie et Antoine, étaient inoccupées, il s’avéra qu’Idris, un jeune gamma que je ne connaissais pas et dont je n’avais jamais entendu parler, était l’occupant d’une des deux pièces. Malgré tout, il m’assura que ce locataire était assez sympathique et intéressant. Pourquoi pas alors ? Je n’avais rien à perdre après tout et puis, cette cohabitation avec mon père de substitution ne me ferait que resserrer nos liens déjà très proches. Pour terminer un long moment où je l’avais laissé parler sans l’interrompre, le professeur me dit que quoi que je choisisse, je ne devais pas oublier qu’il serait là pour moi. Je souris, ma main toujours dans la sienne, son regard plein d’amour et de bienveillance toujours dans mon champ de vision. Je pris une grande inspiration avant de commencer à parler.

Je…Ca me tenterai beaucoup de venir vivre chez toi, mais tu es sûr que ça ne te dérange pas ? Je veux dire par là que je n’ai pas envie de m’imposer. Et puis, je prie pour que ça arrive le moins possible, mais, comme tu dois le savoir, un bébé pleure pour n’importe quoi et ce, même au milieu de la nuit. J’aurais peur de te réveiller toi et…Idris, c’est son nom n’est-ce pas ?, à 3.00 parce que Bébichou a faim ou qu’il est sale.

Intérieurement, je priais de tout mon être que la situation que je venais de décrire n’arriverais pas, même si c’était inévitable, et surtout pour qu’elle ne fasse pas fuir Samuel.

Mon père est encore un papa : c'est à dire il me protège.J’étais à la fois touchée et heureuse que Samuel m’ait proposé de venir vivre chez lui. Et le fait qu’il héberge un autre étudiant ne me dérangeait pas du tout, il était là avant moi après tout et je ne voyais pas de quel droit je me serais permise de le chasser. Par contre, cet Idris allait de voir se faire aux pleures, aux jouets qui trainent et surtout, à notre présence parce qu’en aucun cas, je ne me laisserai marcher sur les pieds et j’accepterai encore moins qu’on touche à un cheveu de mon fils que ce soit clair. Alors que je disais à mon paternel de substitution que je ne voulais pas m’imposer, ce dernier me répliqua que ce n’était pas mon cas, surtout que c’était lui qui me l’avait proposé. Il ajouta même que ça lui faisait plaisir. Ces dernières paroles me firent sourire. Alors, c’était ça l’amour d’un père ? Eh bien, c’était plus beau que tout ce qu’on pouvait imaginer. A son tour, il me sourit et il continua de parler. Il m’expliqua qu’il avait l’habitude des bébés qui pleuraient, qu’il avait quand même eu deux enfants, ce n’était pas rien. Je laissai planer quelques secondes de silence avant de prendre la parole.

D’accord, c’est bon, je viens habiter chez toi. Merci, vraiment, du fond du cœur, merci de faire ça pour moi. Tu n’étais pas obligé. Mon fils aura de la chance d’avoir un grand-père comme toi. Si bien sûr, il peut t’appeler « papy » quand il saura parler…

J’eus un sourire gêné. Je ne savais pas s’il allait accepter et s’il refusait, ce n’était pas grave, je comprendrai très bien. Après tout, je n’étais pas vraiment sa fille même s’il me considérait comme tel. Après avoir donné sa réponse, le professeur tourna la conversation vers un sujet on ne peut plus sérieux : le père de ce bébé. Aïe ! Il venait de touché une corde sensible, le point que je ne voulais absolument pas aborder, mais que je savais inévitable. Je déglutis péniblement. Laissant le silence s’installer, je réfléchissais à la meilleure manière d’annoncer à l’homme assis en face de moi que c’était un abus d’alcool et une coucherie d’une nuit dont je ne me souvenais pas qui m’avait conduite à mon état actuel. Baissant de nouveau les yeux, je me raclai la gorge et parlai.

Je…Je…Je ne…Je ne…Je ne sais…Je ne sais pas qui c’est !

Voilà ! C’était dit. Les mots avaient eu du mal à sortir, mais ils y étaient parvenus quand même. Je grattai nerveusement la table, attendant une réponse ou, tout du moins, une réaction de mon papa.