« Maman… » murmura-t-il sans doute juste pour lui-même, la situation le déconcertant de plus en plus au fil des secondes qui s’ écoulaient. « Je.. Oui, on va voir parrain, et il n’ est pas idiot non.. »

« Parrain s‘ appelle Alcide. » avait il précisé comme s‘ il avait accordé une importance primordiale à ce détail, sans même songer qu‘ Emy devait bien s‘ en moquer. « Et oui j’ ai un peu faim mais faut pas que je mange sinon je pourrait pas gouter chez parrain.. »

« C’ est quoi ta couleur préférée ? » avait il demandé en poursuivant le fil de sa pensée, cherchant à en savoir plus sur son interlocutrice.

« Il s’ appelle Alcide. » avait dit l’ enfant en sortant de sa réflexion comme s‘ il allait réussir à faire avancer les choses. « Mais je sais pas c’ est quoi après son prénom, c’ est parrain Alcide c’ est tout. »

« Merci pour le gâteau… Et le violet c’ est très beau mais je préfère le bleu ou le vert. C’ est quoi ton animal préféré ? » avait continué l‘ enfant sur sa lancée, un sourire aux lèvres tandis qu‘ Emy s‘ arrêtait près d‘ une voiture rouge - pas violette songea Elyott avec une grimace amusée - qui devait être la sienne.

La sagesse, c’est une inquiétude constante, dit-on parfois. Eh bien, là, franchement, Alcide n’avait sans doute jamais été aussi sage de sa vie !
Marchant dans Noriega Street à grandes enjambées, en montrant une photo d’Elyott à chaque personne qu’il croisait, l’homme avait l’impression de perdre la tête. Il y avait bien une heure qu’il cherchait l’enfant dehors. Après l’avoir cherché près d’une demi-heure chez lui, en rigolant au début de ce cache-cache improvisé, avant de râler pour finir complètement paniqué.

Van Stexhe avait eu un moment l’attention détournée de son filleul, pour une raison toute bête : il travaillait dans son bureau, rassemblant de quoi agrémenter ses cours de la semaine à venir, cherchant dans des tas de bouquins ce qui pourrait intéresser les étudiants tout en étant efficace pour la matière. C’était pendant qu’il était occupé à cela que le petit garçon avait disparu. Alcide s’en était rendu compte quand il l’avait appelé pour qu’ils se fassent des muffins, tous les deux, pour le goûter. C’était quelque chose d’agréable à préparer : Elyott pouvait mélanger les ingrédients que lui passait Al, ils goûtaient de temps en temps la pâte et puis l’homme gérait la cuisson des petits gâteaux. N’entendant pas de réponse de l’enfant, le professeur avait cherché partout après lui, appelant, lui affirmant qu’il avait trouvé une cachette extra et que pour ça, il méritait bien de manger au moins trois muffins à quatre heures…
Mais, là encore, aucune réponse. L’homme avait cherché partout, il avait pratiquement retourné chaque coussin, ouvert chaque armoire et chaque placard, soulevé chaque meuble… rien. Aucune trace d’Elyott…

Van Stexhe était alors sorti de chez lui, appelant Elyott de tous les côtés, armé d’une photo de l’enfant prise il y avait quelque temps déjà mais sur laquelle on reconnaissait très bien la bouille du petit bonhomme. Les gens lui répondaient tous par la négative, personne n’avait vu son filleul. Alcide parcourut la rue dans les deux sens, courant presque du début à la fin de sa quête, sentant son cœur s’affoler et des frissons d’angoisse le parcourir des pieds à la tête et de la tête aux pieds…
Une heure et demie à chercher un enfant, ça semble long dit comme ça, mais en réalité, le temps avait passé très vite, l’homme se démenait en tous sens, insistant auprès des commerçants et des femmes, craignant sans cesse le pire. Chaque minute qui passait semblait éloigner son filleul de lui et c’était vraiment insupportable !

Le professeur de psychologie et de critique finit par se résigner. Seul, il n’arriverait pas à retrouver son filleul. Il lui fallait de l’aide, alors il avait sorti son téléphone portable et avait composé le numéro de la police pour signaler la disparition de l’enfant dont il était responsable, tout en marchant pour rentrer chez lui…

"Sept ans… les cheveux blonds et les yeux gris-bleu… euh… il portait un tee-shirt bleu avec Tom et Jerry dessus, et un bermuda hawaïen, rouge, orange et jaune… des baskets…" Faisant mine de rentrer chez lui en parlant dans son GSM, Alcide s’arrêta net, quelques mètres avant la porte de son loft. "Non, ça va, laissez tomber !"

Et aussitôt il raccrocha au nez de l’agent qui avait pris la communication. Son filleul était là, devant chez lui. Il était accompagné d’une silhouette féminine qu’Alcide ne pouvait pas reconnaître de là où il se trouvait. L’homme ne put se retenir de courir encore et de prendre Elyott dans ses bras, comme s’il ne l’avait pas vu depuis des mois !

"Elyott ! ça va, tu n’as rien ?" Van Stexhe l’avait soulevé comme si c’était une plume, pour le serrer contre son torse, pour l’étreindre comme pour vérifier qu’il ne rêvait pas. "Tu m’as fait une de ces peurs, bonhomme…"

Le professeur ne le lâcha pas quand il se tourna vers la jeune femme qui avait accompagné, visiblement, son filleul jusque là. Mais il faillit tout de même s’étrangler en voyant qui était la jeune femme en question.

"Emy ? "

S’il ne se trompait pas, Elyott avait eu un bol incroyable de tomber sur cette fille et pas sur n’importe qui. Alcide était plutôt soulagé. Et doublement, d’ailleurs.

"Viens, entre…" Tenant Elyott sur son bras gauche, l’homme introduisit sa clef dans la serrure pour permettre à tout le monde de rentrer. Il laissa passer miss Conway, puis la suivit, sans lâcher le jeune Weelsher tant que la porte n’était pas refermée derrière eux. Alors il posa l’enfant sur le sol et s’approcha d’Emy pour l’étreindre un moment. "Merci de me l’avoir ramené, Emy… J’ai couru comme un fou pour essayer de retrouver Elyott, j’avais même commencé à communiquer sa description à la police, juste au cas où…" Puis, il regarda le petit garçon : "Elyott, je ne vais pas te rouspéter maintenant, parce que je suis trop soulagé de te voir ici, vivant et en bonne santé… mais dans quelques heures, il faudra qu’on ait une petite discussion, tous les deux."

Le soulagement était présent pour plusieurs raisons. D’abord, il retrouvait, effectivement, son filleul en forme et en bonne santé, ensuite, il n’avait plus à inquiéter la police avec une disparition d’enfant et enfin, il retrouvait une amie avec qui il n’avait pas eu l’occasion de parler depuis un petit moment…

« Mmh, oui je vais bien... » murmura le garçon, à la fois heureux et soulagé de sentir le corps de son parrain contre le sien. « Je.. Pardon, parrain.. »

Retrouver Elyott intact, sans aucune égratignure et avec cette bouille désolée, ça avait presque fait pleurer Alcide de joie. Bon sang, il ne lui était rien arrivé et c’était tout ce qui comptait sur le moment ! Le reste importait peu, l’enfant était en bonne santé, vivant et tout à fait adorable. L’homme craquait complètement pour les gosses, et ce depuis des années, alors il avait du mal à se montrer autoritaire dans un moment pareil.
Une fois à l’intérieur, il lui avait dit qu’il ne l’engueulerait pas tout de suite, parce qu’il n’avait pas le cœur à cela, tout simplement. Van Stexhe lui avait dit clairement qu’il était soulagé de le retrouver et qu’ils auraient une petite discussion ensemble par la suite. Ce n’était même pas une promesse d’engueulade, pour le professeur, juste une petite mise au point qui devait être faite nécessairement…

Alors miss Conway eut la bonne idée de conseiller au petit bonhomme d’aller se laver les mains. Elle s’était pour cela mise à la hauteur d’Elyott et Al ne put s’empêcher de trouver la scène superbe. Une jeune femme qui parlait ainsi à un enfant en bas âge, c’était extrêmement attendrissant, il ne pouvait pas le nier, ça le faisait fondre tout à fait.
Puis, l’enfant s’éloigna et la demoiselle se releva pour s’avancer vers l’homme. Alcide écouta ce qu’elle avait à lui dire, concernant les raisons d’Elyott, d’abord, qui avait voulu voir la tombe de ses parents, sans aucun doute, puis à son sujet à lui. Là, van Stexhe dut serrer les dents un instant sans s’en rendre compte. Il savait très bien qu’il avait merdé, mais il ne pouvait pas travailler avec Elyott dans la même pièce que lui : il lui était impossible de rester concentré sur un texte quand son filleul était dans la même pièce que lui simplement parce qu’il ne pouvait pas détacher son regard du petit garçon, s’émerveillant sans cesse de tout ce qu’il était capable de faire…

Van Stexhe savait bien qu’il n’avait pas assuré sur ce coup-là. Il avait peut-être trop confiance en son filleul, il n’en savait rien, mais jamais il n’aurait imaginé que l’enfant partirait comme cela. Silencieux, l’homme essaya de se mettre à la place de miss Conway, étrangère à tout cela, qui portait un regard un peu plus objectif sur cette affaire. Peut-être qu’il devrait fermer la porte à clef, même en étant à l’intérieur, au fond… Alcide soupira un peu rapidement, mais cela lui permit de se rafraîchir les idées… jusqu’à ce que l’étudiante lui parle de stabilité et d’attention.
Il avait l’impression d’être en train de se faire sermonner par sa mère. C’était très bizarre comme situation, mais c’était ainsi que le professeur la ressentait.
Il garda encore le silence quelques secondes, regardant son interlocutrice attentivement, puis prit enfin la parole, après mûre réflexion :

"Tu vas me prendre pou un con, mais quand j’ai appelé Elyott pour préparer le goûter avec moi, il y a…" un coup d’œil à sa montre "… une heure et demie, j’ai pensé qu’il voulait jouer à cache-cache. Alors j’ai cherché ici, partout, dans tous les sens avant de me dire qu’il était peut-être sorti. J’ai paniqué…" L’enseignant ne se voilait pas la face. Il avait beau adorer les gosses, il n’avait pas du tout l’habitude avec eux. Il faisait son possible, humblement et avec toutes ses limites d’homme. "La dernière fois que j’ai vécu à côté d’un enfant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, j’étais moi-même un gamin, Emy. Je ne sais pas comment je suis censé faire pour préparer mes cours tout en surveillant Elyott, en jouant avec lui et en préparant à manger. Tout seul, c’est loin d’être facile… et il a suffi que je travaille dans mon bureau aujourd’hui pour que ça arrive…"

Il était en train d’avouer ses limites. La gestion de tout cela le dépassait un peu et il ne savait pas comment organiser cette nouvelle vie. Ça, Edward ne lui avait pas expliqué comment il était censé faire pour être partout à la fois.

"Je fais de mon mieux, tu sais… j’ai autant d’expérience dans le domaine que dans l’élevage de crevettes… Mais ne t’en fais pas pour la stabilité, tu es la première femme à entrer ici en la présence d’Elyott. Même ça, je ne sais pas comment je dois faire…"

Oh, il avait bien expliqué à son filleul qu’il n’avait pas vraiment d’amoureuse, dans le sens où comme la dernière l’avait rendu si triste qu’il préférait en prendre plusieurs pour éviter de se retrouver tout seul.
Devant le choix qui lui était laissé, Alcide avait choisi de recevoir les critiques avec élégance, de prendre cet échec comme un enseignement et d’accepter ce revers comme un bienfait déguisé.

"Je ne suis pas retourné sur la tombe de Théo et Juliet depuis l’enterrement… ni avec Elyott, ni seul. Ça me rend malade cet endroit. Je n’ai jamais compris comment on pouvait se recueillir devant une stèle funéraire. Quand mon frère…" Il baissa les yeux un instant, inspira profondément, puis ramena son regard sur le visage de miss Conway. "Mais Elyott est différent de moi. Je lui dirai qu’il peut me demander de l’accompagner quand il le souhaitera, je suppose que ça l’aidera peut-être…"

Alcide avait failli parler d’Eric. Il ne le faisait jamais. Peut-être que cela voulait dire que l’homme devrait en parler avec Elyott. Après tout, lors du décès de son frère, van Stexhe n’était pas beaucoup plus âgé que le petit garçon.
Il était finalement bien penaud, désormais. Et s’il avait dans un premier temps pensé dire à Emy qu’il ne l’avait pas entendue parler autant depuis un certain temps, il n’en fit rien. Aujourd’hui, il se sentait comme un gamin pris en faute, même s’il n’avait qu’une envie : serrer la jeune femme contre lui pour la remercier encore et encore de lui avoir ramené celui qui était l’être le plus cher à ses yeux.