J'aurais pu mettre un terme aux souffrances que s'amusait à m'infliger mon tortionnaire. C'était du sadisme pur et simple, et la solution était pourtant toute trouvée : je n'avais qu'à le mettre dehors, c'était là tout ce qu'il méritait. Je me surprenais à accepter avec un calme olympien qu'un jeune homme auquel j'offrais un toit me marche dessus, piétinant ainsi la once de dignité qui me restait. Il était là, assis sur mon lit, savourait ma douleur, et ce bourreau, si charmant soit-il, conservait ce sourire arrogant qui m'insupportait au plus haut point depuis le début de notre "conversation". Cela n'en était pas vraiment une, d'ailleurs, il s'agissait plus d'un monologue. J'avais beau lui répondre, ma voix se perdait dans un coin de la chambre, sans parvenir à ses oreilles vraisemblablement, puisque je demeurais presque invisible à ses yeux. Comme si je n'avais aucune arme pour l'atteindre réellement. Lui en revanche avait deviné sur quels points m'attaquer afin de me blesser, et je me détestais d'être si prévisible. Il jouait sur ma réputation, la réputation dont héritaient tous les Alpha. Des gens ennuyeux, fades, sans personnalité, qui ne savaient ni s'amuser, ni s'imposer. J'aurais aimé pouvoir dire qu'il se trompait du tout au tout sur mon compte, mais il fallait être honnête en avouant que je n'avais pas ce caractère fort que lui pouvait considérer comme un véritable atout. Naturellement, s'il me poussait dans mes derniers retranchements, il y avait de fortes chances que je pique une crise, une vraie, comme j'en avais rarement fait dans ma vie. A vrai dire, j'aurais aimé que cela soit le cas, au moins, il aurait compris qu'on ne s'attaque pas à moi impunément. Malheureusement, pour l'instant, il ne le voyait pas de cet œil, au contraire, il semblait plutôt me considérer comme une proie facile et qui en plus le laissait attaquer, l'encourageait presque. J'étais faible, force était de le reconnaître.

« De c'que tu as sous la main ? Et tu te prends pour un Don Juan pour parler comme ça ? »

Exaspérée, certes, mais séduite. Mon bourreau dégageait un charisme assez étrange. Bien loin d'être aussi démagogue que nos hommes politiques, il maniait la langue avec une facilité déconcertante, et chacun de ses gestes, s'ils n'étaient pas étudiés minutieusement à l'avance, en donnaient cependant l'impression. J'étais soufflée par tant de cruauté, mais impressionnée par tant d'esprit. Il savait ce qu'il faisait, c'était indéniable, et j'étais frustrée, j'avais la vague sensation d'être une gazelle à la merci du lion, elle sait qu'elle perdra le combat, mais se débat malgré tout, pour l'honneur ? Non. Instinct de survie, sans doute. Le mien me criait de continuer à lui tenir tête, jusqu'à ce qu'il décide de m'asséner le coup de grâce. Je l'attendais, comme un condamné attend la lame sur l'échafaud. Il me tapait tout de même sur les nerfs, et je ne savais plus que faire pour me débarrasser de lui. J'aurais pu lui prouver que toutes ses idées reçues à mon sujet étaient fausses, malheureusement ça aurait été mentir, et il l'aurait très vite compris. J'aurais pu l'ignorer, mais on ne m'en donnait pas la force. Son regard inquisiteur cherchait le mien, et je n'arrivais pas à passer outre, faire comme s'il n'était pas là. Je l'avais regardé trop longtemps sans qu'il ne me voie pour gâcher cette "opportunité". L'opportunité de quoi faire ? Même moi je ne le savais pas. Je voulais juste ... Profiter de sa présence autant qu'il me l'accordait. Ah comme c'était pathétique comme réaction. J'étais la pauvre intello paumée, ringarde, et devant moi, sur mon lit, se tenait le charmant étudiant qui me faisait tant envie depuis le début de l'année, il était là à me rabaisser encore et encore. J'essayais de résister, de ne pas céder à ses mots durs, mais c'était une tâche difficile. Je n'avais pas ... Le sens de la répartie. Ni aucun argument qui aurait pu contrer sa théorie. A partir de là, je ne voyais plus d'issue possible, je me devais d'attendre qu'il crache son venin et s'en aille tranquillement pourrir la vie de quelqu'un d'autre.

Il eut un brusque changement de comportement. Tout au moins je l'avais cru quelques instants avant de comprendre qu'il n'en était rien. Après m'avoir pris mes cours des mains, il les posa sur mon bureau, toujours avec cette terrible arrogance qui me rendait folle. J'étais persuadée que derrière ce sourire charmant qu'il m'adressait se cachait de mauvaises intentions, et cela n'annonçait rien de bon pour la suite de la discussion. Il souhaitait me prouver qu'il n'était pas qu'un monstre, j'étais sceptique. Il ne pouvait changer ainsi sans raison apparente, c'était bien trop beau, et j'avais appris à mes dépends que tout ce qui paraît trop beau pour être vrai est bien souvent faux. Il vint une nouvelle fois prendre mon menton entre ses doigts, afin de rétablir ce contact visuel qui lui était si cher en cas de confrontation. Cela m'intimidait, mais me rassurait en ce sens où il ne semblait pas être du genre à planter des coups dans le dos. Il était franc avec moi, j'appréciais. Mais il me mettait au défi, et je n'étais pas certaine d'être suffisamment forte pour le relever. Lui tenir tête ne me posait pas tant de problème, mais fuir devant lui me paraissait impensable. Je ne m'en relèverais sans doute pas. Je pris une grande inspiration, rassemblai mon courage, et d'un revers de main, me dégageai de son emprise, avant de me diriger vers la porte et de la tenir ouverte.

« Ecoute moi bien maintenant. Si t'as un problème avec moi, rien ne t'empêche de t'en aller, au contraire, je t'y encourage, tu vois, la porte est grande ouverte. Tu veux m'appeler l'intello ? Fais toi plaisir. Mais si c'est pour me faire payer que t'es là, tire-toi, j'ai mieux à faire. Contrairement à toi, c'est pas papa et maman qui paieront le doyen pour que j'ai mon année. Et tu sais quoi ? La prochaine fois que j'ai à changer l'eau de mon évier, j'attendrai que tu passes sous ma fenêtre. »