Elle n’avait pas mérité cette punition, du moins elle le pensait. Comme toutes les autres personnes aux visages sombres qui se trouvaient en sa compagnie dans cette salle. Quelques chaises, des tables, un bureau placé sur une petite estrade devant eux ; où un homme aux cheveux noirs d’encre et yeux azur la fixait intensément, à intervalles trop réguliers, depuis qu’elle était entrée dans la pièce. Sérieusement, où se trouvaient-ils, au lycée, ou quoi ? Autumn n’avait pas besoin de perdre deux, non, pardon, quatre heures de son temps dans cette pièce, entourée de débiles mentaux qui lisaient leur livre de sciences, d’économie ou autres bouquins de cours, tels des zombies. La jeune femme laissa échapper un profond soupir. Le jeune homme chargé de garder un œil sur ces délinquants leva brièvement les yeux vers elle, fronça les sourcils d’un air désapprobateur, et se replongea dans Sports Illustrated. Il fallait qu’elle trouve un moyen de se tirer d’ici, et vite. Rester enfermée, c’était une perte de temps ; surtout lorsqu’il n’y avait rien à faire. Croisant les bras sur la table bancale, elle posa sa tête dessus, et poussa un autre soupir, avant de fermer les yeux. Elle avait, encore une fois, perdu une occasion de fermer sa gueule. Cela lui aurait évité de nombreux ennuis.

•• Flashback. Two hours ago, lecture hall.

Ses doigts tapaient discrètement sur les touches de son Blackberry, planqué en dessous de la table, tandis que son professeur de littérature parlait, parlait, parlait sans jamais pouvoir s’arrêter. Le moindre mot qui sortait d’entre ses lèvres n’avait plus aucune signification pour la jeune femme depuis bien longtemps, trop distraite pour pouvoir payer la moindre attention à l’étude approfondie des courants littéraires auxquels appartenait ce bouquin qu’elle était censée acheter et lire depuis, hum, quelques semaines déjà. Ou était-ce des mois, elle ne s’en souvenait plus. Un sourire se dessina sur son visage à la réception de la réponse de l’une de ses amies, et elle s’empressa de tapoter illico sur les petites lettres, constituant sa réponse. Trop plongée dans ses pensées, concentrée dans son message, se disant mentalement ce qu’elle s’apprêtait à écrire, Autumn ne remarqua pas que tous les regards étaient tournés vers elle. Le professeur s’était tu depuis quelques trop longues secondes, et le seul bruit qui résonnait était celui de ses doigts qui, contrôlés par une quelconque force surnaturelle, continuaient à rédiger le message alors même qu’elle était observée. Une fois le message parti, elle daigna enfin lever la tête vers ses camarades, et rangea son portable dans la poche de sa veste en daim, sans le moindre regard vers le professeur, ou la moindre excuse formulée. Il ne pouvait, de toute façon, pas la virer pour une si stupide « erreur ». Ce n’était qu’un texto, et ils n’étaient plus au lycée. C’était son problème, si elle préférait ne pas écouter, non ? Apparemment, monsieur le littéraire ne l’entendait pas de cette oreille. Alors même qu’Autumn sortait enfin -après trois quart d’heure de cours- son bloc notes et appuyait bruyamment sur le bout de son stylo pour en faire surgir la pointe, monsieur la cinquantaine commença à vociférer des mots incompréhensibles, qui lui passèrent tout d’abord au dessus de la tête. Traçant un trait sur sa feuille, sans même lui prêter attention, elle écrivit en lettres capitales « littérature », s’empressant d’affubler chacune des lettres d’immenses boucles partant dans tous les sens. Ce qu’il l’emmerdait, à gueuler ainsi…Daignant lever les yeux vers lui, elle constata enfin que, depuis tout à l’heure, c’était à elle qu’il s’adressait ainsi. Hum, oups. Pendant de longues, interminables minutes, il continua à vociférer sur elle, montant les marches menant jusqu’au dernier rang de l’amphithéâtre, allant jusqu’à postillonner sur sa table, et sur sa veste de marque. Autumn n’avait pas pu s’en empêcher. Elle savait qu’elle allait devoir subir les conséquences de ses paroles, mais, encore une fois, elle n’avait pas su fermer sa gueule. Entre autres, après avoir dit à quel point son cours et lui-même ne servait à rien, elle l’avait volontairement insulté, et, évidemment, s’était prise plusieurs heures de colle. Certes, à la base, elles étaient de deux. Mais la dernière réplique de la blondinette l’acheva, le faisant ajouter deux heures de plus à sa déjà terrible, et ridicule sentence. « Des heures de colle ? Oh, please, it’s so High school. »

•• Back to reality. Detention, 6 p.m.

La jeune femme s’était pratiquement endormie, les yeux posés sur son magasine Vogue, lisant pour la énième fois les mêmes tendances, se lassant même de regarder encore et encore ces tenues de rêve qui, dès le lendemain, lui iraient comme un gant, et en feraient pâlir les trois-quarts des filles du campus. Un grincement se fit entendre, ainsi que des bruits de pas réguliers dans le couloir silencieux. Dans la salle de colle, il n’y avait plus qu’elle et le surveillant, éternel creepy guy qui tournait sans cesse la tête vers elle. Heureusement, ce tête-à-tête un peu flippant n’allait pas durer. Une, deux minutes s’écoulèrent, et la porte s’entrouvrit dans un grincement sinistre, laissant apparaître un jeune homme brun, cheveux légèrement en bataille, affublé d’un léger sourire, comme si venir ici l’enchantait au plus haut point. Les lèvres de la jeune femme dessinèrent rapidement un sourire, tandis qu’elle observait le jeune homme se diriger vers le bureau. Damian. Tiens donc. Ces heures passeront sans aucun doute bien plus rapidement qu’elle ne l’imaginait, maintenant qu’il était là pour la distraire. Oups, rectification…maintenant qu’il était à sa merci. Peu importe qu’ils soient coincés ici, sous surveillance qui plus est. Autumn savait qu’elle trouverait l’instant venu pour faire preuve d’imagination afin d’obtenir son dû. Son sourire resta collé à ses lèvres tandis que Damian comblait la place vide à la table à sa gauche, près de la fenêtre. « Alors, monsieur n’a pas su respecter les règles ? » chuchota-t-elle à son intention. Elle se mordilla légèrement la lèvre inférieure, avant de lui jeter un regard en coin, son sourire se faisant de plus en plus mystérieux. L’heure de la vengeance avait sonné. Et rien, ni personne, ne pourrait l’arrêter.

Ces murs beiges recouverts de posters et de petites annonces de recherche de colocataires, de cours d’espagnol, et de promotion pour des sites internet permettant d’aller dans les villes les plus chères du monde sans faire un trou dans son porte-monnaie ; Autumn les connaissait par cœur. Les paupières fermées, les coudes posés sur la table de façon désinvolte, elle pouvait presque de tête réciter cette pancarte désespérée d’une étudiante ayant des lacunes importantes en russe. Tout, elle savait tout sur le bout des doigts, de la distance des tables entre elles à la façon d’ouvrir les fenêtres sans faire le moindre bruit afin de s’échapper de cet enfer. Il faut dire que ce n’était pas sa première fois dans cette pièce exigüe, en compagnie des gens de la pire espèce ; de monsieur-cheveux-gras à la petite intello qui semblait ne pas avoir sa place en cet endroit. Non, la jeune femme était une grande habituée des lieux, si bien qu’elle n’avait même plus à se présenter au surveillant en entrant, et que ce dernier n’exigeait même plus de justification quant à sa présence.

Les pages du magazine se froissaient entre ses doigts, les images défilaient devant ses yeux si rapidement qu’elle ne parvenait pas à en saisir le sens. Peu importe. Deux malheureuses heures à tenir, et elle serait libre, enfin. L’horloge murale laissait échapper un tic-tac incessant, qui commençait à la rendre dingue. Fort heureusement, il fallut peu de temps avant que quelqu’un vienne la délivrer de sa torpeur. Lui. Il fallait que ce soit lui. Sourire carnassier, geste de la main lui indiquant de s’installer à côté d’elle ; tout son comportement montrait clairement qu’elle avait envie de sa compagnie. Oui, pourquoi pas, après tout, il avait une dette envers elle ; dette dont il ignorait tout. La chaise grinça sur le plancher tandis que le jeune homme s’installait à côté d’elle, cet éternel air nonchalant affublant ses traits, qui lui collait à la perfection. Depuis qu’elle le connaissait, elle ne l’avait jamais vu autrement qu’avec cette expression, masque décontracté et zen qui semblait cacher bien des douleurs. A l’intérieur, c’était une torture, la moindre des parcelles de son corps exigeait vengeance immédiatement, et elle dû serrer les poings pour ne pas lui sauter à la gorge. Comment pouvait-il se comporter ainsi avec elle, après ce qu’ils avaient vécu ? Rectification, après ce qu’il avait fait d’elle ? Pas qu’elle se soit attaché à lui, ou éprouve quelconque sentiment à son encontre, chose dont la belle blonde est incapable, organe de pierre poussiéreux remplaçant son cœur. Simplement, il l’avait utilisée, comme une vulgaire marionnette, puis jetée dans la poubelle la plus proche une fois hors d’usage. Sûr, Autumn avait été consentante, voyant là un moyen de passer du bon temps, et évidemment tromper tout le monde étant son passe-temps favori. Mais il avait échappé à son contrôle. Il l’avait vulgairement jetée…comme il était stipulé dans leur accord. Il l’avait utilisé selon ses envies, l’avait manipulée tout le long, et la jeune femme n’avait rien vu, pensant naïvement être en plein contrôle de la situation. Le voir ici, maintenant, à croire que le timing avait été planifié…tout était parfait. Elle obtiendrait son dû, se vengerait comme seule une belle blonde du nom d’Autumn Rowen-Glaswell en est capable. Et la chute sera dure, très dure. S’il avait su, ce jour-là, lorsqu’il s’était approché d’elle pour lui murmurer ce service à l’oreille, qu’il en prendrait plein la tronche en retour, il ne se serait sûrement pas approché d’elle en premier lieu. Il avait demandé le mauvais service, à la mauvaise personne. Autumn n’était pas une marionnette, et elle le lui ferait bien comprendre. La vengeance a un goût amer, et la jeune femme prendra soin de laisser ce parfum glacé sur les lèvres du jeune homme jusqu’à ce qu’il ait l’envie de les couper.

Tout comme elle, Damian se retrouvait coincé ici, au moins pour deux bonnes heures, du moins elle l’espérait. Finalement, la situation se révélait plutôt amusante. L’ancien « couple » phrase de Berkeley aux yeux du monde, réunis pour le meilleur, et pour le pire. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ici, elle se le demandait. Certes, Damian était loin d’être un ange, mais il n’était pas non plus le genre de garçon qui passait son temps en heure de colle, à soupirer à chaque crissement de l’aiguille de l’horloge sur sa liberté enlevée. « A croire que répondre à un appel est un crime. » Un sourire se dessina sur son visage. Ainsi, c’était pratiquement la même raison qui les avait amenés à se réunir en ce lieu. Le destin ? Crap, ce genre de choses n’existe pas. Le hasard, alors ? Dans ce cas, ce dernier faisait plutôt bien les choses. La jeune femme roula des yeux, signe d’exaspération, tout en mâchonnant son chewing-gum, odeur de chlorophylle se répandant partout dans la pièce, bruit de mastication faisant régulièrement lever les têtes des grosses têtes à l’avant. Elle, jouer aux vilaines filles ? Elle ne jouait pas, elle en était une, nuance. « Définis vilaine, demanda-t-elle pour toute réponse, levant un sourcil intrigué. Dans quelle catégorie de personne la classait-il exactement ? Savait-il de quoi elle était capable, s’attendait-il à ces retrouvailles, à ce « après » la comédie qu’ils avaient jouée ? Autumn chassa ces questions d’un léger mouvement d’épaules, à peine perceptible. Un sourire parut sur son visage. La même raison nous cloître ici…Il faut croire que certains sont allergiques aux nouvelles technologies. » Sa voix résonna contre les parois de la salle, et la surveillante leva la tête de son Sports Illustrated, sourcils froncés, apparemment prête à condamner le coupable pour l’horrible crime d’avoir ouvert la bouche. Elle se leva dans un grincement désagréable de chaise, et parcourut la salle du regard, avant de s’arrêter sur Autumn & Damian, la blondinette tournée vers le brun. « Rowen-Glaswell, silence. » Cette dernière dût se retenir de répliquer un « sinon ? », remarque sûrement trop provocante qui lui aurait valu des heures de plus cloîtrée en enfer. Quelques secondes de silence s’écoulèrent, rythmées par le froissement des pages du livre de sciences que la fille du premier rang lisait avec une attention exagérée. Faisant mine de s’intéresser à nouveau à son magazine, Autumn tourna paresseusement les pages, laissant les mannequins défiler devant ses yeux, ne prêtant aucune attention à leurs tenues. Son regard se tourna à nouveau vers Damian, puis vers l’extérieur. Ils devaient se tirer d’ici, et vite fait. Autumn ne pouvait pas mettre son plan à exécution ici, pas avec tous ces témoins. A moins que…non, c’était impensable, surtout avec la surveillante. Il fallait au moins le virer de la salle. Son cerveau carburait à toute vitesse, à la recherche d’idées les plus improbables pour les sortir de cet endroit. Mais rien ne paraissait plausible, rien ne lui semblait assez efficace. De toute manière, s’ils sortaient d’ici, Damian s’en irait de son côté, et elle du sien. Mauvais, très mauvais plan.

Les secondes s’égrenaient au son monotone de l’horloge, tic-tac incessant qui commençait à la rendre dingue. La jeune femme entrouvrit la bouche, prête à reprendre la conversation. Mais le regard de la surveillante était rivé sur elle, yeux bleus glacier qui lui donneraient presque la chair de poule. D’ordinaire, Autumn est loin d’être une trouillarde, et n’a pas peur de passer une journée en heure de colle. Mais, là, elle choisit de se tenir, ayant d’autres priorités en tête que celles de passer son samedi à l’université. Fouillant bruyamment dans son sac, elle finit par en extirper un stylo aux couleurs de l’Angleterre, et déchira sans ménagement une partie de son cours de littérature. Retournant la feuille sur le côté blanc, elle commença à griffonner dessus un mot. Puis, le glissant sous la table, elle le posa sans la moindre gêne sur la cuisse du jeune homme, l’effleurant au passage, tout en fixant l’horloge et le mouvement de ses aiguilles. Un sourire carnassier se dessina sur son visage, qu’elle s’empressa d’effacer derrière son magazine, essayant de faire bonne figure. Le regard de la surveillante était désormais vide, à croire qu’elle était droguée. Sur ce petit mot passé à Damian, figuraient quelques simples mots, derrière la note bouclée des lettres, qui lui offraient pourtant un défi. « T’as jamais eu envie de sauter par la fenêtre ? » Mot à double sens, qui pouvait signifier bien des choses. Damian pouvait bien le prendre de travers, ne pas comprendre immédiatement. Car Autumn pensait au premier sens de sa question, littéralement sauter par la fenêtre. S’échapper d’ici. Deux heures, c’était long, très long. La jeune femme ne savait pas comment il pourrait interpréter ce petit mot…soit il se lancerait dans une réponse plus que philosophique, soit il userait d’imagination pour les faire sortir d’ici, ou du moins essaierait de mettre en place la phase une d’un plan machiavélique qui les entrainerait dans des aventures folles…histoire à suivre. Retournant la tête vers lui, elle laissa cet éternel sourire mystérieux flotter sur son visage, et lui fit un discret clin d’œil. Et, action. Damian allait regretter de ne pas être resté sous sa couette ce matin. Ou peut-être pas, qui sait.

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