Abby est dans les choux... ;
Excuse-moi, mais...T'es qui?!

Allongée sur son lit, Abbygail s’efforçait de ne penser à rien, et surtout pas au coup de fil qu’elle venait d’avoir de la part de son père. Celui-ci revenait régulièrement à la charge, ayant l’idée bien arrêtée de la voir rentrer en Russie pour être ‘prise en charge’ soit disant. Mais retourner en Russie signifiait arrêter ses études, être complètement à la merci de son père, et devenir une véritable ombre. Déjà que c’était à peine si elle était remarquée à l’université, malgré un caractère plutôt flamboyant, alors à Moscou, entourée par plusieurs gardes du corps en permanence, personne ne la remarquerait. Elle deviendrait un véritable fantôme, sans désir, sans but spécifique, et aveugle de surcroît…Déjà qu’elle détestait sa vie actuelle, la rendre aussi peu intéressante revenait à lui donner de véritables envies de se faire sauter le caisson. Jusqu’ici, son palliatif principal avait été trouvé dans la danse, dans ses études pour lesquelles elle se démenait comme une acharnée ; mais sans ça, elle resterait une âme en peine qui aurait même peur de sortir de l’immense maison construite par son père pour le confort des jumelles Vodianova. En d’autres termes, sans la danse, elle ne serait plus rien, une coquille vide sans aucun intérêt. Charmant tableau, n’est-ce pas ? C’était donc à tout cela qu’Abby s’efforçait de ne pas penser, allongée sur son lit, le regard rivé vers le plafond qui lui paraissait nettement plus passionnant que tout le reste, depuis quelques minutes. D’ailleurs, Tasha était venue lui demander à plusieurs reprises si elle souhaitait manger quelque chose de spécial aujourd’hui, et à chaque fois, c’était à peine si Abby lui avait répondu. Au contraire, la jolie blonde se montrait capable de faire totalement abstraction du monde extérieur, surtout lorsque la réalité l’effrayait ou l’ennuyait. L’envie de manger n’était pas là, qui plus est…Tasha aurait pu lui proposer un plat russe, français ou espagnol, c’était à peine si elle aurait fait la différence. Voilà bien l’une des nombreuses différences entre les deux jumelles : Tasha aimait la gastronomie, les mets délicats, alors qu’Abbygail mangeait toujours sur le pouce, et souvent, elle ne mangeait rien. Il ne fallait pas s’étonner qu’elle ait toujours le teint pâle et qu’elle se sente régulièrement faible…Mais c’était dans sa nature de n’accorder aucune importance à la nourriture ; tout comme au fait que quelqu’un avait frappé à la porte et qu’elle n’avait même pas entendu le ‘toc toc’ habituel. Abby était dans une sorte d’absence, et elle n’avait aucune envie de se sortir de sa torpeur, bien au contraire.

Ce fut la voix de Tasha qui l’en sortit, d’ailleurs. Elle hurla son nom, et bien qu’Abby ne lui réponde pas, elle insista encore et encore. Ce fut donc la jumelle de la jolie blonde qui partit ouvrir la porte, affichant un sourire qu’Abby n’aurait jamais eu, surtout en ouvrant la porte à quelqu’un. Connaissait-elle Yelyah ? Peu probable. La brunette n’avait aucune idée de l’identité des éventuels amis et connaissances de sa jumelle. Pourtant, d’un geste instinctif, elle salua le jeune homme avant de lui dire qu’Abby était à l’étage, et que s’il parvenait à la faire sortir de son silence, il aurait probablement gagné sa journée. Comme elle ne l’avait jamais vu, Tasha avait du penser qu’il n’y avait qu’Abby pour le connaître, surtout en sachant qu’elles étaient les deux seules habitantes de cette maison. Elle le conduisit jusqu’à la chambre, avant d’annoncer à Abby qu’elle avait une visite et de s’éclipser en fermant la porte de ladite pièce pour les laisser tranquille. Quand à la jolie blonde, elle n’ouvrit qu’un œil glauque avant de soupirer doucement. Oh, la présence de Yelyah ne la dérangeait pas, ce n’était pas ça…Ne sachant même pas qui il était, et n’ayant aucun moyen de le savoir à moins qu’il n’énonce à haute voix qui il pouvait bien être, elle ne pouvait pas se dire dérangée par sa présence. Néanmoins, tout lui semblait inutile aujourd’hui. Le fait de continuer à se battre pour marcher toute seule dans la rue, apprendre à hurler quand on la bousculait sans vergogne, et apprendre à toucher les gens pour les voir. En revenant à Berkeley, Abbygail ne pensait qu’à son handicap, et à comment le contourner pour vivre normalement. Mais son père rendait la chose nettement plus compliquée, tout en souhaitant la simplifier…Cela prouvait à quel point la pression familiale peut être véridique, parfois.

« Tu t’es déjà demandé si un aveugle peut vraiment voir en touchant les gens ? Je finis par me demander si c’est possible, en fait. Ou alors tout ça c’est que des conneries, un slogan débile pour vendre plus de médocs…Ou que sais-je. »

Abby poussa un long soupir avant de s’asseoir enfin sur son lit. C’était absolument horrible de se sentir aussi lasse alors qu’elle n’avait strictement rien fait de ce début de journée…Mais la fatigue morale est souvent bien pire que toutes les fatigues physiques possibles et imaginables. D’ailleurs, elle mit quelques secondes avant de relever son beau regard bleu eau-de-mer vers Yelyah. Évidemment, elle ne l’avait pas reconnu, et évidemment la question suivante lui parue pleinement logique…Même si elle allait très certainement surprendre le jeune homme.

« Donc, t’es qui, au juste ? Qu’est-ce que tu fous dans ma chambre ? Pas vrai ça, Tasha peut pas s’empêcher de jouer les marieuses…M’énerve ça, tiens ! »

Abby d’humeur massacrante, cela ne laissait rien présager de bon pour la suite. Être en port à faux vis-à-vis de son visiteur ne pouvait que la pousser à être encore plus désagréable, qui plus est…A moins que son interlocuteur soit d’une patience d’ange, il y avait fort à parier que la discussion allait être animée ; très animée.

Abby est dans les choux... ;
Excuse-moi, mais...T'es qui?!

« Pourquoi, j’ai l’air d’avoir fumé un truc pas net ? »

Yelyah s’était momentanément emparé de ses mains, et Abbygail était presque tentée de paniquer. Elle avait déjà entendu cette voix quelque part, mais de là à se souvenir où et quand, c’était une autre histoire. Pour elle, c’était tellement évident qu’elle ne pouvait plus rien voir que passer pour une junkie à cause de son discours ne lui avait pas traversé l’esprit. Elle partait toujours du principe que Tasha informait les visiteurs de sa cécité qu’elle en oubliait souvent de vérifier qu’ils étaient bel et bien au courant. Visiblement, ce visiteur là ne semblait pas s’en être rendu compte, ou peut-être feignait-il de ne pas le savoir pour éviter de la gêner…Ce qui aurait été parfaitement stupide parce que l’indifférence vis-à-vis de son handicap l’énervait. D’accord, elle était aveugle et était donc destinée à rester un boulet toute sa vie…Mais ce n’était pas une raison pour ruer dans les brancards en commençant à paniquer. Celle qui devait avoir peur de se diriger dans le monde, de dire le mot de trop et d’être transparente, c’était Abbygail, pas ce jeune homme qui venait de lui prendre les mains pour mieux les lui lâcher ensuite. Mais il sembla déposer quelque chose sur le lit à peine quelques secondes après, et l’esprit de la jolie blonde se mit à tourner comme une machine : Elle chercha à tâtons l’objet qu’il avait effectivement déposé et, en tombant sur le disque, Abby commença à y avoir un peu plus clair. Elle se souvenait effectivement d’avoir commandé une musique spécifique pour sa chorégraphie la plus importante de son année…Son grand final, avec des figures et des portés plutôt audacieux qu’elle avait imaginés tout au long des mois de cours. Elle avait pensé à ce moment là que commander une musique spécifique, à l’image de sa chorégraphie était une bonne idée. Mais depuis son accident, l’envie de répéter pour cet examen était belle et bien partie. C’était à peine si elle avait envie de se lever le matin en ce moment alors aller à l’université et bosser sur une chorégraphie probablement compromise à cause de son handicap, il y avait mieux comme perspective.

« Ah ouais, la choré. Bordel, je m’en souvenais même plus…Je perds la boule, hein ? Non, en fait je perds pas du tout la boule, j’ai juste eu plus ‘urgent’ à penser on va dire. »

Les paroles d’Abby étaient totalement floues pour quelqu’un d’autre qu’elle. La chose urgente qui lui avait fait oublier ses examens n’était autre que son accident, bien entendu. Mais pour quelqu’un qui n’avait rien d’autre à penser que ses études, cet état de fait ne devait pas paraître évident. Ce fut pourquoi, même si elle était contente que Yelyah n’ait pas oublié de s’occuper de sa petite requête, cela la rendait tout de même amère. Le fait de ne pas pouvoir aller jusqu’au bout de ce projet, le fait de ne pas pouvoir donner jusqu’à ses tripes sur la piste de danse pour passer en quatrième année…Tout cela, Abby le regrettait amèrement.

« Yelyah, c’est ça ? »

Le beau regard bleu eau-de-mer d’Abbygail s’était posé l’espace de quelques secondes sur le jeune homme, avec une approximation contre laquelle elle ne pouvait rien. Elle se basait uniquement sur la voix qu’elle avait entendue quelques instants plus tôt, mais de là à savoir exactement où il se trouvait, c’était une autre histoire. D’ailleurs, il en était de même pour le morceau de papier présent sur la pochette du disque : Elle avait conscience de son existence, mais ne pouvait pas le lire puisqu’il n’était pas en braille. Elle soupira doucement, se levant enfin de son lit pour se mettre à faire les cents pas dans la pièce, tout en conservant le CD entre ses mains. Abby était presque tentée de l’écouter, mais d’un autre côté, elle savait que le mettre dans le poste allait la dégoûter encore plus. Sa chorégraphie était compromise étant donné la complexité de celle-ci, et elle n’aurait jamais le temps d’en faire une autre d’ici la fin du semestre. Triste bilan de cette situation, poussant Abby à redoubler probablement sa troisième année…

« Je me suis absentée trois semaines parce que j’ai eu un accident de voiture pas loin de Moscou. Donc, grosso merdo, je pourrais pas la faire ma chorégraphie. Elle est trop compliquée, et mes yeux fonctionnent plus. Je sais même pas à quoi tu ressembles, j’ai du mal à m’en souvenir. Désolée de t’avoir fait taffer pour rien, surtout que ça doit tout déchirer. »

Abby haussa légèrement les épaules, feignant de s’en foutre complètement. Il n’y avait rien d’autre à faire, de toute manière. Elle se rapprocha donc de lui, lui tendant le disque pour qu’il le reprenne. C’était idiot, tout ça…

« Je sais pas ce que tu as marqué sur le papelard…Mais je n’ai plus besoin de tes services. »

Abby tenta de sourire, mais elle ne pouvait s’empêcher d’être distante. Ne pas attirer la pitié, garder toujours un vide présent autour d’elle…Ne pas avoir de vie sociale lui paraissait sans doute préférable, après tout.

« Pourquoi, j’ai l’air d’avoir fumé un truc pas net ? »

La réponse de la jeune femme était cinglante et avait totalement surpris Yel qu'il en serait tombé à la renverse si il n'avait pas déjà été assis ! Il regarda la jeune femme qui sembla chercher à tâton ce qu'il venait de poser sur le lit, c'est-à-dire le CD, il était pourtant juste à côté et elle l'avait vu le poser devant elle, comme si elle voulait le prendre sans regarder alors qu'un petit coup d'oeil à droite aurai permis de savoir exactement ou il se trouvait, bizarre. Yelyah s'interrogeait sur la façon d'être de la jeune femme, que se passait-il pour qu'elle soit si bizarre et surtout qu'elle paraisse si différente ? Une personne ne peut pas changer en si peu de temps, passer d'une personne enjouée et tout à fait normale à quelqu'un de renfermé et qui semble totalement ailleurs ! A moins qu'un traumatisme quelconque est eu lieu depuis la dernière fois qu'il s'était croisé, c'était tout à fait possible et cela expliquerai pas mal de choses.

« Ah ouais, la choré. Bordel, je m’en souvenais même plus…Je perds la boule, hein ? Non, en fait je perds pas du tout la boule, j’ai juste eu plus ‘urgent’ à penser on va dire. »

Ou comment attiser encore plus la curiosité de quelqu'un qui soupçonne déjà que quelque chose ne tourne vraiment pas rond. Comment oublier la chorégraphie quand on est passionné comme elle lui avait paru lors de leurs discussions ? C'était comme si lui avait oublier qu'il disputait tel ou tel match de basket ou encore tel ou tel concert, inconcevable. A moins bien sûr que cette chose si "urgente" soit la cause de ces troubles. Maintenant savoir ce que pouvait bien être cette chose n'était vraiment pas facile à savoir vu le peu d'indices dont il disposait et le faible nombre qu'Abbygail disséminait afin qu'il puisse découvrir ce qu'il se tramait.

« Yelyah, c’est ça ? »

C'est bien ! Au moins elle arrivait à se souvenir de lui, quel exploit. Il s'aperçut qu'elle leva les yeux vers lui, du moins elle regardait plus son crâne et ses cheveux que dans ses yeux mais ça arrive parfois. Elle avait détaché le post-il qu'il avait apposé sur le CD et passait ses doigts sur celui-ci avant de le laisser sur son lit, s'étirer et se lever. La jeune femme gardait le CD dans sa main tout en jouant avec puis elle entreprit ce qui ressemblait à une marche dans sa chambre, ou plutôt faire les cent pas mais c'était plus marrant d'appeler cela une ballade chambrale. Il se leva et retourna vers le bureau, observant la jeune femme faire sa ronde.

« Je me suis absentée trois semaines parce que j’ai eu un accident de voiture pas loin de Moscou. Donc, grosso merdo, je pourrais pas la faire ma chorégraphie. Elle est trop compliquée, et mes yeux fonctionnent plus. Je sais même pas à quoi tu ressembles, j’ai du mal à m’en souvenir. Désolée de t’avoir fait taffer pour rien, surtout que ça doit tout déchirer. »

OUAH ! Imaginez-vous apprenant une nouvelle qui allait changer ta vie à tout jamais et bien voila l'expression qu'arborait Yelyah à ce moment précis.

« Je sais pas ce que tu as marqué sur le papelard…Mais je n’ai plus besoin de tes services. »

Il n'avait toujours pas changé d'expression mais voir la jeune femme hausser les épaules comme pour donner l'illusion que tout allait bien ou encore sourire le mettait mal à l'aise. Comment ne pas être effondré quand on sait qu'on ne verra plus jamais rien de sa vie, c'est tout simplement affreux et le jeune homme ne pouvait s'imaginer une vie comme elle le vivait en ce moment. Ne plus pouvoir lire, en dehors du braille bien entendu, ne plus voir les gens qu'on aime, ne plus pouvoir regarder dans les yeux des autres, vivre en faisant attention aux moindres sons ... Hallucinant. Il prit enfin le disque qu'elle lui tendait depuis pas loin d'une demi-minute et le posa entre ses jambes. Tout s'éclaircissait maintenant, le fait qu'elle ne l'ai pas reconnut, qu'elle soit bizarre ... mais il admirait cependant au fond de lui, la capacité qu'elle avait de déjà se mouvoir dans sa chambre - lieu hautement dangereux à cause des différents meubles, rangements, du lit et autres - alors que cela faisait peu de temps que sa cécité l'empêchait de voir les choses de ce monde. Il se sentit stupide de penser à la chanson qu'il pourrait écrire sur ce qu'il venait de vivre, exploiter l'infirmité d'une personne qu'il venait de rencontrer n'était pas dans son genre mais parfois les ressentiments doivent sortir et c'est sur un papier qu'ils prennent place pour sa part.La jeune femme était retournée faire les cents pas, il se leva et se rapprocha d'elle. Il espéra ne pas lui attirer un sursaut en lui attrapant doucement la main mais il le fit avec conviction, il l'attrapa et ils se retrouvèrent l'un en face de l'autre. Il se passa quelque chose dont il ne savait que penser mais qui surtout son cerveau lui dictait de faire sans raison apparente et encore moins sans l'accord de son homologue qui, il l'espérait, n'allait pas prendre ce geste comme un acte nuisible. Ainsi il la prit dans ses bras et la serra très fort, comme pour qu'elle ne s'échappe pas, qu'elle ne tombe pas et qu'elle sente sa présence, son parfum, son odeur corporel et qu'elle se rappelle ainsi de lui à chaque prochaine fois qu'il se verrait. Il lui murmura docilement à l'oreille.

- Ne me demande pas ce qu'il me passe par la tête, je ne le sais même pas moi-même.

Il relâcha son étreinte, attendant la claque de jeune femme, préparant presque sa joue à cet affront. Il ne bougea pas, restant impassible et immobile. Juste une réaction positive, voila tout ce qu'il attendait et espérait. Il le savait, beaucoup de gens ayant subit un traumatisme tel qu'Abbygail venait de subir devenait réfractaire à cette chose qu'il venait de faire, ne trouvant pas d'autre terme plus approprié, et préférant se renfermer sur eux, ne voulant pas ressentir la pitié des autres. Compréhensible, il en serait de même pour lui.

- On a du te le dire un grand nombre de fois, cela ne te fait ni chaud, ni froid j'en suis convaincu mais je suis navré de ce qu'il t'es arrivée Abby.

Il repensa au CD et aimerait quand même qu'elle entende ce qu'il avait composé, alos voyant qu'elle ne le gifleait pas, du moins pas encore, il retourna sur la chaise, prit le CD puis se dirigea vers la chaîne. Déposa le CD sur le lecteur optique et mit en marche, entrant dans une sorte de contemplation de ce qu'il avait composé.

Abby est dans les choux... ;
Excuse-moi, mais...T'es qui?!

Une étreinte…Voilà tout ce que lui offrit Yelyah après s’être emparé de sa main. Depuis combien de temps Abbygail n’avait-elle pas eu ce genre de contact purement humain ? Elle ne se souvenait plus. Il y avait eu James, bien évidemment, mais depuis son accident, la demoiselle était pour ainsi dire complètement réfractaire aux contacts et même aux relations humaines. Elles étaient devenues sa bête noire, parce que son regard ne pouvait plus véhiculer ses moindres sentiments, et qu’elle ne pouvait pas avoir un geste tendre envers quelqu’un sans créer une véritable catastrophe. C’était…Frustrant à souhait, et comme si Yelyah l’avait compris d’un seul coup d’œil, il l’avait serrée fortement contre lui, comme si elle allait disparaître dans la seconde. Cette attitude était d’autant plus étonnante qu’elle ne le connaissait pas énormément, en dehors des quelques discussions qu’ils avaient eues avant qu’il n’accepte de lui faire une composition spéciale. Elle avait dansé devant lui une seule fois, bu un café à deux reprises, en bref, ce n’était pas ce que l’on pouvait appeler une vraie ‘relation’. Yelyah était une connaissance, dont elle avait eu visiblement du mal à se souvenir…Si elle l’avait côtoyé plus longtemps, s’il lui avait apporté sa composition un peu avant son accident, Abby se serait sûrement habituée nettement plus vite à sa voix, à ses gestes et à son odeur. Cela dit, en étant dans ses bras, la demoiselle huma volontairement l’odeur du jeune homme à pleins poumons. C’était là la seule marque, en dehors du son de sa voix, dont elle pourrait se souvenir si elle le recroisait de manière fortuite à l’université ou ailleurs. Il pouvait toujours changer de parfum, de gel douche, la jolie blonde était désormais capable de sentir l’odeur réelle de la peau en se défaisant de tous les artifices habituels. Il pouvait donc être fier de sa démarche, car désormais, la demoiselle aurait du mal à l’oublier ou à feindre de ne pas le connaître. Sans le savoir, il avait laissé comme une marque sur elle, sur son âme et son esprit au même titre que sur son corps. Il n’y avait pas de pitié sans cette étreinte, et pourtant, elle était tentée de lui faire ravaler ce réflexe qu’il avait eu d’une simple gifle. Il s’écarta sans doute juste à temps, lui enlevant la possibilité de frapper, fortement ou non contre son visage. Abby n’avait aucune envie de s’esquinter la main, et du donc subir le discours qu’il dicta juste après s’être séparé d’elle.

« Ah non, pas de ça ! Pas de je suis navré alors que tu sais très bien que tu n’y es pour rien. Ca va, j’encaisse, je suis pas une faiblarde, moi…Et puis tu es qui pour venir me serrer contre toi et me déballer ce discours tout mâché ? J’y crois pas ! T’as de la chance que je puisse pas t’atteindre de peur de m’esquinter quelque chose, tiens ! »

Au départ, l’envie d’Abby avait été de le remercier, évidemment. Mais son tempérament colérique et impitoyable avait décidément repris le dessus, comme d’habitude. Elle était même prête à rétorquer autre chose, au moment où la musique parvint jusqu’à ses oreilles. Comme elle n’était pas complètement idiote, elle comprit rapidement qu’il avait mis sa composition dans son poste et avait envoyé la sauce…Les premières notes étaient à la fois douces et sauvages, dévoilant bientôt une mélodie plus violente, à l’image de la chorégraphie qu’elle avait pensée et qu’elle lui avait montrée en partie. Dans un réflexe, Abby commença à esquisser des mouvements souples et habiles, ôtant sa petite veste blanche en la balançant gracieusement sur son lit avant de tourner sur elle-même, un pied à terre et l’autre contre son mollet. Tandis que la musique se faisait plus violente, plus rapide, les mouvements d’Abby suivaient à la perfection, comme si elle avait toujours dansé dessus. Cette chorégraphie là n’avait rien à voir avec celle d’origine, mais elle était plus audacieuse, plus sensuelle, plus tournée vers la séduction. Comme s’i l’unique but d’Abby était désormais de briller par sa seule présence, par sa danse. Elle qui était désormais transparente aux yeux de tous, elle donnait tout ce qu’elle avait, là maintenant et tout de suite, comme si toute sa vie en dépendait. Plus la musique défilait, et plus ses mouvements se complexifiaient, mais aucune trace de peur n’était présente sur le visage de la belle blonde. Au contraire, elle faisait confiance à son corps, bougeant de manière tellement naturelle que c’en était presque émouvant. Et, comme si Abby n’avait plus rien d’autre à donner, elle fit un final digne d’un concours de danse. Un saut en l’air tout en tournant sur elle-même avant d’esquisser des mouvements souples à l’aide de ses bras et jouer avec l’une des rambardes de son lit à baldaquins, comme les danseuses de bar. Un petit clin d’œil qu’elle avait envie de garder, et qui l’amusa d’ailleurs, puisqu’elle eut un léger rire à la fin de la chanson. Du pur bonheur, qui lui avait permis de se libérer complètement. Comme quoi, tout n’était pas forcément perdu pour sa chorégraphie, il fallait juste qu’elle réinvente complètement celle-ci, qu’elle se l’approprie comme elle le faisait si bien, et qu’elle émerveille le jury.

« T’es un génie…J’en ai des frissons putain. Merci. »

Abby avait beau n’être qu’en débardeur et short blancs, elle transpirait tout de même. Elle de faisait plus autant de danse qu’avant, et la reprise était forcément un peu dure, mais au combien divine…Elle se rapprocha donc de Yelyah après être redescendue de son lit approchant ses mains jusqu’à toucher son visage.

« Désolée hein, mais je peux pas faire autrement. Ca va me permettre de te voir…Détends-toi. »

Délicatement, les mains d’Abby parcoururent les joues de Yelyah, avant de toucher le haut de ses pommettes, son front, avant de descendre jusqu’à son cou. Elle frôla légèrement sa nuque, du bout des doigts, ainsi qu’une mèche de cheveux, avant d’esquisser un léger sourire laissant apparaître ses dents blanches. Ses yeux regardaient légèrement de travers, mais ils dévoilaient une intensité qu’elle n’avait plus eue depuis un lustre…

Abby est dans les choux... ;
Excuse-moi, mais...T'es qui?!

« Si je suis intéressée ? Bordel, j’ai eu l’impression de planer littéralement, je te jure ! »

Il y avait là une vérité que même Abbygail ne saurait cacher…Il y avait très longtemps qu’elle n’avait plus ressenti un tel enthousiasme, une telle envie de se surpasser encore et encore. Yelyah lui avait avoué qu’un frisson l’avait parcouru, et par ce qu’il avait vu et à cause des gestes de la jolie blonde, mais Abby était tentée de dire que ses frissons ne l’avaient pas encore quittée. Pire, elle était dans une sorte de béatitude totale, comme si elle venait d’avoir un réel trip avec de l’alcool ou de la drogue. C’était grisant et presque effrayant à la fois, le fait de ressentir cela de but en blanc juste à cause d’une simple chanson. Aussi loin que sa mémoire remonte, d’ailleurs, aucune chanson ne lui avait jamais fait cet effet aussi immédiat et intense. La respiration d’Abby était encore haletante, non pas seulement à cause de l’effort qu’elle venait de fournir mais aussi à cause du fait qu’elle avait adoré ce moment. Elle venait de décharger trois semaines de colère d’un seul coup, et souriait maintenant aux éclats. Si Tasha était entrée à ce moment là dans la chambre de sa jumelle, pour sûr elle ne l’aurait pas reconnue. Abby, habituellement si renfermée sur elle-même et si peu souriante, s’en trouvait métamorphosée. Pour un peu, elle était possédée par l’irrépressible envie de se jeter sur le poste pour mettre une autre musique, bouger ainsi son corps et évacuer tout ce qu’il pouvait y avoir de négatif. Elle était vraiment surprise que quelqu’un puisse la faire changer d’état d’esprit aussi facilement, comme venait de le faire Yelyah. Elle afficha donc un sourire d’autant plus amusé en comprenant que le fait de lui avoir frôlé le visage en profondeur avait pu lui provoquer un frisson. Ca aussi, c’était grisant et effrayant à la fois…Il ne faut pas oublier qu’Abby n’était pas une spécialiste des échanges humains, et trop d’un coup aurait très bien pu la faire se renfermer aussitôt. Mais, sans qu’elle ne puisse s’expliquer pourquoi, le tempérament et l’enthousiasme du jeune homme étaient véritablement communicatifs. Par conséquent, plutôt que de reculer et se renfermer sur elle-même, Abby eut le coup de sourire plus franchement encore, tandis que Yelyah venait de déposer un baiser léger sur le dos de sa main. Cela aussi, elle n’y avait jamais été habituée, et elle rougit très légèrement avant de reprendre, rompant ainsi le silence les entourant :

« Il faut que j’imagine une autre choré, alors. Faut que je refasse tout…Mais ta chanson va m’inspirer, j’en suis persuadée. Ca faisait longtemps que je n’avais pas eu un frisson pareil…C’était mieux qu’un trip, mieux qu’un orgasme ! Oh, pardon j’suis un peu crue. Désolée, mais je peux t’assurer qu’après avoir passé pratiquement trois semaines à l’hosto à entendre les condescendances des uns et des autres, je prends d’autant plus de plaisir à redécouvrir la danse. Pire, c’est encore mieux qu’avant j’ai l’impression…Je ressens tout différemment. Rien que frôler ta joue apparaît dans mon esprit avec une foule d’images. Je sens les odeurs avec plus d’intensités, je m’attarde plus sur les sons…Ta chanson, c’est vraiment une merveille. On fait un duo d’enfer, mon cher ! »

Abby eut un léger clin d’œil avant d’imaginer dans son esprit les différentes figures qu’elle pourrait esquisser afin d’apporter davantage de profondeur à sa chorégraphie. Sans doute fallait-elle qu’elle reprenne d’abord l’habitude de danser. Elle se dirigea donc à tâtons vers le poste, et prit le premier disque présent sur sa pile relativement impressionnante de CD. Elle mit le mode lecture, s’imprégnant des notes de la première chanson en fermant les yeux. Certes, celle-ci ne lui procurait pas les mêmes émotions que la composition de Yelyah, mais ce n’était pas le but escompté, après tout. Au bout de quelques secondes, Abby se remit à bouger, tournant plusieurs fois sur elle-même sans même avoir la moindre hésitation. Comme si ses yeux ne comptaient plus, et comme si elle était parvenue à compenser son absence de vue par son attention sur les sons. Son sens de l’orientation était nettement plus net que lorsqu’elle marchait les mains devant elle, ou accompagnée de sa canne d’aveugle ! La preuve en était, elle se mit à faire le robot sur un rythme plutôt hip hop une fois la deuxième chanson entamée, quant à la troisième, plus lente et sensuelle, elle fut capable d’esquisser des mouvements laissant apparaître une émotion à couper le souffle. Pendant ces trois chansons, le sourire d’Abby ne l’avait pas quittée, même si elle n’avait fait aucune pause. Que ses mouvements soient rapides ou lents, un sourire délicat et sincère restait présent sur son visage, comme si elle trouvait dans la danse la seule chose qui pouvait la rendre heureuse et comblée. Qu’importe le fait qu’elle soit seule, si elle pouvait danser. Elle mit le disque sur pause à la fin de la troisième chanson, prenant une grande inspiration avant de pousser un léger rire amusé.

« J’espère que tu te fais pas trop chier à me regarder danser…J’oublie le monde extérieur quand je danse. Alors, aveugle ou pas, je crois que je fais confiance à mon corps avant tout. T’as pas quelque chose d’urgent de prévu, tu peux rester ? »

Première fois depuis longtemps qu’Abby n’était pas gênée par la présence de quelqu’un, bien au contraire. Après tout, maintenant qu’il était là et qu’elle était échauffée, pourquoi ne pas le prendre comme public privilégié une fois qu’elle serait prête à se lancer dans sa chorégraphie pour son examen ? Avant même de lui laisser le temps de répondre, Abby s’avança pour déposer un léger baiser sur sa joue, espérant ne pas s’être trompée d’endroit. Elle n’était pas tellement sûre à vrai dire, ce fut pourquoi elle recula de quelques millimètres avant de reprendre aussi sec pour cacher sa gêne :

« J’ai jamais su faire que ça, danser. J’avoue que si j’avais plus été capable, je pense que j’aurais rapidement pété un câble ! A défaut de ne pas savoir être douce et gentille avec les gens, je sais danser, c’est déjà ça non ? »

Petit haussement d’épaules de la part d’Abby, tandis que son sourire disparaissait légèrement. Il est vrai qu’elle n’était pas excessivement délicate, et elle avait grande peine à se faire comprendre des autres. C’était d’ailleurs presque étrange de voir à quel point elle n’était pas virulente avec Yelyah. Sans doute parce qu’il n’avait pas été irrespectueux avec elle !

« C’est bizarre, d’habitude je suis transparente et je me fais bousculer, mais là non. Je crois que je fais peur aux gens, en fait ; c’est pas très étonnant, je suis aussi agréable qu’une punaise. Pour l’amabilité, allez voir Tasha ! Ca donnerait un bon titre de mauvais soap. Je devrais vraiment me lancer dans la réalisation, mais une aveugle dans ce genre de métier, ça ferait tache non ? »