L’attente ne dura pas bien longtemps, pourtant, elle sembla interminable aux yeux de Dan. Le jeune homme se sentait à la fois impatient et anxieux à l’idée de revoir Everleigh. Il ne comptait même plus le nombre de fois ou il avait imaginé cet instant, plus particulièrement les soirs ou il se disait qu’il ne la reverrait sans doute plus jamais. Seul face à la mer, Dan esquissa un léger sourire, imaginant d’avance quelle serait la réaction de la jeune femme au moment ou il allait lui annoncer qu’il venait tout juste d’être embauché en tant que professeur de droit à l’Université de Berkeley. Bien entendu, elle risquait d’être surprise, d’autant que Dan n’avait jamais fait le projet de devenir prof’ un jour. Mais bon, en attendant de se remettre de ses émotions, il avait besoin de faire un métier plus calme, ce n’était que du provisoire bien entendu. Il n’avait pas envie de s’enfermer dans une sorte de routine quotidienne, de passer son temps entre un boulot qui serait répétitif, la correction des copies des élèves et les allers retour entre l’Université et son appartement. Dan avait besoin d’action, de bouger, de voir des choses nouvelles, de risquer sa vie même. Et même si pour le moment il avait encore beaucoup de mal à se remettre de tout ce qu’il avait vécu, il ne fait aucun doute que si on lui demandait de repartir à la guerre, il n’hésiterait pas un seul instant avant de se lancer.

Tandis qu’il songeait à tout cela, Dan entendit la voix douce et mélodieuse de la jolie Everleigh dans son dos. Ne se tournant pas immédiatement, il se demanda une fois encore si il n’était pas en train de rêver. Comprenez que Dan avait attendu cet instant depuis des mois et des semaines, et que lorsqu’il y pensait, il n’était même pas certain que cela puisse se produire un jour. En fait, il lui était même arrivé de se dire que tout était fini pour lui, qu’il n’allait pas tarder à y laisser la vie et que du coup, il n’aurait plus jamais l’occasion de se retrouver face à face avec Everleigh. Finalement, le jeune homme se tourna, esquissant un nouveau sourire tandis qu’il dévorait des yeux la jolie blondinette en face de lui. Elle était encore plus jolie que dans ses souvenirs. Il aurait pu passer des heures entières, à la regarder, sans rien dire. Mais ce n’était pas le moment idéal pour jouer les carpes, il avait un tas de choses à lui dire à commencer par celle-ci :

Tu m’as manqué…

Autant commencer par le plus important n’est-ce pas ? S’avançant de quelques pas, Dan enlaça délicatement la jeune femme afin de pouvoir la serrer dans ses bras. L’étreinte dura quelques longues secondes, il avait besoin de se rassurer, de vérifier clairement qu’il n’était pas encore en train de rêver. Se reculant légèrement, il observa à nouveau la jeune femme, remettant en place une mèche de ses cheveux qui suite à un coup de vent, était venue retomber sur son visage d’ange.

Tu es tellement belle… J’ai rêvé de cet instant un million de fois au moins. Comment vas-tu ?

Cet instant aurait tout aussi bien pu durer une éternité, ça ne l’aurait pas dérangé. Dan n’avait besoin de rien de plus pour être heureux, la présence d’Everleigh lui suffisait amplement. Il ignorait totalement qu’elle avait pris de ses nouvelles durant son absence, en réalité, sa mère ne lui avait rien dit. Il faut dire qu’il n’avait pas vraiment l’occasion de lui parler, elle se contentait de l’appeler en douce pendant que son père avait le dos tourné sans doute. Naturellement, Dan ne pouvait pas donner des nouvelles par lui-même, sinon, il se serait empressé de le faire, mais hélas, dans l’armée, interdiction de téléphoner. Puis même si il en avait eu le droit, vous pensez vraiment qu’il aurait eu le temps de le faire ? Enfin bref, tout ça pour dire qu’il était désormais bel et bien décidé : il voulait profiter de chaque instant passé avec elle et avec ceux qu’il aimait. Passer aussi près de la mort vous incite à ouvrir les yeux et à prendre conscience de ce qui est véritablement important dans la vie. Dan avait parfaitement compris la leçon et avait bien l’intention de ne rien laisser passer. Son regard n’arrivait pas à se détacher du visage de la jeune femme, il scrutait avec attention chacun de ses traits, ses yeux, sa bouche… Elle venait de lui dire qu’elle allait bien… c’était l’essentiel. Passer autant de temps loin d’elle avait été assez difficile à gérer. Il n’avait pas l’habitude d’être éloigné d’elle durant autant de temps. D’ordinaire, Dan était toujours là pour veiller sur elle, pour prendre soin d’elle et veiller sans qu’elle ne le sache vraiment, à ce que personne ne lui fasse le moindre mal. Durant plusieurs mois, il avait été à des milliers de kilomètres d’Everleigh en ayant qu’une seule chose en tête ; celle de rentrer au plus vite. Esquissant un léger sourire, il acquiesça d’un signe de tête.

Ca va… enfin disons, qu’il y a des hauts et des bas, mais j’essaie de reprendre une vie normale. C’est pas facile.

Et d’ailleurs, Dan pensait qu’il ne parviendrait plus jamais à mener la même vie qu’auparavant. Pas après tout ce qu’il avait vécu. Ne pouvant s’en empêcher, il s’approcha une nouvelle fois d’Everleigh, la reprenant une fois encore dans ses bras, juste pour lui faire comprendre à quel point elle lui avait manqué et surtout, à quel point il avait besoin d’elle, besoin de sa présence.

Ca me fait vraiment du bien d’être ici avec toi. Je crois que c’est ce qui m’a le plus manqué durant tout ce temps : ces moments qui n'appartiennent qu'à nous deux.

Dan glissa une main dans les cheveux de la jeune femme, puis déposa un baiser sur sa joue, se reculant à nouveau, mais gardant tout de même une certaine proximité avec la jeune femme.

Alors, raconte moi tout ! Je veux savoir tout ce qui s’est passé depuis mon départ ! Et n’oublies pas le moindre détail !

Dan savait qu’il pouvait compter sur elle quoi qu’il arrive. D’ailleurs, c’était aussi valable dans le sens inverse, il serait toujours là pour elle, à n’importe quel moment. Cependant, Dan n’était pas prêt à parler de tout ça, y repenser était déjà suffisamment douloureux, alors mettre des mots sur ces souvenirs pénibles et atroces ne ferait qu’empirer la situation selon lui. Non, il n’était vraiment pas prêt pour ça. Il se demandait même si il lui serait un jour possible de s’endormir sans faire de cauchemar… il en doutait fort en fait.

Je sais oui, et je t’en remercie d’ailleurs, mais… je ne suis pas prêt pour ça. J’arrive pas à en parler et je n’ai d’ailleurs pas envie de le faire. C’est trop pénible.

Malgré tout, Dan se força à esquisser un petit sourire, espérant qu’elle comprenne qu’il n’était pas en train de refuser son aide, simplement qu’il n’était pas prêt. A nouveau, il ne pu s’empêcher de la prendre dans ses bras, exactement comme il l’avait fait la dernière fois qu’ils s’étaient vus : la veille de son départ. Everleigh lui avait horriblement manqué, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Elle était la seule personne avec qui il se sentait totalement en confiance, à qui il racontait tout ou presque, et surtout, la seule personne avec qui il souhaitait être en ce moment.

Je t’avais promis que je reviendrais.

Promesse qu’il n’était pas certain de pouvoir tenir mais finalement, il était là et c’est ce qui comptait le plus pour l’instant. Se détachant doucement de la jeune femme, il remit une mèche de ses cheveux en place avant de l’interroger sur ce qui s’était passé depuis son départ. Dan était certain qu’Everleigh avait du faire de nouvelles rencontres, qu’il s’était passé tout un tas de choses dont il n’était pas au courant. Un petit ami pourquoi pas ? Si c’était le cas, Dan risquait sérieusement de l’avoir à l’œil celui là ! Mais non. Rien de tout ça. D’un côté, ce n’était peut-être pas plus mal, il aurait sans doute été déçu d’apprendre qu’elle partageait sa vie avec quelqu’un d’autre que lui. Oui, ça fait un peu possessif de dire ça, mais ne nous voilons pas la face : Dan avait toujours été extrêmement jaloux des petits copains d’Everleigh.

Sérieusement ? Rien de rien ? Je pensais que tu aurais plein de choses à me raconter. Mais enfin, d’un autre côté, ça me rassure, j’aurais pas manqué grand-chose.

A nouveau Dan lui lança un léger sourire, avant de détourner quelques instants son regard en direction de la mer. Le spectacle était magnifique. Lorsqu’il entendit la question d’Everleigh, le jeune homme haussa les épaules avant de reporter son attention vers elle.

Je ne sais pas trop. Un mois peut être. Je n’ai plus aucune notion du temps, je dors pas beaucoup, j’essaie de m’occuper l’esprit au maximum et au final, je perds un peu le fil. Je voulais t’appeler avant mais… je sais pas, j’avais besoin d’être un peu seul. Mais je te l’ai dit, ça va beaucoup mieux maintenant.

Si Dan était là aujourd’hui, c’était sans doute en grande partie grâce à Everleigh. Il n’allait sans doute jamais le lui avouer, mais quand il n’allait pas bien, il pensait à elle, il se disait qu’il devait impérativement garder le moral, qu’il devait tout faire pour ne pas se laisser aller et pouvoir rentrer un jour aux Etats-Unis afin de la retrouver. Elle comptait pour lui bien plus qu’elle ne pouvait l’imaginer sans doute. Au cours de la conversation, la jeune femme parla de sa troisième année de droit qu’elle venait tout juste d’entamer. Dan ne pu réprimer alors un léger sourire. Il allait certainement devoir donner des cours aux étudiants de troisième année. C’était étrange de se dire qu’il allait devoir enseigner le droit à des élèves qui pour la plupart, n’auraient que deux ou trois ans de moins que lui. Enfin bon, ce n’était qu’un travail temporaire, Dan était extrêmement bien calé en droit, lorsqu’il avait passé son diplôme, il avait obtenu une mention et été classé parmi les premiers de tout l’état. Ce n’est donc pas pour rien si on lui avait proposé ce poste. Jouant avec la mèche de cheveux de la jeune femme, Dan esquissa un nouveau sourire, faisant mine de réfléchir.

Troisième année tu dis ? Intéressant… c’est selon moi la meilleure année en plus. Puis, je sens qu’un de tes profs va te surveiller de très près.

Dan préféra se taire durant quelques secondes, affichant un petit air mystérieux. Il ne savait pas du tout comment il allait s’y prendre pour enseigner le droit. La pédagogie, ce n’était pas vraiment son truc, mais bon, ça ne coûtait rien de faire un petit essai. Puis Dan n’était pas encore prêt pour repartir. Si on lui demandait de le faire, il irait certainement, mais pour l’instant, il fallait qu’il marque une petite pause, qu’il fasse autre chose. Observant toujours Everleigh de la même manière, il pencha doucement la tête sur le côté et mit un terme au suspens.

Je viens d’être engagé par l’Université pour enseigner certaines matières en droit. Ce n’est que temporaire, je te rassure, tu n’auras pas à me supporter toute l’année.

Dan ne pu réprimer un petit rire puis expliqua ensuite qu’il était en ville depuis peu de temps. En fait, il n’avait plus aucune notion d’heures, de jours, de minutes, tout ceci était devenu abstrait pour lui. Quand il était dans l’armée, les jours et les nuits n’avaient strictement aucune importance. Il ne dormait pas beaucoup, devait prêter attention à chacun de ses gestes, rester concentrer et le temps n’avait pas vraiment d’importance. Depuis qu’il était rentré, Dan avait encore du mal à se ré-adapter. Il parait que c’est normal. Du moins, c’est ce que c’est supérieurs ont bien voulu lui raconter à son retour.

Oui je t’assure que ça va. C’est juste que… j’ai encore un peu de mal à réaliser… certaines choses. Mais je te l’ai dit, je n’ai pas envie d’en parler pour l’instant. J’ai juste envie d’être avec toi et d’oublier pendant un instant tout ce qui a pu se passer ces dernières semaines.

Ce que Dan avait du mal à réaliser, c’était bien entendu d’être encore en vie alors que pratiquement tout ceux qui étaient partis avec lui avaient trouvés la mort au combat. Pourquoi lui ? Pourquoi était-il revenu ? Il essayait de trouver des réponses mais n’y parvenait pas.