Depuis la dernière fois que nous nous étions vus, au match de Baseball auquel j’avais emmené Nick, nous ne nous étions pas revus. On s’était appelé de temps en temps, pour avoir chacun des nouvelles de l’autre. Mais avec nos deux métiers respectifs, nous ne trouvions pas forcément le temps pour se faire une vraie sortie. J’avais ma vie de célibataire, et lui sa vie de papa solitaire. Nous sommes donc deux personnes très différentes mais qui s’apprécient et cherchent à trouver du temps pour se voir. Ça faisait maintenant deux semaines que j’avais déménagé à Harlem, et j’avais donc pu en faire le tour. Un théâtre se trouvait pas très loin de chez moi, et j’eus donc l’idée d’y emmener Nick. Il n’avait pas aimé le Baseball, mais il ne pourrait pas me dire qu’il n’allait pas aimer cette soirée. C’est très différent du baseball et c’est surement moi qui allais m’emmerder ce soir, mais j’essayais de trouver quelque chose qu’un anglais pourrait aimer ici. Le théâtre c’est plus calme, mais on ne pourra pas du tout parler. Tant pis, on le fera durant l’entracte. Je lui avais donc donné rendez-vous au métro le plus proche. Sans pour autant lui dire quoique ce soit sur la soirée. Je l’attendais à la sortie du métro, et lorsque je le vis enfin, je le saluais. « C’est bon, tu as réussi à faire garder ta fille ? » Parce qu’à la dernière minute il avait failli annuler, me disant qu’il n’avait plus personne pour garder sa beauté. Ah mais c’est quoi ces baby-sitters qui vous plantent au dernier moment ? Bon, heureusement, il avait trouvé un moyen. Et j’étais donc heureux de sa présence. On se dirigea vers le théâtre. Il ne s’y attendait surement pas car une fois qu’on se trouva en face, je m’arrêtais. « Ne me dis pas que tu n’aimes pas le théâtre. » Sinon je t’égorge. Ou alors tout simplement je détesterais tous les anglais. Ils aiment rien ceux-là. Mais surtout ils sont ouverts à aucune autre culture que la leur. Moi-même je suis canadien de naissance, et pourtant je me suis fait à la vie américaine. Bon vous me direz qu’il n’y a pas énormément de différences, mais quand même, si, un peu. On se mit dans la queue pour entrer. « Tu sais que j’ai déménagé ? » Monsieur n’a jamais aimé que je vive dans le Bronx. Mais est-ce que ça changera vraiment en sachant que j’ai déménagé pour Harlem. Bon, au moins, ici j’ai plus d’activités, et de sorties à faire. Tel que le théâtre. J’avais fait un peu de recherches sur ce théâtre qui apparemment est un vieux théâtre, où tous les grands sont venus. Des gens que je ne connais pas. Enfin si, je connais quelques noms, mais sans plus. J’essaie de me cultiver au cas où l’idée plairait à Nick et qu’il se mette à me parler de l’endroit. Je ne voudrais pas paraître trop con. Bien qu’au Baseball mon ami n’avait pas du tout essayé de se mettre dans le jeu. Je ne devrais pas me mettre en quatre pour lui faire plaisir, mais c’est ma personnalité qui fait cela. J’ai envie de faire plaisir à ce papa solo. Il ne doit pas sortir tous les jours.

Certains ne peuvent pas comprendre, mais j’aime me plier en quatre pour faire plaisir à mes amis. Nick en étant un, je souhaitais trouver de quoi faire qui lui plaise. Mais aussi surement que je souhaitais me rattraper pour le match de Baseball, qu’il n’avait pas du tout aimé. Je pensais qu’il aurait pu trouver le jeu sympathique, ainsi que l’ambiance. Mais en voyant sa tête durant tout le trajet du retour, j’avais bien remarqué qu’il s’était ennuyé durant tout le jeu. Malheureusement. Il s’était ennuyé pour me faire plaisir et il faut bien que je le remercie en l’emmenant quelque part qui lui plairait, même si pour cela je dois m’ennuyer en retour. Pour moi, cela me parait totalement logique. Logique de vouloir faire plaisir à un ami, et de m’excuser. C’est pourquoi j’avais opté pour le théâtre. Bien plus tranquille que le baseball. Et puis les anglais aiment ça, non ? Surtout ceux de l’âge de Nick. Ou alors je me trompe gravement. De toute façon je verrais bien sa réaction quand on y sera ce soir. (…) Lorsque je le vis sortir du métro, un sourire vint se poser sur mon visage. Je pensais vraiment que notre soirée allait tomber à l’eau. Un soir il faudrait qu’on fasse une sortie à trois, avec sa fille. Il sait comment j’apprécie sa fille, et que j’aime passer du temps avec elle. « Super… ça veut dire que tu es à moi jusqu’à demain midi !! » Lui dis-je en riant. Mais il ne faut pas oublier que je travaille demain matin. Donc qu’il soit libre ou pas, dans tous les cas je ne pourrais pas rester avec lui. Et puis il voudra surement garder cette matinée pour être seul. Il ne doit pas l’être souvent. Ou du moins pas aussi seul que moi je peux l’être. Je suis tellement seul, que je cherche de la compagnie un peu partout. Et lorsque je me sens vraiment seul, que je ne trouve personne avec qui passer mon temps, je me retrouve au bureau à travailler sur des affaires. Avec mes affaires je ne me sens jamais seul. Surement parce que j’oublie tout, même de manger. Il m’est déjà arrivé de rester toute une journée sans manger ni boire, tellement j’étais absorbé par une affaire. Maintenant mon patron me surveille de près pour que je ne refasse plus cette bêtise. Je suis surveillé comme un gosse. C’est énervant, mais je sais qu’il fait ça pour mon bien. Tout comme Nick m’a toujours dit de déménager. Il me le disait pour mon bien. Me disant que ce n’était pas un quartier dans lequel vivre pour un mec comme moi. Je n’ai jamais compris pourquoi il me disait cela, et c’est surement pour cette raison que je ne l’ai jamais écouté. Si aujourd’hui j’ai déménagé c’est simplement pour me retrouver dans Manhattan, et ne pas avoir tous ces transports à prendre, matins comme soirs. « Je l’aimais beaucoup mon trou. C’était chez moi. Ça faisait dix ans que j’y étais. Ça a été dur de tout quitter. » Je lui dis cela sur un ton un peu froid. Je n’aimais pas qu’il appelle mon ancien chez moi, un « trou ». C’était chez moi, et j’appréciais cet endroit. Tant pis si ce n’était pas assez aristocratique pour un anglais comme lui. Il y a des fois où je me demande vraiment comment je peux être ami avec un anglais de son genre. Beaucoup de choses nous éloignent, et peu nous rapprochent. Les amitiés sont un peu comme l’amour, on ne les contrôle pas. Et puis c’est surement toutes ces choses différentes entre nous qui nous rapprochaient enfin de compte. Alors qu’on s’était posé dans la file d’attente, mon ami me demanda si on pouvait aller autre part. Je le regardais, vraiment dépité par cet homme. « Heureusement que j’ai pris des places non datées. Je reviendrais un autre jour, avec quelqu’un d’autres. » Quelqu’un d’autre qui saura apprécier mes attentions. Mais je me tus. Je ne voulais pas qu’on commence mal la soirée. On se dirigea donc vers le bar le plus proche. Dès lors qu’on fut à l’intérieur, on nous attribua une table, et moi je commandais directement un martini blanc. Assis en face de Nick, je le regardais. « Alors tu veux me dire quoi ? » Pas besoin d’attendre la fin de la soirée pour qu’il me dise tout. Je voulais qu’on discute. Savoir ce qui pouvait être aussi important pour qu’on n’aille pas au théâtre. Bizarrement j’étais déçu de ne pas y aller, et de me retrouver dans un bar. Seulement je m’étais juré de faire plaisir à Nick, pour me rattraper. Alors voilà, je suis ici, avec lui.

Oui ça m’agaçait qu’il reporte ce que j’avais prévu. J’avais tout donné pour essayer d’arranger une bonne soirée, une soirée qu’il apprécierait. Tout cela pour m’excuser pour la dernière fois. J’avais compris que je ne le changerais jamais, et qu’il resterait un anglais de pur sang. Le baseball ce n’est pas pour lui, mais le théâtre ça devait être totalement son genre. Et ça n’avait pas été une pièce prise au hasard. J’avais choisi une pièce de Shakespeare, jouée par une troupe anglaise. Comme vous pouvez le voir, j’avais tout choisi dans un seul but : lui faire plaisir, et lui montrer que je pense à lui quand même. Mais voilà qu’il n’allait pas voir tout mes efforts. J’avais fait tout cela, pour quoi ? Pour rien. Eh oui, évidemment ça m’agaçait, car ça m’avait prit du temps. Mais au fond, si j’avais fait tout cela c’était pour qu’il passe une bonne soirée. Et si ce soir passer une bonne soirée pour lui signifiait aller dans un bar pour me parler. Je devais le suivre. Je n’allais pas l’obliger à me suivre dans ce théâtre. Je n’allais pas faire comme la dernière fois où je l’avais amené dans ce stade parmi tous ces américains, tous ces fous de sport. Mais une fois dans le bar, j’aperçus que j’allais passer une bonne soirée. Un match était retranscrit sur grand écran. Je pensais alors que Nick voudrait ressortir pour trouver un endroit plus calme, mais ça ne semblait pas le déranger plus que ça. Après tout, l’ambiance ne pourra pas être pire que celle du stade. Et puis au moins, nous étions bien installés, avec une bonne pinte de bière. Enfin de compte j’allais plus apprécier ma soirée que ce que je n’avais pu l’imaginer en sortant de chez moi. Une fois assis, mon ami prononça un prénom. Un prénom de femme. Je compris tout de suite ce que cela voulait signifier, mais pour qu’il m’en dise plus par lui-même, je commençais à lui poser des questions stupides. « Qui ? De quoi Lullaby ? » J’écarquillais les yeux pour lui montrer que je ne comprenais pas ce qu’il voulait me dire par là. Alors que pas du tout : je comprenais très bien où il voulait en venir. « Je comprends pas tout là. » Oui je joue très bien le mec qui n’a pas de cervelle et qui ne pige pas tout du premier coup. Même si Nick devait avoir compris mon petit jeu. Au fond, il me connait très bien maintenant.