Le professeur Townsend était allé déposer ses copies de dissertation dans son casier de la salle des profs. Non, ce n'était pas la peine qu'il se mette à les corriger maintenant, il n'aurait jamais le temps, ni le courage. D'ailleurs, ses pensées étaient tournées ailleurs. Il devait s'occuper des préparatifs pour la gay pride de San Francisco, s'entendre avec les autorités et les différentes associations, etc, etc. Et surtout, il avait rendez-vous avec Matthew Alexanders, son jeune étudiant qui se trouvait quelques talents pour la littérature.

Tout avait commencé si étrangement. Matthew n'avait pas du tout le physique d'un intello et Harvey était sur qu'il serait le premier à le reconnaître. Pourtant, il aimait ce qu'il faisait, et surtout il venait lui poser des questions à la fin du cours. Il était devenu un habitué du petit groupe qui s'était constitué autour du vieux professeur, ces étudiants avides de ses paroles et de ses conseils. Puis, progressivement, les questions étaient différentes, plus ciblées. Townsend avait la puce à l'oreille. Mais il n'osait pas trop s'avancer. Tout ce qu'il espérait, c'était pouvoir venir en aide à Matthew.

Car il avait connu quelques jeunes dont l'existence s'était trouvée dramatiquement raccourcie après qu'il n'ait pas réussi à assumer ce qu'il était. Et Harvey se l'était juré. Plus jamais ça.

Il était passé dans son appartement, il avait posé sa veste sur la table, guettant un quelconque signe de Tom. Peine perdue, il y avait rien. Il haussa les épaules, cherchant à masquer sa déception. A qui? Personne dans la pièce, il en déduit que c'était à lui qu'il le cachait. Il changea de peau, se détendit immédiatement. Ce n'était plus Townsend, mais Harvey. Docteur Jekyll et Mister Hyde. Non, il n'en était pas encore à ce point. Il sourit à sa pensée. Dans sa poche de poitrine, son portefeuille de cuir.

Il héla un taxi et se fit conduire, sans trop se presser, jusqu'au café le plus en vogue de la ville. Il aimait cette ambiance où il pouvait être anonyme et observer la faune locale en toute impunité. Quelques conquêtes à dénombrer dans le coin, ce qui n'était pas négligeable. Il avait hâte de rejoindre le jeune homme. Il lui apportait un nouveau souffle et pour un vieux bonhomme comme lui (oui, passé la quarantaine, le gay se morfond). Il consulta sa montre. Comme disait la chanson, ni en retard ni en avance. Harvey était un homme ponctuel. Il l'attendit dehors, appuyé contre le mur, le sourire aux lèvres.

Matthew était au skate park. Celui-ci enchainait les tricks à un rythme fou, ayant droit à quelques applaudissements de la part des gens aux alentours. Il se sentait fier de lui ! Il faut dire que le brun était dans une forme olympique ces temps-ci, rien ne l'arrêtait ! Le canadien termina sa prestation par un grand saut suivi de quelques crabs, puis sortit du lieu en faisant quelques checks à ses potes.
Matt fit alors un saut rapide à Berkeley en passant sous la douche. Sous le jet relaxant d'eau chaude il pensait à plusieurs choses. Comme les prochains tricks qu'il pourrait réussir avec plus d'efforts, les différentes filles -et maintenant garçons-, qu'il est susceptible de mettre dans son lit sans trop se fouler et surtout, son rendez-vous avec son prof aujourd'hui. Le brun n'en revenait toujours pas qu'il puisse avoir un "rencard" avec un enseignant. Cette pensée lui arracha un rire. La plupart du temps, il trouvait les vieux ennuyeux à mourir, sauf sa prof de maths de 3e avec qui Matthew a finalement couché avec. Elle était très belle quand il y repensait, mais son exemple ne marchait pas vu qu'elle devait avoir moins de 25 ans ... Mais à l'époque, c'était vieux pour lui.

Le brun ne vit pas le temps passer et son portable sonna. Zut, il était en retard ! Le brun reprit sa serviette s'essuya vaguement les cheveux et le corps, s'habilla en 4e vitesse, prit son sac -un petit sac qu'il prend toujours avec lui avec dedans des cigarettes, un briquet ( ça tombe sous le sens), son portable, son porte-feuille et ses clés de moto-. Il s'empressa de sortir le petit trousseau, courut à travers le campus vers sa chère et tendre bécane, l'enfourcha et mit les gaz.
Cela faisait maintenant quelques minutes qu'il roulait au maximum qui lui était permit dans la grande ville. Il sentait le vent froid mordre méchamment son cou, déjà assez ammoché comme ça par les suçons, morsures et autres petites attentions qu'ont eu ses amantes pendant leurs ébats. Ca n'avait rien d'esthétique, mais le brun les affichait son aucune honte, au contraire, sa virilité en était augmentée. De plus, le canadien se souvenait exactement de qui lui avait fait quoi et ce grâce à l'espèce de carnet qu'il tient dans lequel il relate en détail toutes ses expériences sexuelles, bonnes ou maivaises, avec une petite photo ou un croquis fait par quelques connaissances en Sigma ...

En moins de temps qu'il en faut pour le dire, Matt était arrivé devant le café. Il aperçu le visage de son professeur contre la vitre. Il s'empressa de garer sa moto et de retirer ses gants et son casque. Matthew courut vers le café et alla vite s'asseoir devant son enseignant, un peu essouflé.

- Je ... Désolé pour mon retard monsieur.

Fut la seule chose qu'il trouva à dire. Puis, une pensée l'assailli : comment devait il l'appeler ? Il l'avait nommé "monsieur" par pure habitude, mais peut-être celui-ci voulait qu'il le tutoie et qu'il l'appelle par son prénom ? Voilà ce à quoi le brun méditait en retirant discrètement sa veste en cuir, laissant apercevoir sa chemise un peu humide lui collant quelque peu au corps.

Le jeune homme accusait un peu de retard, mais Harvey n'en allait certainement pas lui en tenir rigueur. Ce n'était pas comme s'il devait se présenter devant lui pendant un cours. Son regard s'aventura sur le corps de son jeune étudiant. Il sortait apparemment de sa douche. Un sourire amusé étira les lèvres du professeur. Matthew avait le potentiel d'une bombe sexuelle et il le savait. Il lut dans ses yeux un regret sincère lorsqu'il s'excusa auprès de lui.

- Tu n'as pas à t'excuser, dit Harvey de sa voix douce, un peu éraillée. Je pense qu'il y a beaucoup plus passionant à faire dans une vie de jeune que d'aller rencontrer un vieux fossile comme moi. Mais juste une chose, promets-moi, que quand nous nous rencontrons dans ce genre de situation, appelle-moi Harvey, ce sera plus pratique.

Ils étaient assis près de la vitre, donnant la vue sur le parking, où étaient rangés des voitures casuals, pas des gros camions qui faisaient horriblement clichés et qui voyaient sortir des hommes avec des biceps gros comme des cuisse, ce que n'appréciait guère Harvey.

- Alors, comment vas-tu?

Confidences sur confidences, Harvey avait appris que Matthew sortait doucement du placard tout en gardant une main prudente sur la poignée. De toute son expérience vécue, il savait que cette phase était parfois difficile, à la fois pour les proches, et souvent pour le nouveau venu dans le monde merveilleux des gays. De nouveau, il lui offrit un sourire rassurant. Harvey avait ce don là.

Il désigna la moto du jeune homme, à travers la vitre poussiéreuse.

- Et tu fais attention avec ce machin là, d'accord? Dieu sait le nombre de mes amis qui sont partis à cause de l'alcool ou de la vitesse.

Il poussa un profond soupir. Quand ce n'étaient pas les suicides, c'étaient les accidents et les assassinats qui lui enlevaient ses amis...

Un serveur arriva, saluant Harvey, qui était un habitué du lieu.

- Ce sera un long sucré pour moi, s'il te plaît.

Il se tourna vers Matthew.

- Et pour toi?

Harvey nota avec amusement l'espèce de malaise de son jeune étudiant. C'est vrai que tout cela était nouveau pour lui. Harvey ne se gênait pas pour attentivement dévisager ses pairs. Mais devant l'attitude de Matthew, il décida de se calmer. Et puis il avait encore bien des sentiments pour Tom, même si ce n'était pas partagé de la même manière. Il poussa un imperceptible soupir. Lui aussi regardait au travers de la vitre. Il haussa ses sourcils.

- Ce n'est pas le type d'hommes qui me convient... Ceux-là sont des caricatures.

Puis, il adressa un clin d'oeil amical à son étudiant.

- Mais ne t'en fais pas, il y en a bien d'autres. Des bons, des mauvais, des idéalistes, des effacés, des grands, des petits, des mesquins... Qui sait ce que la vie nous réserve, Matthew? C'est ça qui est excitant. M'enfin, m'enfin, je m'emballe.

Le jeune homme, qui semblait toujours autant perturbé, lui demanda comment se passer les cours. Harvey eut la volonté de l'apaiser. C'était bien la première fois que son sourire échouait à sa tâche. Et il devinait que s'il posait sa main sur sa manche ou sur son avant-bras, cela n'arrangerait rien.

- J'ai encore beaucoup de copies à corriger, et les partiels qui approchent, ça va pas être facile pour moi. Mais je l'ai choisi. A moi d'assumer. J'ai l'habitude, ça fait 15 ans cette année. J'ai des bonnes surprises cette année. Et je crois en tous mes étudiants, même si certains sont en difficultés.

Zut. Le voilà qui recommençait à parler de ses cours. Certes, c'était quelque chose dont il ne pouvait s'empêcher. Il était heureux avec ce qu'il faisait. Et il se trouvait qu'il pensait que c'était la seule chose qu'il savait faire plus ou moins à la perfection.

Pourtant, Harvey s'impliquait partout, dans les associations et la vie gay. Avec l'énergie du juste et parfois l'énergie du désespoir. Il se battait comme un lion, car on était encore loin de l'égalité des droits. Et la proposition 8 lui donnait beaucoup de fil à retordre. Une ombre passa dans ses yeux. Il s'empressa de la chasser. Harvey Townsend était l'homme imperturbable, l'homme de la situation. Et pourtant, lui aussi avait ses faiblesses.

Harvey reporta son attention sur le serveur, à qui il adressa un sourire absent.

- Un capuccino pour le jeune homme, alors.

Le serveur hocha sa longue tête chevaline et repartit. De nouveau, il croisa le regard de Matthew. Il s'attarda, sans indécence, plutôt sérieux, et commença à lire ce qu'il y voyait. Un peu d'incertitude, beaucoup d'hésitation (qui n'est point incertitude, puisque c'est nuancé), de la retenue à l'égard de son professeur.

- Ne te fais pas de bile là-dessus, je prends tout, aujourd'hui.

C'était la première fois qu'ils sortaient tous les deux. Que la barrière élève-professeur volait en éclat. Il fallait qu'il mette ça clairement sur la table. Il devait le mettre en confiance et surtout le rassurer sur ses intentions. Non, même s'il était gay, il savait se retenir et ne pas sauter sur tout le monde, tous crocs dehors, surtout lorsqu'ils étaient un peu trop jeunes (pour un vieil homme comme lui) et quand ils étaient peu sûrs de leurs orientations sexuels.

- Tu sais, ça m'arrive assez souvent de me retrouver avec des élèves à l'extérieur. Souvent parce que ceux que j'approche connaisse ma situation et qu'ils veulent des renseignements sur mes diverses causes. Donc les dates des gays pride et autres places pour draguer, c'est par chez moi, ajouta le vieil homme avec un éclat de rire.

Il retrouva presque immédiatement son sérieux et sa flegme, posant ses mains aux veines apparentes sur la table, des mains belles, des mains d'intellectuel.

- Enfin, j'espère que je ne te fais pas peur. Ce serait dommage.

Les cafés arrivèrent. Harvey laissa le jeune homme consulter la carte, tranquillement, son regard virevoltant d'un visage à un autre, son choix déjà bien arrêté.

Matt était plongé dans ses rêves, son regard dans le vide le montrant. Le visage collé à la fenêtre, il fixait un point invisible se situant sur le mur sale de l'immeuble d'en face. Il n'avait trouvé d'autre échappatoires que ses rêves pour retirer ce malaise qui s'immiscait peu à peu en lui. Le brun n'était d'ordinaire pas timide et réservé pour un sou, mais là, il se trouvait face à l'un de ses profs, c'était donc différent. Enfin même, face à n'importe quel garçon, il se sentait mal en ce moment. Le brun aurait pu prendre son attitude aguicheuse de d'habitude, mais avec les hommes, il n'y avait pas moyen, résultat il se retrouvait toujours dans le rôle de la "fille", le soumis, en gros, celui qui se fait courtiser.

Le jeune homme, tiré de ses rêves pour la voix de son professeur, répondit rapidement :

- Oui, ce n'est pas mon style d'homme non plus ... Enfin, je préfère ceux qui ne sont pas spécialement musclés, voire un peu maigre, au moins, ça me fait sentir moins soumis qu'en ce moment ... Sur ces mots, il émit un rire léger.

L'Omega s'autorisait à quelques blagues sur sa bisexualité qui le change radicalement de temps à autre et à chaque situation, il s'imagine ce que ça pourrait donner avec une fille, et la différence est flagrante. En ce moment, il ne serait pas tendu, il serait, au contraire, relaxé, le coude appuyé sur le fauteuil, lançant des regards tantôt gentils, tantôt provocants à sa proie, et ça marchait presque à tout les coups. Le brun avait dragué tellement de femmes dans sa vie -même des plus âgées-, que ça en devenait presque lassant. Désormais, il savait toujours quoi dir,e quels gestes faire pour que la gente damoiselle qui l'accompagne fonde face à ses marques d'intérêt éphémères, son physique aidant radicalement à la tâche. Maintenant, tant qu'il passait une nuit à faire des choses bien plus intéressantes que dormir, c'était à peine si il regardait celles avec qui le brun partageait cette nuit, qui étaient exceptionelle pour certaines, Matt en ayant déjà dépucelées plus d'une, mais le réveil n'était jamais aussi doux, car le brun et l'amour, ça faisait trente.

Matt leva les yeux et se décida enfin à "affronter" son prof, la volonté, c'était juste une question de volonté ! Quand on veut, on peut ! Il l'écoutait donc, sans rien dire, en hochant de temps en temps la tête, montrant qu'il suivait ce que son enseignant disait. Le brun aimait bien la voix de son prof, c'était celle d'un homme intelligent, bien que buriné par les années. Celle de Matt était basse et rauque, bref, la voix virile qui fait de l'effet à la plupart des gens.

- C'est vrai qu'il faut vraiment aimer son métier pour ça ... Mais ça a dû vous faire bizarre non ? Enfin, je veux dire, avant, c'était vous qui étiez assis dans la salle de classe et à médire sur vos profs -enfin, si vous le faisiez- ...

Ce qu'avait dit Matt aurait pu être plausible si il savait changer d'époque, son professeur avait tout de même la cinquantaine et les méthodes d'enseignement étaient bien différentes et les élèves éprouvaient du respect pour leurs enseignants, mais ça, il était impossible pour Matt de le savoir tout en sachant qu'il n'était pas très chaud pour les études actuelles. car oui, Matthew n'aime pas réviser. L'Omega est fait pour bouger, et pas pour rester assit le dos courbé à entendre toujours les mêmes choses -car il trouve les cours très répétitifs-.
Il fit un signe de main à serveur instinctivement signifiant 'au revoir', le canadien rougit et remballa vite fait sa mimine. D'ailleurs, il en était très fier, de ses mains. Il possèdait de longs doigts fins, ce qui accentuait sa légère allure androgyne. Matt envoya un grand sourire à son professeur, le remerciant de payer son café. Non pas que le brun aimait abuser, il se proposait la plupart du temps pour payer, mais c'était décidément toujours agréable de se faire inviter.

Il souffla un bon coup et chercha un sujet de conversation sur sa sexualité qui partait un peu à la dérive en ce moment. Et comme Harvey abordait justement la cause gay, celui-ci en profita.

- Ecoutez, monsieur ... Enfin, en ce moment, je suis en bonne voie pour devenir bi et le rester mais je ressens d'autres choses quand je suis avec un homme, parce que avec les filles ça toujours été ... sexuel et presque jamais amoureux, mais quand je me retrouve avec n'importe quel homme qui me regarde ou n'importe quoi, je ne peux pas m'empêcher de ressentir quelque chose de différent.

Matt reprit sa respiration à la fin de sa longue tirade. Il ne l'avait pas préparée au préalable dans sa tête contrairement à d'habitude et il dût donc chercher tout ses mots, marquant donc quelques petits silences en pleine phrase. Mais son professeur était la personne la mieux placée pour lui répondre et si il devait avoir à choisir quelqu'un pour demander des conseils sur l'homosexualité, c'est bien vers Harvey qu'il se tournerait en premier.
L'Omega sentit une douce odeur amère, remarquant que son café était arrivé. Il le porta doucement vers ses lèvres pulpeuses et sucrées et en vida le quart, passant sa langue instinctivement sur la commissure de ses lèvres pour retirer la mousse d'étant déposée dessus.

Il prit ensuite un air surpris, en écarquillant les yeux. Il répondit :

- Non, non ! Vous ne me faites pas peur mais ... Je ne suis pas habitué à prendre un café avec mon professeur, c'est tout.

Harvey sourit quand son jeune apprenti lui confia son genre d'homme, peut-être dans le feu de l'action mais cela traduisait un certain effort de sa part. C'était un début. Il prit la parole, supposant que cela l'encouragerait aux confidences, mais surtout sur les bonnes intentions du prof.

- Moi, mise à part ce genre de personnes, je n'ai pas de type d'homme fixe. Il faut qu'il soit juste intelligent et assez mignon, mais je pense que le plus important est qu'il me tape dans l'oeil, quelque chose que je ne saurais expliquer. Quelque chose d'exceptionnel. Remarque, tout le monde est unique, en soi.

Il préférait ne pas chercher à expliquer l'amour, comme s'il pouvait le rationaliser. Non, l'amour était un concept et devait rester mystérieux. Il ne comptait plus le nombre de fois où il était tombé fou amoureux, des jeunes, des vieux, des hétéros, des gays, des gens qui avaient fini sous sa couette ou pas. Et pourtant, il fut un temps où il n'assumait pas ce qu'il était. Pour lui, être gay fut honteux, une sorte de plaie sur sa famille, une malédiction muette.

Mentalement, Harvey dressa une barrière. Non, toute cette période était bel et bien révolue. Il ne voulait plus entendre parler de ses parents, de leurs réactions lors de son coming-out.

- Et puis, je ne te soumets pas, ce n'est pas dans mes habitudes. Par ailleurs, un vieux célibataire comme moi qui n'a que son verbe comme atout ne peut se permettre de draguer et soumettre un si jeune homme. Ce ne serait pas décent.

Un sourire sincère illumina le visage de l'enseignant. Il est un peu maladroit dans ses paroles, mais Harvey trouve ça mignon. Il se souvint de sa scolarité, de ses moments où les profs le tannaient eux aussi. Et pourtant, il trouvait qu'enseigner était la plus belle chose à faire.

- J'avoue, quand j'étais jeune, on n'épargnait pas les profs. Ils nous terrorisaient, je crois. Alors plus ils nous faisaient peur, plus on les vannait. C'était impitoyable et les punitions corporelles pleuvaient sur les élèves. Mais c'était le bon temps, on était jeunes, plein de fougues, on sortait d'une période de révolution intellectuelle. Une merveille par rapport à aujourd'hui.

Harvey était nostalgique de ce temps. Il cilla, avec ce même sourire plaqué sur le visage.

- Mais de là à me faire bizarre, non. C'est surtout enseigner des valeurs à des gens qui intellectuellement ont les capacités et la volonté d'apprendre. Ce que j'enseigne est très différent des math ou des sciences. C'est plus un plaisir qu'un métier.

Le jeune homme resta un moment silencieux, comme plongé dans ses pensées. Il avait salué le serveur et Harvey avait surpris son mouvement de la main. Il n'osa renchérir, de peur de troubler Matthew. De plus, devant ses hésitations, Harvey ne repartit sur aucun sujet de conversation, lui laissant le soin de se jeter à l'eau.

Il évoqua une sorte de doute. Harvey le regarda un moment, se mordillant la lèvre supérieure, cherchant ses mots pour être le plus clair possible dans ses explications. Il se pencha un peu vers lui, pour pouvoir baisser la voix, car, même si le monde avait changé entre 70 et aujourd'hui, il n'était parfois pas très bon de crier son homosexualité sous tous les toits.

- A vrai dire, dans un couple homosexuel, les attentes ne sont pas les mêmes. C'est une relation spéciale. Où chacun a des responsabilités différentes. Ca se remarque surtout chez les femmes, où on est bien loin du cliché du rôle du garçon et du rôle de la fille, si tu vois ce que je veux dire. On est passif et actif à la fois. Nous n'avons pas d'étiquette à adopter et elles sont encore moins imposées par le couple. Ce qui n'empêche pas les gays d'avoir des relations purement sexuelles.

L'enseignant marqua une pause, légèrement perturbé par l'attitude de Matthew quant à son café. Il en frissonna intérieurement et fit un effort surhumain pour parvenir à garder un semblant de désintêret.

- Qu'attends-tu, quels sont tes sentiments quand un homme te regarde? Je pense que se poser la question, pour toi, c'est important.

Le jeune homme dévia un peu du sujet et Harvey comprit qu'il n'avait pas capté son signe.

- Matthew, Matthew... Je suis, avant d'être un professeur, je suis un homme. Un simple mortel, qui pleure, qui crie, qui vit comme tout le monde. Considère moi comme un homme et oublie mon titre. Nous ne sommes pas à Berkeley, ici.

Un sourire engageant, comme s'il lui tendait la main. Il reprit une gorgée de café,sans quitter Matthew des yeux.

Matt écoutait sagement son prof, sans rien dire pour le moment. Il se sentait un peu plus apaisé qu'à son arrivée ici. D'ailleurs, il n'avait aucune idée de comment il a pu être si mal à l'aise. Se détendant complètement, le canadien sourit, et plaça son coude sur le haut de la banquette pour être plus à l'aise, comme il l'aurait fait avec fille. Non. Comme il l'aurait fait avec n'importe qui.

-Tu n'aime pas les gens bêtes ? Évite de me draguer alors ! Murmura t-il.

Le canadien ria sans gêne de sa blague, mais c'était vrai, Matt n'avait pas d'excellentes notes, mais tant qu'il arrivait à faire ce qu'il voulait après, tout allait bien. Matthew n'était pas quelqu'un de perfectionniste, il n'aime pas se prendre la tête avec des choses futiles et évite de s'embêter pour rien, sauf si c'est pour un ami, là, ça changerait tout.
Puis, sa sexualité lui revint à l'esprit sans crier gare, il recommençait à se poser différentes questions, mais si le brun avait refusé d'être gay par n'importe quel moyen, c'était surtout à cause du sexe. L'Omega avait quelques à priori sur le sujet et voulait à tout prit garder les fesses fermes ! Et vu qu'il était hypra soumis face à un autre homme depuis quelques temps, qu'est-ce que ça donnera quand il décidera de conclure.

Matt décida de mettre ça de côté pour le moment et écouta son prof parler. Il sourit et rétorqua :

-Oui c'est vrai. Mais, je suis majeur vous savez, libre. Donc désormais, avec mon consentement, n'importe qui peut me draguer ou me soumettre sans que personne ne réagisse.

Le brun décida d'opter pour la légèreté, à chaque fin de phrase, il faisait remarquer qu'il disait ça pour plaisanter, bien que cette tirade soit entièrement vraie, désormais, si il ne s'en plaint pas, n'importe qui peut lui faire n'importe quoi n'importe quand et n'importe où, chose qui ravissait intensément le brun, pouvant faire ce qu'il voulait. Comme se défoncer à la vodka ou n'importe quelle substance illicite, bien qu'il préfère la boisson à la drogue, ces deux mots faisant tout de même un peu pléonasme.

Matt haussa un sourcil à la fin de la phrase de son professeur. Il ne comprenait pas le rapport entre 'violences corporelles' et 'belle époque', bien que le brun savait que les mentalités et l'éducation étaient bien différentes de celles de maintenant.

-Oui, mais par définition, ça reste tout de même un métier non ? Enfin, vous ne faites pas de bénévolat ?

L'Omega fut prit d'un doute sur l'instant, mais se reprit bien vite. Comment ferait-il pour manger sans travail ? Mais Matt n'avait pas l'esprit poétique et n'associait pas 'travail' et 'plaisir', surtout pour l'enseignement, le brun trouvait que c'était presque aberrant, mais chacun pense ce qu'il veut après tout.

En revanche, l'explication de l'homosexualité d'Harvey l'intéressa tout de suite plus. A la fin de la tirade de celui-ci, le visage de Matt fut illuminé d'un grand sourire. Il faut dire que les situations entre les homosexuels étaient bien différente de celles des hétéros, et étaient, de son point de vue, bien plus belles. Il n'y avait plus le 'Moi sexe fort, toi sexe faible', bien fréquent dans les couples mixtes. L'Omega fit oui de la tête pour dire à l'enseignant qu'il avait bien compris ce qu'il voulait dire. Le brun reprit un peu de café et se licha de nouveau les lèvres, par tic. C'était ainsi, à chaque fois que Matthew buvait quelque chose, il se sentait presque forcé de passer son organe charnu sur sa lèvre supérieure de manière à retirer tout reste du liquide qui aurait pu se déposer sans qu'il ne s'en rende compte.

La question suivante de son prof le troubla un peu. Il chercha dans sa tête ce qu'il pourrait y répondre et finit par dire :

-Hé bien, je me sens comme troublé à chaque fois, je sens tout mon corps bouillonner et je ne sais plus quoi dire.

Matt souffla un bon coup, ayant vidé son sac sur la question. Il termina alors la boisson amère, Matthew étant quelqu'un qui buvait tellement d'alcool pour en reprendre que cette rapidité s'appliquait désormais à tout les liquides qu'il peut ingérer.
Il répondit finalement à la dernière phrase d'Harvey par un 'hum', un peu détaché. Il passa une main dans ses cheveux, retirant une mèche qui était venue se mettre devant ses yeux.

Le murmure du jeune homme n'avait pas échappé à son enseignant. Il resta silencieux, passant sur son menton imberbe son pouce et son index, en pleine réflexion. Le jeune canadien parlait sans aucun doute de ses résultats. Harvey tenta un sourire.

- Non, ce n'est pas bête dans ce sens là, Matthew, murmura-t-il en retour.

Dans quel sens alors? Quand Harvey parlait d'intelligence, ce n'était peut-être pas forcément intellectuelle. Il y avait aussi l'intelligence manuelle, et les talents de chacun. Les vertus, toutes les qualités qu'un homme pouvait véhiculer. Mais il était tout à fait opposé à la véritable bêtise, incarnée par l'égoïsme, la méchanceté, la bassesse, toutes ces insultes à l'animal raisonnable d'Aristote, et pourtant toutes ces choses qui sont dans l'homme.

- Je crois en chacun d'entre vous. Vous avez tous un potentiel différent. Peut-être pas forcément en philosophie ou en littérature, mais vous possédez tous une intelligence qui fait de vous des gens exceptionnels et avec qui j'ai un grand plaisir à évoluer. J'en apprends toujours, même à mon âge.

Puis, le jeune homme parla de sa majorité toute nouvelle et de ces libertés qui s'ouvraient à lui, sans limites visibles. Il avait adopté un ton léger, mais Harvey décelait autre chose derrière. Une sorte de félicité à avoir atteint ce grade. Comme s'il avait toute sa vie enfermé par des lois stupides et qu'enfin il pouvait étendre ses ailes.

Le sourire d'Harvey se figea l'espace d'une seconde. Il en avait connu, des gens qui s'étaient émancipés rapidement, après avoir savouré à pleines dents la majorité. Jusqu'à ce qu'ils se brûlent les ailes... Des beaux jeunes gens qui avaient toute la vie devant eux... Un en particulier. Il s'appelait Chris. Rien de plus banal. Harvey et lui avaient passé des moments géniaux. Jusqu'à ce que la mort ne les sépare. Il serra son poing sous la table et se força à expirer lentement l'air de sa poitrine. Harvey était définitivement quelqu'un à fleur de peau qui vivait entouré de souvenirs.

Il chassa ses pensées de nouveau. Le jeune homme ne semblait pas comprendre comment un homme pouvait intégrer plaisir à enseignement. Nombreux étaient les jeunes gens qui pensaient la même chose à notre époque. Harvey ne pouvait que le regretter. Et pourtant, il les comprenait. Qui n'avait jamais eu en cours quelqu'un qui semblait au bout du roulot, qui dégageait l'impression que l'enseignement était une corvée?

- Eh bien, quand j'étais jeune, j'avais aussi un prof de philo passionant. Il aimait vraiment ce qu'il faisait. Et un jour il m'a dit quelque chose qui m'avait totalement choqué. On pouvait tout demander à cet homme, il avait réponse à tout. Mais souvent, il se plaignait du salaire qui était très bas. Et, donc, il nous avait dit : "Mais si j'avais voulu gagner de l'argent, j'aurais terminé mon cursus de médecine, j'aurais mis mes valeurs dans ma poche et j'aurais continué à traiter les gens comme de la merde." Bon, ce n'est pas à l'avantage de nos amis qui font médecine, mais je crois que le plus important est dans ce qu'il disait à propos des valeurs. Si moi j'enseigne, c'est pour défendre des valeurs que je trouve justes. La philosophie est une chose étrange à enseigner. Mais tellement riche pour l'esprit. Tu vois peut-être où je veux en venir. Si par exemple je parviens au cours d'un cours magistral, à toucher une ou deux personnes, que je les éveille à la grandeur de la philosophie, je suis un homme heureux.

Au bout de sa longue démonstration, il prit une gorgée de café.

- Et non, je ne fais pas de bénévolat. Je ne viens pas d'un milieu très aisé et je ne figurais pas dans le testament de mes parents. C'est mon frère qui a tout récupéré.

Harvey n'était pas amère quant à ce qui lui était arrivé. Il comprenait aussi le ressentiment des hétérosexuels. Et ses parents avaient eu les mêmes attentes que les autres : des petits-enfants, un bon catholique, un bon père de famille, un bon époux... Harvey n'était rien de tout cela.

Matthew semblait très intéressé par l'explication qu'il venait de donner quant au couple homosexuel. Alors Harvey était satisfait. Il avait réussi à passer un message assez important.

Il se confia alors à son enseignant. Harvey sourit, doucement. Il se reconnaissait un peu là dans ce qu'il disait. Il reprit la parole.

- Moi, j'ai eu des doutes quand un garçon occupa pendant des jours entiers mes pensées. Quand je ne pouvais me passer de sa voix, de sa présence, de son odeur. Une véritable obsession. Et beaucoup de questionnement quant à l'image catholique et prude que les parents m'avaient enseigné... Ca peut détruire une vie.

Il repensa à l'image immédiatement véhiculée quand on parlait d'homosexuel, de gay, de pédés dans le langage un peu ordurier des hétérosexuels et qu'Harvey reprenait hardiment pour se qualifier lui-même.

- C'est vrai qu'un grand frein est aussi l'image associée à l'homosexualité. Quand on parle de lesbiennes, on voit immédiatement deux sublimes bimbo aux ongles longs et vernis se rouler une pelle fantastique. Et quand on parle de gay... On voit deux hommes en train de euh... (*gesticulement pour faire comprendre ce qu'il voulait dire à Matthew*) derrière un buisson. Et pourtant, c'est si différent. On atteint l'amour autrement que par tout ça. Même si cela peut arriver, mais c'est aussi le quotidien des hétéros.

Il lui adressa un clin d'oeil malicieux.

- Prendras-tu à manger? C'est toujours moi qui invite et j'ai tout mon temps devant moi.