« Il y aura toujours ce toujours au bord de mes lèvres quand je parle de toi »

Ma mère m'a dit un jour qu'une bonne famille, c'était celle qu'on quittait facilement, parce que c'est le but des enfants: partir vivre leur vie. Je me suis souvent demandé si c'était pareil pour l'amitié. Car entre nous, ce n'est pas ça du tout. Nous ne savons pas nous quitter. Et je suis encore pire que les autres. Je reste plantée là, à me cacher les yeux pour ne pas voir les autres qui s'en vont, en attendant qu'on soit de nouveau réunies. Esteban & Chiara

Lorsqu’ils habitaient encore tous deux à Las Vegas, Esteban et Chiara avaient de nombreux amis communs et même s'ils n'appartenaient pas au même milieu social cela ne les avaient jamais séparé. C'est grâce à l'un d'entre eux qu'elle avait pu remonter jusqu'à son meilleur ami. Il lui avait laissé comprendre qu'il travaillait désormais en tant que barman dans un bar de la ville. Elle connaissait plutôt bien la Nouvelle Orléans puisqu'elle y passait tous les ans quelques semaines. Il ne lui avait donc pas été compliqué de trouver l'endroit en question. Alors qu'elle passait devant pour la première fois, elle avait pu apercevoir au travers de la vitre la silhouette de celui qu'elle n'avait pas vu depuis si longtemps. Elle l'aurait reconnu parmi milles tant elle avait passé de temps avec lui. Elle connaissait par cœur chacun de ses gestes et ses attitudes à force d'observation. Elle pourrait replacer à l'aveugle les grains de beauté sur son corps à la manière dont les étudiants placent les pays sur un planisphère. Elle n'avait aucun doute, c'était lui, son Esteban, son meilleur ami qui était parti sans lui donner la moindre explication. Elle eut envie de rentrer, de lui hurler dessus combien il lui manquait, de le taper pour qu'il comprenne le mal que son départ lui avait fait, de faire comprendre à tous que l'homme qui était barman dans cet établissement n'était qu'un lâche qui n'assumait pas ses décisions. C'était lui qui lui avait demandé de ne pas venir le voir en prison, il le lui avait même interdit, il n'avait aucun doit de le lui reprocher désormais. Elle mourrait d'envie de se jeter sur lui, de l'enlacer parce qu'elle avait tellement attendu le moment où elle pourrait le retrouver enfin mais aussi de l'étrangler tant elle lui en voulait. Pourtant elle savait que la dernière chose qu'elle pouvait se permettre de faire à NOLA était de se faire remarquer. Elle n'avait pas le droit à l'erreur et personne ne devait savoir qu'elle était là, alors plutôt que de sortir les violons pour leur retrouvailles, elle attendit sagement non loin du bar en question.
Revenir ici était toujours compliqué pour la jeune femme, elle n'y avait pas mis les pieds depuis des mois … longs mois qu'elle avait passé loin de sa mère. Elle qui avait aussi tout quitté il y a des années de cela pour pouvoir s'échapper de l'emprise que la famille Genovese avait sur elle. Elle avait bien compris que la seule issue possible à son malheur était la mort, même si cela signifiait ne plus jamais revoir le peu de personne qu'elle aimait. Mais elle tenait bien trop à la vie et à sa douce fille pour quitter le monde des vivants. Elle n'avait pas pu se résoudre à passer à l'acte et avait pris la décision qui lui semblait la plus adaptée à la situation, celle de mettre en scène son assassinat. Elle avait pendant des mois planifié et prévu les moindre détails pour un maximum de crédibilité et surtout avoir la sécurité de n'être jamais retrouvée. La trahison n'a pas sa place dans la Casa Nostrum et se paye le prix fort, elle ne pouvait donc pas prendre le risque que quelqu'un découvre la supercherie. Chiara était donc la seule au courant, et veillait à veiller sur son secret plus que sa propre vie.

Il était déjà tard, et depuis un long moment maintenant, la jeune Genovese repensait à son enfance, et à quel point tout était facile à l'époque. La devanture du bar affichait une fermeture à deux heures, le temps qu'il nettoie, il serait certainement sorti pour trois heures. Elle ne laisserait pas l'opportunité lui passer sous le nez, elle l'attendait de pied ferme, toute la nuit s'il le fallait. Un collègue du jeune Keynes ayant fini sa soirée avant lui, avait remarqué la jolie blonde à sa sortie du bar, et n'avait pas résisté à l'envie de l'aborder  « Tu attends quelqu'un ? » lui avait-il demandé pour engager la conversation. Non non, je me suis assise là parce que le muret avait l'air confortable et depuis mes fesses refusent de le quitter pensa-t-elle  « Oui » lâchât-elle sèchement. Elle détestait tous les hommes qui venaient lui parler lorsqu'elle n'avait absolument rien demandé. Il souhaitait certainement être gentil, tout simplement, et avait dû avoir pitié d'elle qui attendait depuis maintenant plus d'une heure, mais elle s'en moquait, elle voulait qu'on lui foute la paix, elle voulait Estewban et ne se contenterait pas de la compagnie de quelqu'un d'autre.  « Si c'est le beau brun au bar que tu attends il finit dans 30 min !» il parlait forcément de son meilleur ami, tous les autres membres du personnel étaient des femmes ce soir. Mais de quoi est-ce qu'il se mêlait celui-là.  « Merci » dit-elle en grinçant des dents. Elle s'en moquait d'avoir l'air peu sympathique, elle ne voulait juste pas qu'il reste. Il la regarda des pieds à la tête et ajoutant en partant  « j'en connais un qui a de la chance ! » Il n'avait pas la moindre idée quoi ce dont il était en train de parler.


La demi-heure lui semblât longue, mais elle finit par voir la porte du personnel s'entrouvrir. Elle avait passé plus de deux heures assise là, à l'attendre mais n'avait absolument pas pensé à ce qu'elle lui dirait une fois qu'elle serait en face de lui. Elle l'aperçue au loin mais attendit qu'il se trouve à sa hauteur avant de dire quoi que ce soit. Une fois qu'il arriva à distance suffisante pour la reconnaître, elle lui lança  « Alors c'est ici que tu te caches ? » il ne devait certainement pas s'attendre à la voir là, sur son lieu de travail, et pourtant c’était bien elle, en chair et en os.  « T’as pas changé » ajouta-elle alors qu'elle scrutait son visage dans les moindre détails. Il était toujours le même que lorsqu'elle l'avait vu pour la dernière fois plusieurs mois auparavant. Le retrouver lui faisait un bien fou, et en même temps, lui procurait un réel sentiment d'incompréhension. Comment avait-il pu partir comme il l'avait fait ?