L'arrivée à San Francisco se fit en bus. Le voyage ne lui avait offert aucun repos, ni sommeil ni somnolence. La blonde songeait à son père, à sa famille et à la meilleure stratégie à adapter dans cette situation. Mary lui avait dépeint un père à l'agonie et Elizabeth avait foncé chez Joseph pour lui emprunter de l'argent à un taux d'intérêt effroyablement inquiétant. Encore une fois, son impulsivité avait gagné le terrain et rongé tout bon sens.

Enfin qu'importe, le sourire accroché aux lèvres et le regard étincelant partaient en quête de l’hôpital dans lequel devait se trouver son paternel. Seulement, maintenant arrivée en ville, Mary s'offrait le luxe de l'appeler pour lui dire que Patrick était dans un appartement que les parents louaient à peu à l'extérieur de la ville, qu'il avait été opéré et que tout allait bien. Si le poids sur ses épaules s'envola, il fut rapidement remplacé par la colère que la manœuvre de sa jumelle provoqua. Aussitôt, Eli raccrocha au nez de sa soeur plutôt que d'avoir des mots dépassant sa pensée. Probablement que Mary lui en voulait beaucoup pour être arrivée à une telle extrémité. Dans un soupir, le pas traina jusqu'aux sanitaires de la station de bus. Les doigts coiffaient sa tignasse blonde pour la rendre présentable, puis effaçaient quelques traits de fatigue sur son visage à l'aide de maquillage. En quelques minutes, le crapaud devînt princesse. Ce temps lui avait permis de penser à une stratégie d'approche du reste de la famille.

***

La sortie de l'école avait été trouvée pour rejoindre les marchands de glace du parc le plus proche. Tout aurait pu se dérouler à merveille, si elle avait prêté attention aux détails. Lorsque le petit blondinet peina à respirer, Eli pensa d'abord qu'il mangeait trop vite, lui conseillant de ralentir le mouvement. La glace n'allait pas s'enfuir. Mais les choses empirèrent et c'est une autre mère de famille qui réagit avant elle. Heureusement, le parc était peuplé d'autres gamins et une infirmière avait pris les devants sur une anglaise désemparée. La médecine et elle n'avait jamais fait bon ménage. Les sollicitations de sa nièce, inquiète pour son petit frère, ramenèrent Elizabeth sur la terre ferme.  

"On va appeler Noah." Assura Elizabeth, presque impatiente que son frère arrive pour prendre le relai. Que faire? Elle se sentait désemparée. D'un air sûr et apaisant, elle attrapa la main de sa nièce pour la rassurer, lui expliquant que son petit frère allait avoir des soins et que tout irait bien pour lui ensuite. Il fallait bien monter dans le camion de pompier pour pouvoir aller plus vite en direction des soins dont son frère avait besoin.

Alors que la sirène retentissait, on ne plaisante pas avec les gamins, Elizabeth tapa instinctivement le numéro de son frère. Il allait probablement devenir dingue. Plaçant astucieusement, la petite pour qu'elle ne puisse rien voir d'éventuels soins perturbant pour son avenir, Elizabeth se retrouva non loin de la zone la plus bruyante du camion. Aussi, lorsque Noah décrocha face à un numéro inconnu, c'est avant tout les sirènes qu'il entendit hurler.

"Noah, c'est Elizabeth...Ta soeur." Au cas où, il aurait oublié qu'elle existait ou simplement qu'il connaisse une autre Elizabeth. Mais à peine ce nom prononcé, la gamine à son côté s'écriait, scandalisée d'avoir été trompée par un imposteur. "Amoun et Jane sont avec moi. Amoun ne va pas bien." Au bruit, Noah aurait pu le deviner. "On va à l'hopital général p..."

Le téléphone passa entre les mains  de Jane sans que la plus âgée tente de reprendre l'appareil. Après tout, si elle avait besoin de parler à son père, comment l'en empêcher? Elle devait être inquiète.

Dire que son frère était psychiatre! Un comble à bien y repenser! L'un d'eux avait détruit sa vie et deux autres demeuraient deux piliers de son univers. A l'accueil, Elizabeth fit le nécessaire pour la prise en charge du petit tout en s'assurant que Jane resterait bien dans le coin. Un détail qui s'avéra étrangement facile tant la petite restait collée au comptoir comme pour s'assurer que l'anglaise remplisse les papiers avec des informations correctes et sérieuses. Poussant le règlement du bout des doigts sur le bois en direction de la secrétaire, le regard noir de celle-ci provoqua une réponse immédiate de la jeune tante en herbe: un regard plus noir encore.

Finalement, Elizabeth se tourna vers Jane pour lui indiquer de la suivre et rejoindre la chambre d'Amoun. Mais déjà Noah poussait ses petits cris de chaton apeuré dans leur dos. Dans un pivot, Elizabeth remarqua une ombre lui passer devant et se pencher vers Jane. Ca, ca devait être Noah. Ca faisait des années qu'elle ne l'avait pas vu. Il avait l'air si vieux, si fatigué et si ... étranger à elle qu'un pincement comprima sa poitrine et ses lèvres. Elle ne voulait pas vieillir. Tournant son attention sur ses retrouvailles plus que ses observations, elle fini par inspirer profondément en guise de désapprobation. Les mains sur les hanches, les yeux levés au ciel, la principale concernée se demandait réellement ce à quoi Noah s'attendait. Son air irresponsable la suivait partout mais elle n'était pas totalement dénuée de bon sens et de justesse. Savoir traverser une route serait aisé, même pour Jane! Cette attitude joua avec les nerfs d'une Elizabeth déjà particulièrement énervée par sa soeur quelques heures plus tôt. A ce rythme Noah allait payer les pots cassés des incessant tumultes que traversaient son cœur. Mais dans l'attente d'une nouvelle pulsion, la jeune femme préférait tabler sur les habitudes: le sens de l'humour et de l'agacement. Tout le monde connait son désir de la provocation et tout le monde y goûtait. Noah ne ferait pas exception à la règle. Aussi à peine fut-il tourné vers elle, qu'elle croisait les bras sur sa poitrine pour signaler son renfermement face à lui.

"Oh, il a juste fini sous un camion..." La tête de Noah sembla étrangement se décomposer. Aussi, un soupir mit fin à la plaisanterie. "Il a fait une allergie à la glace."

Tout avait nettement l'air moins grave quand on tournait les choses de la sorte. Non? Sauf que la plaisanterie risquait de ne pas plaire au père de la petite famille ici présente ou à Jane juste à côté. Et alors? Depuis quand souhaitait-elle plaire?  D'un mouvement de menton, elle indiquait la porte de chambre à l'arrière pour que Noah puisse comprendre que son petit garçon se trouvait là et en vie. Oui, il était seul mais le personnel soignant avait pris soin de lui et une infirmière se trouvait encore là pour l'aider à enfiler un vêtement plus convenable pour sa situation: un pyjama de l’hôpital. Même s'il n'avait que six ans, il avait le droit à un peu d'intimité. Aussi, la blonde laissa son frère rejoindre son gamin tandis qu'elle patienterait dans le couloir. De toute façon, son envie de les rejoindre à l'intérieur s'élevait aussi aussi haut qu'une fourmi sur le sol. Ce n'était pas sa place ici et peu importe son air nonchalant, ses mains dans ses poches et son attitude je je-m’en-foutiste, elle n'avait qu'une envie: fuir de là. Malheureusement, on ne pouvait pas toujours faire ce que l'on veut dans la vie.

Cette manie que Noah avait de tout dramatiser agaçait profondément Elizabeth. Ses neveux demeuraient de parfaits inconnus, dans le fond. La seule responsable de cette situation s’avérait n'être qu'elle-même. C'était sa petite personne qui avait fui la maison familiale comme la peste. Aujourd'hui, la blonde se sentait loin de tous et considérait avec peine l'inquiétude de Noah. La vie étai fragile, certes. Mais du point de vue de la blonde, cet argument l'obligeait à voir les choses de façon plus simple, moins dramatique. Chaque instant devait n'être qu'une plaisanterie, une dégustation de la vie et non une angoisse perpétuelle, une routine huilée de travail, métro, dodo. Noah ne parvenait pas à saisir cette nuance, dommage pour lui. Leur monde s'opposait. En avoir conscience ne changeait rien, finalement.

Lorsque Noah disparu, Elizabeth soupira avant de tourner le dos à la chambre. Le monde lui déplaisait dans cet endroit trop aseptisé pour avoir l'air réel. La prison lui manquait presque, un comble dans le fond. Son nouveau statut de femme libre peinait à s’épanouir. Dans le monde carcéral, tout se plaçait dans des cases parfaitement rangées. Là-bas, elle n'était qu'un "prisonnier" mais elle savait exactement où se mettre, comment se mettre, quoi dire et comment agir pour satisfaire son entourage. Dans cet univers, on lui avait offert un rôle, un boulot, une place bien à elle. Maintenant livrée à elle-même, Elizabeth se sentait désœuvrée.
Inutile de rester ici, le but de son voyage avait été déplacé mais c’était bien son père qu’elle venait voir. Depuis combien de temps ne s’étaient-ils pas croisés ? Depuis qu’elle lui avait subtilisé des ordonnances avant de se faire la malle. Dans un soupir, les mains plongèrent dans les poches de son pantalon. Les joies des retrouvailles risquaient d’être de courte durée. Les talons pivotèrent dans un crissement de gomme contre le sol. Mais à peine face à sa destination, une voix à l’arrière la stoppa.

Et merde. Pourquoi ? Les contraintes ne plaisaient pas à Elizabeth et encore moins lorsqu’elles mettaient en jeu des émotions aussi diverses et brouillonnes que celles actuelles. Ne pas savoir faire face à la situation la troublait. Et même si l’apparence décontractée de la blondinette laissait penser qu’elle se fichait pas mal d’un gamin sur un lit d’hôpital, son esprit pataugeait dans de mauvais souvenirs. Après son accident de voiture, elle avait fini ici, à entendre sa camarade d’infortune supplier pour réveiller des morts. Elle-même avait espéré, naïvement, que ses amis allaient se réveiller et qu’ils se donneraient une accolade pour repartir en voyage. Mais non, c’était la police qui était venue l’accueillir. Dire que Noah allait probablement les enlacer, les serrer et autres trucs trop affectifs pour elle. Non, sérieusement, l’idée la dégoûtait. Trop d’effusions affectives en perspective menaçaient de lui faire rendre son repas.

« Oh mais oui, ma puce. Je ne manquerai pour rien au monde ton père en train de vous étouffer de câlins. »

Un clin d’œil plus tard, Elizabeth entrait dans la chambre du petit Amon. Un clin d'oeil pour le petit et elle lui offrait une petite caresse sur la tête, comme s'il était le plus puissant des bonhommes.

« C'est un sacré champion que tu nous fait là, bonhomme. Solide comme un roc.»

C'était pas en chouchoutant qu'on en ferait un garçon digne de ce nom, il avait aussi le droit d'être un peu complimenter sur son statut d'homme en devenir. Elle jeta un regard rapide à Noah avec un sourire tendre. Rien à voir avec de la moquerie, simplement, elle tenait aussi à son frère et le voir faire la tête l'attristait.

Le ton changeait et heureusement. Elizabeth se sentait toujours dans l'impasse, presque un poisson hors de l'eau. Néanmoins, elle s'en tirait plutôt bien dans cette affaire de voyage, de débarquement improvisé et de glace empoisonnée.

"Y a deux heures à peine." Répondit-elle sans prendre la peine de regarder l'heure sur son téléphone. C'était inutile, elle avait un véritable chronomètre dans la tête. "Je suis venue voir Patrick, Mary m'a dit q...quoi? Non! Non pas de..."

Câlin. Les mains tendues en avant tentèrent de s'extraire de cet enfer mais Noah devait être un expert en la matière car la blondinette ne pu lui échapper. Dans une grimace, son petit corps fini entre les bras de son frère. Non. Non. Non. Non. Immobile et figée comme une statuette, la jeune femme n'osait à peine respirer. Ce n'était franchement pas le moment de se laisser aller. Trop d'émotions se bousculaient dans sa poitrine et madame souhaitait en rester maître quoiqu'il en coûte. Heureusement, un nombre incalculable d'hématomes parcourait son corps et la douleur provoquée par l'étreinte lui permis de rester concentrée et souriante.

Enfin, la sortie fut atteinte dans un blabla incessant de Noah sur sa maison et sur son désir de voir Elizabeth rester pour des plombes. Loin de souhaiter le contrarier, Elizabeth ne savait que dire. Bien sûr qu'elle avait envie de le voir mais elle voulait aussi voir les parents. Malgré les paroles réconfortantes de Mary, Elizabeth avait besoin de s'assurer que Patrick allait bien. Durant des jours, où elle avait récolté l'argent du voyage, son imagination avait vagabondé, s'imaginant son père au bord de l'agonie, luttant chaque jour pour sa survie. Elle souhaitait le voir mais redoutait de le faire seule. Depuis combien de temps est-ce qu'ils ne s'étaient pas vue? Des années! Depuis ses 18 ans! Peut être qu'il ne la reconnaîtrait même pas!

"C'est que je pensais aller voir Patrick." Fini par répondre Elizabeth en réalisant qu'elle était devant le coffre de la voiture de Noah qui lui parlait toujours. L'attention et Elizabeth avaient toujours fait deux et elle serait bien incapable de redire ce que Noah avait dit. Ses affaires toujours présentes dans un modeste sac à dos attendaient patiemment de se décharger de ses épaules endolorie d'heure de transport. Elle plaça donc la chose dans le coffre puis rejoint son frère en s'installant côté passager. A peine la porte refermée, l'angoisse se saisi de la poitrine de la jeune femme. Elle n'avait pas posé les fesses dans une voiture depuis son accident. Bien, son sourire bien accrochée, Eli plaisanta et taquina autant les enfants que Noah avant d'enfin arriver à destination. Se jetant presque hors de la voiture, la blonde attrapa son sac dans le coffre et s'éloigna de l'engin de malheur au plus vite. Les mains moites serraient fortement la bretelle de son sac à dos alors que pour la première fois, elle admirait la façade de la maison de son frère. Heureusement qu'il ne voyait pas où, elle, elle habitait, songea Elizabeth devant tel spectacle. Face à ça, le minable studio qu'elle partageait en colocation avec trois autre personnes faisaient pâles figures. Dire qu'elle avait trouvé ça agréable, bien plus qu'une cellule de prison...Le retour à Las Vegas risquait de lui faire mal si elle prenait goût au luxe.

"Et vous êtes combien, là dedans?" Demanda Elizabeth.