Je rentrai les clés dans la serrure et fronçai les sourcils en réalisant que j'avais beau tourner la clé, la porte semblait déjà débarrée. Je retirai la clé et tournai la poignée. La porte s'ouvrit dans un grincement. Je ne devrais pas avoir à être surpris, nous étions quatre en colocation alors il était plutôt rare que le logement se retrouve vide de toute âme. Pourtant, en ce samedi soir que j'aurais voulu festif, tous mes colocataires avaient mieux à faire. Du moins, c'est ce que j'avais compris lorsque tous mes messages textes envoyés au cours de la journée concernant une petite soirée à jouer à des jeux d'alcool à l'appartement s'étaient conclus par un "désolé, je suis pas là ce soir" ou un "non, j'peux pas". Je pénétrai dans ma demeure et je retirai mes chaussures avant de m'avancer vers la cuisine. Vide, rien au four, pas de vaisselle sale sur le comptoir. Nada de chez nada. « Y'a quelqu'un ? » Une petite voix féminine me répondit, provenant du salon juste en face de la cuisine. Je passai donc ma tête devant l'armoire qui me cachait de l'autre pièce et j'aperçus la petite tête blonde d'Erin, la soeur de Noah, assise sur un divan. Je souris, l'air quand même surpris de la voir là. Jolie comme un coeur, comme toujours. Et sexy, aussi. Je ne voudrais surtout pas la réduire à n'être que mignonne. Elle était pas mal plus que ça. « Oh, Erin, salut ! Je m'attendais pas à ce que quelqu'un soit ici. Surtout une aussi charmante personne, d'ailleurs ... Euh ... tu ... qu'est-ce que tu fais là en fait ? » Demandais-je, confus, étant donné que Noah m'avait clairement dit qu'il rentrerait tard ce soir. Elle m'apprit pourtant qu'elle et son frère avaient prévu dîner ensemble, qu'elle avait même apporté une bouteille de vin pour l'occasion. Je me grattai la tête en allant poser mon derrière sur l'accoudoir du fauteuil. « Euh, t'es certaine ? Parce que Noah m'a dit qu'il sortait avec des amis. » Je fis une moue désolée. « Mais tu sais, je suis seul pour dîner et j'ai pas eu le temps de passer acheter une bouteille de vin, alors ... si ça te dit, on peut se cuisiner quelque chose ... ? » Proposais-je, me surprenant à sentir mon visage s'enflammer. Heureusement, depuis quelques années, j'avais réussi à contrôler la pigmentation de mon visage et je rougissais de moins en moins. Dans le temps, je devenais rouge comme une tomate à chaque fois qu'on s'adressait à moi. Maintenant, ayant davantage de confiance en moi, je gérais mieux cet aspect de mon visage.    

La voix mielleuse d’Erin vint me chercher jusque dans mes tripes. Parce qu’elle avait cet effet-là sur moi. Cette façon de me revirer le cœur et la tête à l’envers même si mes pieds demeuraient au sol. Ce don qu’elle avait de me rendre con, encore plus con que je ne l’étais. Oublier les autres femmes, oublier Noah, oublier qu’il y a un moment dans ma vie durant lequel je me serais juré de ne jamais approcher une femme de ce genre. Une fragrance de danger émanait du creux de son épaule. Un parfum d’interdit. Pas seulement parce que son frère n’accepterait jamais qu’il se passe quoi que ce soit entre nous. Surtout parce que j’allais me faire prendre à mon propre jeu. Qui veut charmer sera envouté. Erin allait attraper mon cœur de ses mains douces et me l’arracher avec une cruauté qu’on ignorait d’elle. Inconsciemment, elle allait écraser mon cœur. Inconsciemment, je courrais droit dans le piège. « Oh, je ne m’en tracasse pas. Tu es une grande fille, tu trouveras une façon de sauver cette soirée. » Je lui souris, les yeux légèrement plissés. Un regard de malice, un regard de défi. La défier d’oser faire de cette nuit un moment épique. Une bonne fois pour toute. Repousser les limites. Briser les barrières. Se foutre de tout ; se foutre de nous.

Je l’invitai à rester dîner avec moi. C’était dans mes plans et aussi dans les siens. Même si je n’étais pas son frère, le besoin de base demeurait le même. Erin répliqua qu’elle ne savait pas cuisiner. J’eus un petit sourire amusé, à la limite moqueur. Pourtant, je trouvais cela assez séduisant, une femme qui n’a aucune idée de quoi faire dans une cuisine. Comme si le fait de briser les stéréotypes et les rôles de genre créaient en moi une sorte d’excitation. Parce qu’Erin ne correspondait pas à l’image de la femme parfaite de notre société occidentale. Ça la rendait parfaite à mes yeux. « Je m’occupe de tout alors, j’te laisserai pas la chance de m’empoisonner. » En plus, je ne saurais jamais si c’était intentionnel ou pas. Son regard était tellement perçant, intimidant, qu’on ne savait jamais ce qu’elle avait derrière la tête, la Erin. Cette dernière se leva finalement du fauteuil et s’avança vers la cuisine. De dos à moi, j’auscultai son corps de bas en haut, une vague électrisante parcourant mon corps, engourdissant tout jusqu’à mes orteils. La blonde ouvrit l’armoire secrète de Noah et en sortit sa bouteille de whisky. J’avais ma propre réserve dans ma chambre, mais pourquoi ne pas piger dans le butin de mon colocataire. Tant qu’à prendre sa sœur, autant aller jusqu’au bout avec le reste. La jeune femme revint s’asseoir à la table alors que je m’étais à mon tour dirigé vers la cuisine, regardant ce que nous avions dans le réfrigérateur. L’avantage d’avoir un jour été surnommé « bouboule » était que je connaissais bien la nourriture, et qu’avec les cours de nutrition que j’avais eu à l’université, je pouvais maintenant concocter des repas succulents et équilibrés. « Ça te dirait que je nous prépare quelques tapas ? On pourrait les déguster au fur et à mesure de la préparation, en sirotant nos verres et en discutant … et tu pourras m’assister. » Proposais-je avec un sourire coquin au coin des lèvres.

J’attrapai la bouteille qu’Erin me tendait. Elle buvait à même la bouteille. Au diable la classe, je pourrais indirectement goûter à ses lèvres. Je fermai les yeux en buvant deux gorgées d’un coup, refermant mes lèvres sur l’embouchure, me rappelant que ses lèvres y étaient elles aussi trente secondes plus tôt. Je lui tendis de nouveau la bouteille et répondit à sa seconde question. « Pas de petite amie. Je ne serais pas ici à te préparer le repas de ta vie, si c’était le cas. » Façon détournée de lui dire que ce n’était pas qu’une simple soirée passée avec la sœur de mon meilleur ami. J’étalai sur le comptoir les ingrédients nécessaires pour les tapas. C’était aussi une bonne façon de vider notre frigo, car Noah, Andy et moi avions tendance à nous laisser traîner là-dedans. « Y’a des aliments que t’aimes absolument pas ? » Je voulais lui préparer des tapas dont elle allait raffoler, pour l’attirer plus facilement dans mes filets. De la bonne nourriture éveille les sens. Et j’avais l’intention d’user de tous mes sens sur elle ce soir.
   

Vicieuse, impure, dépravée, déréglée, perdue, errante, tout ce que vous voudrez, Erin à elle seule était une sublime énigme. Un regard si doux pouvant devenir si perçant en un fragment de secondes. Une gueule d'ange cachant les vices les plus cachés. Planait autour d'elle une aura de mystère, une lumière étrange et envoûtante. N'importe quel homme se serait senti attiré vers ce qu'elle dégageait. Une bonne odeur de danger, d'interdit et de plaisir. Le mal en personne. De la plus belle façon qu'il soit. Être condamné au sort d'Erin me semblait être la meilleure et la pire idée qui puisse être. Pourtant, je me laisserais emporter par cette vague d'imprévus qu'elle était n'importe quand. Parce que je savais que même si je m'y noyais, ce serait la fin la plus exceptionnelle qui soit. « Je te sais si vicieuse. Parce que tu joues avec moi, cruelle que tu es. » Je plongeai à mon tour mon regard dans le sien, un mince sourire de défi sur les lèvres. Nous nous regardâmes pendant quelques secondes, qui me parurent si longues parce que j'avais un accès privilégié à son monde et je ne voulais m'en défaire. Puis je reculai de quelques pas et m'éloignai vers la cuisine, comme ça, sans rien dire de plus. Qu'un clin d'oeil pour terminer cet acte.

Erin me rejoignit, et après avoir trouvé sa planque pour la soirée, elle revint vers la table et y prit place. Je m'affairais déjà à concocter quelques entrées diverses et variées, qui réveilleraient tous ses sens pour mon plus grand plaisir.  La blonde avoua être tentée par mes propositions, ce qui ne fit que raviver mon envie de la servir au mieux de ma connaissance culinaire. Il était rare pour moi de m'occuper ainsi d'une femme, je n'en avais que peu d'occasions, alors lorsque l'une d'entre elles se présentait, je mettais corps et âme à la tâche. La jeune femme se leva finalement, après nos échanges de la bouteille, et supprima enfin la distance qui s'était installée entre nous. « Tu peux couper cette figue ... ou enrouler ces morceaux de prosciutto .. » Proposais-je en poussant vers elle les ingrédients mentionnés. Je regardai avec un petit sourire en coin, et du coin de l'oeil, la belle Erin découper la figue en petites tranches. Elle était encore plus belle lorsqu'elle était concentrée. J'aurais pu me perdre dans cette vision pendant des heures. Mais elle me tira des pensées en me questionnant sur mes amours. Sujet plus ou moins sensible, je demeurai vague dans mes propos, et Erin n'insista pas davantage. Quant à elle, je la savais célibataire, voire volage. On ne savait jamais sur quelle fleur la petite abeille allait butiner. J'aurais aimé être celle sur laquelle elle se poserait. Je ne pouvais mettre mes espoirs là-dessus. Erin n'en faisait qu'à sa tête.

Erin frôla mon bras, et un courant électrique traversa mon corps tout entier. Un simple frémissement. Quasi-imperceptible. Je repris le contrôle sur moi-même et poursuivis la discussion, comme si ce contact n'avait pas déclenché en moi un volcan endormi. « Alors je serai le premier homme à te faire la cuisine ? Le premier homme à cuisiner pour Erin. C'est un honneur. » Conclus-je, un sourire fier au visage. Je ne serais peut-être pas son premier amour ou sa première fois, mais je serai au moins le premier pour quelque chose, aux yeux de la belle Erin. Et ça, ça valait tout. Tout. Je poussai un léger rire alors que la blonde me parla de ma prétendue tactique. Je continuai à rire tout au long de son hypothèse. Ensuite, mon rire s'effaça en un simple sourie, presque involontaire, et Erin me regarda intensément. « Tu seras toujours libre de faire ce que tu veux, avec moi, Erin Mckinley. Aucun charme ne peut t'apprivoiser. Alors tout ce qui se passe, là, tout ce que tu ressens, sache que ça provient de toi, rien que de toi, et ta nature sauvage ... » Murmurais-je, comme s'il s'agissait d'un secret. Et ainsi, juste comme ça, tout simplement, Erin et moi commençâmes à cuisiner en suivant mes simples directions, mes suggestions. Jusqu'à ce qu'une esquisse de repas se dessine et que je décide d'ouvrir une bouteille de vin que je gardais pour une occasion spéciale. Erin était spéciale. Je versai le liquide dans deux coupes et j'en tendis une à la blonde. Je pris ensuite l'une des bouchées inventées, prosciutto, olives et figues sur galette de fromage de chèvre frite. « Goûte à ça d'abord,  le vin ensuite. » Lui ordonnais-je avec un sourire malicieux aux lèvres. Au diable la table, déguster au comptoir me semblait plus frivole, là où nos peaux s'effleuraient de temps à autre et où nos jambes jouaient le jeu autant que nous.