Mon frangin va se marier. C'est presque la seule chose qui me hante ces derniers temps, le fait que mon frère est prêt à sauter le pas et à passer le restant de ses jours aux côtés d'une femme qui sait le rendre heureux. Évidemment, je lui ai présenté mes condoléances comme il se doit. Ben quoi ? Avec cette histoire d'enterrement de vie de garçon, on peut bien présenter ses condoléances au futur marié, non ? C'est juste qu'être en couple et être dévoué à sa partenaire, ce n'est pas vraiment dans mes cordes, peut-être pas dans mes gênes, par la même occasion. Quand on voit mon père, personne n'en sera étonné. Père qui d'ailleurs, me ressemble un peu trop à mon goût, ce qui a l'audace de me faire sortir hors de mes gongs. J'essaie de ne pas trop y penser, mais depuis que j'ai rencontré William et que j'ai un tantinet cerné le personnage, je n'arrête pas de le voir à ma place. Lorsque je m'énerve, j'ai l'impression qu'il parle à ma place, idem lorsque je déballe une blague plus qu'idiote. Si j'étais prêt à faire des efforts envers lui pour les beaux yeux de Kenzo, tout a été voué à l'échec au moment où j'ai appris qu'Aengus, ma soi-disant amie, avait couché avec ce dernier. Je vis la chose comme une trahison et j'en veux autant à l'un qu'à l'autre. Quoi qu'il en soit, je suis blasé. Je me suis rétamé en beauté dans les escaliers de la confrérie ce matin, et mon corps tout entier, hormis mon visage, Dieu soit loué, est criblé de bleus qui me font atrocement mal. Ensuite, je n'ai pas encore vu une seule fois mon frère jumeau, je me suis fait coursé toute la matinée par ce pot de colle prénommé Lucie et Marc a décidé de me bouder parce qu'il m'a vu en train de faire du charme à une mannequin au beau milieu de la rue alors qu'il m'admirait m'éloigner depuis son bureau à Shark Publications. La poisse. À l'heure qu'il est, j'ai tellement mal de ma chute que je parcours les couloirs de l'université en longeant les murs jusqu'à l'infirmerie. « Bonjour, j'suis venu voir le Docteur Clives. » Non, je ne suis pas venu voir Noah sur un coup de tête. J'ai besoin de soin et cela me permettra de prendre de ses nouvelles au passage. Au moins, lui, il n'est pas aussi chiant que William, même s'il est un peu beaucoup trop collant à mon goût alors que je suis la dernière personne qui demanderait des câlins. Digne fils de son père, oui, je sais, pas le peine de le rappeler. « Bonjour. », lançais-je avec un maigre sourire aux lèvres. « Rayan ! Heyy, mon grand ! » Oh, non, pas ça. Mes yeux s'écarquillent lorsque je le vois s'approcher, les bras grands écartés, et sans plus attendre, le coup part tout seul. Mon poing droit vient à s'abattre sur le nez du pauvre médecin qui, au passage, avait déjà assez de soucis comme ça. « Pardon, j'suis désolé ! J'voulais pas vous frapper, c'était plus fort que moi. » Et voilà le pauvre qui commence à saigner du nez. Non, mais en même temps, j'aime pas les câlins, j'y peux rien, c'est lui qui a commencé ! « Penchez un peu la tête en arrière, attendez. » C'est qui le médecin dans la pièce. « Voilà. » Je lui colle finalement des compresses sous le nez et chasse l'infirmière d'un regard sombre. Brave fille. « Ca va, j'ai pas frappé fort, soyez heureux. » Et oui, au passage, je vouvoie mon oncle. Je vouvoie toute ma famille sauf mon frère, une valeur de respect que ma mère adoptive a su m'inculquer et qui perdure.

Seul un haussement d'épaule donne lieu à une vague réponse. Que voulez-vous, j'ai cogné William à notre première rencontre, je n'allais pas non plus épargner Noah. Et je n'ai pas tapé les grands-parents, que l'on s'estime heureux, sans compter Kenzo, pour qui j'ai traversé la moitié du globe afin de le rencontrer. Je ne voulais pas d'un père qui me ressemble un peu trop, ni même d'un oncle sorti tout droit d'un monde de princesse, alors désolé du peu. « Non... Enfin ouais, ça doit être les cheveux. Ou la blouse, j'ai pas encore décidé. » Le visage, ça va, il n'est pas trop moche le tonton Noah, il n'y a que ses vêtements qui laissent parfois à désirer, puis les bouclettes de mouton, des fois, c'est bizarre. Enfin, passons, tout le monde ne peut pas égaler la perfection que je suis, notamment pas un oncle de trente-cinq ans. « C'est marrant ça, on me dit toujours que je suis mignon. » Et encore, mignon, faible mot pour le Dieu grec que je suis. Du coup, je le laisse se débrouiller non sans jeter un regard noir à la secrétaire qui devrait plutôt se mêler de ses affaires plutôt que de nos histoires. Je l'écoute tout en l'observant s'installer derrière son bureau, lorsqu'une idée de génie me vint à l'esprit. Prendre une photo de Noah avec ses morceaux de coton dans les trous de nez, sûr que Kenzo aimerait bien voir telle spectacle. Je me retiens de rire au passage en tentant de laisser cette idée de côté, prenant place comme il vient à me l'indiquer. « Mais ça donne un super look, sûr que ça renverra une image plus virile. Cela dit, personne ne porte mieux le cocard que votre frangin. » Mais alors William avec un cocard, ça ne donne pas d'image virile, on dirait plutôt un gros gaillard qui s'est fait tabasser par plus faible que lui, bien que je ne me considère guère comme étant le maillon faible. Deux lions se battant pour un territoire ne seraient absolument pas différents de nous, bien au contraire. Rooh, mais quoi ? Ça ne se fait pas de tutoyer des étrangers, même si Noah est mon oncle, nous ne nous étions croisés que deux fois et ne savions rien l'un sur l'autre. Hormis ce que Kenzo m'a raconté. Fronçant les sourcils, je crois tout d'abord à une blague, mais cela n'en a pas l'air. Poussin ? Non, mais ça va là, tu crois qu'j'ai quel âge ? « Non, mais j'veux bien vous tutoyer, mais les poussins et les câlins, on va éviter. C'est pas le genre de la maison. Sauf pour Kenzo, mais lui, il est... différent. » Pour ne pas dire étrange, mais passons. Sur ce point, mon frère et moi sommes le jour et la nuit. Lui, très tactile, tandis que pour ma part, je tente le plus souvent de fuir le contact physique, hormis lorsqu'il s'agit de potentielles conquêtes. « J'ai fait une petite chute ce matin, rien de grave, mais ça fait un peu mal. Alors j'voulais voir si vous... tu ne pouvais pas faire quelque chose. » Roh, non, c'est trop bizarre de le tutoyer, ça me met mal à l'aise. Je finis par me redresser, déboutonnant petit à petit ma chemise jusqu'à la laisser tomber sur la chaise sur laquelle je me trouvais encore un instant plus tôt. Sur mon flanc droit, un hématome d'une couleur violette de la taille d'une balle de tennis. Sur les bras, le torse et le dos, d'autres bleus, un peu moins importants, certes, mais qui me font souffrir. « Mon pauvre corps de rêve. », me plaignais-je en regardant furtivement les marques que pouvaient voir mon oncle. Et encore, il n'a pas vu l'état de mes jambes. Les genoux écorchés, d'autres hématomes, pas très beau à voir.

Un large sourire s'étire sur mes lèvres alors que je hoche deux fois de la tête. Évidemment, qu'il s'agit là d'un tout autre contexte, un contexte qui risquerait de faire rougir la vierge Noah. Bah, c'est Kenzo qui m'a dit qu'il rougissait toujours dés lors qu'on parlait de sujets un peu trop privés ! Et dire que les twin bro' n'ont pas leur langue dans leur poche, dés lors qu'ils commencent à parler de telles choses... « Parce qu'il m'a énervé. », répondis-je le plus naturellement du monde. Après des échanges plus que houleux, William avait fini par m'annoncer que je n'étais rien à ses yeux, une remarque qui m'a fait me sortir de mes gongs. J'avais tellement entendu ses mots pendant mon enfance, malgré la présence d'une mère adoptive toujours aux petits soins. Alors oui, je n'ai pas hésité une seule seconde à le cogner et je n'en ai jamais ressenti le moindre regret. Je ne suis d'ailleurs pas prêt à m'excuser pour ce que j'ai fait, et je ne le serais jamais. William pouvait toujours courir après des excuses si cela le chantait, il risquerait au final de se reprendre mon poing entre les deux yeux. « Bah oui, mais j'ai hérité de l'intégralité de ses neurones. » C'est fièrement que je viens à bomber le torse, mais je retombe de mon piédestal deux secondes plus tard, alors que la douleur parcourt une fois de plus mon corps tout entier. Non, mais Noah, tu ne promets pas d'essayer, tu le fais, point final, sinon je te fais à nouveau saigner du nez ! Mais non, je ne le fais pas exprès de frapper les gens, c'est plus fort que moi, quand les gens m'énervent, je leur tape dessus pour me calmer. Et les calmer au passage, ceci dit. « J'ai trébuché ou j'ai loupé une marche dans les escaliers de la confrérie ce matin, enfin quelque chose dans le genre. Heureusement que personne ne m'a vu, tout le monde aurait rigolé. » Notamment lorsque le bras droit a tenté une glissade à l'étage et qu'il n'a pas réussi à s'arrêter avant les escaliers, ne pensant pas que ses chaussures l'amèneraient si loin. J'ai fini par perdre l'équilibre et ce qui devait arriver, arriva. J'ai dégringolé dans les escaliers tout en essayant de me rattraper à la rambarde. Quel doué. La chemise a fini par trouver son chemin jusqu'au sol et mes yeux ont fini par tomber sur mon torse alors que Noah tire la tête de celui qui s'apprête à téléphoner à SOS Enfants Battus. Des traces encore vertes un peu plus tôt ont viré au bleu, d'autre au violet, il y en a même une qui a une multitude de couleurs. À ce rythme-là, je vais pouvoir jouer un arc-en-ciel humain. « Mais si, ce sont les escaliers, j'te jure ! », m'exclamais-je finalement. Bon, d'accord, pas toutes, certaines sont des résidus de bagarre. Oui, je suis un violent dans l'âme et j'ai la conviction que la force des poings est plus efficace que celles des mots. « Ooouh, c'est froid ! » Je sursaute à plusieurs reprises lorsque la pommade se voit être étalée sur mes marques de guerre, mais c'est à mon tour de froncer les sourcils suite à sa nouvelle question. « Qu'est-c'que ça peut lui faire à celui-là ? Et oui, Kenzo était chaque fois au courant. » Je ne veux pas attendre parler de William, c'est clair ? Il n'en a rien à faire de moi, et je n'en ai rien à faire de lui, autant s'en tenir à ce principe des plus simples. « Mais j'me suis pas souvent battu ! Une fois avec William et une fois avec l'autre tête de plumeau qui sert de fils à Shark. Puis deux ou trois fois avec d'autres types. » Benedikt. Il s'appelle Benedikt. Really don't care.

« Ça, ça ne regarde que nous. » Alors enlève directement ce sourire qui trône sur ton visage parce que je ne dirais que traître mot à ce sujet. Je n'ai pas besoin que mon oncle vienne à s'initier dans des affaires qui ne concernent que le paternel et moi-même, je refuse même que Kenzo ne vienne à faire quoi que se soit pour établir un quelconque lien entre nous. Tout le monde sait que de nous placer l'un face à l'autre engendra sans nul doute la troisième guerre mondiale, alors mieux vaut éviter de nous retrouver dans la même pièce. Comment ça, des problèmes de vue ? Ce n'est pas parce que mon jumeau en a que c'est le cas pour ma part, faut pas rêver, j'suis trop beau pour porter des lunettes ou même des lentilles, cela gâcherait la beauté naturelle de mes yeux, et de mon visage en général. « Bah non, j'arrive toujours à repérer les filles les plus jolies à plus de cinquante mètres, alors ça va toujours. » Froncement de sourcils, même pas t'envisages de m'envoyer chez un ophtalmologue sinon j'te colle un deuxième poing sur le nez. « C'est pour les feignants, l'ascenseur. » Et je n'en fais pas partie. Il n'y a qu'à Shark Publications que je prends l'ascenseur, histoire de ne pas arriver essoufflé et dégoulinant de sueur chez mon patron, parce qu'à m'attendre, je gravirais les escaliers au pas de course. Un corps aussi parfait que le mien, ça s'entretient régulièrement, puis ce n'est pas une petite chute de rien de tout qui m'empêchera de prendre l'escalier. « Vu ce qu'il m'a dit la dernière fois qu'on s'est vu, aucun risque qu'il s'inquiète pour moi. Ou même qu'il ne pense à moi. » À moins qu'il ne rêve de me casser la figure une bonne fois pour toute, dans ce cas, j'aurais tort. Noah ne sait rien de notre première rencontre qui a presque viré au drame. Des haussements de voix, des disputes, et finalement, de rapides coups échangés, autant dire qu'il ne me portait guère dans son cœur. Je hoche finalement de la tête. Oui, je me suis battu avec le plumeau, et alors ? C'est bon, on ne va pas en faire toute une histoire, cela semble déjà loin derrière moi. « C'était quand même son fils, puis j'travaille pour lui, il ne pouvait pas ne pas être au courant. J'suis toujours vivant et j'ai toujours mon boulot, c'est bon signe, non ? » Bon d'accord, peut-être que si Marc n'avait pas vendu la mèche, il n'aurait jamais été au courant, mais peu importe. Ce qui est fait, est fait, et dans tous les cas, je n'ai rien à me reprocher, je n'ai fait que me défendre face à l'oppresseur Russe. Encore une fois, je me dois de froncer les sourcils. Il a encore failli m'appeler poussin... Non, mais sérieusement, c'est quoi ce surnom débile là ? J'suis pas jaune et j'ai pas de plumes, puis j'suis pas petit, alors poussin... Merde, j'ai vingt-deux ans quoi ! « Ouais, mais non, les fleurs, c'est pour les femmes. Tu ne préfères pas une boîte de préservatifs ? » Double-sens : les hommes aiment le sexe et cela t'évitera de me faire un autre cousin ou une autre cousine. La question est tout naturellement d'un sourire de chieur tel que j'aime à les offrir. Une crème, des pilules, un masseur, c'est noté. Minute. Je conteste, y'a un truc qui ne va pas. « Oui, alors là, oui, j'ai bien besoin d'autre chose. J'peux avoir quelqu'un d'autre que le Dr... Samuels ? Genre quelqu'un de plus... féminin ? Autant allier l'utile à l'agréable, si déjà, on y est. » Et autant ne pas passer par quatre chemins pour le dire à Noah. J'pourrais demander à Valentina si elle ne veut pas jouer à la masseuse avec moi, non ? Qui sait si cela pourrait marcher. Et elle, au moins, je n'aurais pas besoin de la payer. Quoi que si, mais en nature, elle ne devrait peut-être pas se plaindre... Je m'empare finalement de ma chemise et l'enfile avant de la boutonner. « Et toi, ça va ? Les parents ? La copine ? Le chat ? » Le chat, plus pour longtemps, des expériences se préparent dans l'ombre.