Me confier davantage était une chose que je devais apprendre à faire. A l’heure actuelle, je ne révélais que le stricte minimum lorsque celui était nécessaire. Et encore… Via mon milieu professionnel qu’était le monde du cinéma, lorsque j’avais affaire à des journalistes et que ces derniers m’interrogeaient sur ma vie privée, je refusais catégoriquement de leur répondre. Ma vie privée ne les intérressait guère. Eux, tout ce qu’ils voulaient, étaient des scoops pour alimenter les potins à scandales. Rien d’autres. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Les mésaventures des uns font l’enrichissement des autres. N’est ce pas ? Si vous ne semblez point convaincu, voici une anecdote qui se passait il y a trois ans déjà. A l’époque je sortais avec Viktoria. Relation amoureuse professeur et étudiante étant formellement interdite, nous nous cachions. Le seul moment où nous avions vécu notre amour au grand jour fut lors de notre pette croisière en tête à tête. Ce que nous ne savions pas, c’était que sur le bateau il y avait une équipe de journalistes créant un reportage sur notre paquebot. Ce dernier étant neuf. L’un des médias me reconnut. Qui plus était un de mes fans, il ne connaissait rien de ma vie privée. J’avais toujours réussi auparavant à m’épargner. Mais cette fois ci non. Il prit à notre issu des photos de nous et une semaine plus tard on avait fait la une de nombreux magazines people. Evidemment le directeur de Berkeley n’avait pas apprécié cela. Ce fut la fin à la fois de mon poste d’enseignant et de ma liaison avec Viktoria. Bref ! Vous comprendrez peut être pourquoi je m’enfermais davantage dans mon petit monde. Ouvrir mon jardin secret était un fait encore irréalisable pour moi. « Oui je sais… C’est juste que je ne sais pas… » Ma phrase n’était pas très compréhensible. Mais je me comprenais. C’était le principal non ? « C’est bien plus que cela !? » Répétais je bêtement ces mots d’Astor. Je ne les comprenais pas. En relation humaine, je n’étais pas des plus brillants. Pire lorsque cela touchait à l’amour. Et comme dirait ma chère et tendre ex, j’étais nul à chier dans ce domaine. Mon colocataire m’expliquait que tôt ou tard, je vivrais avec mon épouse. C’était un fait important, soit, mais qui ne m’était pas encore venu en tête jusqu’à présent. Un mois déjà que j’étais marié à Romane. Sexuellement entre nous c’était le néant. « Je… Je ne me sens pas prêt à vivre avec elle… Astor, tu… Ne m’abandonnes pas… » Je ne sais pas ce qui m’arrivait. Avais je bien fait de me marier avec ma meilleure amie alors que ma relation avec Astor devenait de plus en plus compliqué ? Je ne savais plus quoi faire ni quoi penser. J’étais perdu. Inconsciemment j’avais avancé dans l’eau jusqu’à retrouver Astor. Malgré mon aquaphobie. « Sans toi, je suis tout autant perdu Astor. Je ne veux pas que tu partes. Pourquoi les relations amoureuses sont elles si compliquées dis moi ? Est-ce toujours comme ça ? » Je pris ses mains dans les miennes, les positionnant contre ma poitrine. Je me perdis dans son regard…

Les confidences n’étaient pas forcément mon fort non plus. Je n’aimais pas particulièrement parler de ce qui me faisait mal, de ce qui me rendait triste ou de ce qui m’avait un jour blessé. Par contre, lorsqu’une relation devenait importante à mes yeux, je ne voyais pas l’intérêt de garder des secrets, de ne pas me révéler entièrement. Par exemple, avec Joe, je n’avais eu besoin que de deux petites journées pour me rendre compte que cet homme allait faire partie de ce chapitre de ma vie, et que je ne devais pas lui cacher l’existence de ma maladie. Il méritait de savoir ce que je vivais, ce dont je souffrais, afin de ne pas plonger aveuglement dans cette relation. Je trouvais injuste pour Romane qu’elle ne sache pas tout du passé de Pacey, et même si ça semblait peut-être moins grave qu’une maladie mortelle comme dans ma situation, c’était tout de même important à mes yeux. Qu’elle sache par quoi il avait passé ; ainsi, elle pourrait mieux le comprendre, mieux l’aider. Encore une fois par contre, je n’avais pas à me mêler de cette histoire. Pacey et moi avions visiblement une vision différente des relations amoureuses en lien avec l’honnêteté et la révélation de soi à l’autre. Bref, je fermai les yeux quand, encore une fois, mon colocataire ne compris pas exactement ce que je tentais de dire par ‘c’est bien plus que cela’. Je soupirai. « Oui, Pacey. C’est bien plus que simplement un sentiment développé à force de vivre avec toi. Je n’aurais pas ressenti ça pour n’importe qui. Et je ne confonds pas l’amour à l’amitié, moi. » J’avais mis l’accent sur le ‘moi’ sans trop le vouloir. Je commençais à être arrogante et déplacée. Qui étais-je pour juger de son amour envers Romane ? J’étais visiblement jalouse, et il fallait que je me calme. « Désolée. C’est juste … difficile à avaler. » M’excusais-je pour ce dernier élan de méchanceté dont j’avais fait preuve. Quand j’abordai le sujet de mon déménagement, le jeune homme commença à défendre son point tout en avançant vers moi, malgré sa peur de l’eau. Il m’avouait que sans moi il serait tout autant perdu que moi, qu’il ne voulait pas que je parte, que c’était compliqué, cette histoire. Oui, ça l’était. Il prit mes mains dans les siennes, sur sa poitrine. Le faisait-il exprès ? « Elles n’ont pas à l’être. Ce sont nous qui les compliquons. Je vais te simplifier la question, Pacey. » Je baissai les yeux vers les vagues qui mouillaient de plus en plus mes vêtements. Je regardai le jeune homme de nouveau. « S’il n’y a pas une mince chance que nous soyons ensemble un jour, dis-le-moi tout de suite. Je ne viendrai jamais me mettre entre Romane et toi. Je vais faire une croix sur toi et je vais passer à autre chose. Mais pour ça, je dois être certaine que c’est parce que c’est une cause perdue … » Je ne savais pas ce que je voulais le plus entendre. Les deux réponses allaient à la fois m’enlever un poids et m’en remettre un sur les épaules.

Dans ses explications, Astor n’oubliait pas de me précisait qu’elle savait faire la différence entre l’amour et l’amitié. Bizarrement, j’étais on ne peut plus blessé par cette remarque. Cela me rappelait Viktoria qui m’acclamait pire amant de la terre. Honteux, je ne pus m’empêcher de baisser la tête et de fermer les yeux un instant. Je cessais d’écouter brièvement ce que ma colocataire me disait. J’entendis simplement le bruit des vagues. Tentant désespérément d’oublier les propos de la jeune femme. Mais je n’y arrivais pas. J’étais perdu. Il était vrai que je n’étais pas des plus doués en matière de relation humaine. Jusqu’à présent je croyais que cela se limitait à l’amour. Mais visiblement l’amitié y était compris. Je n’étais qu’un être insociable. Peut être devrais je couper les ponts avec Astor et Romane. Comme cela je cesserai de les faire souffrir toutes les deux. Je n’étais bon à m’isoler dans mon coin pour ne plus embêter personne. Perplexe sur l’étrangeté de l’amour, je demandais des clarifications à Astor. Elle devait sans aucun doute mieux s’y connaître que moi. En même temps ce n’était pas très difficile lorsqu’on connaissait mon passéde couple. Elle prétendait que ce n’était pas l’amour le plus compliqué mais nous autres les fautifs. Les êtres humains. Elle voulait simplifier les choses en me questionnant sur le futur de notre relation. Amour ou amitié ? Selon elle, il y a quelques secondes, j’étais incapable de faire la distinction entre les deux. Comment pouvait elle à présent me poser cette interrogation ? Comme unique réponse, je me détachais d’elle. Laissant enfin libre les mains d’Astor. «  Comment pourrais je le savoir ? » En haussant les épaules, je fis demi tour pour rejoindre la plage. Je vins m’asseoir sur le sable frais et humide. Je repensais à toutes les remarques véridiques que mon ex m’avait énoncé lors de notre rupture. Je les comparais avec ma relation des plus platoniques avec ma femme. Je me perdis je ne sais combien de temps dans mes pensées. Astor m’en sortit. Elle voulait absolument que je lui donne une réponse. « Non. Il… Il ne vaut mieux pas. Personne ne mérite ça. » La jeune femme ne comprenait pas mon raisonnement. Où je voulais en venir. «  Aucune femme ne mérite de sortir, ou même d’être mariée avec un gars comme moi. » Ma voix commençait à se casser. Pourtant je me refusais de pleurer. «  Viktoria en a subi les conséquences. Et aujourd’hui c’est au tour de Romane. Je… Je ne veux pas…Qu’une autre femme soit malheureuse par la faute d’un eunuque. Il faut… Je dois… Rendre à Romane sa liberté. » Une larme coula le long de ma joue malgré moi. «  Je vais demander le divorce si elle est d’accord. Je ne sais pas être un amant. Ni même être un ami. Si tu veux repartir vivre sur le campus, je n’ai pas le droit de t’obliger à rester avec moi. Mon père avait raison de me rejeter. Vous devriez toutes les deux en faire autant. » Sous entendu Astor et Romane.

Loin de moi l’idée de vouloir blesser Pacey comme je semblais visiblement le faire mot après mot, mais ces derniers sortaient tout seul, c’était plus fort que moi. Après tout, j’avais été blessée moi aussi et je devais décharger cette colère que je gardais en moi depuis que j’avais appris pour la situation maritale de mon colocataire. Nous étions tous les deux confus et désemparés, et le résultat n’était pas ce que nous avions vécu de plus beau. Alors que je lui posai mon ultimatum, que je lui demandai la question ultime, il lâcha mes mains et se détacha de moi, me redonnant ma liberté – dont je n’étais pas certaine de désirer face à lui. Le jeune homme me demanda comment il pouvait le savoir. À mon sens, ce n’était pas si compliqué. Si Romane était réellement la femme de sa vie, ce qui semblait être le cas puisqu’il désirait demeurer son époux, il aurait dû être en mesure de me répondre que ce serait elle pour toujours, et conséquemment que je n’aurais jamais ma chance. Il haussa alors les épaules et fit demi-tour afin de retrouver le sable que j’avais quitté plus tôt pour m’élancer vers l’immensité de la mer. Je pensais y trouver des réponses, je n’y avais trouvé que plus de questions. Je retournai vers lui et m’assit à ses côtés. « Tu devrais pourtant le savoir. » Il me répondit que non, qu’il valait mieux que non, que personne ne méritait cela. J’étais franchement perdue et il remarqua bien vite mon incompréhension vis-à-vis de sa réponse vague et hors-contexte. Il renchérit alors, pour m’expliquer où il voulait en venir. Il allait pleurer, je le sentais. Et moi aussi. C’en était trop. Trop d’émotions à gérer. Je soupirai en l’écoutant parler son non-sens. Je le giflai. Sans gêne, sans retenue. Une baffe sur la joue. Les sourcils froncés, je m’exclamai : « Pacey, reprends-toi !!!! » Il me regardait dans les yeux, surpris. Au moins, j’avais son attention. « Pourquoi souffrirait-elle si tu l’aimes ? Tu es peut-être complètement perdu, maladroit, innocent, énervant la plupart du temps à cause de ton manque de confiance, mais c’est ce qui fait de toi qui tu es ! Romane et moi, nous t’aimons pour ces raisons, alors pourquoi aurait-elle à souffrir si tu l’aimes et qu’elle t’aime, et que vous vous acceptez comme vous êtes ? » Je ne défendais pas Romane, je ne faisais que tenter de raisonner Pacey. Mon intention n’était pas de ruiner leur bonheur, surtout si je n’en ressortais même pas gagnante puisque Pacey était en plein processus de mettre une croix autant sur elle que sur moi. « La question, la vraie question Pacey, c’est … aimes-tu Romane ? Si tu ne l’aimes pas, alors oui, elle souffrira. Oui, il vaudrait mieux mettre fin à cette relation. Quand tu me dis que tu ne sais pas si tu m’aimeras un jour, ça me laisse croire que c’est quand même une possibilité, et donc que tu ne te vois pas nécessairement dans le futur avec Romane. Et ça ne présage rien de bon dans un mariage, crois-moi … » Alors que j’aurais tout donné pour que nous soyons ensemble, voilà que j’étais en train d’aider Pacey à y voir plus clair dans sa relation, à la sauver même.

Grâce à Astor, je reçus une des plus belles claques de toute ma vie. Mais je ne m’en plaignais pas. Après tout, je l’avais bien mérité celle là. Sinon mon amie n’aurait pas osé lever la main sur moi. Astor n’était pas une fille méchante et encore moins violente. Elle avait ses raisons. Raisons qu’elle m’expliqua sans attendre. Je devais avouer que je ne comprenais pas tout. Faut bien avouer que je suis de nature handicapé social. Les relations humaines demeuraient loin d’être faciles pour moi. Enfin bref. « Non tu ne me comprends pas Astor. Tu ne peux pas. Personne ne peut… » La conversation semblait tourner dans le vide. Pourtant il était évident que ma coloc cherchait à m’aider. Elle reformula sa question de façon à ce que je comprenne mieux. « Oui, je l’aime. Bien évidemment, sinon… Sinon je ne me serais jamais marié avec elle… » Je ravalais ma salive non sans héviter à prolonger mes propos. « Romane et moi pensions que les cérémonies à Vegas étaient du bluff. Quel honte pour un gars natif de cette ville hein ! M’enfin…. Lorsque j’avais proposé à Romane de l’épouser devant le sosie de son idôle alors que nous n’étions encore que de simples amis, je connaissais déjà mes sentiments pour elle. Ils ont toujours été là en fait depuis que je la connais. Ils ont grandi avec le temps. Mais sans espoir que cela soit réciproque. En fait en réalité je ne savais pas ce que ressentait Romane pour moi. Aujourd’hui encore je me demande ce qu’elle me trouve. Je ne suis qu’un mec banal parmis tant d’autres. Lorsque toi et moi on s’est rencontré, je ne te cache pas que j’ai eu un faible pour toi. On s’est vite rapproché l’un de l’autre. Au point où j’étais en amour de toi Astor. Mais là encore je n’ai jamais rien dit. J’ai tant fait souffrir Viktoria que je me refusais le droit d’avoir une autre petite amie. Le début de relation que j’avais entretenu avec Viktoria était magique ! Mais le jour où elle m’a dépucelé, tout a été gâché. Le couple que l’on formait ne s’en est jamais remis. Et tout ça par ma faute. Comment un vieux garçon qui n’avait jamais connu l’amour auparavant peut il réussir à entretenir une liaison stable et durable avec une femme beaucoup plus jeune que lui ? C’est la question que je me pose encore aujourd’hui. Mon autre expérience fut la fois où Viktoria eut tellement pitié de moi qu’elle avait voulu m’offrir trente secondes de plaisir pour me défrustrer. Cela avait fait pire que mieux. Surtout lorsqu’elle est partie avec mon ami d’enfance. Me laissant pour souvenir un livre sur la sexualité. » Ce même livre que j’avais en main la fois où j’avais fait les boutiques avec Astor. « Comment une femme peut elle vivre heureuse avec un mec qui a la trouille au ventre d’avoir des relations sexuelles ? Ce n’est tout simplement pas possible. En tout et pour tout, je n’ai fait que deux fois l’amour dans ma vie et cela a peut être duré cinq minutes à tout cassé. Y compris les préliminaires. Je ne veux perdre ma femme pour avoir couché avec elle. Je ne veux pas revivre ça. » J’enfouis mon visage honteux entre mes mains. Me cacher. Mouais bon mauvaise tactique. Je ferais mieux de m’enfouir. « J’ai déjà eu des sentiments pour toi par le passé. Qui peut jurer que cela ne se reproduira pas à l’avenir ? Même si j’aime Romane de tout mon cœur, je connais que trop bien les statisques sur les mariages voués à l’échec. Le jour viendra où Romane ouvrira les yeux et se rendra compte de sa bêtise d’être mariée à moi. Elle trouvera sans difficulté un homme meilleur. On divorcera et je me retrouverais seul une nouvelle fois. Qui dit qu’à ce moment là, si je réussis à guérir de Romane, chose que je doute fortement, je ne retomberais pas en amour une fois encore avec toi pour oublier ma femme ? Tout peut arriver Astor… »

Je levai les yeux au ciel quand Pacey renchérit encore une fois en me disant que je ne pouvais pas comprendre, que personne ne le pouvait. J'en avais marre qu'il ne cesse de répéter qu'il vivait quelque chose que personne d'autre ne pouvait saisir, en plus de répéter qu'il était minable et sans intérêt. Ça ne nous menait à rien et en plus, c'était sa perception à lui de sa personne. J'avais beau lui dire que Romane ou moi le voyions différemment, il ne voulait rien entendre. Rien comprendre. J'en avais vraiment par-dessus la tête de ses enfantillages. J'aimais Pacey, énormément, mais en ce moment j'aurais envie de lui foutre la tête dans l'eau jusqu'à ce qu'il cesse de me dire ces conneries. Et pourtant, j'étais la femme la plus gentille et patiente qui pouvait exister. Qu'est-ce qu'il avait à faire ressortir le pire en moi ? La jalousie, la colère, le sarcasme, l'impatience. Ce n'était pas moi, mais je ne semblais pas être en mesure de me raisonner en ce moment. Il m'exaspérait, voilà tout. Au moins, il fit un petit effort quand il commença à m'expliquer un peu mieux d'où venait ses incertitudes et sa si basse estime de lui-même. Et tout cela était en lien avec la sexualité et comment Viktoria l'avait traité comme un animal. Cette femme méritait qu'on la remettait à sa place. « Viktoria a été injuste, Pacey. Il faut arrêter de te blâmer toi. N'as-tu jamais songé au fait que c'était peut-être elle qui était dans le tort ? Écoute, je ne connais que ta version, mais de ce que tu m'en dis, elle t'a traité d'une façon inhumaine ...  » Elle ne devait pas aimer Pacey pour les bonnes raisons si elle s'était enfuie avec son ami d'enfance juste parce qu'il était nerveux au lit. On ne naît pas avec la compréhension innée de la sexualité. On l'apprend, parfois par essaies et erreurs, souvent en erreurs. Mais à force d'expérimenter, on arrive à se découvrir dans notre sexualité, et à être moins nerveux. Je me souvenais encore de la première fois que j'avais fait l'amour. C'était avec mon petit ami pas trop sérieux du lycée. Il avait eu du mal à conserver son érection très longtemps et j'étais tellement nerveuse que j'étais loin d'être assez lubrifiée pour permettre la pénétration. Bref, ça avait été un flop et mon petit ami et moi avions été incapables de nous parler pendant des semaines. Mais nous étions jeunes, à l'époque. J'aurais osé espérer qu'une femme mature comme Viktoria aurait compris la situation et aurait pris son temps avec Pacey. On s'en fiche qu'il soit vieux et encore inexpérimenté. Je soupirai. « Tu viens de le dire toi-même, Pacey. Tu as eu des relations sexuelles deux fois dans ta vie. Et tu t'attends à te sentir en contrôle et maître de la situation dès la troisième fois ? Tu vis dans un rêve, si tu crois ça. Faut pas se décourager après deux tentatives manquées, bordel. Si c'était le cas, plus personne ne ferait l'amour aujourd'hui, hein. Alors cesse un peu de t'apitoyer sur ton sort et essaie ! La nervosité, elle va continuer d'être là tant que tu ne l'auras pas vaincue, tu sais ! T'en as parlé à Romane, de ton problème, avant de devenir complètement absurde comme ça ? Et ne me sors pas que t'as honte de toi ou que tu te sens ridicule, crétin. Si elle t'aime comme elle le dit, elle va prendre le temps de te montrer à l'aimer, à lui faire l'amour, sans pression, sans jugement. On s'en fiche que les premières fois ça soit un peu bof-bof. C'est mieux que de n'avoir rien du tout, et pis ça ira en s'améliorant, alors y'a pas de mal ! » J'espérais toutefois ne pas être la seule femme à ne pas placer la sexualité en premier plan de la vie de couple. Certes, c'était important, mais pour moi l'amour ne reposait pas que sur ça, alors même si au début de la relation ce n'était pas l'aspect le plus épanoui, ce n'était pas la fin du monde. Pacey allait finir par y arriver, si seulement il s'en laissait la chance. Puis l'ancien professeur me raconta ensuite comment il avait développé des sentiments pour moi et comment ceux-ci avaient été étouffées par ceux de Romane. La fin de son petit discours me creva le coeur. Quand il me dit qu'il pourrait retomber en amour avec moi pour oublier Romane. Je lui aurais envoyé une poignée de sable au visage. « Oh c'est pas la peine du coup, hein. Si je suis le deuxième choix, si je suis ton bouche-trou, celle que t'aime quand y'en a pas d'autres à aimer, tu peux oublier ça tout de suite. Je mérite beaucoup mieux que ça et j'le sais. En plus j'te rappelle que j'ai pas tout le temps du monde pour attendre après toi. » Je me levai, de nouveau en furie, et m'éloignai de Pacey, non pas pour retrouver la mer, mais pour retrouver la route. J'en avais assez entendu, et me faire traiter comme un objet qu'on aime et qu'on n'aime plus selon ses humeurs, non merci.  

Viktoria avait été dure avec moi sur la fin de notre relation mais elle n’avait pas tous les torts non plus. Les propos d’Astor sur elle me firent comprendre que j’avais sali la réputation de mon ex petite amie et cela me désolé. « Non, elle… Viktoria n’est pas une fille méchante de base. Il est vrai qu’elle m’a énormément blessé et qu’aujourd’hui j’en subis encore des conséquences. Mais elle n’a pas tous les tords non plus. » Je fixais l’horizon. Le reflet de la lune sur les vagues. C’était joli. Cela me rappelait certains souvenirs. En autres ceux de la croisière que j’avais faite avec Viktoria. « Elle avait été très patiente avec moi. Elle savait que je n’avais jamais rien fait sur… Enfin tu sais quoi. Viktoria avait quand même tenu un mois avant qu’on le fasse. J’avais la trouille. Je ne me sentais pas prêt mais j’ai quand même accepté. C’est de ma faute. Je ne sais pas comment on se prépare à ça. Je n’étais qu’un pré ado quand maman est décédée et je n’ai jamais eu de père. Personne pour… Enfin tu vois là… Les conversations que les parents doivent avoir avec leurs enfants sur la sexualité. Je ne pouvais pas me permettre de demander aux familles d’accueil ce genre de chose. A l’école, c’était déjà très dur. On se moquait de moi bien assez à cause de ma timidité maladive et de mon manque de confiance en moi. Pour mes camarades je n’étais qu’un geek solitaire qui finirait sa vie vieux garçon. Je n’avais aucun ami réellement. C’est pour briser cette carapace solide comme du roc que j’ai voulu devenir acteur. Pour vaincre ma timidité. En plus de ça, devant la caméra, je peux être n’importe qui. Une personne avec de l’importance et non le parfait looser de la vie réelle. Enfin bref. Les années sont passées. Et jamais je n’ai rencontré une femme qui me fasse tourner la tête avant Viktoria. Etre vierge quand t’es lycéen, étudiant, ce n’est pas une chose évidente. Mais quand tu es sur le point d’atteindre la trentaine et que tu donnes à toutes des personnes qui sont en moyenne dix ans ton cadet et tous à une exception ou deux près beaucoup expérimentés que toi en la matière, ça devient tout simplement ingérable. » Je me rappelais d’Audrey. « Durant un de mes cours de pratique, j’ai eu une étudiante qui n’avait jamais embrassé de garçon et qui m’avait demandé comment faire pour faire passer ses émotions aux téléspectateurs. Quelles émotions elle devait montrer face à la caméra. Car on sait tous que les baisers de cinéma ne sont pas de réels baisers. » Je souriais tristement. Puis laissais quelques secondes avant de finir mon anecdote. « J’ai changé de sujet. A ce moment là je n’avais pas su quoi répondre. C’était un peu avant de connaître Viktoria. De toute ma carrière d’acteur, j’avais toujours réussi à passer à travers les rôles romantiques. Jamais tu ne trouveras un film où le perso que je joue à une copine. Parce que je ne voulais pas. Même un simple baiser est important à mes yeux. Il n’y a pas que le fait d’entretenir des relations intimes. Je voulais partager tout ça avec la bonne personne. Je croyais que c’était Viktoria à l’époque. Mais je sus que non lorsqu’elle a refusé ma demande en mariage. En couchant avec elle j’avais pourtant brisé mon vœux le plus cher. Celui de me marier vierge. Mais elle était trop jeune. C’est dur à entendre tu sais. Je ne m’étais jamais rendu compte que j’étais vieux avant ce jour là. Tout serait tellement plus simple si j’avais minimum sept ans de moins. Certes elle savait à quel point ça m’affectait et en a joué à notre rupture. J’ai eu le droit à un livre sur le sexe pour les nuls... » Il était toujours dans ma table de chevet. Je le connaissais par cœur. « … Mais aussi à mes quatre vérités. Que je n’ai pas volé. Je suis le mec le plus angoissé de la terre comme elle plaisait de me dire. Mais c’est vrai. J’ai toujours idéalisé les relations amoureuses. Mais les contes de fées n’existent pas dans la réalité. » Astor me parla de Romane et du fait si elle savait ou non. « Non elle ne sait pas. Je… Je n’ose pas lui en parler. J’ai peur qu’elle me quitte. Mais en même temps, elle ne cherche pas vraiment non plus à précipiter les choses entre nous. Comme si je ne l’attire pas. » Je ne me rappelais pas que Romane savait tout. La dernière fois que je m’étais drogué, on s’était confessé l’un l’autre mais malheureusement pour moi c’était le trou noir. Romane quant à elle se rappelait de tout étant donné qu’elle était clean ce soir là. Puis vint le moment où la conversation ou dispute si vous préférez tourna autour des sentiments que je pourrais avoir pour Astor. Suite à ça, ma colocataire partit. Je l’avais blessé. Ce n’était pas mon but. Je me levais pour la rattraper. « Astor, s’il te plait, ne t’en va pas ! Je… C’était pas vraiment ce que je voulais dire. Désolé. C’est… C’est juste qu’en réalité j’ai toujours aimé Romane. Je croyais avoir eu un faible pour toi. Je me voilais la face parce que je croyais qu’elle ne m’aimerait jamais. Alors ne l’attends pas. Tu dois vivre ta vie. Peut être que tu resteras avec Joe. Qui sait ? Si tu l’aimes, j’espère de tout cœur que votre couple durera le plus longtemps possible. Je veux simplement que tu sois heureuse. Alors promets moi que tu le sauras, hein. » Je restais planté là sur place comme un con devant Astor. Je voulais la prendre dans mes bras pour lui faire un câlin. Mais je n’osais pas. Je ne voulais pas la froisser davantage avec une nouvelle maladresse.

Je perdis mon regard dans l'horizon. Il est vrai que je jugeais probablement Viktoria sans connaître véritablement sa personne. En même temps, il était difficile de faire autrement ; elle avait brisé Pacey, qui comptait tant à mes yeux et qui était si cher à mon cœur. Je ne pouvais qu’en vouloir à cette femme qui avait osé faire souffrir un homme innocent, qui avait encore tant à apprendre de la vie mais surtout, surtout de l’amour. Le jeune homme était inexpérimenté et le voilà qui portait cette marque, cette blessure, cette cicatrice, qui ne lui donnerait jamais le goût d’aimer de nouveau. Ses émotions étaient maintenant ombragées par la peur, la honte, le rejet, l’incertitude. C’était dommage, et très triste d’ailleurs, de se dire qu’une seule personne peut vous changer à ce point. Viktoria avait été un tournant à 180° dans la vie de Pacey, et le voilà maintenant qui semblait reculer au lieu d’avancer. Alors malgré le fait que Pacey défendait sa douce partie au gré du vent, je ne changeais pas d’opinion à son égard. « Si tu le dis. » Répondis-je donc tout simplement. Je ne voulais pas non plus que mon ami se ronge les ongles à l’idée d’avoir salit la réputation de cette femme, alors je fis comme si ses propos avaient pour moi du sens, et qu’ils me ramenaient à la raison. Alors que nos deux regards se perdaient dans le clair de lune et son reflet flou sur la mer paisible, Pacey commença à me réciter son histoire avec Viktoria, tentant sans aucun doute d’adoucir le portrait que j’avais d’elle. Il se confia réellement à moi, racontant son histoire avec passion mais aussi avec tristesse et douleur. Je ressentais tout ce qu’il avait lui aussi ressenti à cette époque. Mon cœur se pinça dans ma poitrine et je ne pus m’empêcher de laisser mes traits s’adoucir alors que je l’écoutais. La tension dans mes muscles cessa, mon cœur arrêta de battre aussi vite sous l’effet de la colère et de l’impatience. Quand il eut fini, un silence plana longuement entre nous. « Tu sais, un mois, ce n’est pas beaucoup de temps à attendre quand on pense aux trente années que tu as attendues avant de faire l’amour … Un mois, c’est rien. Viktoria aurait dû comprendre que si tu étais encore vierge à trente ans, ce n’était pas nécessairement parce que tu n’en avais jamais eu l’occasion, mais aussi pour des raisons de principes, de valeurs. Elle aurait dû comprendre que pour toi, la signification du passage à l’acte était importante, grande à tes yeux. Un mois, ce n’est pas assez pour ce que tu souhaitais vivre comme moment … M’enfin … je suis qui pour l’accuser de quoi que ce soit, hein. Je trouve simplement dommage que sa réaction ait été de te léguer un livre de sexualité pour les nuls. C’est franchement immature et c’est la preuve que tu n’as pas à souhaiter d’avoir quelques années en moi, Pacey. Attends simplement la femme qui te mériteras, qui saura attendre et qui sera assez mature pour comprendre. » En l’occurrence, moi. Mais ça, j’avais déjà tenté de lui faire comprendre et il ne semblait pas vouloir se faire à l’idée. J’abandonnai. Je demandai alors à Pacey si Romane était au courant de cette histoire, de son malaise face à la sexualité. « Tu devrais lui en parler. Tu te fais des soucis pour des problèmes qui sont, pour le moment, inventés. » Puis la conversation s’enflamma de nouveau alors que mon colocataire s’exprima plutôt mal en me faisant comprendre que j’étais le numéro deux, le choix à prendre si les autres alternatives échouaient. Je me levai et partit, incapable d’en prendre plus. Je l’aidais, le conseillais, et lui me remettait en pleine face que moi là-dedans, je n’existais pas vraiment. Il me rattrapa bien vite dans mon élan. « Je te promets que je serai heureuse, Pacey. Je me suis souvent débrouillée toute seule dans la vie et j'suis capable de me relever d'une chute par moi-même. Cette fois-ci ne sera pas différente. Et j’espère que tu seras aussi heureux avec Romane. Mais si jamais ce n’est pas le cas, ne cours pas cogner à ma porte pour y trouver l’amour, il n’y sera plus. Il n’y est plus. » J’allais définitivement refermer cette porte qui était restée trop longtemps entrouverte. Pacey ne voulait pas de moi dans son cœur et cela avait été plutôt clair, malgré son ambivalence. Je n’allais donc pas m’accrocher à un idéal que je me faisais de lui, ni à un espoir inatteignable. « Mais je ne veux pas te perdre malgré tout, alors donne-moi un peu de temps pour digérer tout ça et … et tout devrait rentrer dans l’ordre. » Je lui souris, lui pris la main, et la relâchai.

Je voulais faire remonter l’estime de Viktoria dans le cœur d’Astor. Mais en vain. Malgré tout ce que je venais de confiais à mon amie, elle semblait rester sur ses positions vis-à-vis de l’ex Hippie. Elle m’expliquait ce que je savais déjà. « J’avais vingt-huit ans à l’époque. Enfin presque vingt-neuf. Mais on s’en fiche… » J’avais terriblement honte d’être si peu expérimenté. D’avoir perdu ma virginité si tardivement. Je me sentais sans cesse humilié lorsque quelqu’un le savait. Comme c’était le cas à présent avec ma colocataire. Mais je ne disais rien sur mon mal être. Cela devait sans aucun doute déjà assez se voir. Donc inutile de rajouter des mots à l’image de la honte humaine. Astor me conseillait d’attendre la personne idéale. « C’est rien cela que j’ai voulu me marier avec Romane. Même si nous n’étions que des amis. Parce qu’au moins elle, elle ne réagira jamais comme mon ex l’a fait… J’en suis sûr… » Je ne voulais pas douter de ma femme. Mais je ne pouvais me montrer certain à cent pour cent. Peur de la perdre comme j’ai perdu Viktoria. Astor me suggérait de lui en parler. « Des problèmes inventés ? Je ne comprends pas pourquoi tu dis cela. »Pour ma part, il n’y avait aucun problème. Du moment où Romane n’exigeait pas que l’on couche ensemble. Même si tôt ou tard ça finira bien par arriver. Je paniquais déjà rien qu’à cette idée. Oh mon Dieu ! Puis notre conversation devint un peu houleuse. Astor voulut partir mais je la rattrapais. Je compris à quel point je l’avais blessé. Je souhaitais m’en excuser mais je n’osais pas. Ça ne se faisait pas de réagir comme cela. Elle me prit brièvement la main pour me demander du temps. Du temps pour guérir des blessures que je lui infligeais. Et ces blessures là, je ne pouvais pas l’aider à cicatriser en restant collé à elle. A contre cœur, je laissais Astor s’éloigner. Je m’assis un moment à un banc pour lui laisser le temps de rentrer. Attendre jusqu’à ce qu’elle se soit endormie dans sa chambre pour pouvoir rentrer à mon tour à l’appartement. Je laisserai à mon amie le temps qu’il faudra pour qu’on redevienne amis. Comme avant…