Août 2012. Cela aurait pu être une journée de vacances comme les autres. Sauf que ce n'était pas le cas. Qui disait mois d'août disait mois des inscriptions et des portes ouvertes. Il fallait bien promouvoir notre belle université, donner l'envie de revenir. Quoi de mieux donc que de solliciter l'aide des étudiants un peu plus anciens? J'allais rentrer en quatrième année de médecine avec l'optique de me spécialiser en dentisterie. De plus, j'étais plutôt un bon étudiant et si j'avais du postuler dans une confrérie, c'étaient les alphas que j'aurais choisi. Là n'était de toute façon pas la question. Il semblait que j'étais le profil type de l'étudiant chargé de guider les futurs nouveaux dans le campus. Le profil de celui qui aurait les arguments pour que l'étudiant choisisse Berkeley. Je n'avais aucune idée de la manière de la sélection mais je n'avais pas été enchanté de savoir que j'allais devoir participer à ce petit événement. Il fallait dire que j'étais quelqu'un d'assez réservé et que je n'avais pas pour habitude d'aller vers les autres. Pas tout de suite en tout cas. Il me fallait généralement un petit temps d'observation ou alors un verre dans le nez. Mais cette deuxième option était moins probable, j'étais contre l'alcool depuis un petit temps déjà. A 24 ans, j'avais cette impression de voir la vie autrement que lors de mes dix-huit ans. Et revoir des futurs nouveaux me procuraient une sensation étrange. Cette excitation qu'ils avaient, ce sentiment que tout pouvait se réaliser, même leurs rêves les plus fous. J'avais été comme ça moi aussi, croyant en mes rêves de gloire. Sauf que j'avais très vite déchanté. Et rien qu'à repenser à ma première année sur le sol berkeléen me rendait nostalgique. Et me faisait prendre un coup de vieux par la même occasion. J'avais poussé un petit soupir avant de me diriger vers la salle de classe où nous allions avoir les instructions. En gros, c'était simple: on avait chacun une liste de futurs étudiants. Ces derniers arrivaient à des heures bien définies. A nous de les accueillir. Alors que je pensais que ma journée allait être un cauchemar, je m'étais dirigé vers l'endroit de rendez-vous. La première personne que je devais accueillir était une demoiselle. J'ignorais encore si elle était venue seule ou accompagnée de ses parents. Voire de toute sa famille. Son prénom ne m'était pas inconnu mais des Emilia il devait y en avoir quelques unes à San Francisco. Ce n'est qu'en la voyant qu'un mince sourire apparu sur mes lèvres. Combien de chance y avait-il que je tombe sur une demoiselle que j'avais croisé en soirée? Et combien de chances y avait-il qu'elle se souvienne de moi? Pour ma part, je ne l'avais pas oubliée. J'oubliais difficilement un visage et puis je n'étais généralement pas assez ivre que pour avoir des pertes de mémoire. Je m'étais donc avancée vers elle, un sourire toujours présent sur mes lèvres. 'Emilia?' J'avais attendu sa réponse avant de lui expliquer mon rôle pour l'heure à venir. C'est ainsi que je l'avais promenée dans tout le campus, lui montrant les lieux les plus incontournables et répondant à toutes ses questions du mieux que je le pouvais.

Août 2013. Déjà un an que j'avais rencontré Emilia. Et on pouvait dire que j'avais pris mon rôle de guide très à coeur dès que j'avais su qu'elle avait opté pour Berkeley. De temps à autre, je lui envoyais donc des sms afin de prendre de ses nouvelles. Au départ, c'était juste comme ça. Je savais à quel point cela pouvait être dur de se faire à la vie universitaire et j'avais juste envie d'être présent pour une petite nouvelle. Et puis petit à petit, de parfaite étrangère, Emilia était passée au statut de connaissance. Notre relation évoluait tout doucement. Il m'avait toujours fallu énormément de temps pour faire confiance à une personne. Emilia n'était pas une exception. Pourtant, alors que j'aurais pu ne plus prendre de ses nouvelles une fois qu'elle avait été bien intégrée, j'avais continué. Je ne savais plus si c'était tellement mon rôle de guide que je continuais de prendre à coeur ou bien si elle avait fini par casser une infime petite partie de ma carapace. Toujours était-il que je continuais d'être protecteur envers elle, voulant savoir si tout se passait bien de son côté. Je n'en étais pas encore au point de l'étouffer de ma présence, ni même de conseils trop abondants. Mais j'étais juste là, au cas où. Cela faisait d'ailleurs un bon mois que je n'avais plus vu la demoiselle. Je m'étais donc décidé à lui envoyer un sms, histoire de lui donner rendez-vous pour dresser un petit bilan de sa première année. J'avais tellement été pris par mon internat du mois de juillet que j'en avais un peu délaissé les personnes que je connaissais. Je prenais donc à présent le temps afin de rattraper celui que j'avais perdu. Cela avait commencé par Kathleen. Et maintenant c'était au tour d'Emilia. 'Coucou Emi. Une petite promenade au Parc J. MacLaren demain après-midi ça te dit?' Le rendez-vous avait très vite été fixé pour 14 heures précises sur le premier banc vert de la deuxième allée. Tout aussi vite que cette fameuse après-midi arriva. J'avais passé ma soirée en famille et ma matinée à faire du sport. J'avais donc pris une douche en rentrant et avait revêti un tee-shirt noir sur un jean. Rien d'extravagant en somme. Et c'était de ma démarche droite qu'on aurait pu prendre pour hautaine, que j'avais traversé les rues qui me séparaient de l'endroit de mon rendez-vous. C'est avec un quart d'heure d'avance que je m'assis sur le banc. Je croisais mes jambes, les décroisait, changeait encore une fois de position, m'affalant légèrement avant de me relever et de faire les cent pas. Je détestais attendre et pourtant en arrivant toujours avant l'heure, c'était inévitable. Je regardais ma montre d'un geste machinal, cela devait bien faire la sixième fois que je répétais cette opération. Encore 5 minutes. Je m'assis de nouveau, croisant les bras. Emilia n'allait pas tarder à arriver.

On était en plein mois d'août et le soleil était présent, pour mon plus grand bonheur. Je n'avais jamais aimé quand les températures descendaient en dessous de zéro. J'étais le genre d'homme frileux, celui à qui il faut deux gros pulls pour avoir bien chaud. Je savourais donc chaque instant de l'été avec un certain délice. Je pouvais même dire que c'était ma saison préférée. Quoiqu'en cet instant je me maudissais d'avoir oublié mes lunettes de soleil dans ma chambre. J'avais donc un mal fou à observer les personnes passants devant moi. Je plissais donc les yeux très souvent, à la recherche d'une ombre assez familière: Emilia. Je ne l'avais pas vue souvent au cours de cette année scolaire. Pour être parfaitement précis, je ne lui avais accordé que trois rendez-vous. Le reste du temps, on se croisait dans les couloirs ou je prenais de ces nouvelles par sms. Le sms du mois, c'était mon rituel avec elle. Prendre des nouvelles à distance et m'assurer que tout allait bien. Emilia m'aurait précisé que son adaptation se faisait difficilement que je n'aurais pas hésité à lui accorder un peu plus de temps. J'étais comme ça, généreux avec les personnes que j'appréciais. Et même si la demoiselle n'était qu'une connaissance, inexplicablement, je savais que j'aurais été là pour elle au moindre problème. Mon côté bon samaritain sans doute. Je reposais une nouvelle fois mon regard sur ma montre. Une minute s'était écoulée. C'était fou comme le temps passait doucement quand on ne faisait rien. Alors pour occuper mon esprit, je m'étais mis à repenser à ma première rencontre avec Emilia. Une soirée à la plage. Cela pouvait faire pâlir d'envie les gros fêtards et les amoureux de la mer. Pas moi. Pas que je n'aimais pas entendre le bruit des vagues s'échouant sur le sable. Loin de là. Mais pour moi plage était synonyme de ressourcement et non d'amusement. Rien ne me prédisposait à aller à cette soirée. Et pourtant, j'y avais mis les pieds. En tant qu'accompagnant d'un de mes frères. Dire que ce n'était même pas lui qui avait insisté mais plutôt ma mère. Elle connaissait Zane. Il aimait tellement s'amuser, boire et draguer qu'elle avait peur de le retrouver dans un sale état. Pire: qu'il n'arrive plus à retrouver le chemin de la maison. Alors elle m'avait suppliée. Surveiller mon frère n'était pas dans mes habitudes même si j'avouais que j'étais fort protecteur vis-à-vis des membres de ma famille. C'était donc à reculons que j'avais accompagné Zane. Il était parti s'amuser avec ses potes et j'avais occupé le bar. Et c'est là que j'avais rencontré Emilia. Je n'avais pas vraiment fait preuve de bonne volonté et j'avais à peine décrocher quelques mots de toute la soirée. Ma timidité mais aussi le fait que je n'avais qu'une envie: rentrer chez moi et ce même si j'étais en charmante compagnie. Encore heureux que j'avais pu me rattraper lors de cette porte ouverte et que là, j'avais été plus bavard. J'étais un peu obligé en même temps. On ne pouvait pas vendre une école sans dire un mot. "Jaxhuem, tu es ici depuis quand ?" Une voix familière venait de me remettre les pieds sur terre. Je m'y deux secondes pour poser mes yeux azurs sur Emilia. Un sourire se posa sur mes lèvres. A chacun de nos rendez-vous, j'étais arrivé le premier. Comme à chaque fois, je devrais dire. Mais à cet instant, j'étais content de la voir, content de mettre un terme à cette attente qui devenait insupportable pour un impatient de mon genre. 'Un petit quart d'heure. Je voulais profiter du soleil' Inutile de préciser que j'avais cette horreur d'être en retard. De toute évidence, la demoiselle aussi car elle était pile poil dans les temps. 'Alors comment vas-tu? Ton année s'est bien passée?' Je n'avais pas eu le temps de prendre des nouvelles d'Emilia au mois de juillet. J'ignorais donc le résultat de ses examens. Et le reste de sa vie aussi d'ailleurs.

J'avais vu un sourire apparaître sur le visage d'Emilia quand j'avais fait allusion au soleil. On disait souvent que quand on ne connaissait pas bien une personne, on parlait de la météo. C'était un sujet passe-partout qui pouvait ouvrir les portes d'une conversation un peu plus approfondie. Ici, ce n'était pas pour cette raison que j'avais évoqué ce temps merveilleux depuis quelques jours à présent. Je n'avais juste pas eu envie de montrer une partie de ma personnalité à Emilia. Cela faisait pourtant un an que l'on se croisait mais je n'avais pas cette envie qu'elle sache tout de moi dans la seconde. Faire de nouvelles découvertes sur une personne avait son charme et je comptais me révéler au compte goutte. Après tout, il me fallait souvent du temps pour que j'accorde ma confiance et la demoiselle n'était pas une exception qui aurait pu confirmer la règle. Je ne lui avais donc pas expliqué que je détestais attendre. Mon côté impatient, je l'avais gardé pour moi. Elle devrait se contenter de ça pour l'instant. Un sourire était cependant apparu sur mes lèvres, en réponse au sien. Et j'avais continué la conversation, tout simplement. Je m'étais intéressé à elle et à ses études. Les études étaient probablement le sujet de sa vie le plus privé sur lequel je m'autorisais à parler. Je ne connaissais rien d'autre de la jeune femme. Pour moi, elle était Emilia, l'étudiante. Je ne savais donc rien de Malcolm, de ses histoires de drogue ni même de son arrestation. C'était pour l'instant, le jardin secret de la demoiselle. Après tout, si elle me l'avait confié est-ce que cela aurait changé mon comportement face à elle? Probablement pas. Mais j'aurais eu des clés supplémentaires afin de mieux la comprendre. Enfin, là, je m'égarais. "Je vais bien, c'est les vacances et il fait beau" Un sourire se dessina une nouvelle fois sur mon visage. Emilia avait cité le beau temps et le fait qu'elle soit en congé pour expliquer qu'elle allait bien. Comme si ces deux situations, mises ensemble, provoquaient automatiquement sa bonne humeur. 'Cela explique tout alors.' J'avais murmuré ces quelques mots, ne sachant pas si Emilia comprendrait que je la taquinais. D'ailleurs, j'avais posé ce regard taquin sur elle et je lui avais même lancé un clin d'oeil.  "Mon année c'est bien passée, j'ai rencontré des gens sympas" J'hochais la tête, sans rien dire. Les rencontres, on en faisait souvent sur un aussi grand campus comme Berkeley. Chaque année avait son lot de surprises. Toutes n'étaient pas positives. Il fallait dire qu'avec ma carapace de timidité, qu'on pouvait prendre pour un air hautain, je ne faisais pas l'unanimité. Tant pis. Etre apprécié de tout le monde, c'était être apprécié de n'importe qui. Et ce n'était selon moi pas le plus flatteur. Il était donc vrai que généralement j'intriguais. Soit on m'appréciait, soit on me détestait. Mais il n'y avait pas de milieu. "Et j'ai réussi mes exams, tous" Je cru déceler de la fierté dans les dernières paroles d'Emilia. Après tout, elle pouvait être fière. Une première année à l'université n'était jamais facile, j'étais bien placé pour le savoir. Entre les soirées organisées par les différentes confréries et les cours, il y avait moyen de très vite perdre pied. Ou alors de voir qu'on s'était trompé d'orientation. C'était ce qui s'était passé pour moi. A cette époque, j'avais effectué une première année en musicologie. Je jouais déjà de la guitare et j'avais cette ambition de monter un groupe, et de devenir célèbre. J'avais très vite déchanté. La musique n'était qu'une passion. Je m'étais donc tourné vers une option qui me convenait beaucoup mieux: la médecine. Pour finir par me spécialiser dans la dentisterie. « Et de ton côté comment ça c'est passé ? » Emilia m'avait retourné la question. C'était normal après tout. Je lui avais lancé un sourire, commençant par la féliciter. 'Félicitation! Une nouvelle comme ça, ça se fête!' Entendez par là que non, je n'allais pas l'emmener dans une soirée digne de ce nom mais plutôt que je lui offrirais volontiers un verre, dans un bar ou même au Starbuck. Et de mon côté? J'attendais encore les résultats de mon internat du mois de juillet mais je pensais que dans l'ensemble, tout ne s'était pas trop mal déroulé. Quant à mes examens, j'avais pour habitude de les réussir en une seule fois. Il fallait dire que j'étais un bosseur acharné. 'Pas trop mal. J'ai un peu diminué ma moyenne mais tous mes examens sont réussis. J'attends encore le résultat de mon stage du mois dernier' Je posais de nouveau mon regard sur Emilia. En un an, on avait bien évolué elle et moi dans nos vies professionnelles. Je lui adressais un nouveau sourire.