J’avais quitté les bras de Matthias pour me retrouver à un examen bien trop facile pour moi. A croire qu’ils ne pouvaient pas faire mieux en matière de questions. Soupirant de lassitude, j’avais rendu ma copie avant de me rendre à la cafétéria de l’université. Bien qu’en temps normal, j’aurais rejoint ma belle brune pour nous amuser, j’avais préféré venir m’isoler ici. Cela faisait plusieurs jours déjà que mon sommeil était troublé, les souvenirs de mon passé venant troublé la sérénité d’un présent que je n’aurais jamais imaginé auparavant. Je ne comprenais toujours pas comment les choses avaient pu prendre une telle ampleur et à une telle vitesse. En quelques minutes, j’étais redevenue cette petite orpheline qui ne pouvait compter sur personne d’autre qu’elle-même. Je soupirais à nouveau mais, cette fois-ci de frustration. Je n’osais imaginer la réaction qu’auraient mes parents s’ils venaient un jour à découvrir la vérité. Ils ignoraient tout de cette histoire et c’était mieux ainsi. Je commandais un café bien corsé, je jetais un regard de l’autre côté de la baie vitrée tout en laissant mes pensées me ramener des années plutôt, lorsque mon seul souci était de faire fuir toutes les familles d’accueil qui croisaient mon chemin. Je laissais un sourire apparaitre sur mes lèvres tandis que je me remémorais la tête de certains parents lorsqu’ils me ramenaient, excédés par mon comportement, à Madame Bielinski – directrice du pensionnat -. Personne n’était au courant de mon passé à Berkeley et je ne pouvais qu’en être ravie, la Bêta que j’étais détestait qu’on se serve d’elle pour alimenter les ragots qui allaient bon train dans cette université. Ne me gênant pas pour utiliser les autres à ma guise, je m’étais un point d’honneur à ne pas me laisser prendre à mon propre jeu et mon passé devait rester là où il se trouvait ; en Russie. Faisant abstraction de mes tourments, je me retournais vers le serveur qui me rapportait ma commande et lui offrant mon plus beau sourire enjôleur, je ne remarquais même pas le brun assis de l’autre côté de la cafétéria et qui semblait m’observer. Mon téléphone se mit à sonner et tandis que je plongeais la main dans mon sac, une ombre se posta devant moi. Relevant légèrement le regard, je ne bronchais pas. Quoi que veuille cet homme, j’espérais qu’il ne me venait pas me faire perdre mon temps. « Tu as un problème ?! » Lançais-je sans grande amabilité.

Je n’avais jamais imaginé me retrouver un jour aux Etats-Unis, encore moins dans une université aussi prestigieuse qu’était Berkeley. Mon passé en Russie ne m’avait pas laissé que de bons souvenirs et de là où je venais, la seule chose à laquelle on pouvait aspirer était de rester vivant. J’avais espéré – pendant de nombreuses années – que mes rêves se réalisent et que l’espoir de vivre ne serait plus ma plus grande préoccupation. Et j’y étais arrivée, j’étais exactement là où je voulais être, là où je rêvais d’être. Venu dans le café de l’université, j’aspirais à un peu de solitude afin de me remettre les idées en place. Je subissais – dernièrement – un trop plein d’émotions et je ne pouvais guère le laisser transparaitre alors, je feignais que tout allait bien et je laissais de côté mes peurs et mes craintes quand à un avenir incertain. Malheureusement pour moi, avoir la paix semblait être trop demandé et à peine avais-je eu le droit à mon café qu’un jeune homme que je supposais être un étudiant s’avança vers moi. Seulement, c’était une mauvaise nouvelle et si en temps normal, je n’étais pas du genre à me faire des amis, en cet instant précis, j’étais loin d’être de bonne compagnie. Très loin et cela se vit dans mes mots. Je ne prenais pas de pincettes avec les gens, ça faisait partie de ma personnalité et je ne comptais pas changer de si tôt. Pauvre de lui, il ignorait à qui il avait à faire. « Comme la plupart des mecs, je suppose… » Lui répondis-je d’un ton désinvolte avant de continuer sur ma lancée. « Malheureusement, je n’ai pas de temps à perdre avec toi ! » J’étais « légèrement » brusque avec cet inconnu mais, le fait est que je n’appréciais pas d’être dérangée de la sorte. « Je décide de qui fréquenter ou pas… » Lançais-je avant de me replongeais dans mon sac à la recherche de mon téléphone, espérant que cet entrevu soit terminé. Mais, lorsque je relevais à nouveau la tête, il était toujours en face de moi, à la même place, comme les piliers du templier. Exaspérant. Il était tout simplement exaspérant et son attitude n’était pas pour me plaire. « Dis-moi, ta vie est si inexistante pour rester planter là comme un arbre ?! » Sa présence m’horripilait ou du moins me déplaisait. Dans d’autres circonstances, j’aurais surement été ravie d’être le centre d’attention, de susciter de l’envie aux hommes. Pas aujourd’hui. Devant ce silence persistant, je laissais échapper un soupir exaspéré. « Et tu as perdu l’usage de la parole, maintenant…Comme c'est charmant ! »

« Rassure-moi, tu as un minimum de dignité ? Non parce que ce n’est pas possible autrement ! » Je ne comprenais pas comment cet inconnu pouvait rester aussi imperturbable tandis que je le démontais de la sorte. A croire que cet homme n’avait aucun amour propre, que sa personne lui importait peu. Je le vis prendre place en face de moi comme si je ne venais pas de – clairement – lui faire comprendre que sa présence m’était insupportable. Bien. Il fallait que je le lui fasse comprendre. Aux grands maux, les grands moyens. Je ne comptais pas perdre encore plus de temps avec lui. « Soyons clair, je n’aime pas perdre mon temps et toi tu me le fais perdre alors, je t’explique…J’ai déjà quelqu’un dans ma vie et ça me convient parfaitement.. » Je me tus quelques secondes pour scruter son visage et y déceler la moindre expression. « Et même si ce n’était pas le cas, tu n’es pas du tout mon genre…Je te serais donc grée de débarrasser le plancher et le plus vite serait le mieux… » Désagréable jusqu’aux bouts des ongles, je ne comptais pas changer d’attitude pour ses beaux yeux et si son numéro marcher avec les autres filles, il pouvait être certain que les choses étaient différentes avec moi. « Essaye de t’intéresser à des filles de ton rang, je suis beaucoup trop bien pour toi et tu risquerais de ne pas le supporter. » Je m’avançais vers lui comme si j’étais sur le point de lui confier un lourd secret. « Et entre nous, je n’aime pas m’embarrasser de fardeaux ! » Je repris ma place, une expression suffisante sur le visage comme si rien d’autre que moi n’avait d’importance dans ce café ce qui devait surement être le cas. J’entrepris de siroter mon café, prenant mon mal en patience et priant tous les Dieux existants que la foudre puisse le frapper et me débarrasser de lui instantanément. Il n’y avait aucun mal de rêver, non ?! « En fait, tu es le genre de mec qui prend plaisir à se faire traiter comme un moins que rien… » Lançais-je me souciant peu de la réaction que mon vis-à-vis pourrait avoir. La provocation était un art dans lequel j’excellais et ça ne m’empêchait pas de dormir pour autant. « Ce n’est pas pour te juger mais, je ne pense pas que tu réussisses un jour à te caser ou à attirer l’attention de qui que ce soit comme ça… » Je m’efforçais de me retenir malgré l’envie imminente de lui enrouler mes mains autour de son cou jusqu’à ce que mort s’en suive. Du calme Tessa, du calme.

Je le regardais, sidérée par ce qu’il se permettait de faire. Je devrais surement prendre plusieurs douches pour oublier le fait que ses mains crasseuses aient pu, ne serait-ce, que m’effleurer. Ses mots défilaient dans mon esprit comme une mauvaise chanson qu’on était obligé d’écouter. Cet idiot se prenait pour le roi du monde, un homme dont toutes les femmes tomberaient littéralement amoureuse à la première vue, un homme qui se croyait plus irrésistible qu’il ne l’était réellement. Je continuais à le regarder gesticuler, prendre un bout de papier et y griffonner ce qui semblait être son numéro de téléphone. Je le vis quitter ma table avant de rejoindre une table voisine pour réitérer le même petit numéro avec une autre fille. Je n’aurais su dire lequel d’eux deux était le plus pathétique. Lui ou elle. Je retirais le bout de papier de moi poitrine, calmement pour ne pas commettre de meurtre, et prenant mon café en main, je me levais à mon tour et laissais mes pas suivre ceux de cet inconnu. Ne lui laissant pas le temps de comprendre ce qui se passait, je vidais mon café sur sa tête. « J’espère que TES idées à toi sont maintenant bien en place… » Commençais-je sans me départir de mon calme. « Et la prochaine fois que tu voudras perdre ton temps et ta salive, fais-le avec des prostituées de bas étages, tu nous rendras un service à toutes… » Mes prunelles quittèrent le visage dégoulinant de café de mon vis-à-vis pour les déposer sur le serveur qui arrivait. L’expression de mon visage devint douce avant qu’un sourire vienne orner mes lèvres. « Mettez ma commande sur son compte, il a gentiment proposé de payer ! » Je quittais le café sans lui laisser le temps de répondre mais, en atteignant la porte, je me retournais une dernière fois vers lui, le coin de mes lèvres toujours tiré vers le haut. « Je te rassure, même en étant un homme, un vrai, mes services seraient beaucoup trop chers pour toi… » Mes talons retentirent en dehors du café, laissant derrière des regards éberlués. Il voulait me traiter comme une traînée, très bien, je jouais le jeu. Mais, même en l’étant, je restais trop bien pour lui et tout le monde le savait, Tessa Sophia Yasikov-Bowman ne s’entourait pas de n’importe quelles personnes. Je choisissais qui fréquenter, c’était peut-être là l’un de mes plus gros défauts mais, c’était également l’une de mes plus grandes qualités. Mieux valait être seule que mal accompagnée et je devais avouer que cela me convenait parfaitement.