Quelques minutes avant, elle l'avait aussi fait culpabiliser. Eden avait essayé de rejeter la faute sur elle, alors qu'elle ne pouvait rien à ce qu'il leur était arrivé. Ce jour-là, elle n'aurait pas pu la trouver plus tôt. Et lorsqu'elle s'était rendue compte qu'il était grand temps de courir vers sa sœur, c'était déjà trop tard. Alors Elmas aussi avait le droit de perdre un peu de son sang-froid. Après tout, quand il est difficile d'accepter un fait, on rejette souvent la faute sur la personne à laquelle l'on tient le plus. Eden représentait bien cette personne. C'était son double, sa moitié. Depuis leur naissance, elles faisaient tout ensemble. Elles n'étaient pas censées se séparer et aurait dû rester ensemble durant le reste de leur vie. Mais on leur avait volé ces belles années, et elles devaient l'accepter. Mais même après tant d'années, la douleur était toujours aussi vive, tout comme le sentiment d'injustice qui la suivait depuis cette fameuse journée. « Très bien. » lui dit-elle tout en essayant de garder son calme. Sa voix froide lui servait principalement de défense, puisqu'elle luttait désespérément contre cette émotion, celle qui était si difficile à contrôler. Elle se sentait capable de craquer à n'importe quel moment, elle ne voulait pas de ça devant elle. Avant qu'elle puisse rajouter autre chose, Eden reprit la parole. Sa déception fut bien grande lorsqu'elle lui annonça que non, elle ne l'aurait pas reconnu. Elle était pourtant convaincue que si, Eden l'aurait reconnue sans problèmes si elle s'en était donnée la peine. « Au moins, tu as essayé. » finit-elle par ajouter. C'était plutôt rassurant, puisqu'elle avait l'impression quelques secondes plus tôt qu'elle avait baissé les bras trop vite. Elmas n'avait jamais abandonné l'idée de retrouver sa sœur, même si ces deux dernières années sans aller la voir le laissait paraître. Parfois, elle avait même l'impression que  tout était perdu, que jamais elles ne réussiraient à se retrouver et que son erreur avait été immense en choisissant d'étudier à Berkeley. La séparation aurait été bien moins douloureuse si elles ne s'étaient jamais revu. Et peut-être auraient-elles même réussi à vivre avec, même si cette proposition restait bien moins plausible. Pourtant, même dans ces moments de doute, il persistait en elle une petite lueur d'espoir, celle qui lui disait de ne pas se défiler. Alors ce devait également être le cas avec Eden, elle n'avait pas pu l'abandonner. « Et si tu m'avais reconnue, je n'aurais pas pu dire que non, tu te trompais. » Elle n'en aurait pas été capable, puisqu'elle n'attendait que ce moment. Elle espérait que la fameuse Eden ne la remarque, même si elle n'avait pas usé de tous les moyens pour que cela n'arrive. Elle se disait que si la vie voulait les réunir, cela viendrait naturellement. Et il avait fallu attendre cette journée, celle où Elmas s'apprêtait à rejoindre sa famille et celle où quelque chose l'avait attirée vers ce coin de l'université, là où Eden se tenait. « On est bien d'accord. » C'était évident, l'élite n'allait pas se mélanger à des élèves comme les lambdas, qui sont encore bien trop insignifiants pour mériter une quelconque attention de leur part. Elle commençait à s'habituer à cette facette de sa personnalité, et peut-être même à l'accepter. C'était peut-être un bon début. Elle préférait plutôt en rire que d'en pleurer, et après le rire de sa sœur, ce fut le tour d'Elmas qui était bien moins gênée. Vivre avec elle ne devait sûrement pas être ennuyant en tout cas. Elle lui répondit par un petit signe de tête lorsqu'elle lui affirma que oui, Eden savait qu'elle l'aurait prévenue si elle en avait eu l'occasion bien avant. Pas bien convaincue par cette révélation, elle passa outre les doutes qui la prirent soudainement pour continuer leur conversation. Elle avait besoin de s'assurer que tout allait bien pour elle maintenant. Cette histoire de perte de mémoire la préoccupait. Si une partie de sa vie lui avait été enlevée de cette manière, Elmas l'aurait difficilement supporté. Pour elle, chaque moment était important. Même s'il paraissait insignifiant, c'était un moyen de se créer des souvenirs, bons ou mauvais. « J'espère que ça te reviendra bientôt alors. » Elle ne manqua pas de remarquer ce petit sourire qui lui avait tant manqué. Tellement qu'elle lui sourit à son tour. Avec Eden, elle avait carrément l'impression d'être  sur des montagnes russes (et c'est le cas de le dire !). Pendant un instant, elles pouvaient retrouver leur complicité d'antan et la seconde d'après se heurter de nouveau à la Eden froide et fière.  C'était une alternance de ces différents moments, et comme une de ces personnes supportant difficilement ce genre d'attraction, elle avait hâte d'en arriver à bout. Et elle avait l'impression que c'était bientôt la fin. « Parfait dans ce cas ! Tu me préviens quand tu as un moment de libre alors ? » L'idée de passer quelques heures en sa compagnie la rendait plus joyeuse. Cette fois-ci, elles l'auraient décidé ensemble et ne se seraient pas retrouvées par hasard. Mais elles auraient encore l'occasion d'en discuter plus tard. Rome, Paris, Londres. Plutôt géniales comme vacances. Mais le sourire qui se tenait sur ses lèvres perdit en intensité lorsqu'elle évoqua la Russie. C'était le pays dans lequel elle avait grandi, connu des moments agréables avec ses parents mais aussi les pires de sa vie. A ce jour, elle ne se sentait pas capable d'y remettre un pied. Elle allait avoir besoin de temps, sans aucun doute, mais la peur que lui rappelait son passé troublant allait rendre le tout plus difficile. « Est-ce que... est-ce qu'il reste quelque chose de nous là-bas ? » demanda-t-elle hésitante. « Enfin, je suppose que tu y es retournée ? » Il ne devait plus que rester un tas de bois inutilisable. Ou alors le terrain aurait pu être nettoyé, et quelque chose de nouveau construit au-dessus. C'était sûrement la pire des solutions envisageables. Imaginer de nouvelles familles vivre là où des années plutôt d'autres s'étaient brisées et y avait vécu l'enfer. Eden ne semblait pas vouloir s'étendre sur le sujet, elle le lui fit comprendre en évoquant une certaine Lily-Rose. Elle ne connaissait pas vraiment la jeune femme et savait uniquement qu'elle était de la confrérie bêta. Mais à l'entendre, elle ne semblait pas l'apprécier. Pas du tout même. Elle se contenta de répondre par un sourire. Elle n'aimait personne, peut-être. Mais sa sœur, si. Alors c'était l'essentiel. « J'ai réussi à rejoindre un orphelinat avec l'aide d'une merveilleuse personne. Elle travaillait dans un refuge, et j'y suis allée quelques temps après le travail à Moscou. » Anja restait dans ses pensées, et jamais elle n'oublierait ce qu'elle avait fait pour elle. Elle lui envoyait régulièrement des lettres d'ailleurs, et espérait la revoir un jour. « Elle m'a aidée à aller à Saint-Pétersbourg. Et ensuite, il a juste fallu que j'attende mon tour. Arrivée aux Etats-Unis, on m'a réadaptée à une vie normale on va dire. Et maintenant, je profite au maximum ! » Elle n'avait pas réellement envie de s'attarder sur les détails. Parties comme ça, elle aurait tout le temps de lui expliquer les moindres détails. C'était juste trop pour le moment. Elle en avait dit beaucoup, et elle n'était pas habituée à ce genre de confession. Sa vie n'avait plus rien à voir avec ce qu'elle était avant et presque plus rien ne la rattachait à la Russie. Il restait pourtant ce rein, qui était pourtant décidé à ne pas laisser tranquille. Mais elle faisait de son mieux pour profiter, et c'était ce qu'elle faisait avec ce moment dans l'ascenseur. Nul besoin de rajouter une touche dramatique avec ses soucis du moment. Alors qu'un petit silence vint s'installer dans la cage métallique, Eden devint étrangement plus agitée, comme si quelque chose n'allait pas. D'après elle, il faisait très chaud, alors que la température était plutôt agréable. « Non du tout. » Les sourcils froncés, elle s'approcha de sa sœur, dont l'état l'inquiétait de plus en plus. Elle ne savait pas vraiment ce qu'il se passait, et si la situation ne venait pas à s'éclaircir dans les plus brefs instants, la peur deviendrait plus insoutenable. « Eden, est-ce que tu es malade ? Quelque chose s'est passé ces derniers jours ? » Elle posa une main sur son front plutôt chaud. Température élevée, sueurs, et tout ceci en l'espace de quelques secondes seulement. Elle prit à son tour la décision de s'adresser à cet homme qui ne bougeait pas d'un pouce. « On a vraiment besoin d'aide. Eden ne se sent pas bien du tout. » insista-t-elle. « S'il-vous-plaît, faites au plus vite ! » Il semblerait que sa jumelle avait à son tour omis quelques détails. Elle espérait simplement que ce ne soit pas si grave qu'elle en avait l'impression. Son sac dans un coin de l'ascenseur, elle en sortit un bouquin pour faire de l'air. Elle ne savait pas vraiment comment réagir dans ce genre de situation, alors elle faisait de son mieux.