Son regard semblait contempler les lignes noirs couchées sur les pages ternis par le temps et pourtant son esprit était incapable de se concentrer sur ce sur quoi elle était supposée travailler. Assise en tailleur sur le lit parfaitement fait de sa chambre universitaire au sein de la maison des Alphas, elle fixait l’un des livres ouverts devant elle sans parvenir à se concentrer. Elle était ainsi depuis deux bonnes heures, l’esprit parti ailleurs à tel point qu’elle n’avait pas même remarquer le fait que le jour avait décliné et que l’obscurité gagnait la ville et sa chambre. Elle s’était assise là quelques heures plus tôt en essayant de se persuader que c’était là la meilleure chose à faire pour se changer les idées, pour se vider la tête et se focaliser sur autre chose que la seule et même personne qui la hantait depuis des mois. Elle était parvenue à rester concentrée durant les premières minutes de sa détermination, bloc-notes sur les jambes, crayon à papier dans la main tandis qu’un autre retenait ses cheveux en arrière pour les empêcher de lui tomber dans les yeux à chaque fois qu’elle baisserait la tête pour regarder de plus près une information qu’elle pourrait considérer comme intéressante pour son commentaire. Oui, elle était parvenue à rester assez concentrée pour écrire une phrase, mais ce fut bien tout. Il avait suffi d’un petit mot dans une phrase de l’un des livres d’Histoire devant elle pour que sa détermination vole en éclats et que ses pensées l’assaillent. Elle n’arrivait pas à le chasser de sa tête. Elle avait beau savoir qu’il lui en voulait – pour de bonnes raisons – elle pensait sans cesse à lui, il la hantait véritablement à tel point que ça en devenait douloureux.

Avoir été loin de lui et avoir pensé à lui en même temps était une chose, penser à lui en étant si près désormais était encore pire. Elle désirait tant quitter cette chambre et se rendre chez lui pour aller se loger dans ses bras, pleurer à chaudes larmes et avoir l’impression que le reste du monde pourrait cesser de tourner sans que ça ait la moindre importance pour eux. Mais elle ne pouvait pas, elle ne pouvait plus et elle se haïssait tant pour avoir été celle qui avait tout brisé entre eux, pour être celle qui l’avait fait souffrir durant son absence, à cause des choix qu’elle avait maladroitement fait. Voilà pourquoi, bien rapidement, elle cessa de se concentrer sur son commentaire et se laissa aller à penser à lui aussi insupportable que ça puisse être. Elle sentait son cœur battre un peu plus vite à chaque minute qui s’écoulait et ce à tel point que, par moment, l’air commençait à lui manquer, ses poumons devenant douloureux bien qu’elle soit incapable d’arrêter de se torturer pour autant. Son menton s’était mis à trembler tandis qu’elle essayait de contenir les larmes qui menaçaient de dévaler ses joues mais qui restaient pour le moment coincées au coin de ses yeux. Son regard perdu continuait de fixer les pages devant elle alors qu’elles n’avaient plus le moindre intérêt pour elle qui pourtant trouvait toujours une échappatoire au monde réel lorsqu’elle se trouvait près d’un livre. Cependant, lorsqu’il était question d’Aidan rien n’y personne n’était capable de l’aider à s’évader, les pensées qui tournaient autour de l’Irlandais étaient bien trop puissantes pour qu’elle soit capable de les chasser.

Le bout de sa langue passa sur ses lèvres afin d’humidifier ces dernières et, lentement, ses yeux s’acclimatèrent à la quasi-obscurité qui avait pris place dans la pièce où elle se trouvait, le regard toujours posé au même endroit quand bien même les mots écrits étaient désormais illisibles. Logan perdit la notion du temps ainsi perdue dans ses pensées et la seule chose qui parvint à l’empêcher de se faire plus longtemps du mal fut les vibrations émises par son portable qui se trouvait sur sa table de chevet. Revenant enfin à elle, l’Américaine passa son index sous ses yeux pour chasser ses larmes et attrapa son téléphone pour y lire rapidement le message qu’elle venait de recevoir. Sortir. Elle ignorait si c’était réellement le bon moment et pourtant elle savait que c’était ce qu’il y avait de mieux pour s’occuper l’esprit plutôt que tenter vainement de se plonger dans un livre. Ainsi, tandis qu’elle reniflait à cause des larmes qui l’avaient gagné, elle répondu par la positive et quitta ensuite son lit pour éclairer sa chambre et tâcher de trouver une tenue plus adéquat que le débardeur et le jogging qu’elle portait actuellement. Une petite robe blanche en crochet sortie de l’armoire, une paire de collant couleur chair jetée sur le lit et Logan fut prête pour prendre une douche rapide et s’habiller en ajoutant à sa tenue une paire de baskets blanches à talons compensés qui lui permettraient de se sentir stables toute la soirée. Une fois certaine d’être prête – bien que mentalement ce n’était pas gagné – l’étudiante quitta la résidence puis le campus de Berkeley pour se rendre dans le centre-ville de San Francisco connaissait le chemin menant au bar où elle avait rendez-vous par cœur pour s’y être rendue par le passé. Une fois sur place, elle se força à étirer ses lèvres dans un sourire mais à peine eut-elle franchi la porte que son cœur s’était serré dans sa poitrine.

C’était bien la première fois qu’elle sortait en compagnie d’amis à San Francisco sans la présence d’Aidan et à cette pensée elle eut la sensation qu’un grand vide venait de se former en elle. Elle se força alors à ravaler ses larmes comme elle le put en rejoignant le groupe d’étudiants dans un coin du bar, groupe déjà au complet et qui n’attendait qu’elle. Assise entre deux étudiants, Logan tenta au mieux de suivre les conversations qui fusaient de toute part, forçant un nouveau sourire lorsque visiblement quelque chose de drôle venait d’être dit, mais elle sentait que sa comédie se sentait bien trop. Elle n’allait pas tenir. Elle allait mourir à petit feu si ce n’était pas déjà le cas et l’Américaine se doutait que si jamais elle s’éclipsait personne le verrait ce qui devint de plus en plus tentant au fur et à mesure que les heures défilaient. Mais Logan restait assise, bras croisés contre sa poitrine, adossée à la banquette sur laquelle elle était assise et tentait de se concentrer sur les conversations alors qu’à chaque fois que la clochette du bar retentissait elle tournait la tête vers l’entrée dans l’espoir de le voir lui, mais sans succès. Puis, au bout d’heures interminables, la jeune femme sentit qu’elle était arrivée à bout et comme elle y avait pensé à un peu plus tôt, elle s’éclipsa doucement pour rejoindre le bar où elle commanda un Long Island, ce qu’elle pouvait largement se permettre pour ne pas avoir bu de la soirée. Son cocktail servit, Logan ne trouva même pas le courage de le boire, elle se contenta de jouer distraitement avec la paille, bougeant les glaçons sans leur porter le moindre intérêt.

Ce ne fut qu’en sentant un regard posé sur elle que l’Américaine sortit de ses pensées et tourna la tête sur sa droite à l’endroit même où un étudiant avait pris place à ses côtés et la regardait avec un sourire – presque carnassier – aux lèvres. « Tu te sens seule ? Je peux arranger ça si tu veux … » Logan cessa brusquement de jouer avec sa paille et regarda l’étudiant qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam de la tête aux pieds en poussant un soupire d’agacement. « Et moi je peux t’arranger le portrait si tu veux … » Déclara-t-elle d’un ton las en quittant le tabouret sur lequel elle était assise avant de prendre son verre dans l’espoir de s’éloigner et de rejoindre ses amis, mais l’étudiant lui barra le chemin, la forçant à s’arrêter si brusquement qu’elle manqua de renverser son verre elle. « Allez, sois pas timide. » L’étudiante le fusilla du regard. Il n’y avait rien de timide en elle, simplement le fait qu’elle n’avait pas la moindre envie d’être le coup d’un soir de qui que ce soit et encore moins d’un étudiant totalement ivre comme son haleine le supposait. Logan resta silencieuse et fit un pas sur le côté pour tenter une nouvelle fois de le dépasser et alors qu’elle pensait avoir réussi à lui faire comprendre qu’elle n’était pas intéressée, il lui empoigna le bras et le serra si fort qu’une plainte s’échappa d’entre ses lèvres. « Lâche-moi ! » Ordonna-t-elle en tentant de libérer son bras mais sans succès au point qu’elle lui balança son verre au visage, mais il ne la lâcha pas pour autant mais s’énerva plus qu’autre chose. « Espèce de … » Logan ne parvint pas à entendre le reste de la phrase. Ces mots, ce visage colérique, cette main qui serrait son bras si fort et cette autre main menaçant son visage, tout cela lui avait suffi à avoir l’impression d’avoir fait un bond dans le temps, à cette période où elle subissait les coups de son père. L’Américaine se recroquevilla pour parer le coup qu’elle s’attendait à recevoir à tout moment, les secondes se transformant en minutes interminables alors qu’elle attendait ce coup qui, sans qu’elle le sache, n’allait plus lui être destiné sous peu.

« Aidan… qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ? » soupira Leeloo d’une voix désolée à l’autre bout du fil. Épaule appuyée contre l’encadrement de la porte séparant le salon de la cuisine, l’irlandais gardait un regard attentif sur sa plus jeune sœur qui, agenouillée face à la table basse du salon, remplissait ses fiches de devoirs bien sagement. Expirant avec difficulté, le jeune homme resta un instant silencieux suite à la question de sa cadette. Personne ne pouvait rien faire pour l’aider à aller mieux, à moins que quelqu’un sur cette terre soit capable de remonter le temps afin de permettre à Logan de ne pas commettre les erreurs qu’elle avait enchaînées par le passé, à savoir le secret quant à sa grossesse et son départ pour New York. Il était évident que, depuis que sa petite amie avait déserté San Francisco, Aidan s’était plongé dans un état qui ne l’avait pas catégorisé depuis la mort de ses parents dix ans plus tôt. Si les cachotteries de l’américaine l’avaient blessé, son soudain départ inattendu l’avait d’autant plus blessé. Cela faisait des années qu’il vivait à ses côtés, s’abreuvant de son amour quotidiennement et voilà que, sans avoir pu s’y préparer, il s’était vu confronté à une solitude qui lui avait littéralement déchiqueté le cœur en mille morceaux. Mais encore, l’absence de Logan n’avait été qu’un préambule. Depuis qu’elle était de retour à Berkeley, chaque jour s’écoulant se montrait de plus en plus difficile. Quand elle s’était trouvée éloignée de lui, à l’autre bout du continent, la distance avait en quelque sorte aidé l’étudiant. Car, maintenant qu’elle était à nouveau dans la même ville, empruntant les mêmes couloirs universitaires que lui, leur séparation était beaucoup trop dure à supporter. Comment résister au besoin d’aller la trouver, de la prendre dans ses bras ? La lutte était réellement douloureuse et chaque jour passé sans la voir était une véritable torture. « Y a rien à faire, tu le sais bien. » répondit-il finalement à sa sœur en soupirant, décollant son épaule de la porte de sorte à pouvoir marcher nonchalamment en direction du canapé trônant dans le salon. « Tu ne peux pas rester comme ça, il faut que tu… » commença Leeloo avant d’être interrompue par la voix d’une de ses amies. Aidan ne put discerner ce que celle-ci lui dit, mais sa sœur dut mettre un terme à leur conversation téléphonique. « Excuse-moi, il faut que je raccroche. Mais n’hésite pas à me rappeler si tu veux parler d’accord ? » Se retenant de soupirer encore une fois, l’irlandais lui répondit par l’affirmative avant de lui dire au revoir et de raccrocher.

Jetant doucement son téléphone portable en direction de la table basse, il se laissa alors retomber au fond du canapé avec mollesse, passant sa main dans ses cheveux en soufflant, les joues gonflées. Cette série d’actions eut le don de sortir sa petite sœur de sa concentration, la faisant alors relever les yeux de ses devoirs pour les poser sur lui. Le regard perdu dans le vide, Aidan ne remarqua d’abord pas qu’elle l’observait. Ce ne fut que lorsque Eileen se leva pour venir se blottir contre lui qu’il refit réellement surface. « J’aime pas quand tu vas mal. » déclara-t-elle doucement. Sans réellement savoir ce qu’il devait répondre, le jeune homme se contenta premièrement d’enlacer sa cadette contre lui. Il savait qu’elle était elle aussi touchée par ce qu’il se passait : premièrement parce qu’elle ressentait l’absence de Logan qui avait longtemps habité avec eux et qu’elle la considérait comme sa seconde grande sœur, mais surtout parce qu’elle était suffisamment grande pour voir que son frère était réellement blessé par cette histoire. Mais comment réussir à aider son aîné lorsque l’on a que onze ans et que le sentiment amoureux nous est encore totalement inconnu ? « Ça passera ma puce, t’en fais pas. » tenta-t-il alors de la rassurer en caressant son épaule avec délicatesse. Ces paroles eurent étonnamment le don de faire réagir positivement la gamine, quand bien même elles s’étaient vues teintées de désespoir. Relevant alors la tête pour fixer son frère, Eileen hocha positivement la tête et s’empressa de partager ses pensées en souriant. « Oui, quand Logan reviendra à la maison. » Sa réponse fit bondir le cœur de l’étudiant qui, touché, ne put s’empêcher de sourire très légèrement à sa cadette. Il savait qu’elle mourrait d’envie de voir Logan revenir habiter avec eux, elle lui avait déjà fait part de ce désir qui l’animait. Et qu’elle croit naïvement qu’il ne suffisait que de ça pour tout arranger, qu’elle se montre aussi innocente rassura légèrement Aidan. Au moins, la plus petite de ses sœurs ne ressentait que l’absence de l’américaine, alors que Leeloo, pour sa part, éprouvait une réelle rancune à l’égard de celle qu’elle avait longtemps considérée comme une de ses meilleures amies, avant qu’elle ne brise le cœur de son frère.

Le jeune homme n’eut cependant pas le temps de répondre, car la sonnerie de son téléphone se mit à résonner dans la pièce. Se détachant alors d’Eileen, il lui demanda gentiment de terminer ses devoirs, la faisant alors reprendre place face à ses feuilles, puis il attrapa son téléphone en se levant pour s’éloigner. L’appel fut bref : un de ses amis lui proposait d’aller se changer les idées dans un bar où eux et le reste de leur troupe avaient l’habitude de se rendre. Après une rapide réflexion, l’irlandais accepta. Il avait besoin de se changer les idées ; penser sans arrêt à la femme qu’il aimait ne faisait qu’empirer la douleur qui le hantait depuis trop longtemps, alors autant qu’il profite de l’opportunité qu’on lui offrait de se vider l’esprit pour un court instant. Ni une ni moins, Aidan appela alors la mère d’une des camarades de classe de sa petite sœur de sorte à demander s’il était possible de la déposer chez eux et de l’y laisser pour la nuit. Suite à la réponse affirmative, il alla alors prendre une douche rapide, se coiffa et se vêtit d’un tee-shirt blanc et d’un pantalon noir auquel il accrocha une paire de bretelles qu’il laissa pendre dans le vide avant d’enfiler son blouson en jean, puis il emmena Eileen chez son amie avant de rejoindre ses amis au lieu de rendez-vous. Sortir ne pouvait lui faire que du bien ; peut-être cessera-t-il de penser à Logan le temps de quelques verres. Qui sait, les miracles pouvaient se produire.

Arrivé dans le bar, Aidan ressentit malheureusement un certain pincement au cœur. Cet endroit, il s’y était rendu plus d’une fois avec ses amis et Logan, avant que celle-ci ne décide de quitter San Francisco. Il avait passé cinq mois à éviter la majorité des lieux qui pouvaient lui faire penser à elle, et cet endroit en faisait partie. C’était donc la première fois depuis des semaines qu’il y remettait les pieds, alors évidemment, la première sensation ressentie n’était pas des plus agréables. Il tenta pourtant de passer outre son ressenti et alla retrouver ses amis qui étaient déjà attablé dans un des coins du bar. Se débarrassant de sa veste, il fut interrogé par un des jeunes hommes quant à ce qu’il désirait boire. Lui demandant alors une bière, il se força à lui sourire et prit place à la table, suivant l’étudiant du regard alors qu’il se dirigeait vers le comptoir pour commander les boissons. C’est là que le regard de l’irlandais s’attarda sur une jeune femme qu’il reconnut en un quart de seconde, malgré le fait qu’elle lui tourne le dos. Ses cheveux blonds ondulés tombant en cascades sur ses épaules dénudées, sa robe blanche épousant parfaitement ses formes, cette position qu’elle adoptait, tout ce qui caractérisait Logan et qui lui permit de la reconnaître sans mal. Son cœur se tordit alors, mais il fut incapable de détourner son regard. Elle semblait seule, assise au bar, et l’envie d’aller la voir l’envahit sans attendre. Mais ce n’était pas l’endroit idéal, une fois de plus, comme lorsqu’elle était venue le trouver au magasin –sauf que ce soir là, c’était le hasard qui les réunissait. Accaparé par la jeune femme, il fut alors quelque peu absent tout en restant auprès de ses amis. Même lorsqu’on lui tendit sa bière, il ne détourna son regard de Logan que quelques secondes, le temps de remercier l’étudiant, avant de la fixer à nouveau. Le cœur battant la chamade, il restait dans le doute : devait-il aller la trouver ou bien rester assis ici à la contempler, le cœur lourd ? Sans réellement savoir s’il prenait la bonne décision, l’irlandais finit par s’excuser auprès de ses amis et, délaissant sa boisson, il se leva pour traverser la foule présente dans le bar afin de se rapprocher de Logan.

Au fur-et-à-mesure qu’il se rapprochait d’elle, il put constater qu’elle discutait avec un autre étudiant, assis à ses côtés. Il ne pouvait pas voir le visage de l’américaine, mais il distinguait facilement la tension qui l’animait de par la tension qui tirait ses épaules. Fronçant alors les sourcils, Aidan continua de s’avancer, ralentissant le pas en portant son attention sur le jeune homme présent aux côtés de Logan et n’eut aucun mal à comprendre ses intentions à la lueur qui brillait dans son regard. Il avait bu et il comptait bien attirer la blondinette dans son lit, c’était inscrit sur tous les traits de son visage. S’étant presque arrêté, l’irlandais parvint à entendre les paroles de l’inconnu alors que l’étudiante tentait de le contourner. « Allez, sois pas timide. » Une nouvelle tentative d’évitement de la part de Logan et le jeune homme lui saisit le bras pour l’empêcher de partir. Cette vision eut le don d’inquiéter Aidan qui, s’étant arrêté pour observer la scène, remit un pied devant l’autre, prêt à intervenir si les choses tournaient mal. « Lâche-moi ! » s’écriait alors la blondinette. La suite se passa en accéléré : avant même qu’il ne puisse réellement se rendre compte que sa petite amie venait de lui demander de la lâcher –difficile de discerner ses paroles parmi le brouhaha ambiant-, elle lui avait déjà jeté le contenu de son verre à la figure. L’irlandais n’eut pas besoin d’entendre les mots de l’inconnu, il comprit par son changement de regard qu’il n’allait pas se montrer tendre à l’égard de la demoiselle. Alors sans attendre, Aidan fendit le reste de la foule et se glissa vers Logan en poussant l’étudiant avec force, le faisant alors lâcher prise. « Elle t’a dit de la lâcher. » Sourcils froncés, il s’interposa face au jeune homme, faisant barrage avec son corps entre lui et Logan. S’il voulait à nouveau la toucher, il allait devoir lui passer sur le corps. « T’es qui toi pour me donner des ordres ? » railla son adversaire, la mine crispée laissant traduire un grand agacement. Aidan répondit alors du tac au tac : « Son petit ami. » Depuis le retour de l’irlando-américaine, il s’était longtemps questionner à ce sujet : pouvait-il encore se considérer comme étant le petit ami de Logan Wyatt ou bien devait-il se dire célibataire, bien qu’amoureux ? Il n’y avait jamais trouvé de réelle réponse et pourtant, à cet instant précis, les mots étaient sortis naturellement de sa bouche. Il se retrouvait dans l’exacte position qu’il avait occupée des années durant, à savoir le petit ami de la jolie blonde qui était prêt à tout pour la protéger du danger, quel qu’il soit. « Donc t’as intérêt à la laisser tranquille sinon je te jure que tu vas le regretter. » termina-t-il d’un ton menaçant, serrant les poings pour être prêt à riposter, sentant la crispation de l’étudiant qui n’appréciait guère qu’on lui barre la route ainsi. Ce dernier laissa alors son regard vaciller entre Aidan qui s’interposait, déterminé, et Logan qui se cachait derrière lui, visiblement terrorisée par ce qui était en train de se passer mais rassurée de voir que le brun venait lui porter secours. Et tout à coup, une lueur traversa le regard assombri par l’alcool et un sourire ironique prit possession des lèvres de l’inconnu, crispant un peu plus l’irlandais. « Ah mais c’est toi la fille qui s’est barrée après avoir perdu son gosse ?! » Il n’en fallut pas plus pour irriter Aidan. Il avait beau en vouloir amèrement à sa petite amie, il ne pouvait pas supporter que les étudiants de Berkeley se permettent de parler sur son dos par rapport à ses erreurs. Personne n’était en droit de la juger, pas tant qu’il serait là pour la défendre. Se sentant alors provoqué par le jeune homme, l’étudiant en arts fit un pas dans sa direction et porta ses mains vers ses épaules pour le pousser avec violence, lui faisant perdre l’équilibre qu’il n’avait déjà presque pas à cause de l’alcool. « Dégage ! » Il n’était pas du genre à chercher la bagarre, mais quand on s’en prenait aux personnes qui comptaient pour lui, il pouvait devenir véritablement violent et incontrôlable. D’ailleurs, le fait qu’il pousse l’étudiant ne fit qu’attiser un peu plus la rage de celui-ci et il ne fallut que quelques secondes pour qu’il ne reprenne stabilité sur ses pieds et qu’il vienne empoigner le tee-shirt de l’irlandais pour le tirer et le coller violemment dos au bar.

Sentant une douleur lui secouer les vertèbres, Aidan grimaça et n’eut malheureusement pas le temps de contrer ni même d’éviter le coup de poing que lui assena son adversaire. Légèrement sonné, il eut pourtant le reflexe de relever son genou avec force, le touchant dans les parties intimes, ce qui eut éminemment le don de le faire lâcher prise. Bien que déstabilisé, le brun se redressa alors et se jeta à son tour sur l’étudiant, lui adressant un coup dans les côtes, puis dans la mâchoire. La foule autour d’eux se dissipa rapidement, leurs laissant alors la place de se battre. La plupart des étudiants masculins présents les encourageaient dans leur combat, amusés par la situation en bêtes adolescents retardés qu’ils étaient. Heureusement, certains d’entre eux eurent l’intelligence d’aller trouver les personnes travaillant dans le bar de sorte à pouvoir intervenir. Rapidement, les deux étudiants furent donc séparés, mais les coups avaient eu le temps d’être donnés. Au moment où on les dispersa, ils étaient l’un sur l’autre au sol, Aidan s’étant retrouvé presque à la merci de son adversaire. On l’aida alors à se relever après avoir forcé l’étudiant à reculer et l’irlandais ne sentit pas tout de suite la douleur, encore secoué par l’adrénaline et la rage qu’il avait pu ressentir suite aux provocations de l’inconnu. Mais bien rapidement, il sentit ses côtes le tirer, tout comme son visage et ses mains. N’y prêtant pas encore attention, il lança un regard haineux à son rival alors que ce dernier se débattait pour tenter de revenir à l’assaut. Mais bien vite, on entraîna l’irlandais vers la sortie, lui demandant de quitter les lieux. Crachant au sol pour tenter d’atténuer le goût de rouille que le sang venait disperser dans sa bouche, il tenta alors de se calmer alors que la douleur commençait à le tirailler. Il constata alors que sa main droite saignait suite aux coups qu’il avait donnés et que du sang perlait également du coin de sa lèvre et de son arcade. Alors qu’il prenait progressivement conscience des conséquences physiques de sa bagarre, un de ses amis vint le retrouver pour lui rendre sa veste, lui demandant alors s’il avait besoin d’aide. Mais Aidan était encore beaucoup trop énervé pour accepter qu’on lui porte secours. « C’est bon laisse-moi ! » s’énerva-t-il alors. Son ami comprit qu’il valait mieux le laisser seul et lui fit promettre d’appeler s’il avait besoin de quelque chose avant de retourner à l’intérieur. L’irlandais attendit qu’il ait disparu de son champs de vision avant de souffler bruyamment en portant son regard sur sa main ensanglantée. Il la secoua alors, son visage se crispant sous l’effet de la douleur. Il ne s’était pas raté. Il n’était pourtant pas un bagarreur, loin de là. Mais qu’on s’en prenne de la sorte à Logan lui était simplement insupportable et avait le don de le mettre dans une colère noire, quand bien même il avait pour habitude d’être un jeune homme souriant, sociable et gentil.

Il existait parfois des moments où l’on se réveille avec la sensation que rester au lit est la meilleure solution à envisager sans pour autant parvenir à le faire à cause de ces obligations qui réagissent la vie de toute personne un tant soit peu sérieuse. Le plus souvent ce sentiment au réveil avertissait le fait que le reste de la journée allait être quasi apocalyptique pour la personne qui se réveillait en étant persuadée que la journée n’allait pas être terrible. C’était ce sentiment qui l’avait envahi dès qu’elle avait ouvert les yeux le matin même, c’était la sensation qu’elle avait quasiment tous les matins depuis son retour. Bien que fière, elle n’était pas invincible pour autant. Elle encaissait les critiques et les messes basses sans ouvrir la bouche tout en faisant de son mieux pour ne pas montrer à quel point les mots qu’elle pouvait saisir étaient douloureux pour elle. Elle souffrait en silence, ce qu’elle avait appris à faire bien trop tôt, alors qu’elle n’était qu’une enfant et qu’elle n’était pas supposée apprendre à vivre en s’efforçant d’encaisser les difficultés de la vie. Elle avait su qu’en revenant rien ne serait simple, elle avait fait des choix qu’elle-même était incapable de se pardonner et puisque les gens n’étaient pas très intelligents une fois en communauté, elle avait deviné avant même son retour de New York que les étudiants de Berkeley parleraient dans son dos, c’était d’une telle évidence. Elle était la petite étudiante des Alphas qui avait caché sa grossesse à son petit ami, qui avait fait une fausse couche et qui était partie du jour au lendemain pour la côte Est sans mot dire, évidemment qu’elle allait faire parler d’elle, si ce n’était pas déjà le cas lorsqu’elle n’était plus présente sur le campus. Néanmoins, chaque jour elle faisait de son mieux pour encaisser, pour se plonger dans ses cours dans l’espoir de s’en sortir et de ne pas avoir à supporter la douleur due aux paroles que certains étudiants pouvaient avoir à son encontre.

Quelques-uns de ses amis faisaient de leur mieux pour lui changer les idées voire même pour la défendre, mais pour la jeune femme ça ne changeait strictement rien, ce n’était pas ce qui arrêtait les autres de parler, bien au contraire. L’Américaine savait que l’ignorance était la meilleure option, il n’y avait qu’en étant totalement détachée qu’ils finiraient par se lasser puisqu’elle refusait de rentrer dans leur jeu et devenait donc d’un ennui total, malheureusement cette technique prenait du temps et plus ce dernier s’écoulait et moins la jeune femme ressentait assez de force pour tenir le coup. Elle rentrait chaque soir dans sa chambre étudiante pour pleurer jusqu’à ce que son corps soit vidé de larmes – ce qui pouvait prendre des heures – et elle était tellement épuisée qu’elle finissait par sombrer et se réveiller le lendemain avec la même sensation que les jours précédents. Le fait d’être de retour sur le campus, d’être aussi près d’Aidan sans pour autant pouvoir être avec lui était probablement ce qui était le plus difficile pour Logan. Elle avait toujours peur de le croiser ici ou là sur le campus et elle s’efforçait d’éviter au maximum les endroits où elle savait que l’Irlandais se trouverait. Pourtant, il arrivait quelques fois qu’elle parvienne à l’apercevoir au loin et dès lors son cœur manquait plusieurs battements et l’affolement la gagnait sans qu’elle soit capable de se contrôler. Elle était devenue faible ou tout du moins elle l’avait toujours été lorsqu’il s’agissait d’Aidan. C’était comme être séparée d’une partie de soi-même sans pouvoir retrouver cette dernière et ce peu importe ce qui pouvait être mis en œuvre pour y parvenir. Pourtant, elle tenait le coup ou il s’agissait de l’impression qu’elle avait quand bien même passait-elle son temps à pleurer ou à penser à l’homme qu’elle aimait.

Ses livres ne réussissaient plus à lui permettre de s’évader comme ils avaient pu le faire lorsqu’elle avait perdu sa mère où lorsque son père avait commencé à devenir violent avec elle et c’était lorsqu’elle se rendait compte de ce fait qu’elle prenait conscience qu’elle dérivait doucement mais sûrement vers une dépression plus difficile à surmonter que celles qu’elle avait pu affronter par le passé. A cause de cette dernière elle avait presque refusé le fait de quitter sa chambre pour prendre l’air et passer du temps avec ses amis, décision qu’elle regretta aussitôt qu’elle eut passé la porte du bar où elle était supposée retrouver sa bande d’amis. L’adresse ne lui avait pas sauté aux yeux, c’était uniquement la devanture des lieux qui lui avait fait comprendre qu’elle connaissait que trop cet endroit et durant les heures qui s’écoulèrent Logan fut incapable de penser à autre chose qu’à Aidan, aux moments qu’ils avaient passé ensemble. Elle se souvenait si bien des jours où ils s’étaient mutuellement soutenus et de ceux où la jeune femme avait joué avec Eileen ou encore ceux où Leeloo s’était confiée à elle à défaut de pouvoir le faire avec son frère aîné. Elle se souvenait des heures qu’elle avait pu passer dans les bras d’Aidan, se sentant plus heureuse que jamais uniquement grâce à cette proximité. L’étudiante désirait si ardemment retrouver tout ça et fréquenter des lieux dans lesquels ils s’étaient rendus ensemble ne faisait qu’accroître son malaise, ce qui fut néanmoins bien moins pire que de supporter l’étudiante qui, clairement, ne comptait pas la laisser filer. Aussi mal soit-elle, Logan ne faisait pas partie du genre de jeune femme à prendre peur lorsqu’on devenait un peu trop collant ou menaçant avec elle. Elle avait toujours eu un bon répondant qu’elle avait appris à développer afin de se protéger lorsqu’elle vivait encore à Springfield et elle avait été persuadée de pouvoir s’en sortir toute seule, de pouvoir rejoindre ses amis sans connaitre trop de difficultés. Malheureusement, sa réaction avait été un peu trop vive.

Frustrée depuis des jours, elle n’était pas parvenue à s’empêcher de jeter son verre au visage du jeune homme, une réaction qu’elle aurait évité si elle n’avait pas été au plus bas ces derniers jours, une réaction qui aurait dû lui faire comprendre qu’elle s’engageait sur une pente glissante. Seulement, Logan ne put s’en rendre compte que lorsque le regard de l’étudiant changea radicalement. Au cours d’une fraction elle crut revoir le visage de son père après toutes ces années et cela avait suffi pour que son corps tout entier se fige et que ses muscles se crispent. La peur qu’elle avait autrefois connu l’avait assailli si brusquement qu’elle était devenue incapable de réfléchir correctement ou même de voir ce qui se passait autour d’elle. L’Américaine avait conscience que se recroqueviller comme elle venait de le faire la rendait plus faible et lui donnait l’air d’être désormais plus qu’une enfant, mais elle ne put faire autrement, pas alors qu’elle ressentait la crainte de recevoir un coup, l’une de ses plus grandes frayeurs. Toutefois, le coup n’arriva jamais et la main de l’étudiant lâcha son bras au point que Logan en perdit quelque peu l’équilibre avant de se redresser, cherchant du regard la raison pour laquelle il avait changé d’avis, mais ce fut une personne qu’elle remarqua, une personne dont la présence fit accélérer son rythme cardiaque. « Elle t’a dit de la lâcher. » Aidan. Dans sa panique et étant donné la position qu’elle avait eu quelques instants plus tôt elle ne l’avait pas vu venir lui porter secours et elle resta comme pétrifiée en regardant l’Irlandais et l’étudiant même si au plus profond d’elle-même elle pouvait prédire ce qui allait se passer. « T’es qui toi pour me donner des ordres ? » Logan resta en retrait. Son regard voyageait entre l’étudiant et Aidan.

Elle désirait soudainement l’envie de s’interposer, d’éloigner l’Irlandais de ce type pour empêcher tout accident, cependant son corps refusait de lui répondre, elle était véritablement pétrifiée de peur. « Son petit ami. Donc t’as intérêt à la laisser tranquille sinon je te jure que tu vas le regretter. » Cette fois ses yeux restèrent posés sur Aidan même si ce dernier lui tournait le dos et servait de rempart entre elle qui était toujours terrorisée et l’étudiant qui, visiblement, se sentait de plus en plus agacé. Son cerveau était resté concentrer sur les trois premiers mots que l’Irlandais avait prononcés. Son petit ami. Jamais elle n’aurait imaginé réentendre le jeune homme se qualifier comme tel avant un long moment et même si elle eut la sensation que les morceaux brisés en elle s’étaient légèrement réparés elle resta tout même aussi paniquée qu’auparavant. Son regard dévia vers l’étudiant dans l’attente de la réaction de ce dernier. Elle espérait sincèrement qu’il allait finir par renoncer à aller plus loin mais lorsqu’elle put voir comme une illumination dans son regard, son cœur se serra dans sa poitrine et l’air lui manqua pendant quelques secondes. « Ah mais c’est toi la fille qui s’est barrée après avoir perdu son gosse ?! » Les problèmes elle les sentaient arriver rien qu’à l’entente de cette phrase qui lui était destinée. Si elle aurait dû réagir comme à son habitude et sentir une douleur lancinante s’éveiller en elle ce ne fut pas le cas pour la simple raison qu’elle remarqua les muscles d’Aidan se contracter. Elle le connaissait par cœur et elle savait que malgré la rancœur qu’il pouvait éprouver pour une personne dont il était proche lorsque cette dernière était agressée il pouvait devenir mauvais et le geste qu’il eut envers l’étudiant ne fit que confirmer ses craintes. « Dégage ! » Et voilà. Cette simple parole venait de déclencher ce que Logan avait craint. Impuissante, elle assista à toute la scène, au fait que cet étudiant qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam était en train d’échanger de violents coups avec l’homme qu’elle aimait tandis qu’autour d’eux les autres semblaient s’amuser de la situation.

Quelques-uns de ses amis s’étaient rapprochés pour tenter de savoir ce qui se passait et lorsque l’un d’eux eut reconnu Aidan et vit que Logan s’apprêtait à tenter de séparer les deux étudiants, il l’attrapa par la taille pour l’éloigner bien qu’elle fit de son mieux pour se débattre. Alors, l’Américaine due regarder la scène, totalement impuissante. Elle pouvait presque ressentir la douleur de chaque coup que l’Irlandais recevait et rapidement sa vision fut brouillée par les larmes qui ne tardèrent pas à rouler le long de ses joues et ce même lorsque les deux garçons furent séparés et Aidan emmené dehors. De nouveau, Logan se débattit pour échapper à l’étreinte de son ami qui finit par baisser les bras en comprenant qu’elle pouvait aller jusqu’à le frapper si jamais il ne la laissait pas rejoindre Aidan. Elle se faufila donc parmi la foule qui s’était éloignée du lieu de la bagarre et croisa l’un des amis d’Aidan qui rentrait sans lui prêter la moindre attention, continuant de gagner la sortie jusqu’à ce que l’air frais de la nuit vienne l’envelopper. Une fois à l’extérieur, son regard chercha la silhouette de l’Irlandais qu’elle trouva un peu plus loin et elle courut le rejoindre quand bien même son cœur ne s’était toujours pas calmé. « Aidan ! » L’interpella-t-elle avant d’enfin arriver à sa hauteur, le souffle court et les larmes continuant de rouler le long de ses joues. « Pourquoi … pourquoi t’as fait ça ? T’aurais pas dû … » Logan coupa sa phrase sans chercher à la terminer. Son regard s’attarda sur le visage de l’Irlandais et plus précisément là où il était blessé. Lentement, elle leva la main et survola ses blessures en grimaçant puis son regard alla se poser en direction des mains du jeune homme et elle attrapa celle qui était le plus blessée et humidifia ses lèvres avant de relever la tête. « Regarde dans quel état tu es maintenant. Il faut que tu soignes ça. » Sa voix était si faible désormais et sa gorge nouée par les sanglots qu’elle n’arrivait pas à ravaler. Elle avait paniqué, certes, mais pas uniquement pour elle. Dès qu’elle avait vu les deux étudiants se jeter l’un sur l’autre c’était pour Aidan qu’elle avait eu peur, une peur incontrôlable de voir celui qu’elle aimait finir sérieusement blessé.

Se battre était loin d’être dans les habitudes de l’irlandais. Ses parents l’avaient élevé les douze premières années de sa vie de sorte à ce qu’il devienne le genre de garçon que beaucoup de parents rêveraient d’avoir à la place de leur petite crapule : à savoir un garçon poli, serviable, souriant et calme. Le problème étant qu’avec la mort de ses géniteurs, il avait passé son adolescent sans réels repères, obligé de se forger une personnalité sans l’aide de personne, son oncle et sa tante ayant passé des mois occupés à se disputer avant de se séparer et son oncle ayant passé ensuite son temps à défouler sa rage sur ses nièces. De ce fait et face à la violence de son tuteur, le jeune homme avait développée une certaine forme de rage à l’égard de ceux qui osaient s’en prendre à ses deux petites sœurs, cette même rage protectrice ayant aussi englobé Logan dès qu’elle fut réellement entrée dans sa vie. Sa devise était bien simple : qu’une seule personne s’en prenne verbalement ou physiquement à l’une des trois et elle aurait affaire à lui. Il ne supportait pas que l’on se serve des faiblesses des gens contre eux, d’autant moins quand cela concernait ses proches, et il avait été malheureusement habitué à ça. La catégorie d’enfants orphelins qu’on leurs avait de suite mis sur le dos, puis celle de famille violente avec les histoires touchant leur oncle avaient été les rumeurs qui avaient eu forte tendance à déclencher la rage d’Aidan. Et aujourd’hui, il ne pouvait simplement pas supporter qu’un quelconque étudiant de Berkeley s’en prenne à la femme qu’il aimait en se servant des récents événements touchant leur séparation. Cela ne regardait personne et c’était inacceptable de s’en servir contre l’américaine. L’irlandais ne se battait que rarement : preuve en était que sa dernière querelle physique remontait à son entrée à Berkeley, lorsqu’un étudiant avait cru bon de le provoquer au sujet de sa famille en le traitant de personne provenant d’une famille violente. Depuis, il ne s’était plus jamais battu. Ce jusqu’à ce soir. Et cet étudiant l’avait largement mérité, qu’importe les blessures qui pouvaient tirailler Aidan à présent qu’il se retrouvait seul dehors. Cet inconnu s’était beaucoup trop approché de Logan avec des intentions auxquelles il n’aurait pas dû penser ne serait-ce qu’une seconde, ce qui avait eu le don de faire intervenir le brun, puis les mots qu’il avait employés avaient été le catalyseur de sa réaction. Le monde pouvait alors bien lui reprocher de s’être jeté sur lui, Aidan se justifierait immédiatement, sans aucun scrupule : personne n’avait le droit de s’en prendre à Logan. Personne.

Gardant sa veste dans une main, Aidan profita de la fraîcheur que lui offrait l’extérieur pour tenter de se calmer. La rage l’avait envahi à un tel point qu’il pouvait encore sentir l’adrénaline faire battre le sang au niveau de ses tempes et crisper la totalité de ses muscles. Si l’étudiant contre qui il venait de se battre repointait le bout de son nez dans les minutes à venir, il risquerait bien de ne pas réussir à garder son sang froid, encore beaucoup trop énervé par ce qu’il avait vu et entendu, et ce malgré la douleur qu’il commençait à ressentir un peu partout dans son corps. Bien qu’il ne regrettait en rien le fait d’être venu porter secours à Logan, il se mordait tout de même les doigts d’y être allé avec autant de force. Sa main tremblait, tiraillée par des lancées désagréables, alors que le sang qui s’échappait des plaies qu’il s’était fait à force de cogner son adversaire recouvrait salement son épiderme. Ses côtes lui faisaient aussi comprendre qu’il avait reçu plusieurs coups, tout comme son visage qui commençait à chauffer légèrement suite aux différentes blessures qui s’y trouvaient. Peut-être aurait-il dû faire plus attention et se défendre plutôt que d’attaquer l’armoire à glace qui s’en était pris à la femme qu’il aimait. Parce qu’en effet, il avait été tellement animé par la colère qu’il n’avait pas pris le temps de détailler son ennemi qui, pour le coup, était plutôt bien bâti, du moins plus que lui, ce qui avait mené au fait qu’il se soit rapidement retrouvé à sa merci. Mais la bagarre était passée, il était inutile de s’attarder sur ces détails. Tout ce que pouvait faire Aidan à présent, c’était rentrer chez lui pour soigner les plaies parsemant son visage et sa main et surtout pour se calmer. C’est pour cette raison qu’il finit par faire quelques pas en avant, avec l’intention ferme de quitter les lieux pour retrouver son appartement.

« Aidan ! » La voix de Logan l’arrêta cependant dans son élan. Ce fut comme si ses jambes se virent paralysées par le simple appel de la jeune femme. Immobile, il sentit une tension lui tirer les épaules. Il ne voulait pas qu’elle le voie, pas comme ça, pas après ce qu’il avait fait pour la défendre. Il était dans un sale état et encore beaucoup trop énervé pour se retrouver face à elle. Pourtant, il n’eut pas la force de continuer sa route et resta statique, le temps pour l’irlando-américaine d’accourir dans sa direction jusqu’à le rattraper. « Pourquoi… pourquoi t’as fait ça ? T’aurais pas dû… » Le jeune homme ne pouvais pas distinguer son visage, étant encore dos à elle, mais il devina parfaitement les sanglots qui entrecoupait les paroles de sa petite amie. Le cœur serré, il se retourna alors et fronça immédiatement les sourcils. Il n’aurait pas dû prendre sa défense ? Alors quoi ? Il aurait dû observer la scène et laisser cet étudiant la forcer à venir avec lui pour l’emmener dieu sait où afin d’assouvir son désir ? C’était impensable. Logan aurait pu lui faire bien plus de mal qu’elle ne lui en avait fait, il n’aurait jamais été capable de rester stoïque face à cette scène. Lui venir en aide avait été un réflexe, réflexe de protection qu’il avait toujours eu avec elle. « Et le laisser s’en prendre à toi ? Est-ce que tu as la moindre petite idée de ce qu’il projetait de te faire ? » rétorqua-t-il d’une voix sèche. Il ne voulait pas s’énerver contre Logan, mais c’était plus fort que lui. Ses nerfs étaient encore beaucoup trop à vif à cause de cet étudiant qui avait osé s’en prendre à elle, il allait lui falloir plus que ces quelques courtes minutes pour parvenir à se calmer. « Peut-être que je t’en veux, mais ça ne change rien au fait que celui qui ose te toucher signe son arrêt de mort. » continua-t-il, sourcils froncés, avant de se tourner légèrement de sorte à cracher le sang qui envahissait à nouveau sa bouche. Ses paroles étaient mauvaises, mais la blondinette en connaissait parfaitement la signification : il avait toujours été clair sur le fait que la personne qui toucherait à la moindre mèche de ses cheveux blonds en payerait les conséquences. Et malgré toute la rancœur qu’il pouvait éprouver à l’égard de sa petite amie, il restait campé sur la même position. Être dans une phase difficile au niveau du couple qu’il formait avec Logan ne signifiait pas qu’il allait tourner les yeux et ne pas veiller sur elle comme il l’avait toujours fait. C’était inconcevable et il se savait de toute manière totalement incapable de ne pas s’assurer de sa sécurité. C’était comme le besoin de respirer, il ne pouvait pas ne pas veiller sur elle, quand bien même elle avait pu le faire souffrir.

Malgré toute la colère qu’il pouvait ressentir, Aidan se vit le cœur serré à la vision de la blondinette qui continuait de lutter contre ses sanglots alors que des larmes avaient clairement glissé contre ses joues, emportant une partie de son maquillage avec elle. Il détestait la voir pleurer, c’était une des plus grandes faiblesses du jeune homme. Depuis qu’il se connaissait, le simple fait de voir une goutte salée perler sur le visage de sa dulcinée avait le don de lui retourner l’estomac et de lui donner envie de tout détruire sur son passage. On pouvait lui faire endurer mille tortures, l’insulter, le battre, il était capable de tout encaisser, sauf de voir Logan dans un tel état. Il dut alors une nouvelle fois se retenir de l’approcher pour aller essuyer les larmes qui s’accrochaient à ses cils. Mais ce fut elle qui finit par se rapprocher de lui, observant d’abord les blessures décorant son visage avant d’y porter le bout de ses doigts avec précaution. Les picotements ressentis suite à ce contact ne furent qu’éphémère : Aidan était bien trop focalisé sur le visage de la jeune femme et sur le simple fait de ressentir ses doigts effleurer sa peau. Il n’avait pas senti sa peau contre la sienne depuis des mois et ce simple frôlement eut le don de secouer son échine de légers tremblements. Cette sensation ne fut que décuplée lors que Logan alla attraper sa main blessée. Son cœur rata plusieurs battements, avant de se mettre à tambouriner plus fort, son regard restant toujours accroché aux traits de son visage qu’il chérissait tant. « Regarde dans quel état tu es maintenant. Il faut que tu soignes ça. » déclara-t-elle avec difficulté, faisant soupirer le brun. Oui, il devait se soigner, mais il le ferait seul. Rester près d’elle était déjà assez difficile comme ça, il ne voulait pas qu’elle le suive et veille sur lui. Pas après la scène à laquelle elle venait d’assister. « C’est bon, je vais m’en occuper. T’en fais pas pour moi. » Sa manière à lui de lui faire comprendre qu’il ne voulait pas de son aide. Logan le connaissait par cœur et savait très bien que, lorsqu’il était en colère, il valait mieux le laisser seul, le temps qu’il parvienne à calmer ses nerfs. Mais l’irlando-américaine avait toujours eu le pouvoir de l’apaiser bien plus rapidement. Il fallait évidemment qu’elle insister pour rester près de lui et qu’elle encaisse sa mauvaise humeur, mais elle finissait toujours par réussir à le calmer. Ce soir n’allait certainement pas faire exception à la règle : Aidan se doutait bien que jamais elle ne le laisserait rentrer seul dans cet état. Et ce fut certainement cette évidence qui causa la crispation dans son ventre alors que son cœur continuait de battre à tout rompre dans sa cage thoracique.

Les minutes s'étaient écoulées avec une lenteur extrême. Elle avait assisté à cette scène tellement impuissante, retenue de force par l'un de ses amis afin de ne pas être blessée par l'un des deux garçons qui se battaient sur le sol du bar. Mais elle avait tellement mal, mal de le voir prendre des coups pour elle, mal qu'il ait encore à souffrir par sa faute même si cette fois elle n'avait pas demandé à le mêler à cette histoire, mais à quoi d'autre s'était-elle attendue ? Qu'importe ce qu'elle pouvait faire, qu'importe la distance qu'ils pouvaient mettre entre eux, une partie d'elle-même ne cessait de lui chuchoter qu'il l'aimait toujours autant, une petite voix qui avait raison et qui s'efforçait de l'aider à maintenir la tête hors de l'eau. Il avait besoin de temps pour savoir où il en était, c'était ce qu'il lui avait dit avant qu'elle ne prenne la fuite vers New York, c'était encore ce dont il avait besoin toutefois cela ne signifiait pas qu'il ne l'aimait plus, au contraire. La réaction qu'il avait eue en voulant la protéger contre ce type en était la preuve. Il ne supportait toujours pas de voir quelqu'un s'en prendre verbalement ou physiquement à elle, quand bien même lui en voulait-il pour ce qu'elle avait fait, pour avoir menti et pour être partie sans plus donner la moindre nouvelle. Il serait toujours là pour elle et si elle avait cru perdre cette certitude, désormais elle faisait entièrement partie d'elle et elle ne l'oublierait jamais plus. Il se prenait des coups sous ses yeux et la jeune femme sentait son cœur manquer des battements.

Elle avait si mal de le voir être blessé, elle ne le supportait tout simplement pas au point qu'elle manqua de détourner les yeux à un moment tandis que les larmes roulaient le long de ses joues sans que l'Irlando-américaine tente quoi que ce soit pour les arrêter. En revanche, c'était le temps qu'elle souhaitait stopper afin de pouvoir se déloger de l'étreinte de son ami qui s'efforçait de la maintenir loin de la bagarre et surtout immobile. Elle voulait que le temps s'arrête pour aller aider Aidan et l'éloigner de cet étudiant qu'elle aurait probablement assommé elle-même si elle en avait eu le courage et la force. Malheureusement, tout ce que Logan pouvait faire était de regarder, ça et uniquement ça. Cette vision lui était insupportable, mais à bien y réfléchir qu'aurait-elle pu faire d'autre ? Elle ne se considérait pas comme une petite chose fragile et pourtant elle avait été comme pétrifiée lorsqu'il avait fait que lever une main menaçante vers elle, alors peut-être qu'elle était réellement aussi fragile que ce que certaines personnes semblaient le croire et peut-être se surestimait-elle ? Tant de questions s'étaient bousculées dans son esprit alors qu'elle regardait Aidan la défendre en se prenant des coups ici et là, faisant grimacer l'étudiante à chaque fois tout en faisait de son mieux pour se dégager, n'y parvenant que lorsque l'Irlandais fut mis dehors, la foule dissipée et le calme revenu. D'un coup, plus rien d'autre n'avait d'importance que son petit-ami – après tout il s'était lui-même qualifié comme tel en venant prendre sa défense – et en réalité, il n'y avait que lui depuis le début qui avait de l'importance. Elle avait tenté de jouer la comédie, de sembler réellement présente au sein de la conversation entre ses amis, mais ce n'était pas le cas et ce tout simplement parce que son esprit était uniquement focalisé sur une seule et même personne.

Alors, le reste elle l'abandonna derrière elle sans la moindre hésitation. Elle parcouru les quelques mètres qui la séparaient de la sortie du bar sans prêter attention à qui ou quoi que ce soit et une fois à l'extérieur ses pensées tournaient toujours qu'autour d'Aidan, mais pour des raisons bien différentes. Le retrouver ne fut pas bien difficile. Le jeune homme aurait pu être au milieu d'un bain de foule qu'elle l'aurait reconnu sans le moindre mal. Elle le connaissait par cœur, sa silhouette de dos comme de face, son sourire, son regard, le son de sa voix qui bien souvent la faisait frissonner, la chaleur de son corps, son odeur ... tout. Malgré la distance, malgré les mois loin de lui, Logan n'avait rien oublié et c'était comme si son corps restait naturellement aimanté par celui d'Aidan, comme s'ils restaient liés malgré tout par un fil invisible et indestructible. Pas un seul instant elle fut prise d'une hésitation. Elle le rattrapa après l'avoir interpellé et la douleur fut de plus en plus forte de le voir blessé par sa faute même si ça n'avait pas été son intention. « Et le laisser s’en prendre à toi ? Est-ce que tu as la moindre petite idée de ce qu’il projetait de te faire ? » Son regard se leva avec lenteur en direction de celui de l'étudiant. Les yeux de la jeune femme étaient toujours brouillés par les larmes qui continuaient de l'assaillir. Son cœur se serra à l'entente de ses paroles et la seule chose qu'elle fut capable de faire fut d'acquiescer en silence. Oui, elle savait.

Elle savait très bien ce qu'il avait eu en tête, ce qu'il avait compté lui faire et elle était bien heureuse que ça ne se soit pas produit, cependant elle aurait tant voulu qu'il n'ait pas à prendre des coups pour elle, elle aurait aimé pouvoir s'en sortir seule sans qu'Aidan ait à s'en mêler. « Peut-être que je t’en veux, mais ça ne change rien au fait que celui qui ose te toucher signe son arrêt de mort. » Le regard de l'Irlando-américaine resta accroché à celui du jeune homme. Par nervosité elle mordilla sa lèvre inférieure et fit de son mieux pour ravaler ses larmes cette fois. Aussi agréable soit-il t'entendre qu'il tenait toujours autant à elle, Logan n'arrivait pas à faire taire la peur qu'elle avait ressenti en le voyant être rué de coups si bien qu'elle préféra s'occuper des blessures d'Aidan. Elle les effleura de sorte à ne pas lui faire le moindre mal. Si lui tenait toujours à elle, Logan continuait de s'inquiéter à son sujet chaque jour et d'autant plus à cet instant alors qu'il saignait çà et là. « C’est bon, je vais m’en occuper. T’en fais pas pour moi. » L'étudiante redressa la tête et mis quelques secondes avant de trouver le courage de lâcher sa main. Sa mâchoire se crispa et elle fit de son mieux pour ne pas se laisser happer par la frustration qui était en train de l'envahir. Il devait pourtant la connaitre mieux que ça et savoir qu'après la scène à laquelle elle venait d'assister il était hors de question qu'elle parte comme ça. « Fais pas ça Aidan, pas maintenant. » Déclara-t-elle d'un ton plus tranchant que ce à quoi elle se serait attendue. Son regard resta accroché à celui de l'Irlandais et, doucement, elle croisa les bras contre sa poitrine.

« Arrête de me repousser au moins pour ce soir parce que, de toute manière, je ne te laisserais pas rentrer tout seul. Si quelqu'un doit s'occuper de ces blessures c'est moi et tu n'as pas ton mot à dire. » Elle avait oublié son entêtement. A trop se sentir mal ces derniers temps, elle avait refoulé au plus profond de son être le côté tête de mule de sa personnalité, mais pas ce soir, elle ne comptait pas le laisser s'en sortir et ce fut sans lui laisser prononcer le moindre mot qu'elle prit la tête de la marche en direction de l'appartement du jeune homme, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Elle n'avait pas oublié le chemin à prendre, et ce qu'importe l'endroit où elle se trouvait dans San Francisco et Logan n'avait pas pensé un seul instant que reprendre cette route serait aussi douloureux pour elle, mais elle ne fit aucun commentaire, pas même en le laissant passer devant elle pour ouvrir la porte ou lorsqu'ils se dirigèrent en direction de la salle de bain. Elle n'avait pas même oublié où trouver le nécessaire pour soigner les blessures d'Aidan, c'était comme revenir chez elle après une longue absence sauf qu'au fond d'elle l'étudiante pouvait sentir qu'elle n'était plus réellement la bienvenue. Alors, ce fut en silence qu'elle s'occupa de désinfecter les blessures d'Aidan, commençant par sa main pour ensuite s'attarder au niveau de son visage. « Je suis tellement désolée ... » Souffla-t-elle en nettoyant la lèvre d'Aidan sans parvenir à le regarder dans les yeux cette fois. Elle l'était réellement, plus qu'il ne pouvait l'imaginer et jamais elle ne serait capable de l'exprimer de manière assez forte si bien qu'elle se contentait de se répéter quand bien même sa voix était-elle faible.

C’est parfois dingue comme l’être humain peut se montrer contradictoire. Autant l’égoïsme anime tout un chacun quand il s’agit de défendre sa place dans une situation particulière ou pour se sortir d’une galère, mais il se peut qu’il se retourne vers les autres, tout dépend de sa personnalité. Aidan avait été élevé en apprenant que la générosité était une des bases fondamentales des relations humaines, ce qui lui avait donc permis de développer un altruisme qui pouvait se montrer rare chez les jeunes de son âge, généralement tous centrés sur eux-mêmes et incapable d’ouvrir les yeux sur celles et ceux qui les entourent. C’est ce trait de personnalité qui lui a d’ailleurs permis de se montrer aussi fort tout au long de sa vie : sans son altruisme, jamais il n’aurait été capable de se battre autant pour ses deux sœurs cadettes. Dès la mort de ses parents, il avait toujours tout fait en pensant aux deux filles, agissant dans leur intérêt premier. Cette façon de vivre s’était évidemment décuplée lorsque leur oncle s’était mis à défouler sa rancœur sous forme de violence à l’égard de Leeloo et Eileen : dès lors, l’Irlandais avait dû se comporter comme un adulte, mettant ses sœurs en priorité dans sa vie. Et cela dura plusieurs années, jusqu’à maintenant. N’allez pas croire que tout était simple ! En apparences, les gens pourraient évidemment croire qu’Aidan n’était qu’un simple étudiant comme les autres, avide d’apprendre de nouvelle chose et travaillant à côté pour financer ses études. Mais peu de ces personnes se doutaient qu’il avait une petite sœur à charge dont il devait s’occuper quotidiennement comme s’il s’agissait de sa propre fille. Et ce n’était pas une mince affaire ! Pourtant, toutes ces années passées à se comporter plus que comme un grand frère à l’égard d’Eileen l’avait aidé à mûrir très rapidement, ce qui avait inévitablement développé d’autant plus le besoin de protéger les gens auxquels il tenait. C’est ainsi que l’on parvient à comprendre la réaction qu’il avait eue ce soir là en venant porter secours à Logan : la jeune femme était la seule personne qui égalait ses deux cadettes et qu’il se sentait obligé de protéger coûte que coûte. Son amour pour l’Irlando-américaine l’avait toujours poussé à veiller sur elle, de jour comme de nuit, prenant sa défense lorsqu’elle se trouvait en situation de faiblesse. Et qu’importe toute la rancœur qu’il pouvait éprouver, ce besoin le suivrait certainement à vie. Il était lié à Logan par quelque chose d’indestructible, il pouvait le sentir, et de ce fait, il était comme condamné à la protéger jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Se retrouver face à la femme qu’il aimait en étant dans un tel état était loin de lui plaire. Il détestait se montrer faible face à sa petite amie, et les blessures qui décoraient son visage étaient simplement la preuve de la force physique qui lui avait manquée pour mettre à terre son adversaire. Évidemment, il n’était en rien à blâmer ; mais il restait un homme et avait donc une certaine fierté qui le forçait à se cacher des regards lorsqu’il se retrouvait en situation de déficience, particulièrement face à Logan qu’il avait toujours juré de protéger. Mais il ne se cachait évidemment pas de son regard et ne tentait pas de l’éviter uniquement pour cette raison : le fait que des tensions subsistaient entre eux deux et qu’il lui en voulait toujours terriblement sans savoir quelle position adopter face à elle et leur couple le forçait aussi à sous-entendre qu’il préférait rentrer seul sans la voir l’accompagner. Sauf qu’il connaissait l’étudiante en histoire par cœur, si ce n’est mieux que lui-même : il s’attendait donc évidemment à ce qu’elle se mette en travers de sa route, d’une quelconque manière qu’il soit. « Fais pas ça Aidan, pas maintenant. » Faisant mine de ne pas comprendre, le concerné fronça les sourcils en posant un regard interrogateur sur sa petite amie. Mais il s’en ravisa très vite au moment de sentir son arcade lui rappeler qu’il était blessé, reprenant alors la mine la plus neutre possible en se forçant à détendre les traits de son visage tiraillé par la colère qui l’habitait encore. « Arrête de me repousser au moins pour ce soir parce que, de toute manière, je ne te laisserais pas rentrer tout seul. Si quelqu'un doit s'occuper de ces blessures c'est moi et tu n'as pas ton mot à dire. » La voix de l’Irlando-américaine s’était montrée plus sèche, comme pour lui prouver qu’il ne servait à rien de discuter si ce n’est gaspiller sa salive. Aidan fut quelque peu surpris qu’elle se montre tout à coup aussi bornée, alors qu’elle était encore en larmes quelques secondes auparavant. Mais il n’eut pas le temps de répondre que Logan avait déjà pris les devants, remontant la rue avec l’intention ferme de l’accompagner chez lui. Laissant un léger soupir s’échapper d’entre ses lèvres, le jeune homme baissa la tête, le temps de se faire à l’idée qu’elle allait rester avec lui pour les minutes, voire les heures à venir, puis il lui emboita le pas. En chemin, il tenta d’enfiler son blouson, mais baissa rapidement les bras en sentant ses côtes le tirer au moindre mouvement qu’il pouvait faire. Il se contenta alors de suivre Logan, sa veste dans une main, l’autre pendant dans le vide en semant quelques gouttes de sang qui vinrent tapisser le sol.

Le chemin ne se montra pas des plus longs en terme de kilomètres à parcourir, mais il se montra particulièrement pénible à parcourir pour une toute autre raison : le silence qui s’interposait entre les deux jeunes amoureux. C’était la première fois qu’ils se retrouvaient confrontés l’un à l’autre en sachant pertinemment que rien ne devrait venir les déranger, ce qui leur laissait par conséquent tout le temps nécessaire à la discussion qu’ils se devaient d’avoir. Mais ni l’un ni l’autre n’ouvrit la bouche durant le trajet menant chez l’Irlandais, ce dernier restant muet pour la simple et bonne raison qu’il redoutait l’instant où la conversation serait lancée. Le sujet serait inévitable, ils allaient devoir reprendre là où ils s’étaient arrêtés quelques jours plus tôt, lorsque Logan était venu le voir sur son lieu de travail, et cette simple anticipation lui nouait l’estomac. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison qu’il avait réellement peur d’avoir cette confrontation, peur d’entendre certaines paroles, peur d’en prononcer d’autres. Mais surtout peur que cette mise au point ne risque de signer la fin officielle de leur couple. Car quand bien même Logan lui avait affirmé être encore amoureuse de lui et qu’il l’aimait également de tout son être malgré ces cinq mois de séparation, le danger n’était pas inexistant. Aidan le sentait planer au-dessus de sa tête, tel un vautour vorace tournant autour d’une carcasse d’animal en plein désert. Il ne parvint donc pas à se détendre le long du trajet, ses muscles endoloris se tendant au fur-et-à-mesure qu’ils se rapprochaient de chez lui. Et au moment de glisser sa clé dans la serrure de la porte donnant sur son appartement, il dut se faire violence pour tenir encore sur ses jambes, tant il avait l’impression qu’elles allaient le lâcher d’un moment à l’autre.

Une fois à l’intérieur, Logan disparut bien rapidement en direction de la salle de bain, bien déterminée à trouver de quoi soigner le jeune bagarreur. Le brun, quant à lui, traîna un peu plus les pieds en s’arrêtant au salon, le temps pour lui d’abandonner son blouson sur le dossier de son canapé. Puis il se dirigea à son tour vers la salle de bain pour rejoindre l’Irlando-américaine, soulagé de se rappeler que sa petite sœur ne serait pas dans les parages d’ici au lendemain, ce qui leur laissait ainsi le temps nécessaire pour mettre les choses au point. Une fois dans la pièce, Aidan n’eut d’autre choix que de s’installer sur le rebord de la baignoire, laissant alors la jolie blonde s’improviser en infirmière, comme elle avait toujours su si bien le faire, que cela soit avec lui ou avec ses sœurs lorsque l’une d’entre elles se blessait malencontreusement. Sans opposer résistance, il la laissa donc saisir sa main et en désinfecter le dos qui laissait encore couler quelques bavures de sang. Les légers picotements qu’il ressentit furent largement supportables, si bien qu’il ne cilla pas, lui permettant de mener à bien sa tache. Quand elle se mit à soigner sa lèvre abîmée, la situation devint cependant un peu plus lourde à supporter, la proimité de leur corps et de leur visage faisant irrémédiablement accélérer son rythme cardiaque. « Je suis tellement désolée ... » finit-elle par murmurer, brisant le halo silencieux qui les entourait. À l’entente de ces paroles, Aidan releva son regard de sorte à pouvoir le planter dans celui de la demoiselle, gardant un visage incroyablement neutre alors que tout se chamboulait en lui. Pourquoi diable s’excusait-elle ? Elle n’avait en rien cherché l’étudiant qui s’en était pris à elle, et son petit ami était venu la défendre de son plein gré. Elle n’était donc en rien fautive dans l’explosion de la bagarre. « Tu n’y es pour rien, arrête de te torturer. C’est moi qui ai choisi de venir t’aider. » répondit-il simplement sur un ton étonnamment posé. Rabaissant son regard, il passa sa langue entre sa lèvre inférieure et ses dents, ressentant les picotements désagréables que provoquait le morceau de coton imbibé de désinfectant contre le bord de sa lippe blessée. « Ce type a eu ce qu’il méritait. La prochaine fois qu’il voudra s’en prendre à toi, il y réfléchira à deux fois. » Sa voix se montra légèrement plus tranchante, comme pour montrer qu’il était encore fou de rage rien qu’en repensant à la scène de cet inconnu qui s’apprêtait à lever la main sur sa petite amie pour la rendre plus obéissante et la traîner là où il le désirait, à savoir dans son lit. Le cœur palpitant avec plus de force, l’Irlandais baissa légèrement la tête mais fut forcé de la redresser pour que Logan puisse continuer de soigner ses blessures. Un nouveau silence s’installa alors, silence pendant lequel Aidan s’adonna à une activité qu’il avait pour habitude de pratiquer lorsqu’il se trouvait en présence de la femme qu’il aimait : il avait toujours apprécié pouvoir entendre et sentir les battements de son palpitant et avait appris de ce fait à se concentrer sur son rythme cardiaque quand il parvenait à le discerner. Cela avait toujours résonné comme une douce mélodie pour lui, le fait d’entendre ce témoignage comme quoi Logan était bel et bien vivante. Ainsi, alors que le silence s’installait entre eux, le brun se laissa surprendre à se focaliser sur les battements légèrement accélérés mais régulier du cœur de l’étudiante, et cela eu l’effet qu’il attendait : la colère qu’il pouvait encore ressentir à l’égard de l’ennemi qui l’avait presque terrassé s’estompa petit à petit et ainsi, il se sentit relativement plus calme, bien que toujours quelque peu tendu par la situation. Osant finalement relever son regard, il posa alors ses yeux clairs sur le visage de Logan alors que cette dernière semblait tout mettre en œuvre pour rester concentrée sur sa tache de soin. Décryptant son visage ne put s’empêcher de repenser à ce qu’il avait entendu de la part de ce type dans le bar lorsqu’il s’était interposé. « Ah mais c’est toi la fille qui s’est barrée après avoir perdu son gosse ?! » Ce genre de paroles, Aidan en avait déjà entendu des tas depuis la fausse couche de Logan. Il avait dû encaisser les regards et les jasements des étudiants lorsqu’il arpentait les couloirs de l’université, tous le catégorisant comme celui qui s’était vu abandonné par sa petite amie après que celle-ci ait perdu leur bébé, bébé dont le jeune homme n’avait appris l’existence qu’au moment de l’incident. Puis avec le temps, ils s’étaient tous lassés, s’en prenant à d’autres étudiants en se mettant à parler sur leur dos, laissant ainsi l’Irlandais tranquille pour quelque temps. Mais depuis le retour de la blondinette sur le campus, les rumeurs avaient repris et Aidan n’avait de cesse d’entendre parler d’eux partout où il se rendait dans Berkeley. C’était déjà difficile pour lui, alors il imaginait que pour Logan, cela devait être pire. Ce pourquoi il mit un terme au silence régnant pour la questionner à ce sujet d’une voix plus adoucie. « Ça va ? Je veux dire, j’ai entendu tous ces commérages qui courent à Berkeley… tu tiens le coup ? » C’était normal qu’il lui pose la question. Il avait bien senti le poids qu’avaient eu les mots du type du bar sur Logan lorsqu’il les avait prononcés et après tout, il était tout autant concerné qu’elle par tous ces ragots qui circulaient entre les étudiants, étant le père de l’enfant qu’elle avait perdu ainsi que celui qu’elle avait abandonné durant cinq mois. Mais de part sa question, il ne voulait absolument pas recommencer à la blâmer, il en aurait tout le temps. Il voulait simplement s’assurer qu’elle tenait bon, et c’était aussi une manière de lui montrer qu’il était là pour elle, malgré tout, pour surmonter cette passade.

Jamais elle n’avait baissé les bras pour quoi que ce soit et si jamais elle l’avait fait cela n’avait jamais duré bien longtemps. Elle possédait une certaine fierté, aussi discrète que celle-ci soit, qui la poussait à ne jamais abandonner pour une quelconque raison aussi difficile que cela pouvait être par moment. Lorsqu’elle avait perdu sa mère, elle ne s’était pas laisser happer par la tristesse, elle n’avait pas laisser les paroles des habitants de Springfield la toucher car, même à neuf ans, elle était bien assez intelligente pour se rendre compte de l’hypocrisie de ces personnes, y compris celle de sa propre famille. Elle avait donc continué d’avancer du mieux qu’elle le pouvait, sans père et sans jamais demander quoi que ce soit à ses proches qu’elle ne supportait pas le moins du monde avec leurs principes et qui n’avaient jamais réellement accepter sa pauvre mère au sein de leur famille. Elle avait continué de croire que son père allait finir par refaire surface chaque jour que Dieu faisait grâce à son mental de fer et probablement aussi grâce à l’innocence qui l’enveloppait toujours un peu à cette époque. Elle avait sans doute été un peu naïve – et elle l’était toujours quelque part – lorsqu’elle avait pensé que son père cesserait de boire et de la frapper, mais elle n’avait pas baissé les bras pour autant ni même fait demi-tour le soir où elle avait jugé qu’il était temps pour elle de partir, de s’éloigner de sa misérable vie pour une autre ou tout du moins elle l’avait été pendant un temps. Sans Aidan, elle ne préférait même pas imaginer où elle en serait aujourd’hui.

Bien qu’étant fière et ayant parfois un toit au-dessus de sa tête, la rue était l’endroit qu’elle avait choisi et ce sûrement parce qu’elle voulait désespérément s’en sortir par elle-même et qu’elle refusait d’accepter un peu trop l’aide qu’on lui proposait. Sans l’Irlandais, en plus du fait qu’elle aurait été sans doute violée au beau milieu de la rue et ruée de coups, elle aurait vraisemblablement mal tournée et elle doutait qu’elle aurait fait long feu de cette manière. Ainsi, il l’avait sauvé de bien des manières. Il l’avait aidé au moment où elle avait eu le plus besoin de soutien. Il l’avait sorti de sa misère, il avait donné un nouveau sens à sa vie, une raison pour se lever tous les matins, un moyen de trouver le courage d’avancer dans la vie de tous les jours quand bien même cela s’était révélé difficile pour eux deux … pour eux quatre puisque Leeloo et Eileen n’avaient pas non plus été épargnées. Il était l’une des raisons pour lesquelles Logan refusait de baisser les bras. Elle se battait tous les jours autant pour elle que pour lui et pourtant elle avait le sentiment que cette force qui l’habitait depuis qu’elle connaissait l’Irlandais avait dangereusement diminué en octobre dernier et ce par sa faute. Elle savait qu’elle aurait dû lui en parler, on le lui avait assez fait comprendre, mais la jeune femme en avait été incapable à la fois par crainte de le perdre – alors qu’elle savait tout aussi bien qu’il ne lui aurait jamais tourné le dos – mais aussi parce qu’elle n’avait pas eu la moindre idée de ce qu’elle devait faire, la poussant à agir comme l’enfant qu’elle aurait dû être auparavant, laissant voir qu’elle était bien plus fragile et instable que ce qu’elle pouvait bien dire. Ce secret avait été le début de la fin ou c’était du moins ainsi qu’elle l’avait vu à sa sortie de l’hôpital et l’Irlando-Américaine n’avait fait qu’empirer la situation en quittant la Californie pour la côte Est même si elle avait pensé bien agir en prenant cette décision.

Pas un seul instant elle n’avait cessé de penser à lui et elle avait dû se faire violence pour ne pas rentrer en quatrième vitesse à Berkeley, ce qui aurait peut-être été préférable au vu de leur situation actuelle, mais elle avait tenu bon même si elle s’en mordait à présent les doigts. Elle n’avait jamais baissé les bras concernant leur couple, que ce dernier ait été mis à mal ou non. Il était le seul et l’unique, c’était bien là la seule certitude que la jeune femme pouvait avoir le concernant. Sans lui, elle ne pouvait pas continuer à avancer tout simplement parce que si elle perdait Aidan, Logan perdait sa raison de vivre. Elle se moquait éperdument de ce que l’on pouvait penser de sa façon de voir les choses, c’était sa certitude, ses émotions et l’avis des autres n’avaient pas la moindre importance. Pourtant, parfois elle s’imaginait sans le moindre mal certains de ses parents tenter de la raisonner en lui répétant que ce n’était qu’un garçon et qu’elle pourrait très bien le remplacer plus tard puisqu’elle était jeune, mais à ça Logan n’aurait aucun mal à leur répliquer que, de toute manière, ils ne connaissaient rien à l’amour pour avoir rejeté celui de ses parents et pour s’être mariés par arrangement. Ce qu’elle éprouvait pour Aidan était sincère et pure, rien ni personne ne pourrait la faire douter de ça et Logan continuerait de le ressentir de cette façon même si la situation était presque critique entre elle et l’Irlandais. Pourtant, même si la distance était devenue obligatoire pour leur permettre de réfléchir à leur avenir – même si pour elle c’était aussi clair que de l’eau de roche – il n’avait pas hésité un seul instant à prendre sa défense contre le pauvre type à qui elle aurait bien refait elle-même le portrait si son courage ne l’avait pas brusquement abandonné.

Mais, bien qu’elle soit touchée par son geste, elle ne s’en sentait que plus mal à cause des coups qu’il avait pris pour elle, à cause du fait que finalement elle n’avait pas été capable de s’en sortir toute seule alors que se battre avec un autre type n’était pas forcément ce dont Aidan avait besoin ces derniers temps. C’était principalement parce qu’elle se sentait responsable de ce qui venait de lui arriver qu’elle refusait de le laisser rentrer tout seul, mais aussi parce qu’elle ne pouvait pas supporter l’idée de repartir tranquillement en direction du campus alors qu’il était là, à quelques centimètres d’elle alors qu’il avait hanté la moindre de ses pensées ces dernières heures passées dans ce bar. De toute manière, Logan ne lui laissa pas le choix et surtout elle s’assura d’elle-même qu’il ne puisse pas l’empêcher de l’accompagner en prenant les devants quand bien même son cœur devenait de plus en plus douloureux à l’approche de l’appartement où elle avait passé tellement de temps en sa compagnie. Logan savait qu’il allait être difficile autant pour elle que pour Aidan d’être ensemble dans cet endroit, mais elle puisa dans ces dernières forces pour tenir le coup alors qu’elle s’appliquait à désinfecter et soigner les blessures que le jeune homme s’était infligé pour la défendre. L’Irlando-Américaine vida sa tête au maximum et s’efforça de ne jamais croiser le regard de l’étudiant pour ne pas se sentir faiblir – ce qui était déjà le cas tant ils pouvaient être proches à cet instant. Elle évita également de repenser aux paroles que l’étudiant avait eu à son encontre, ce qui était le plus simple puisqu’elle devait laisser couler des paroles du même genre tous les jours depuis son retour.

Cependant, elle failli en lui demandant pardon pour la énième fois. Son regard avait malencontreusement glissé en direction de celui d’Aidan sans qu’elle ne soit plus capable de s’en défaire. « Tu n’y es pour rien, arrête de te torturer. C’est moi qui ai choisi de venir t’aider. » Logan humidifia furtivement ses lèvres et se força à repartir dans sa tâche en se détachant du regard d’Aidan aussi douloureux que cela fut pour elle. « Ce type a eu ce qu’il méritait. La prochaine fois qu’il voudra s’en prendre à toi, il y réfléchira à deux fois. » Cessant de passer le coton sur le coin de sa lèvre lorsqu’elle le vit passer sa langue sur celle-ci, elle mordit l’intérieur de sa joue pour ravaler le sanglot qui la gagnait et se focalisa sur l’arcade de l’Irlandais sans rien répondre. Elle aurait sincèrement préféré qu’il réfléchisse à deux fois avant de s’en prendre une nouvelle fois à elle d’une autre manière qu’en ayant à craindre qu’Aidan lui tombe dessus. A vrai dire, elle aurait même préféré qu’il n’ait jamais prononcé ces paroles devant le jeune homme, ce qui avait sans le moindre doute fait exploser Aidan. Elle affrontait chaque jour les messes basses concernant ce qui lui était arrivé et la jeune femme faisait toujours de son mieux pour laisser supposer qu’elle ne s’en préoccupait pas, mais ce n’était pas le cas. C’était monstrueusement douloureux, à croire que les étudiants de Berkeley tenaient par-dessus tout à ce que la jeune femme n’oublie jamais ce qui lui était arrivée … comme si une telle chose était possible. Pas un jour ne se passait sans qu’elle ne pense au fait qu’à l’heure actuelle elle pourrait être à quelques mois devenir mère et que son couple ne serait pas en train de battre de l’aile comme il pouvait le faire.

Pas un seul jour ne se passait sans qu’elle ne soit prise d’une crise de larmes en pensant à la perte qu’elle avait subie et pourtant elle s’efforçait de garder la tête haute à chaque pas qu’elle faisait sur le campus, à chaque murmure qu’elle pouvait entendre à son sujet. « Ça va ? Je veux dire, j’ai entendu tous ces commérages qui courent à Berkeley… tu tiens le coup ? » Sortie de ses songes alors qu’elle continuait de désinfecter la blessure à l’arcade du jeune homme plus que nécessaire, Logan baissa les yeux vers Aidan et mis un court laps temps avant de comprendre le sens de sa phrase. « Je vais bien. » Commença-t-elle tout en déviant de nouveau son regard pour le focaliser sur son arcade. « De toute manière je n’ai que ce que je mérite, je savais à quoi m’attendre en revenant. » Ce qui était absolument faux, mais il n’était pas obligé de le savoir. La vérité était tout autre. Elle avait espéré que ce qui lui était arrivé avait été oublié et enterré si bien qu’elle était tombée de haut la première fois qu’une étudiante de la confrérie Epsilon lui était tombée dessus sans crier gare. Un soupire lui échappa alors qu’elle fit quelques pas en arrière, son regard évitant de nouveau celui d’Aidan. « Ne te bats plus pour moi Aidan. » Lâcha-t-elle en pinçant ses lèvres tout en continuant de regarder derrière le jeune homme ne pour ne pas avoir à croiser son regard. L’idée même qu’il puisse à nouveau échanger des coups avec qui que ce soit après ce qu’elle avait vu ce soir la rendait malade. Elle n’aimait pas ça. Elle n’avait jamais aimé la violence sans doute à cause de ce par quoi elle était passée, mais elle l’aimait encore moins lorsque la personne qui la subissait avait autant d’importance pour elle.

S’il y avait bien une chose à laquelle Aidan ne s’était pas habitué depuis son arrivée à Berkeley il y a trois ans, c’était bel et bien les ragots qui circulaient sans relâche entre les murs de l’université. Évidemment, avant d’entrer dans une école aussi prestigieuse que celle de San Francisco, aucun étudiant ne pourrait s’attendre à ce genre de problèmes : ce n’est bon que pour les séries américaines à la Gossip Girl, personne anonyme très douée pour répandre n’importe quel commérage sur New York. Mais une fois passé de l’autre côté du miroir, à savoir en devenant un étudiant Berkeleyen appartenant à l’une des sept confréries aux noms grecs, tout un chacun se voit frappé par cette vérité faisant partie de la vie en communauté au sein de cette université. Évidemment, certains élèves font bien plus les frais de rumeurs que d’autres, tout dépend de leur place dans la hiérarchie dans laquelle chacun se voit placé sans avoir son mot à dire, subissant alors plus ou moins la cruauté des autres universitaires. L’Irlandais avait ainsi été forcé d’encaisser très rapidement les ragots qui circulaient de bouche à oreille sur son compte. On l’avait longtemps considéré comme le jeune homme issu d’une famille violente, qui ne ferait pas long feu à Berkeley avant d’être remarqué pour son comportement supposé inacceptable et d’être renvoyé de l’université. Les premières semaines n’avaient pas été simples : comment parvenir à supporter tout ce que l’on peut raconter sur soi et sur sa famille, sans que ces personnes ne connaissent rien de la véritable histoire ? Cela s’était montré tellement difficile qu’il avait fini par laisser éclater sa colère contre un étudiant qui l’avait provoqué sur la question. Heureusement pour lui, les liens unissant les Sigmas étaient forts et d’autres élèves de sa confrérie avait pu lui porter secours alors qu’il était clairement le dominé de la bagarre, accablé par les larmes de rage qui avaient envahi son regard et l’avaient par conséquent empêché de se battre convenablement. Mais, avec le temps et grâce au soutien de Logan, il avait fini par apprendre à faire abstraction, à jouer la sourde oreille. Et c’est ainsi que les étudiants s’étaient lassés. À quoi bon provoquer une personne si elle ne réagit plus aux pics que l’on peut lui lancer ? On l’avait donc laissé tranquille, d’autres rumeurs étant lancées sur de nouvelles têtes fraîchement arrivées, ou d’autres têtes de turc célèbres au sein de Berkeley pour le nombre de commérage circulant à leur sujet.

Mais la relâche n’avait malheureusement pas duré. S’il avait été largement épargné pour les deux années et demi ayant suivi cette passade, il se voyait à nouveau touché par ces fichus ragots. Ils ne le visaient pas personnellement, mais du fait qu’ils étaient dédiés à Logan et à la perte de leur bébé majoritairement, il se sentait tout autant concerné que l’Américano-Irlandaise. En octobre, lorsqu’elle avait décidé de quitter l’état de Californie pour la côte Est, les premiers commérages avaient évidemment été lancés concernant une jolie blonde qui aurait déserté le campus après avoir fait une fausse couche, la grossesse ayant été dissimulée à son petit ami. Ayant cependant été beaucoup trop focalisé sur la douleur qu’il pouvait ressentir à ce moment là, Aidan avait arpenté les couloirs du campus sans prêter oreille à ce qui pouvait se raconter sur lui et sur son couple qu’il croyait détruit à jamais. Et maintenant que Logan était de retour, les ragots avaient repris bon train. C’était d’ailleurs ceux-ci qui lui avaient appris que la jolie blonde était rentrée. Mais ils avaient vite fait de l’irriter : beaucoup de surnoms fusaient, tous plus insupportables les uns que les autres, tous la traitaient de sans gêne, de gonflée pour oser remettre les pieds dans la même université que son « ex » après ce qu’elle avait pu lui faire. Mais en quoi cela les regardaient-il ? L’Irlandais se retenait d’hurler cette question à la figure de tous ceux qui osaient parler ainsi de la jeune femme. De quoi se mêlaient-ils ? Cela ne les regardait pas, cela ne regardait personne en dehors d’eux deux. Qu’y gagnaient-ils ? Prenaient-ils réellement du plaisir à parler sur le dos de Logan et de la voir se faire discrète en traversant les couloirs de Berkeley, encore plus honteuse qu’elle ne l’aurait dû l’être ? Il n’y avait aucune justification à cette cruauté, et Aidan était tout simplement incapable de supporter cela. Il s’était pourtant contenu, jusqu’à ce soir. Jusqu’à ce que cet étudiant ose parler de la sorte à sa petite amie, face à lui, alors qu’il s’apprêtait déjà à le faire déguerpir pour l’avoir touchée.

Assis sur le rebord de la baignoire, le brun était condamné à ne pas bouger, à rester statique alors que l’Américano-Irlandaise se chargeait de désinfecter les quelques blessures qui recouvraient son visage et sa main. Il n’avait d’autre choix que de supporter cette proximité qui avait le don de l’étouffer. Non pas qu’il ne supportait pas le fait d’être aussi proche d’elle physiquement parlant, loin de là. Mais c’était la première fois depuis cinq mois qu’il était suffisamment près d’elle pour entendre les battements de son cœur se mêler à sa respiration, deux sons qu’il connaissait par cœur et qui lui avaient terriblement manqué durant l’absence de la jeune femme. Et retrouver cette proximité avait le don de le déstabiliser plus qu’il ne le souhaitait. Sentir ses mains qui parcouraient son visage, qui frôlaient sa peau ne lui donnait qu’une envie, celle de la prendre contre lui et de ne plus jamais la lâcher, par peur qu’elle s’en aille de nouveau. Cependant, il devait se faire violence, tout à fait conscient que ce geste serait en parfaite contradiction avec la rancœur qu’il continuait d’éprouver pour la jolie blonde. Ainsi, il se força à rester statique, tentant vainement d’éviter le regard de Logan en sachant pertinemment que celui-ci aurait le don de le faire craquer. Le silence qui suivit ses premières paroles fut pesant, lourd à supporter, ce qui le força alors à relancer la conversation. Et, ayant repensé inévitablement à ce que l’étudiant avait balancé à la figure de la demoiselle dans le bar, il n’avait pu s’empêcher de la questionner par rapport à ce qu’elle traversait. Car il la connaissait, il la savait fragile et il doutait qu’elle parvienne à supporter ces ragots et cette pression constante alors qu’il n’était pas près d’elle comme à son habitude pour l’épauler, la soutenir et la rassurer. « Je vais bien. » affirma-t-elle alors en fixant son regard sur l’arcade d’Aidan qu’elle s’occupait de désinfecter, alors que lui avait relevé ses yeux dans sa direction. Se retenant de froncer les sourcils en guise de réaction à ces paroles, Aidan ne répondit rien. Elle mentait, il pouvait le ressentir avec une facilité déconcertante. Il la connaissait par cœur et supposait –à raison- qu’elle n’arrivait pas à passer outre tout ce qui pouvait se raconter à son sujet au sein de Berkeley. Il ne savait ce qu’elle avait mis en place pour tenter de gérer cela, mais il pouvait entendre son cœur s’accélérer alors qu’elle lui assurait que tout allait bien. Mensonge. « De toute manière je n’ai que ce que je mérite, je savais à quoi m’attendre en revenant. » Une nouvelle fois, l’Irlandais n’eut aucun mal à comprendre qu’elle ne répondait que par ce qu’il aurait aimé entendre et non pas par la vérité. Peut-être s’était-elle imaginé que quelques rumeurs auraient circulé la concernant, mais il savait que jamais elle ne s’était attendue à ce que cela prenne de telle proportion. Pourtant, une fois de plus, il ne lui répondit rien, se contentant de redescendre son regard et de la laisser désinfecter son arcade abîmée.

« Ne te bats plus pour moi Aidan. » Ce ne fut que lorsque la douce voix de l’Américano-Irlandaise prononça ces mots que l’étudiant en art releva ses yeux pour les poser sur elle. Ne plus se battre pour elle ? Pensait-elle seulement un seul mot de ce qu’elle venait de lui demander ? Se sentait-elle suffisamment forte pour continuer son chemin dans l’université sans sa protection ? Il ne prenait pas Logan pour une pauvre fille sans défense, loin de là. Il la savait dotée d’un mental de béton et capable d’endurer énormément de chose, endurcie de par tout ce qu’elle avait pu vivre depuis la mort terrible de sa mère. Mais il la savait également terriblement fragile. Lorsqu’il l’avait sauvée d’une agression certaine cet après-midi pluvieux en plein centre-ville, il avait eu le droit à une demoiselle renfermée, qui restait sur les pattes arrière pour se protéger. Mais dès que la confiance s’était installée entre eux, il avait pu voir à quel point elle était brisée intérieurement, à quel point elle avait besoin de soutien. Ils avaient vécu ensemble durant six ans, leur amour leur permettant à tous les deux de se remettre de leur passé respectif. Et à présent, Aidan doutait fortement que la jolie blonde soit réellement capable d’endurer cela sans son aide. Non pas parce qu’elle était faible, mais bien parce qu’il avait été son pilier des années durant et qu’elle se retrouvait seule pour affronter cela pour la première fois depuis longtemps. « C’est vraiment ce que tu veux ? » demanda-t-il alors d’un ton neutre, ses yeux clairs toujours rivés sur elle. Le silence qui suivit ses paroles fut parfaitement significatif, pourtant, il ne put s’empêcher d’insister. « Tu veux que j’ignore tout ce qu’on raconte sur toi ? Que je fasse comme si ça ne m’atteignait pas et que je n’en avais rien à faire que tout le campus s’en prenne à toi ? » Il savait parfaitement que ce n’était pas ce qu’elle souhaitait. Parce qu’ignorer les commérages la concernant et ne plus se voir touché par ça serait signe qu’il n’était plus attaché à elle. Ce qui, évidemment, n’était pas le cas, étant donné qu’il était encore amoureux d’elle comme au premier jour, si ce n’est plus. « Désolé, mais j’en suis incapable. » termina-t-il sur un ton plus sec, fronçant cette fois-ci les sourcils. Las et surtout agacé par la demande qu’elle venait de lui faire, Aidan finit alors par se décaler légèrement, de sorte à ce que les mains de l’étudiante ne le touchent plus, et il se leva, s’éloignant de la baignoire de quelques pas en soufflant pour retenir le mécontentement qui le gagnait à nouveau.

Pourtant, il avait beau s’être légèrement éloigné de Logan, son sang continuait à bouillir. Pourquoi lui demander de ne plus se battre pour elle ? Il ne pouvait simplement pas lâcher l’affaire, et elle le savait très bien. Comment pouvait-il faire abstraction de tout ce qu’il entendait ? Croyait-elle sincèrement qu’il pouvait réussir à ne pas être touché en plein cœur à l’entente de ce genre de paroles ? Soupirant longuement, l’Irlandais se retourna pour faire face à la jeune femme, croisant les bras contre son torse à défaut de les laisser pendre dans le vide inutilement. « Et puis, pourquoi tu me demandes ça ? Qu’est-ce que tu attends de moi ? Que je te laisse faire ton bout de chemin toute seule, comme une grande ? » Sa voix s’était emportée plus que ce qu’il aurait souhaité. Mais c’était plus fort que lui. Une fois de plus, il ne la prenait pas pour une fille faible, mais il la connaissait et savait très bien qu’elle ne tiendrait pas longtemps seule, si elle n’avait pas déjà craqué sous la pression constante qu’exerçaient les étudiants de Berkeley sur ses frêles épaules avec leurs fichus ragots. « S’il te plait, arrête. Arrête de prétexter que ça va, arrête de me faire croire que tu n’as pas besoin de moi. Parce que ce n’est pas ce que tu m’as fait comprendre en venant me voir l’autre jour au magasin. » termina-t-il alors que la colère le gagnait de plus en plus, se faisant largement ressentir dans le ton qu’il employait. C’était à prévoir, il était tout bonnement incapable de garder le contrôle de ses nerfs face à elle. Il fallait forcément que sa rage éclate, et il se doutait bien que la suite de la conversation risquait de ne rien arranger. Car, avec la référence à leur dernière entrevue qu’il venait de faire, le sujet allait forcément dérivé sur eux, sur leur couple et sur ce qu’il en advenait. Et ce sujet était encore beaucoup trop sensible pour l’un comme pour l’autre pour qu’ils parviennent à discuter calmement.

Il était surprenant de voir à quel point le cœur pouvait encaisser chaque jour. Malgré les difficultés, malgré les peines et malgré les joies, il survivait à tous ces changements d'émotions qui pourtant le mettaient à rude épreuve. Le cœur était de loin le muscle le plus fort du corps humain, capable de résister à toutes les épreuves ou presque. Le sien résistait depuis des années grâce à un seul et unique miracle qui portait un nom : Aidan. C'était ce jeune homme qui permettait à son cœur de tenir encore et toujours chaque jour même en étant loin de lui, parce que le simple fait de savoir qu'il allait bien, qu'il était en vie suffisait à la jeune femme pour parvenir à continuer de vivre. Elle était attachée à lui d'une manière si intense qu'au cours des cinq mois qu'elle avait passé loin de lui elle avait été étonnée que son cœur ne la lâche pas du jour au lendemain. Mais c'était aussi pour lui qu'elle tenait car, quand bien même l'Irlandais lui en voulait-il pour ce qu'elle avait pu faire, pour ce secret qu'elle avait gardé et pour son départ expliqué au travers de quelques petits mots couchés sur du papier, elle savait qu'il continuait de l'aimer sans doute aussi intensément qu'elle-même pouvait l'aimer encore aujourd'hui. Elle avait mis son cœur à rude épreuve dernièrement et pourtant elle s'en sortait plutôt bien aussi fragile puisse-t-elle être physiquement à cause de son asthme. Les crises avaient d'ailleurs été plus importantes lorsqu'elle avait mis les pieds à New York. Si elle avait prétexté que l'air pollué de la ville était la raison de ses crises, elle savait parfaitement à cette époque que ce n'était qu'un mensonge de plus.

San Francisco n'était pas moins polluée que New York, c'était peut-être même pire là-bas, mais elle avait préféré ce mensonge plutôt que d'avouer que ses crises étaient dues aux larmes qu'elle n'avait pas cessé de verser lorsqu'elle s'était trouvée seule, libre de pensée à ce qui la torturait tant. Oui, le corps humain ne cesserait jamais de la surprendre car si son cœur semblait particulièrement fort et capable d'encaisser les pires douleurs, elle avait également été surprise de voir à quel point elle était capable de pleurer sans s'arrêter. C'était à croire que son corps ne pourrait jamais se vider totalement des larmes qu'il contenait puisqu'en une journée complète elle n'avait pas cessé de pleurer. Peut-être était-elle faible à tous les niveaux finalement ? Elle était parvenue à se battre et à garder la tête haute pendant bien trop d'années pour parvenir à le faire également ces derniers temps. Ou peut-être était-ce tout simplement le fait qu'Aidan était de loin sa plus grande faiblesse à cause de cet amour sans limite qu'elle pouvait ressentir envers l'Irlandais ? C'était ce qui lui semblait le plus probable. Tout ce qui touchait de près ou de loin l'étudiant ou leur couple la rendaient bien plus faible qu'en temps normal. Dans ces moments-là Logan était tout bonnement incapable d'user du même répondant que lorsqu’on la cherchait un peu trop. Elle ne trouvait plus les mots et son cerveau semblait refuser de lui permettre de réfléchir correctement et c'était encore bien pire lorsque le sujet de ses pensées était dans les parages. Lorsqu'elle le voyait, la jeune femme perdait tous ces moyens et il n'y avait qu'à voir l'état dans lequel elle s'était trouvée une fois de nouveau face à lui. Certes, le moment qu'elle avait choisi pour revenir le voir n'avait pas été le meilleur mais Logan savait très bien au fond d'elle que peu importait le moment ou l'endroit, elle aurait réagi exactement de la même façon.

La vérité était qu'à présent tout lui semblait être si difficile alors que tout avait été simple entre eux pendant six ans. Ils ne s'étaient jamais rien cachés, ils s'étaient mutuellement soutenus contre vents et marées pourtant l'Américaine était parvenue à tout gâcher si facilement que s'en était effrayant. Cependant, elle continuait d’espérer pouvoir se rattraper, de pouvoir sauver son couple mais une partie d'elle-même semblait également avoir baissé les bras ce qui était une première la concernant. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre Aidan et ce même si c'était la partie égoïste de sa personnalité qui pensait ainsi. Elle ne pouvait pas risquer de ne plus jamais pouvoir aller se loger dans ses bras. Elle ne pouvait pas supporter l'idée de ne plus jamais sentir son corps contre le sien et de le voir aimer une autre alors qu'elle savait pertinemment que son cœur ne cesserait jamais de battre pour lui parce qu'il était le seul, l'unique, l'homme qu'elle aimerait jusqu'à sa mort quoi qu'il puisse désormais se passer entre eux. Pourtant, il était si difficile d'être si près de lui désormais. C'était ce qu'elle désirait le plus depuis des mois, mais pas de cette manière, pas alors qu'il venait d'échanger des coups pour elle, pour eux et pas alors qu'elle savait très bien que l'un comme l'autre étaient en train de lutter en silence contre cette attirance magnétique entre eux. Logan le connaissait par cœur, elle savait que lui aussi devait se faire violence pour ne pas craquer, c'était comme si tout le corps de l'Irlandais lui lançait des signaux pour le lui faire remarquer. Qui aurait pu imaginer que désinfecter des blessures pouvait demander autant de self-control ?

Et, même si elle aurait souhaité pouvoir rester aussi près de lui plus longtemps, Logan cessa une bonne fois pour toute de passer le coton gorgé de désinfectant sur les blessures d'Aidan tout en s'éloignant de quelques pas comme si, déjà, son corps tout entier sentait que la situation allait déraper avant même que les mots ne s'échappent de sa bouche. « C’est vraiment ce que tu veux ? » Ce qu'elle voulait ? Logan n'en avait pas la moindre idée. Elle était tellement perdue qu'elle peinait à mettre de l'ordre dans ses pensées même si certaines choses lui paraissaient assez clairs : le fait de vouloir retourner près de lui, le fait de se faire pardonner mais aussi que l'on arrête de parler sans cesse sur elle. « Tu veux que j’ignore tout ce qu’on raconte sur toi ? Que je fasse comme si ça ne m’atteignait pas et que je n’en avais rien à faire que tout le campus s’en prenne à toi ? » Si l'Américaine avait évité tout contact visuel avec lui jusqu'à présent, elle tourna doucement la tête vers lui et posa son regard sur Aidan en avalant sa salive avec difficulté tandis que son estomac ne cessait de se nouer de plus en plus douloureusement. « Désolé, mais j’en suis incapable. » Toujours silencieuse, elle se décala sur le côté lorsqu'il se releva et le suivit du regard tandis qu'il s'éloignait d'elle. Mordant sa lèvre avec fureur, Logan parvint à ravaler les larmes qui commençaient à envahir son regard et s'adressa au dos de l'Irlandais. « Je ne te demande pas d'ignorer ce qu'on dit à mon sujet, même si tu en étais capable c'est impossible ici. Mais si tu réagis comme ça à chaque fois, tu vas finir à l'hôpital parce qu'ils ne vont pas s'arrêter, ça les fait bien trop jubiler et tu rentres dans leur jeu Aidan ! » Sa voix, bien que tremblante, monta d'un cran sans qu'elle ne parvienne à se contrôler. Elle avait beau s'adresser au dos du jeune homme ce n'était pas ce qui empêchait la colère de l'envahir.

« Et ce que je veux ? Revenir en arrière et ne pas perdre l'enfant que j'attendais et ne pas te blesser comme j'ai pu le faire, mais ça tu vois, ça m'est impossible ! » Oui, la colère augmentait de plus en plus en elle. Elle ne contrôlait plus cette rage qu'elle avait refoulée au plus profond de son être des mois plus tôt. Elle n'était pas en colère contre Aidan - ou peut-être un peu - elle l'était avant tout contre elle, contre le monde entier et contre cette saleté de malchance qui s'acharnait sur elle quoi qu'elle fasse. Son regard continua de le fixer même lorsqu'il lui fit fasse car dans des situations comme celle-ci son entêtement prenait le dessus et elle ne supportait pas le fait de ne pas avoir le dernier mot, qu'elle ait tort ou non. « Et puis, pourquoi tu me demandes ça ? Qu’est-ce que tu attends de moi ? Que je te laisse faire ton bout de chemin toute seule, comme une grande ? » La mâchoire de la jeune femme se crispa et à son tour elle croisa les bras contre sa poitrine en continuant de soutenir son regard en silence. « S’il te plait, arrête. Arrête de prétexter que ça va, arrête de me faire croire que tu n’as pas besoin de moi. Parce que ce n’est pas ce que tu m’as fait comprendre en venant me voir l’autre jour au magasin. » Les poings de l'Américaine se serrèrent malgré le fait qu'elle garda les bras croisés. Elle sentit ses ongles s'enfoncer dans la paume de ses mains tout aussi bien que la colère qui grondait en elle. « Et tu veux que je fasse quoi ? Que je passe mon temps à pleurer ? Sache que c'est déjà le cas, tous les jours depuis cinq mois si tu tiens à le savoir. Je pleure au réveil, je pleure dès que je suis toute seule et je pleure même la nuit. T'es content maintenant ? » Lâcha-t-elle sans même chercher à cacher sa frustration.

« J'aurais toujours besoin de toi Aidan, mais ... je n'ai pas le droit d'espérer quoi que ce soit, encore moins pouvoir te récupérer. Ça me ronge de l'intérieur, je pourrais jamais me pardonner ce que j'ai fait et malgré ce que je peux vouloir, je ne m'attends pas à ce que tu me pardonnes un jour. » Malgré la douleur qui lui lacéra subitement le cœur, sa voix resta empreinte de colère. Jamais elle ne serait capable de passer à autre chose et de l'oublier mais elle serait tout aussi incapable de se pardonner ce qui la mettait le plus en colère car elle avait conscience que se torturer comme elle le faisait tous les jours ne l'aiderait jamais à tenir le coup et à se relever complètement de ce par quoi elle était passée. « Alors, tu veux savoir ce que j'attends de toi ? Que tu passes à être chose parce que tu mérites mieux que moi, tu mérites d'être heureux et de ne pas être touché par tout ce qu'on dit à mon sujet. Tu mérites quelqu'un qui ne te fera pas souffrir comme je peux le faire et crois-moi que ça me coûte de te dire ça parce que quand il s'agit de toi je suis égoïste et je préférerais mourir que de te voir avec une autre, mais je veux que tu sois heureux Aidan et j'ai peur de ne pas pouvoir te donner ce bonheur. » Son cœur battait à tout rompre à présent à tel point que sa respiration était saccadée et l'air venait à lui manquer par moment. Cependant, Logan resta la tête haute et parvint à ne pas pleurer alors qu'une fois de plus c'était la seule chose qu'elle souhaitait. Elle le voulait heureux, c'était là la seule chose que l'Américaine désirait, ça et rien d'autre et malheureusement elle était parvenue à se persuader qu'elle ne serait plus capable de le rendre heureux, comme si déjà elle avait tiré un trait sur leur couple, sur leur histoire.