Rappelez-vous cette sensation que vous avez lorsque la situation vous échappe. J’étais en train de le vivre en ce moment. Une situation totalement incontrôlable, d’une fille qui s’était laissée embarquée par le charme et la déchéance de Las Vegas. Dans ma tête, encore plongée dans un profond sommeil, j’essayais de me remémorer tous les évènements de la soirée dernière. Quelle idée de partir faire un road trip à quatre dans cette ville où tous les péchés capitaux s’alignaient devant vous. Tout ce dont je me rappelais, c’était ce serveur qui m’apportait ce grand verre de jus de fruit « maison » comme il l’appelait. Au final, j’en avais bu plus d’une dizaine. J’avais totalement perdu le contrôle sur ce dont je m’étais battue pendant des années. Je m’étais jurée de ne plus boire une seule goutte d’alcool et surtout de ne plus me laisser tromper, comme à la dernière soirée des Omega. C’était complètement raté. Je m’étais laissée trompée par un prétendu serveur avec du jus de fruit. Après toutes ces années sans alcool, je n’arrivais plus à reconnaître son odeur ni même son goût. Lorsque j’étais adolescente, je m’étais détruite les organes avec l’alcool. Je n’avais même plus conscience du temps ou même de l’endroit où j’étais. Mes yeux s’ouvraient petit à petit, me sortant de mon rêve presque trop réel. La lumière me faisait mal aux yeux. Bon sang, j’avais oublié à quel point cette sensation était désagréable. J’avais mal à la tête, la bouche complètement pâteuse, et le ventre complètement à l’envers. C’était probablement certain, j’allais passer une partie de la journée aux toilettes pour vomir tout ce que j’avais bu. Je ne pouvais pas garder ça en moi, c’était contraire à mes engagements envers les alcooliques anonymes. D’ailleurs, j’allais appeler dans la journée la personne qui me suivait depuis que je faisais partie de ce groupe. Tant pis si j’allais le déranger avec le décalage horaire. J’avais besoin d’en parler à quelqu’un, c’était inévitable. La situation la plus bizarre de ma vie, j’étais en train de la vivre. J’étais allongée, sur quelque chose de dur. Peu confortable. En réalité, j’étais couchée sur de la moquette dans un couloir du casino. Je me relevais, doucement, histoire d’éviter de rendre tout ce que j’avais ingurgité dans la soirée. « Mon dieu… Mais j’ai pas passé la nuit ici quand même ? » disais-je, en touchant mon front. Ma tête me faisait incroyablement mal. En me touchant la tête, je remarquais que je tenais fermement un papier dans la main. Ma vue n’était pas complètement revenue. Je n’arrivais d’ailleurs pas à faire le point, pour essayer de lire ce qu’il y avait marqué dessus. Et je devais surtout retrouver Dmitri qui devait probablement s’inquiéter. Je me demandais pourquoi j’avais dormi dans ce couloir. Ou si je m’étais simplement assoupie. J’observais les passants qui semblaient intrigués. « Bah quoi. Vous n’avez jamais perdu les clefs de votre chambre ? » disais-je, à un couple qui me regardait bizarrement. Perdre les clefs de sa chambre, c’était une bonne excuse. Toute mon attention se retrouvait sur le papier que j’avais dans les mains. Je m’engageais dans une grande lecture, lecture qui allait perturber le restant de ma vie. « Mariage Certificate. Celui-ci certifie que, soussigné par Maître Johnson, fait le 16 janvier 2013 ont été unis par le mariage Dmitri Wakefield, de Sydney, Australie et de Roxane Leclair-Fawkes, de Londres, Angleterre en tout consentement en présence de Perdita Da Pitruzzela et Esmeralda Alexander, leurs témoins. » J’étais en train de relire une fois, deux fois, trois fois la même chose… Unis par le mariage résonnait dans ma tête comme un puissant ultrason. Logique tout ceci ! A Las Vegas, beaucoup de personnes se mariaient. Mais deux étudiants qui venaient de se mettre en couple… Deux étudiants probablement abrutis par l’alcool. Une expression horrifiée se dessinait sur mon visage, complètement crispé par la panique. Je regardais ma main gauche et mon annulaire qui scintillait de mille feux. Une bague avec un diamant presque aussi gros que mon ongle. Bah dis donc il n’était pas allé par quatre chemins. Rien n’enlevait le fait qu’il fallait rompre ce mariage. Bien que j’étais profondément amoureuse de Dmitri, je devais déjà le retrouver en parler. Complètement tétanisée, je n’osais même pas bouger. En réalité, je fixais le certificat puis la bague qui brillait autour de mon doigt. Je sortais mon téléphone de ma poche. Celui-ci collait. Mon dieu, je n’imaginais même pas dans quel état je devais être hier. J’étais aussi décoiffée et mes vêtements étaient tâchés de drôles de couleurs. Je composais le numéro de portable de Dmitri que je connaissais par cœur. Pas de réponse. Je décidais de lui laisser un message vocal, la voix légèrement tremblante. « Dmitri… C’est moi. Roxane. Je… Je ne sais pas où j’ai passé la nuit, je me suis réveillée dans un couloir. Je suis devant la chambre… » Je me retournais pour regarder le numéro. « 2408. Viens vite, s’il te plaît. Il faut qu’on parle. » Je raccrochais. J’espérais qu’il me trouve rapidement. Pour le moment, je me relevais, en relisant encore le certificat de mariage. Je n’en revenais toujours pas. Je devais être sacrément saoule pour avoir été jusque devant l’autel d’une de ces chapelles comme il existait par centaines à Las Vegas. Tout ce qui se passe à Las Vegas, reste à Vegas. Je n’en étais plus vraiment si sûre. Et si je ne pouvais pas faire annuler ce mariage ? Et si Dmitri voulait réellement m’épouser ? J’étais complètement confuse. Mais au moins, cette soirée était à classer dans mon top dix des soirées les plus… inoubliables. Surtout quand on ne se souvient de rien.

Je n’avais envie que d’une seule chose : rentrer chez moi. Je n’aurai jamais dû accepter de venir à cette soirée. Mais j’avais tellement envie de sortir, de décompresser. Puis passer du temps avec ma confidente, et Esmeralda une fille que j’appréciais de plus en plus, c’était génial. En réalité, cela faisait longtemps que je ne m’étais amusée comme ça. Si je passais outre le fait d’avoir bu jusqu’à ne plus me souvenir de là où je me trouvais. Je ne riais pas. Je connaissais parfaitement ces trous noirs, lors de ces soirées un peu trop arrosées. Je n’en avais pas eu un depuis longtemps. J’étais encore sous le choc. Tous mes efforts pour vaincre mon alcoolisme semblaient réduits à néant. Je savais qu’une fois partie de Las Vegas, j’allais appeler mon conseiller. Et mes parents aussi. Je devais en parler. J’avais presque envie de m’effondrer en larmes. Je m’en voulais, terriblement. Avant que Dmitri arrive, je faisais le pour et le contre de cette soirée. Mis à part le fait que j’étais à nouveau sobre, je me retrouvais mariée à mon petit ami. Pour aller jusque-là, je devais être sacrément amochée. Dmitri ne tenait pas l’alcool donc c’était facile à comprendre. Et nos « témoins » Perdita & Esmeralda étaient habituées à boire à outrance. Moi non, et Dmitri non plus. C’était injuste. Je me demandais si les filles avaient vécues des choses aussi… surprenantes la nuit dernière. Je sortais enfin de ma rêverie lorsque la voix de Dmitri vint à mes oreilles. Je le prenais dans mes bras, regardant dans un vide le plus total. Je tenais encore fermement le certificat de mariage qui nous liait à présent pour la vie. Soit on le rompait, soit on restait mariés. Tout ceci me fichait la trouille. Je ne m’imaginais pas vraiment mariée à vingt-et-un an et surtout pas à Las Vegas. Comme toute jeune fille, je rêvais d’une demande de l’homme de ma vie un genou à terre, autour d’un dîner aux chandelles. La bague planquée dans une flûte de champagne ou quelque chose comme ça. Au moins, j’échappais à l’étouffement et au dîner ultra cher. Enfin, l’argent ce n’était pas ce qui manquait pour nous deux. Je m’imaginais dans une belle robe blanche, avec tous mes amis et ma famille avec moi. Et ma sœur qui me regardait de là-haut, me donnant sa bénédiction. De là où elle était, elle devait me maudire d’avoir mis un terme à ce combat contre l’alcoolisme. Je m’en voulais aussi, par rapport à elle. « Je suis content de voir que tu va bien...je me suis énormément inquiété pour toi, et je ne comprends toujours pas pourquoi tu es là…mais à en voir ton visage, toi non plus…» Ma réponse se soldait par un non de la tête. J’étais tétanisée, pétrifiée par ce qu’il allait me dire. Ou alors, lui non plus ne se rappelait plus de rien et donc ne savait pas qu’il était marié. Tout se mélangeait dans ma tête. Ma migraine reprenait d’ailleurs. Je grimaçais. Plus jamais je n’irai à Las Vegas. Plus jamais. Même si on me traînait de force là-bas. « Je…avant que tu me dise quoique se soit, je voulais m’excuser auprès de toi. » Hein ? Pourquoi il s’excusait ? Il était tout aussi saoul que moi, et ne tenait pas l’alcool non plus. « T’excuser ? Mais pour quoi ? » disais-je, d’une petite voix mal réveillée. « Je n’ai pas été à la hauteur d’un petit ami..je n’ai pas su être là pour ne pas que tu boive et…je m’en veux, je voulais tout simplement m’excuser même si je sais que ce n’est pas excusable comme ça, en un claquement de doigt, et je m’en veux qu’en une seule nuit, tout tes efforts soient réduits en fumé…» Lui aussi était conscient de ce que j’avais fait. Et de tout ce que je devais recommencer. « A vrai dire, mes efforts se sont anéantis lors de la fête des Omegas. » disais-je, en baissant la tête. Je pouvais mettre mon jeton anti-alcoolisme à la poubelle. Je m’en voulais tellement. « Une fois qu’on sera partis d’ici, j’appellerai mon conseiller pour… lui en parler. » Le pire, c’est que j’avais très certainement bu contre ma volonté comme lors des Omega. Mais j’étais aussi fautive. J’aurai du sentir que mon verre était plein d’alcool. Je ne m’étais pas arrêtée à temps. J’étais aussi fautive que ce serveur ou cette personne qui m’avait forcée à boire. Dmitri me prenait la main, comme s’il avait fait quelque chose de grave. Il m’avait trompée ? « et je n’ai pas fini de te décevoir…mais…je crois que cette nuit j’ai fais l’une des pires conneries de ma vie..» Ou alors il était au courant de notre mariage. Dans ces cas-là, pourquoi est-ce qu’il ne m’en parlait pas ? Je commençais peu à peu à paniquer, et à stresser. Je tremblais d’ailleurs, légèrement. Les larmes elles, me montaient rapidement aux yeux. Je me retenais, vraiment. « Je, je...je suis marié Roxane, et je ne sais même pas avec qui, et je m’en excuse auprès de toi…je, suis horrible..» Ok, tout comme moi il ne se rappelait même pas de ce qu’il avait vécu la nuit dernière. C’était rassurant… Ou pas. Je regardais sa main et son alliance à son annulaire. Elle était simple, mais en or. J’avais mis aussi les moyens pour le faire. Je reculais alors, pour sortir le certificat de mariage. « Si c’est de ce mariage dont tu parles… Je crois savoir qui est la mariée. » disais-je, en lui tendant le papier. Je lui montrais ma main et surtout mon gros diamant. Je savais que cette nouvelle allait faire l’effet d’une bombe. « Tu ne t’es pas marié avec une inconnue… C’est… moi. » disais-je, d’une voix grave. « Et je ne me souviens de rien. » disais-je, en grimaçant. C’était probablement le pire dans tout ça. Ne pas se souvenir de ses faits et gestes, et voir à la place de cela, un gros trou noir. Je le regardais lire plusieurs fois le certificat. Il était bien authentique, daté d’hier avec nos deux signatures un peu faite à l’arrache. A ce moment, je ne devais plus être capable de tenir un stylo. Je regardais encore la bague à mon doigt. Même si ce mariage n’était pas vraiment désirée, je ne pouvais m’empêcher de rêver de ce moment. Si Dmitri était le bon, je n’imaginais pas vraiment un mariage comme ça. Cette bague était tout simplement époustouflante. Je revenais à mes esprits, pour discuter de cette situation embarrassante. « Qu’est-ce qu’on va faire ? » disais-je, sérieuse. C’était le seul point à travailler pour le moment, le reste comme mon alcoolisme pouvait attendre quelques heures.

Même si je ne me rappelais pas de la nuit que je venais de passer, une chose était certaine : le lendemain en était mémorable. Je me retrouvais mariée à vingt-et-un an. Et encore heureux pour moi, c’était avec Dmitri. Je n’aurai même pas imaginé si c’était avec un inconnu. Il fallait bien entendu que ce mariage soit brisé le plus vite possible. Même si le fait d’être mariée à Dmitri ne me déplaisait pas, je me sentais beaucoup trop jeune pour me faire passer la bague au doigt. Et puis… Ce n’était pas comme ça que je désirais me marier. Certainement pas alcoolisée et surtout pas à Las Vegas. J’avais trahi tous mes principes fondamentaux en une seule soirée. Je ne voulais pas retomber dans ce piège, dans mes vieux démons qui j’en étais certaine, m’attendaient les bras grands ouverts. Ils n’attendaient qu’une seule chose : un moment de faiblesse pour que je recommence. Je me sentais terriblement coupable… Mais je n’étais pas la seule. Dmitri semblait être encore plus coupable. Non, ça ne pouvait pas être lui. J’étais la seule et unique responsable de ce carnage. Si je n’avais pas bu, si je n’avais pas reconnu l’odeur ainsi que le goût de l’alcool masqué dans ce verre… Avec ce « si », j’aurai pu éviter de me retrouver sans mariage sur les bras. J’aurai du rester lucide. La culpabilité me rongeait encore plus maintenant. « Ce n’est certainement pas de ta faute. Toi et moi on sait que l’on ne tient pas l’alcool… J’aurai du rester lucide. Pour éviter qu’un tel foutoir arrive sur nous. » disais-je, en baissant la tête. Mon combat contre l’alcool était réduit à néant depuis un bon moment en fait. Je me demandais simplement quand est-ce que j’allais rechuter. Cette soirée semblait sonner le glas au-dessus de ma tête. J’avais franchi la limite. Tout avait commencé lors de cette fête avec la confrérie Omega avant le saccage des maisons de confréries. « Tu devais probablement être trop occupé à gérer les conflits de cette soirée… Elle était chargée en conflit entre Dmitri et Isaac. Je m’étais retrouvée au milieu, et au final j’avais passé la soirée devant le buffet. C’était probablement la première fois où je m’éclatais autant pensant que je n’avais bu que du jus de fruit. Erreur. J’étais une autre personne lorsque j’étais sous l’emprise de l’alcool. J’étais mauvaise. Comment me réjouir de cette soirée, si je me retrouvais mariée… En tout cas, lorsque Dmitri apprenait la nouvelle, c’était un choc pour lui. Et je le comprenais. J’avais eu la même réaction il y a quelques minutes. J’étais complètement perdue. Au moins, il pouvait se rassurer d’être mariée avec moi et non avec une inconnue. La pilule était probablement plus simple à avaler comme ça. Mais elle allait rester en travers pour un petit moment. Je le regardais silencieuse, lui en train de fixer ma main et cet énorme diamant que j’avais à l’annulaire. Il était beau certes, mais pas maintenant. Pas comme ça. Je m’attendais à une réaction violente de sa part. Tout ceci me faisait flipper autant que lui. Il fallait absolument retrouver le « prêtre » ou plutôt le charlatan qui nous a marié la nuit dernière et faire annuler ce foutu papier. « Elle vient de toi… Et à mon avis… disais-je, en fixant le diamant qui brillait de mille feux. « Elle vaut hyper cher. » disais-je, en grimaçant. Peut-être même qu’il y avait passé ses économies. Je retenais mes sanglots au fond de la gorge. Je n’avais pas envie que cette histoire de mariage à Las Vegas détruise notre relation. Je n’avais pas envie de perdre celui qui amenait un peu de soleil dans ma vie. Depuis que notre couple était officiel, je pensais de moins en moins à ma sœur. Mis à part aujourd’hui. J’avais foutu en l’air des années et des années de travail acharné pour une simple soirée à Vegas. Je l’avais en travers tout ça. « Absolument rien. Mis à part le fait que j’avais commandé un verre sans alcool… » disais-je, en creusant dans ma mémoire. Rien ne revenait. Je me demandais combien de verres j’avais ingurgité pour en arriver jusqu’à avoir des trous noirs. « Elles n’ont peut-être pas voulu te faire peur… Ou alors te faire une farce. » J’essayais de le rassurer mais en réalité, je me posais aussi la question maintenant. Pourquoi elles n’avaient pas dit que j’étais la mariée ? C’était si honteux à dire ? Une question dont je n’aurai jamais la réponse. « Tout ce que j’espère, c’est que nous n’avons pas fait d’effraction ou un truc comme ça. Je peux dire adieu à ma carrière et toi à la tienne. » J’étais très sérieuse. Cette soirée pouvait beaucoup plus de dégâts qu’autre chose. Je le regardais s’étaler contre le mur tout en m’expliquant que ce mariage ne pouvait pas continuer d’exister. En l’entendant, cela sonnait presque comme une rupture. C’était difficile mais j’espérais que cette annulation n’affecte rien. Je frottais mes yeux humidifiés pour les sécher. Je m’installais à ses côtés, en lui prenant la main. Ce diamant me donnait encore plus mal à la tête. « Je ne voulais pas me marier comme ça. Pas à Vegas. Pas avec deux grammes d’alcool dans le sang. » disais-je, en serrant sa main. « Je rêve d’un mariage à l’Église, dans une belle robe blanche et toute ma famille à mes côtés. Et ma sœur qui veille sur moi. Elle doit être en train de me maudire. » disais-je, en laissant échapper un petit rire nerveux. Bref, ce n’était pas le moment de se lamenter sur nos sorts respectifs. Il fallait tout annuler et vite. Plus l’heure tournait, plus les chances de retrouver ce curé s’éloignaient. « On doit retrouver ce curé. Il faut annuler ce certificat. Et aussi ramener cette bague… » disais-je, en la regardant. « Même si je la trouve magnifique. » disais-je, en terminant par un sourire en coin. Je tournais la tête vers Dmitri, celle-ci toujours collée contre le mur. C’était bizarre mais cela me donnait presque envie de rire. Est-ce que j’étais encore alcoolisée ?