C'était irraisonné. Totalement irréfléchi. Un coup de tête, une impulsivité. Un plongeon du haut de la plus grande falaise. Les yeux bandés. Le cœur aussi. Le coeur parce que mes blessures causées par la rupture d'avec Bijoue étaient certes pansées mais bien loin d'être guéries. Les yeux parce que je m'étais lancé avec Rowan à l'aveuglette. Cependant je ne le regrettais aucunement. Parce qu'elle me faisait oublier toute l'horreur de cette dernière année. Il fallait se dire les vraies choses : la vie ne m'avait pas épargné durant ces derniers mois. La mort de mon père adoptif, mon accident de voiture dû à mon problème d'alcool, la révélation de mon père biologique, ma rupture d'avec Bijoue. Tout s'était enchaîné sans me donner un seul moment de répit. Seulement voilà, Rowan était apparue un peu comme une fleur qui pousse dans le ciment, redonnant un peu de couloir au noir de mes jours. Il me semblait qu'avec elle, plus rien n'importait. Rien n'était sérieux et c'est ce qui rendait notre relation aussi sérieuse, aussi drôle puisse cela paraître. Elle était simple, joviale, nous nagions ensemble dans la naïveté pure du bonheur. Je voulais que jamais ça ne s'arrête.

« C'est ta faute si demain matin je me réveille avec un mal de dos horrible ! Enfin ne le prends pas mal, j'dis pas que t'es lourde, mais putain c'est haut ce truc et j'suis pas M. Muscle ! » Lançai-je à la blague tout en pensant mot pour mot ce que je disais. J'avais monté au moins toute la moitié du trajet menant au sommet des Twin Peaks avec Rowan sur le dos. Elle avait ses minces bras autour de mon cou, et ses jambes autour de moi, que je retenais entre mes mains. J'aimais sentir la chaleur de son corps contre la mienne, malheureusement j'avais moi-même tellement chaud à cause de cet effort physique que je ne savais même plus différencier. Heureusement, nous étions enfin parvenus jusqu'au sommet. Je me laissai tomber sur les genoux roulant sur le dos doucement pour que Rowan se retrouve allongée sur l'herbe, et moi par-dessus elle, tous les deux sur le dos. Je repris ma respiration. « Pffff ... t'essaies de me faire ressembler à Drew McFendders c'est ça ? Mon ventre de lutteur ne te convient pas ? » Je rigolai. Évidemment, je n'avais pas le corps le plus enviable et envié. Et je ne faisais absolument rien pour qu'il le soit ! Je me retournai finalement vers ma copine, pour réaliser que c'était elle qui portait le sac-à-dos avec toutes nos victuailles pour le pique-nique, et qu'il était écrasé sous nos deux poids. « Ah ben félicitations Rowan, maintenant on a plus rien à manger ! » Dis-je en faisant mine d'être fâché.