Lucas était bel homme. Lucas était très bel homme. Et Lucas était un ami. Inspirant profondément, profitant pleinement de la vie de campus, je ne pouvais m'empêcher de me rendre compte à quel point j'avais eu de la chance, ces dernières semaines ... Si on oubliait le fait que 'Xavier' n'avait toujours pas reconnu mon existence, la vie était belle, magnifiquement belle. J'avais l'impression d'être sorti tout droit d'un conte de fées, en route pour le pays des rêves, vivant une vie - presque parfaite - remplie d'amitiés, de relations plus ou moins poussées et de soirées arrosées où le champagne coulait à volonté. Certes, il y avait toujours un ou deux crétins dans les parages pour tenter de gâcher mon euphorie générale ... Mais en tout et pour tout ? Les choses cette année étaient bien mieux qu'elles ne l'avaient été pendant très longtemps.

Je ne sais plus d'où cette idée saugrenue de "Hé, mec, poto, wesh wesh, j'te fais découvrir un truc que j'aime, et toi, en retour, un truc que tu aimes !" venait. Mais en tous les cas, elle était bien pourrie. Enfin, surtout lorsque le "truc" que mon "ami" aimait, c'était le sport. En effet, vous auriez dû voir mon visage lorsque Lucas m'avait annoncé ça, pendant que je sirotais mon Hurricane quotidien, un soir, après un bon dîner bien copieux ! Mon cocktail m'est ressorti par les trous de nez, tandis que ma langue tentait de bégayer :

- Du ... Du sport ? Incrédule, mes pupilles s'étaient dilatées avant que j'ajoute, éventuellement, ayant retrouvé l'usage de ma voix : Mais t'es complètement fêlé ? Tu ne sais pas que le seul sport que je connais, c'est le sexe ?

Je devais afficher une drôle de tête, en vue de l'éclat de fou rire dont il avait été pris à ce moment là. Malheureusement, cela n'avait en rien changé notre accord. Et ainsi, me voilà, à la merci de cet homme en short moulant (enfin non, en jogging, mais dans ma tête, il était en short moulant) et tee-shirt dégoulinant de sueur. Traîné "de force" à cette fameuse salle de sport que j'appelais plutôt un catalogue de viande humaine, je faisais la moue, déterminé à faire comprendre à Lucas que ce n'était même pas la peine d'essayer de me faire prendre le goût à cet entraînement éprouvant et plus qu'inutile. Malheureusement pour moi, son enthousiasme et son envie de partager vraisemblablement inébranlables l'empêchaient de faire demi-tour et de revenir sur sa promesse de me faire passer "la meilleure heure de ma vie", et je fus donc contraint pour une raison que j'ignorais moi même de suivre sa volonté.

- Je serais prêt le jour où tu fumeras dix clopes simultanément. ris-je à moitié : je savais que cette journée n'arriverait jamais ... Mais j'étais en effet prêt, contre toute attente. Un léger sac à dos sur les épaules, j'avais mis mon propre mini short moulant avec un tee-shirt purement blanc tout propre qui n'allait pas le rester bien longtemps si ses dires étaient véridiques. C'est que le petit Billy avait un cerveau lorsqu'il le voulait !

- Si ton seul but était de me faire suer comme un petit cochon, il était inutile de me ramener jusqu'ici. râlais-je en plaisantant. Non, j'allais être sympathique avec lui, et j'allais faire l'effort de faire semblant de prendre goût à cette activité s'il n'y avait que ça pour lui faire plaisir. Il ôta son tee-shirt afin de le remplacer par un fin débardeur de léger tissus, ce à quoi j'émis un léger grognement amusé avant de chuchoter à moitié :

- Pfft. Frimeur, va.

Malgré mon fort métabolisme, mon manque d'exercice régulier m'empêchait d'être véritablement musclé, me laissant ainsi svelte, mais sans plus. Mon torse laissait entrevoir un début d'abdominaux qui avait le potentiel de se développer en véritable poitrine de Ken si je lui en donnais la chance, mais j'avais trop la flemme pour perdre autant de temps pour une simple question de vanité. Néanmoins, je n'aurais pas dit non si on m'offrait un corps comme le sien. Je ne voulais simplement pas à avoir à faire des efforts pour y parvenir. C'était au delà de ma fainéantise légendaire.

- Et bien sûr que j'ai d'autres affaires, plaisantais-je, On sait tous que je suis plus hygiénique que toi. Attends ici, je vais me changer.

Muni de mon petit sac, je marchai lentement en direction des vestiaires, revenant cinq minutes plus tard, en mini short bien plus serré que nécessaire, un bandeau qui aspirait la transpiration autour du front, et deux autres pour les deux poignets. Ceux qui disaient que je n'avais aucun sens de l'humour ne me connaissaient vraisemblablement pas, et me voici, en parfait stéréotype de "sportif" américain.

- Ça y est ! Je suis prêt ! Tu veux commencer par quoi ? demandais-je d'un faux enthousiasme.

- Ah ? Tu crois ? J'suis sûr que si on t'en collait dix dans le bec pendant que tu dormais et qu'on les allumait, tu dirais pas non. ris-je à moitié.

Le suivant à l'intérieur, j'aimais le fait qu'il appréciait mon sens de l'humour. À défaut de marcher sur certains, il semblait plus qu'efficace sur d'autres. S'il y avait bien une chose qui me rendait heureux, c'était de voir le sourire des gens de mon entourage. Mais alors celui de Lucas ? C'était un sourire hors de ce monde, tout simplement. Si seulement Darween avait eu un sourire comme ça ... Je pense que j'aurais pu l'aimer, au moins un peu. Mais Darween n'avait pas eu un sourire comme celui de Lucas, et Darween avait compris que ça ne pouvait pas être lui, celui que j'aimerais.

- C'est ça, c'est ça. rétorquais-je, le sourire aux lèvres. Je croyais que tu saurais déjà ce que j'allais te dire, à ce stade : que nous sommes humains, et que l'être humain sera toujours plus ou moins narcissique. C'est un donné.

Mais je ne m'en plaignais pas pour autant. Ricanant silencieusement, je me rinçais bien les yeux dans les douces vallées de son torse Apollonien. Je dois vous l'avouer. J'étais un peu nerveux lorsque je suis allé me changer. Pourquoi ? Parce que j'avais peur de sa réaction, légèrement ... Et surtout, de celle des autres. Mais un comédien ne reculait face à aucun obstacle et aucune difficulté, et j'aimais pensé être digne des drames de Broadway.

- Peut être. dis-je, le rire aux coins des lèvres. Avoue au moins que c'en est une bonne.

Je me grattai la tête un instant, incapable de me rappeler qui était ce dénommé "Rocky". Et pourtant, je me prêtais à son jeu, vu que lui se prêtait au mien ! Et je m'approchai ainsi de lui à un rythme de jogging, avant de m'arrêter et de faire semblant d'être déjà à court de souffle.

- Ça dépend, m'sieur. J'ai l'casse-croûte gratuit si j'fais c'que tu m'dis ?

Commençant à plier l'une de mes jambes, posant mes deux paumes de main contre ma rotule et feignant l'effort herculéen, je levai éventuellement la tête vers lui, avant de lui demander d'un ton angéliquement serviable :

- Dis moi, Luke ... J'imite bien les sportifs, au moins, dis ?

Souriant alors d'une oreille à l'autre, j'attendis sa réponse, tel un fidèle chien tentant de faire plaisir à son maître. Ce que j'aimais beaucoup, avec Lucas, c'était que c'était un excellent ami qui n'arrivait pas à me prendre au sérieux, et donc, avait du mal à s'imaginer que quoi que ce soit de mal puisse arriver dans la vie de Billy le pitre et Billy le clown de service, le véritable chimpanzé ambulant. Je me demandais s'il savait que Darween m'avait lâché comme une merde il y a moins de deux semaines. Je me demandais s'il savait que j'avais été avec quelqu'un pendant deux mois et demi pour commencer. Et puis, je changeais de sujet de réflexion, persuadé qu'il ne soupçonnait rien : je jouais, après tout, si bien la comédie, que je finissais par me convaincre moi même que tout allait bien. Mais je n'allais pas bien. Mon obsession pour Rylee seule en était un testament suffisant. Est-ce que je devais m'arrêter de vivre pour autant ? Non. Et c'est à ce but que je me donnais le droit de passer une journée en la compagnie de Lucas. Parce que je ne voulais rien de plus que le droit de vivre, et ça, c'était toute la vérité.