Les cours n’étaient pas terminés mais, j’en avais décidé autrement. Je fuyais mes dernières heures de cours parce que le courage et l’envie me manquaient. J’avais surtout besoin de sortir de respirer l’air frais. Du moins, ce qu’il en reste. Sans hésiter une seconde de plus, je mis un pied dehors puis un second. Je souriais et ne me tracassais guère. Après tout, cela fait quelques semaines que je suis réellement de retour. Il est clair que Berkeley m’avait manqué, ces gens, cette ambiance et surtout mon chez moi. Pour quelqu’un qui a grandi dans le coin, c’est une évidence. Pour rien au monde, je ne voudrais repartir. Je me sens tellement bien ici. Bien sûr, je pouvais tomber à tout moment sur ma petite sœur. Elle qui sait très bien me surveiller quand elle le veut. Nous sommes très protecteurs l’un envers l’autre mais, le plus amusant dans l’histoire, c’est qu’on évite de se le montrer. Si Reagan était au courant que je suis ses relations du début jusqu’à la fin, elle ne le prendrait pas forcément avec le sourire. Chose que je peux concevoir. Néanmoins, elle reste la première femme de ma vie et je ne supporterais pas qu’un second accident lui arrive. Alors, j’enquête à son sujet. Je questionne. Parfois, j’espionne. Pas besoin de me jeter ce regard, c’est ma petite sœur et je sais comment les garçons fonctionnent. D’ailleurs en marchant, sans avoir de véritable destination, je m’avançais vers un endroit plutôt désert de l’université. Vous savez, il y a le campus et ses bancs justes placés devant. A cet endroit précis, il est difficile de trouver une bonne place. Contrairement à la cabane abandonnée et les parcs qui l’entourent, on peut toujours trouver un coin tranquille, sans être dérangé toutes les trente secondes. Cette chevelure blonde, cette silhouette. Plus je m’avançais et plus je la reconnaissais. Prim ou plutôt Primrose. Il y a des années nos chemins s’étaient croisés par hasard. Nous avions posé ensemble pour des photos plutôt dénudées et après une nuit de folie, nous étions retournés à nos occupations. Si je ne l’avais jamais oublié, c’est certainement parce que je l’ai connu pendant une des plus difficiles périodes de ma vie. Je cherchais du travail pour subvenir à mes sorties. Je ne parlais plus à mon père et je me débrouillais pour obtenir ce que je désirais. J’ai voyagé sans lui dire. Je gardais contact avec ma sœur, tant que je le pouvais mais j’avoue que ça n’a pas toujours été facile. Puis, ce jour-là, on m’a proposé une bonne rémunération pour des photos dénudées. On m’avait promis que cela n’incluait pas le nu. Sans hésiter une seconde de plus, j’ai suivi cet homme. Il m’a donné des indications, une adresse et un billet d’avion. Quelques heures plus tard, je me retrouvais contre cette inconnue et devant l’objectif. Je me rappelle également de cette nuit que l’on a partagée. Champagne, musique et un corps à corps. D’ailleurs, si je me souviens bien, se fût la dernière fois que je fis un travail de la sorte. Quelques jours plus tard, mon père avait brisé la glace. Nous avions recommencé à parler. Nous étions habités par la même perte, le même manque. Ma mère mais qui est aussi son épouse. On ne devait pas faire de cette faiblesse, un vrai champ de mine. On aurait dû se mettre l’un avec l’autre, pour devenir plus fort, plus solide. Au lieu de devenir deux inconnus, que tout opposent. En voyant ce visage et en croisant ce regard, je revenais à cette époque où je l’ai rencontré pour la première fois. Le hasard faisait bien les choses. Alors je faisais quelques pas de plus pour arriver à sa hauteur. Je lui souriais et très naturellement, je pris place à ses côtés. « Comment vas-tu Prim ? » Si ce n’était pas elle, j’avais bien l’air idiot. On ne sait jamais avec le temps, je pourrais penser qu’elle est cette vieille connaissance mais, je pourrais également me rendre compte que c’est mon imagination qui me joue des tours. Puis, nous n’avions pas beaucoup discuté de nos vies privées. Elle aurait très bien pu avoir une sœur jumelle. Je n’en aurai pas eu la moindre idée. J’étais à quelques centimètres d’elle et il y avait peu de chance que ça ne soit pas la jeune femme que j’ai connue. En tout cas, la ressemblance était troublante. Elle avait pris de l’âge, c’est sûr. On n’avait plus seize ans mais, elle restait très radieuse. Très Prim. « Quel bon vent t’amène à Berkeley ? » Dans mes souvenirs, je me souviens de son ambition. La jeune femme voulait percer dans le monde du cinéma. Elle voulait marcher sur la tapis rouge, être remarquée quand on la croiserait dans la rue. Je n’avais pas très bien compris, à l’époque, ce qui la poussait à continuer, à enchainer les castings et a additionné les échecs. Il faut être réaliste, on n’a pas tous la vie et carrière tracée comme Emma Roberts. Il suffit d’entendre son nom pour comprendre. Alors, peut-être qu’elle se serait rendu à l’évidence que ça ne marche pas pour elle, qu’elle a peut-être quelque chose d’autre à donner au monde. En tout cas, je me rappelle que l’objectif l’adorait. Elle était parfaite et je dois dire qu’elle est toujours. Physiquement, aucun homme ne passerait à côté d’elle sans se retourner. Elle a tout pour nous séduire, moi le premier et je ne vais pas le nier. « Enfin, tu te rappelles de moi ? » Si elle disait non, je pouvais toute suite me relever et partir comme si de rien n’était, comme si je ne m’étais pas mangé un petit vent. Je ne suis pas douée pour ça, je l’avoue, ça ne m’est jamais arrivé. Me tromper sur une identité, un souvenir, j’ai plutôt une très bonne mémoire. Donc, il est rare qu’elle me joue des tours. Et si ma mémoire s’amusait de moi, j’avais toujours plus d’un tour dans mon chapeau. Un jeune homme qui s’avance sur une terre inconnue doit toujours avoir un plan de secours. C’est comme tout. Il faut toujours assurer mes arrières. Au pire, je pourrais lui dire qu’elle me rappelle une adorable rencontre, une jeune femme avec qui j’ai eu une petite histoire sympathique et unique. Certes, ce n’était pas totalement le cas pour le coup mais, ce n’était pas non plus le plus gros bobard de l’année. C’était une manière pour moi, de ne pas passer pour le clown de service, le jeune homme qui ne se souvient plus de qui il croise, parce que ça arrive à tout le monde. Un verre de trop dans le nez et les souvenirs restent flous. Personnellement, si je devais parler par expérience, ça ne m’est jamais encore arrivé. Ma mémoire est mon plus fidèle allié, mélangeant mes souvenirs, qu’ils soient bons ou moins bons. On a besoin de tout pour avancer, faiblesses et forces. On prend des leçons mais, l’essentiel est de ne pas rester dans ses tranchés. Il faut avancer et éviter de vivre dans son passé.