La journée s'était déroulée d'une manière particulièrement ennuyante. Les heures de cours semblaient être passées au ralentit. Et pour la cerise sur le gâteau, je venais de faire une chure monumentale au dernier examen de philosophie. J'avais voulu rejoindre une des places libres de l'amphi, quand mes pieds se sont emmêlés entre eux. Comme ça. Pour rien. Le pauvre gosse qui a eu le malheur de rire était rentré chez lui en pleurant. Pour ma part, un joli bleu sur le genou. Rien d'autre, bien heureusement. Ce n'était rien, une gourde de tous les jours, mais pourtant, ça m'avait frustrée. Depuis combien de temps n'étais-je pas tombée ? Certainement quelques mois. Et voilà que ça recommençait. Le syndrome du déséquilibre sans raisons. Tout simplement parce que je n'étais pas concentrée, et que dans ces moments là, j'étais déconnectée du monde extérieur. Malgré tout, l'examen s'est passé à merveille. Ça rattrapait un peu le mal. Voilà comment j'avais enchaîné les cours durant toute la journée.
Je me dirigeai à présent vers la cafétéria. Le vendeur était un des élèves du campus. Je le connaissais de vue, et il m'avait toujours paru plutôt sympathique. Je le saluai puis lui commandai un café long. Trois secondes plus tard, je sortis du bâtiment avec un gobelet chaud en main. Je devais traverser une bonne partie du campus pour atteindre ma chambre. Le soleil nous éblouissait, et j'adorais cela. Un peu de chaleur, de bonne humeur. J'en avais réellement besoin en ce moment. Je commençai à boire mon café. Mais je faillis me brûler la langue. J'attendis alors quelques secondes, juste le temps d'arriver au bâtiment. Je parcourrai les couloirs, montai les escaliers, et arrivai enfin devant ma porte. Mes clés. Zut. Je m'accroupis devant la porte, posai mon gobelet à côté de moi et vint fouiller dans ma besace qui faisait office de sac. Ma main rencontra des mouchoirs, un crayon de maquillage, mon portable, sans oublier deux ou trois stylos. Mais impossible de trouver les clés. Les avais-je au moins ? Je savais que la chambre était vide, ma coloc' s'était absentée depuis quelques jours. Elle était repartie chez ses parents. Mais j'étais certaine d'avoir pris mes clés. Du moins..Pas tant que ça finalement. Ce matin j'étais partie en retard. Peut-être avais-je oublié de les prendre ? Avec un peu de logique, pas besoin d'être Einsteing pour deviner que la porte était donc restée ouverte. Je me levai doucement, comme méfiante, et posai ma main sur la poignet. J'avais repris mon gobelet de café. Mon instinct me criait que quelque chose n'allait pas. Avec un peu de chance, je m'étais faite cambriolée. Je poussai la porte d'un seul coup, m'apprêtant à jeter mon café brûlant à la figure de l'agresseur. Mais ce ne fut pas un ninja ou une cleptomane qui m'accueillit. Benedikt était tranquillement étalé sur mon lit. Je le regardai, ahurie, et mon sang ne fit qu'un tour. Dans un geste furtif, je refermai la porte derrière moi et la verrouillai de l'intérieur. Je me précipitai vers la fenêtres et la fermait également. Il était certain que Joe n'apparaîtrait pas comme par magie par cette issue, mais c'était plus un réflexe qu'autre chose. Je posai mon café sur le bureau, ainsi que ma besace, et fixai Benedikt du regard. J'étais totalement fermée. Close. Froide et arrogante. J'allais devoir faire de mon mieux pour le virer le plus vite possible d'ici. Mais quelque chose me retenait. Mon coeur battait à cent à l'heure. Et malgré la peur de me faire prendre en contacte avec lui, je ne pouvais m'empêcher d'être heureuse de le voir. Qu'il m'avait manqué ! Son visage, son odeur, voilà qu'il était présent. Mais je devais me retenir de me jeter sur lui. J'inspirai profondément, le regard toujours froid, et articulai stoïquement : "Qu'est-ce que tu fou là ? Je t'avais dis de ne pas venir idiot." Qu'est-ce qu'il pouvait être crédule des fois....Il fallait absolument que j'écourte la conversation. Que je me contrôle, surtout. Que je lui fasse croire que je me foutais de lui. Il fallait qu'il n'ai plus envie de me voir. Je le connaissais bien assez, pour savoir qu'il avait besoin d'un petit coup de pression pour bien agir. Sinon, têtu comme lui, il ne lâcherait pas l'affaire. Peut-être histoire de montrer sa dignité.

Je lui lançai un regard tueur lorsqu'il parla de moustiques. Je ne pris même pas la peine de lui répondre. Il avait une sucette au citron dans la bouche. Ma coloc' allait me tuer. Elle allait penser que j'étais devenue une voleuse...Enfin, je l'étais déjà, mais ça, elle ne le savait pas encore. Je soupirai de mécontentement lorsqu'il grogna. "Ben ouais ! M**** pourquoi tu m'écoutes pas !?" Les poings et les mâchoires serrées, je tentai d'éviter la vue de ses lèvres, lorsqu'il se posta juste devant moi. *Résiste, résiste...* Lorsqu'il m'accusa d'aimer Fabian, je ripostai directement : "C'pas moi qui ai accroché c'poster." Je reculai de quelques pas et passa à côté de lui en prenant bien soin de ne pas le toucher. Je m'adossai contre le mur près de mon lit, le plus loin possible de ses lèvres et de son regard. Il allait falloir que j'improvise. Lui dire qu'il m'avait déçu ? Qu'il était devenu comme les autres et que je ne voulais plus le voir ? Non, pas assez crédible. J'optai pour la méthode dure. " Est-ce que j'suis ton gosse maintenant ? Si j'ai pas envie d't'appeller, je t'appelle pas. Si j'ai pas envie d'écouter tes messages débiles, je les écoute pas." Oui, oh oui je le savais qu'il détestait que je l'ignore. Alors que devais-je faire ? Le mensonge semblait être la plus efficace des méthodes. Même si ça allait me déchirer le coeur, je me sentais obligée de m'inventer quelqu'un d'autre que lui. Mais pas un petit ami pour lequel il pourrait simplement casser la gueule. Non, un vrai. Un sérieux. Qu'il se sente obligé de sortir de ma vie. Que je puisse sortir de la sienne. "Je sais." répondis-je un peu plus doucement. *Allez, sors le ce p**** de mensonge !* Je restai adossée contre le mur, et fis mine de reporter mon attention sur mes ongles. " C'est mort Beni. On peut plus continuer comme ça. La nuit dernière j'ai fais une bêtise, ok. Mais j'étais pas moi-même. Et il le sait déjà." Je m'arrêtai là, histoire d'y aller doucement. "J'ai un fiancé, Ben. Tu dois sortir de ma vie. Je t'ai remplacé depuis le temps, et je crois que tu ne l'as pas vraiment compris." Je baissai du mieux que je pouvais mon regard, cachant des larmes qui menaçaient d'apparaître. J'inspirai un bon coup, puis, toute droite, me dirigeai vers la porte et l'ouvrit. Je restai appuyée contre celle-ci. "Tu devrais te grouiller. On a rendez-vous dans quelques minutes."

"Mais qu'est-ce qui te dis que j'avais prévu de te croiser dans ce couloir de m**** ?!" Je venais de m'enfoncer toute seule. Et de lui mentir encore une fois. J'étais venue à Berkeley et pas dans une autre université car je savais très bien qu'il y était. Ce n'était pas vraiment par hasard que nous nous étions retrouvés. "Crois-moi, j'en ai strictement rien à foutre de ce que tu penses, j'ai ma vie....Shark !" ripostais-je énervée. Ce fut alors la première fois que je l'appelai par ce nom. Habituellement, je ne l'appelais jamais par son nom de famille, parce que lui-même le faisait pour moi, et que ça m'énervait au plus au point, quoi que, ça me plaisait aussi. Mais en plus, comme je venais tout juste d'apprendre le nom de son père, ce fut une grande première. Et je trouvais d'ailleurs que ça ne lui allait pas du tout. Il n'était pas le genre à être agressif, froid et mangeur d'homme. Il était plutôt le genre à être sauvage, violent et rebelle. Je le voyais d'avantage comme un lion, ou comme un tigre. Mais pas un requin. Surtout pas un requin blanc. Il me suivait et ne semblait ne pas vouloir tenir une aussi grande distance avec moi. Pour lui, la sécurité n'était pas l'éloignement, bien au contraire. C'était la proximité. Je me retins pour ne pas sourire lorsqu'il tenta de deviner le "il" dont je parlais. Il avait de l'imagination, au moins. Mais ce qui ressortait le plus, cc'était qu'il s'attendait à tout, sauf à ça. La surprise et la colère faisaient son effet. Il était resté pendant quelques secondes les yeux écarquillés. Que ressentait-il à ce moment là ? De la douleur ? De la colère ? De l'humiliation ? Dans tous les cas, il était certain qu'il n'y avait rien de positif dans sa réaction. Mais c'était mon but recherché, et je dû m'en satisfaire. Il semblait ne pas y croire. Zut, est-ce que je mentais si mal que ça ? Puis il enchaîna par une phrase. Une phrase que je n'oublierais certainement jamais. ça faisait mal. Très mal. Comme d'habitude. Mais en pire cette fois-ci. Encore une preuve, qui nous rappelait que le temps où nous étions inconscients avait prit fin. Et que la réalité de la vie nous touchait à tous les deux, plus que jamais. Pas la réalité dans le sens " Difficulté". Ça nous le connaissions déjà. Et par coeur. Mais la réalité dans le sens "Déception". Et ça, venant de Benedikt, je n'y était pas préparée. Je savais que je le décevais certainement aussi. Mais bon sang que ça faisait mal ! Mais je me remis rapidement en scène. * Oh allez, tu t'en fiche, tu ressens même pas un gramme de quelque chose pour ce gars là. Tais-toi, sois pas stupide. Et achèves le !* Et j'en fis. Malgré mon sentiment de sentir un froid glacial dans sa voix, je m'apprêtai à riposter une dernière fois. " Oh allez arrête, on sait très bien tous les deux que tu n'en as rien à foutre ! Le "genre de fille" que je suis t'emmerdes ! Et..Parle pas de lui comme ça ! Casse-toi bordel !" Mais il ne prit pas la porte, et la claqua dans un mouvement de colère. Je ne pu m'empêcher de sursauter, et mon coeur fit un bond d'au moins un mètre. Il me faisait presque peur. Grande première également. Il me plaqua alors violemment contre le mur auquel j'étais adossée quelques secondes plus tôt. Et là, j'eus réellement peur. Je fermai les yeux, mâchoires serrées, et tentai de calmer mes émotions. M'étais-je réellement attendue à une réaction aussi forte ? Certainement pas. Et ça me surpris."Tu me fais peur..." soufflais-je très bas.

Il insistait sur la question. Son nom. Elle il m'obligeait alors à lui mentir encore plus. Le mensonge grossissait à vue d'oeil. Qu'en serait-il lorsqu'il se rendra compte qu'il ne s'agissait finalement que d'un canular ? Mais j'avais pour obligation de m'imaginer un prénom. Sinon il devinerait directement qu'il n'existe aucun futur mari. Je me lançai, plongeant mon regard dans le sien, et le défiant, pour ne pas qu'il soupçonne quoi que ce soit. « Marc, ça t'vas ? Marc ! » Je continuai, d'un ton encore plus fort, m'emportant dans mon propre jeu. « Et puis tu l'connais pas ! Alors qu'est-ce que tu en as à foutre ?! Qu'est-ce que tu veux bordel !? Que j't'en trouve une à toi aussi ?? »
Puis, à la place de me laisser partir, de se reculer, ou de faire quoi que ce soit qui serait en ma faveur directement, il m'embrassa, lorsque je lui dis qu'il me faisait peur. Il m'embrassa. Un baisé volé, furtif, mais qu'il avait fait avec un sourire au coin des lèvres. Une sorte de manière à lui de me rappeler qu'à part notre dispute, tout allait bien. Une manière de me rassurer. De rire de la situation. Ou de me provoquer. En temps normal, un an plus tôt, j'en aurais rit, j'aurais trouvé cela sexy, et attirant. Je l'aurais peut-être repoussé pour le faire enrager. Je me serais prêtée au jeu. Et je savais qu'il me reprocherait certainement d'avoir changé. Je rêvais de lui hurler que tout était mensonge, et que j'étais obligée d'agir ainsi. En effet, si je voulais qu'il s'en aille au plus vite, il ne fallait surtout pas que je prolonge le jeu. Il fallait que je me montre autre. Différente, froide et changée. Il fallait que je le déçoive, pour qu'il s'en aille le temps qu'il faut. Il se recula enfin, et attrapa son sac avant de se diriger vers la sortie. « J'te déteste d'avoir dit ça » *Je sais gueule d'ange, je sais, je te fais mal, j'en suis désolée, comprends, par pitié, comprends...*
Il posa la porte sur la poignet, puis se résigna, et dit une dernière chose. « Avant que j'disparaisse de ta vie, est-ce que tout ça, ton comportement de beauf, a quoique ce soit à voir avec mon père ? » Zut. M****. Fichtre. Que répondre à cela ? Il fallait absolument que cette idée lui sorte directement de la tête. Mais bon sang, que j'avais envie de lui dire la vérité ! Je me résignai tout de même, repensant au visage froid et dur de son père, et à ses menaces. Je me mordis la lèvres inférieur, puis repris une expression stoïque, avant de lui répondre fermement, les yeux plongés dans les siens. « Aucun rapport. »