Alaina s’amusait au plus haut point des suggestions rocambolesques de Matthias. Comme s’il y avait la moindre chance que les plans qu’il évoquait se réaliseraient un jour ! Le Iota avait sans doute dû être un peu trop friand de films d’espionnage ces derniers temps, car les propositions qu’il fit étaient toutes plus invraisemblables les unes que les autres et, bien que pas si difficiles à imaginer, totalement irréalisables. Alaina savait se servir d’un ordinateur avec la plus grande facilité, comme tout individu de son âge, peut-être même un peu mieux. Mais elle était loin d’être au niveau des hackers les plus habiles de la planète, et elle se permettait de douter que Matthias possédât pareil talent. Alaina sourit, presque attendrie par l’optimisme de Matthias lorsque celui-ci suggéra de faire appel à d’anciennes connaissances de leur professeur, sans doute pour le faire chanter par après, ou l’une ou l’autre chose du genre. Très peu pour Alaina – c’était difficile et extrêmement risqué, et surtout, ils pouvaient définitivement faire une croix sur la moindre bienveillance venant de leur professeur après un sale coup pareil. Alors oui, l’optimisme flagrant de Matthias l’amusait. Mais elle en était également étonnée – elle le voyait plutôt comme quelqu’un de pieds sur terre, parfois même un peu trop. Le genre cartésien au maximum, qui ne se laissait pas distraire par la moindre futilité. Sans doute s’était-elle trompée et demeurait-il encore l’une ou l’autre parcelle rêveuse et enfantine chez Matthias – et cette idée ne déplut absolument pas à Alaina, qui espérait avoir raison sur ce coup-là. Même si désormais, Matthias lui était sympathique, voire plus, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une permanente retenue venant de la part du militaire et n’était pas habituée à pareille froideur venant de quiconque – même si le terme n’était sans doute pas bien choisi, dans la mesure où Matthias ne manifestait plus la moindre antipathie à son égard depuis leurs explications.

« Visiblement, t’es on ne peut plus motivé, c’est déjà ça » sourit-elle, quelque peu goguenarde mais pas malveillante pour un sou. « Mais, sans vouloir te vexer, j’imaginais plutôt quelque chose de réalisable. Tu sais, quelque chose où on n’aurait pas à faire appel à ton ami le crack de l’informatique qui a déjà piraté trois fois le site de la CIA et qui fait chanter Obama parce qu’il a réussi à mettre la main sur sa sextape. » Nouveau sourire, prudent mais toujours aussi enjoué et malicieux. Elle savait que Matthias ne prendrait pas la mouche – du moins l’espérait-elle, mais elle avait l’impression qu’il avait désormais saisi l’humour de la Gamma et son goût pour les remarques taquines.

La suite des réactions de Matthias laissa Alaina perplexe. Visiblement, il n’avait pas compris qu’elle considérait la manipulation comme partie inhérente à son sexe et pas à son caractère – elle n’était pas fan de la manipulation, mais elle l’avait dans le sang, dans les gènes, dans les hormones. Elle savait naturellement s’en servir, même si elle n’en raffolait absolument pas. Mais apparemment, Matthias semblait accorder bien plus de crédit à ce don pour la manipulation qu’Alaina, qui ne saisissait absolument pas la portée que pouvaient avoir ses charmes. Elle avait tout simplement vaguement conscience que son physique et ses regards enjôleurs pourraient un jour la tirer de l’une ou l’autre mauvaise situation. Alaina soupira, souriant, et se contenta de répondre d’un ton égal mais quelque peu taquin, comme toujours : « Oh, laisse tomber. » Il était en effet bien plus amusant de passer à autre chose, à savoir la provocation qu’elle avait mise en œuvre lorsque Matthias avait sous-entendu qu’elle ne faisait pas le poids, face à lui. Alaina éclata de rire lorsqu’il finit par jouer le jeu, prétendant ne pas oser montrer sa tête au réveil tant il était superficiel. « Pourtant, je pensais que les beaux gosses comme toi étaient au top de leur forme n’importe quand… » Qu’il ne tente pas de prendre cette phrase comme un compliment – il aurait d’ailleurs bien du mal. La remarque était tant teintée d’ironie qu’il n’y avait pas moyen de s’y tromper. Pourtant, Alaina exagérait dans sa manière d’être sarcastique – car elle trouvait bien évidemment Matthias loin d’être repoussant, bien au contraire, son physique lui plaisait et elle imaginait qu’il était conscient d’avoir été plutôt gâté par la nature. Mais c’était précisément pour cette raison qu’elle préférait s’arracher la langue plutôt que de lui confier qu’il était bien plus beau que tous les crétins superficiels dont ils se moquaient.

La jeune rouquine arbora une expression goguenarde en entendant que Matthias avait pensé peut-être lui découvrir une envie de lui raconter sa vie – ce qui était hautement improbable. Elle ne se priva donc pas pour le souligner clairement, profitant de la conversation qu’ils venaient d’avoir pour enfoncer encore un peu plus le clou. « Bavarde ? C’est pas parce que j’ai une paire de seins et un utérus que je vais tout de suite te prendre pour mon journal intime, Matthias. » Il n’y avait pas la moindre trace de froideur dans sa voix, simplement de l’amusement et un peu de moquerie, comme souvent avec la Gamma. Elle sourit de toutes ses dents à Matthias mais fit la moue lorsqu’il s’en prit à son gabarit, qu’il semblait dénigrer. « T’es surtout un monstre d’arrogance, ouais. » Et quelle ne fut pas la satisfaction de Lanie lorsqu’elle parvint à le prendre de court à deux reprises, avant de s’enfuir en prenant ses jambes à son cou…

Elle aurait voulu que cette course poursuite ne s’arrête jamais, tant elle s’amusait. Pourtant, au final, elle était plus que ravie de la tournure qu’avaient pris les événements et surtout, extrêmement fière d’elle. Matthias pouvait la traiter de lèche-cul s’il le voulait – il n’avait d’ailleurs pas du tout tort en la qualifiant de la sorte –, en attendant, elle leur avait sauvé la peau à tous les deux et sans avoir à faire quoi que ce soit d’illégal, à part proférer quelques pieux mensonges. Quelle ne fut donc pas la fierté de Lanie lorsqu’elle se tint aux côtés de Matthias, tous deux faisant face à leur professeur qui visiblement ne voyait que du feu à l’histoire qu’elle venait d’inventer et qui était parvenue, contre toute vraisemblance, à leur obtenir une seconde chance. Alors que le prof s’adressait à Matthias, Alaina en rajouta une couche, appuyant sa tête rousse contre le bras du Iota, qu’elle enserrait avec douceur de sa main libre. Son regard se posait en alternance sur chacun des deux hommes, avec toutefois une expression de tendresse et d’affection mielleuse lorsqu’il scrutait le visage de Matthias. Elle fut satisfaite de voir qu’il parvenait à conserver une façade neutre, mais elle était tout simplement ravie de deviner la stupeur qu’il s’était efforcé de réprimer, de peur de décrédibiliser Alaina. Lorsqu’enfin, leur victime du jour commençait à s’éloigner sans leur adresser d’autre regard, Lanie se décolla de Matthias mais ne retira toutefois pas ses doigts entrelacés aux siens, ce que le jeune homme ne tarda pas à remarquer. Désormais autorisé à laisser libre cours à sa surprise, il lança un regard visiblement perplexe à leurs mains et demanda des explications, provoquant un petit rire chez Alaina, qui finit par retirer sa main. Elle lui fit face et se composa une expression tristounette, avant de se blottir dans ses bras sans crier gare, enfouissant son visage dans le torse de Matthias et de parler d’une voix saccadée et peinée : « Je me suis dit que je ferais mieux de lui expliquer tous nos problèmes… Tu sais, quand je… quand j’ai cru être enceinte, j’étais terrorisée, mais je n’avais pas réalisé à quel point tu l’étais aussi. Mais… c’était sans doute ma seule chance d’avoir un enfant… Je lui ai expliqué que je n’étais pas parvenue à choisir entre nous deux et le bébé, et qu’après tout ça, on ne pouvait plus bosser à deux… » Un léger hoquet secoua les épaules de Lanie, qui se tut quelques instants avant de poursuivre, décollant son visage du torse de Matthias et arborant désormais un sourire larmoyant, assorti à son regard brillant de fausses larmes : « Mais maintenant que tout s’est arrangé… qu’il s’est avéré que je n’étais pas enceinte, et que la situation s’est améliorée pour nous deux aussi, je me suis dit que je ferais mieux de m’expliquer. Et… il a été super compréhensif… on a beaucoup de chance. »

Alaina aurait été parfaitement crédible si elle n’avait pas éclaté de rire quelques secondes plus tard, tout en reculant de deux ou trois pas pour laisser un peu d’espace vital à Matthias. Plus fière que jamais, elle lança : « Alors, t’en penses quoi ? Assez douée pour la manipulation à ton goût, ou pas ? C’est peut-être pas dans mon caractère de manipuler, mais bon, faut croire que mon genre y est pour quelque chose. » Radieuse, elle annonça solennellement : « On a un nouveau devoir à rendre pour dans deux semaines. J’ai oublié le sujet, mais c’était bidon. Quatre pages, à deux. Pas de quoi, je suis sûre que tu aurais fait la même chose pour moi. » Presque euphorique, Alaina ne parvenait à se départir de son sourire. Elle baissa brièvement les yeux et fut surprise de voir l’immensité de son décolleté ; elle s’empressa aussitôt de remonter son t-shirt, puis esquissa un sourire qui ne présageait rien de bon. « Bref, où en étions-nous ? Ah oui… » Nouveau coup de poing dénué de la moindre force mais asséné à une vitesse fulgurante dans le ventre du Iota, et la voilà repartie, s’enfuyant à toutes jambes et riant aux éclats. Elle traversa la porte d’entrée du bâtiment de cours à toute vitesse, poussant les rares étudiants qui lui bloquaient le chemin tout en leur criant des excuses. Elle savait qu’une fois de plus, Matthias gagnait du terrain, mais ne s’arrêta pas de courir, bien au contraire. Elle accéléra du mieux qu’elle put, s’aventura sur une pelouse, ne fit pas attention au sol inégal et finit par s’étaler de tout son long après avoir trébuché sur l’une ou l’autre motte de terre. Face contre terre, elle grommela un flux de jurons indistincts – elle n’avait plus le temps de se lever et de reprendre sa course effrénée.