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Grace & Noah

Ce matin-là, tout s'était déroulé sans accroches. Car il ne l'avait pas croisé dans les couloirs, ni dans la cour, ni à la cafétéria. En fait, Alexander avait disparu de la circulation depuis bientôt deux jours. Un exploit. Qui lui permettait de respirer sans avoir l'impression que son coeur allait exploser dans sa poitrine dès qu'il le voyait arriver de loin. Leur rencontre datait d'il y a quelques semaines de cela. Noah n'en avait parlé à personne. Il préférait garder secret certains détails des conséquences de sa relation avec cet asiatique. Par pudeur peut-être, et par gêne, sans aucun doute. Sans l'effrayer au sens propre du terme – après trente quatre années passées sur cette Terre, l'Anglais était suffisamment grand maintenant pour ne pas être apeuré dès qu'un grand le bousculait un peu – l'étudiant avait tendance à faire ressurgir de mauvais souvenirs de l'époque où il était encore à l'université. Du moins, puisqu'il avait retrouvé les bancs de la fac, de l'époque où il étudiait à l'université d'Oxford, en Angleterre. Pendant toute la durée de sa scolarité, Noah n'avait eu de cesse de se soumettre à une bande de gros bras. Ceux-là même qu'il appelait « deux cerveaux pour un muscle ». L'équipe de rubgy de la faculté. Dire qu'il avait été obligé de suivre les cours de sport lui aussi et que, pour ne rien changer aux mauvaises habitudes, il s'était fait laminer, écrasé, écrabouillé par la tribu des orang-outan. Oui pardon pour l'animal. Et voilà qu'aujourd'hui, son cauchemar reprenait vie sous la forme d'un étudiant de Berkeley aux allures de rebelle mafieux. Par le passé, c'était Joe qui lui avait alors sauvé des griffes de ces brutes. Joe, devenu depuis son meilleur ami, et son éditeur attitré. Joe qui, s'il avait su ce qu'il endurait au quotidien depuis son inscription à Berkeley, aurait sans doute volé dans les plumes de l'asiatique. Sauf que Noah voulait pour une fois, se débrouiller seul, comme un grand. Et qu'il avait presque honte d'avouer que malgré son âge, il était incapable de se défendre devant pareil adversaire. Mais ne vous y trompez pas. Malgré ses traits fins et sa taille longiligne, Alexander était une brute sans scrupules. Il pratiquait, comme la plupart des asiatiques, des sports de combats, et avait une force herculéenne malgré son jeune âge. Noah ne faisait pas le poids. Croyez-moi, il avait déjà essayé. Ne restait plus que la capitulation. Totale et sans contrepartie. Sauf qu'il la refusait encore aujourd'hui, et que cela lui avait valu une discussion plutôt mémorable avec Alexander, ponctuée par des coups aussi douloureux que marqués le long de ses côtés, sur ses épaules, et dans le dos. Des parties de son anatomie, heureusement dissimulables aux yeux du monde.

Ainsi donc, se dirigeant vers les toilettes pour hommes afin de soulager un besoin naturel, l'écrivain en profita pour admirer de plus près ses médailles de guerre, sans se douter un seul instant qu'une jeune femme – qu'il n'avait jamais vu auparavant – allait débarquer au moment précis où il soulevait sa chemise. La relâchant aussitôt, un air mi coupable, mi effrayé sur le visage, l'Anglais tenta de garder une attitude le plus neutre du monde, esquissant même un semblant de sourire pour la convaincre.

« Oh, euh...oui, en effet. Mais ce n'est rien. Le ...sport, vous savez ce que c'est. Des hommes qui ne font pas attention, qui se bousculent, se marchent sur les pieds. Ça arrive à n'importe qui de nos jours. » Se lavant les mains, il n'ose pourtant la regarder en face. Il n'avait jamais su mentir. « Je savais que je n'étais pas doué pour le ...rugby. » Il avait failli dire 'golf'. Erreur monumentale et d'autant plus stupide que cette activité ne faisait pas partie du programme de cette université. « Hum, excusez-moi mais ...savez-vous qu'il s'agit des toilettes pour hommes, mademoiselle ? » ajouta t-il aussitôt pour changer de sujet.

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Grace & Noah

Sincèrement, que faisait-elle dans les toilettes pour hommes ? Elle ne savait pas lire, peut-être. Voyons, sois sérieux Noah, nous sommes dans une Université, et parmi les plus prestigieuses. Sans compter que son style vestimentaire donnait plutôt l’impression d’une femme instruite, et son visage, de celle qui ne se laisse pas marcher sur les pieds sans rien dire. Sauf que l’étudiant qu’il était alors ne l’avait encore jamais vu dans la faculté. Oui bon, certes, on ne peut pas connaître tout le monde lorsqu’on vient de débarquer de l’Angleterre, et à plus forte raison lorsque l’on se prénommait Noah Clives, soit un écrivain des plus renommés mais aussi des plus ‘discrets’, on évitait généralement de se faire remarquer. Sans compter que cette jeune femme ne lui donnait pas l’impression d’être une étudiante comme celles qu’il avait l’habitude de croiser dans les couloirs. Plutôt comme lui, en vérité. Plus âgée et plus mâture, voilà l’impression qu’elle lui laissait. Avait-il raison ? Qu’importe, dans tous les cas, il ne comprenait toujours pas la raison qui l’avait poussé à se rendre dans ces toilettes et à le surprendre en pleine ‘faiblesse’. Quant aux bleus qui ornaient son corps, il se les était effectivement fait en cours de sport – cours qu’il haïssait plus que le coco, soit dit en passant – et qu’il était malheureusement obligé de suivre comme bon nombre d’étudiants, en raison de la filière qu’il avait choisie. Aussi, être brutalisé parce qu’on était le plus chétif et le moins rentre dedans de la bande, était aussi humiliant pour celui qui avait passé son adolescence à être la risée de son lycée pour ces mêmes motifs, que logique. Voilà pourquoi, face aux questions de cette inconnue, Noah avait gardé le silence, jugeant pour le coup que cela ne la concernait en rien – à moins qu’elle soit professeur, ce qui l’étonnerait beaucoup – et enfin, parce qu’il ne la connaissait ni d’Eve, ni d’Adam.

« Le sport, oui. » Elle doutait ? Mais pourquoi ? Il est vrai qu’au vu de l’importance de ses ‘blessures’, le contraire l’eut étonné, mais enfin, le british avait toujours eu tendance à prendre des couleurs beaucoup trop facilement, à son grand regret. « Je… » Comment ça ? Et pourquoi ? Sans prévenir, cette femme de nulle part avait déjà sa main sur ses vêtements, presque sur sa peau, là où les meurtrissures étaient les plus visibles. Pour quelqu’un de culotté, il n’en avait jamais rencontré de pareil … « En effet….AIEE…non, ça ne fait pas mal du tout. » Biensûr. Très naturel Noah, vraiment très naturel. « Bon, très bien. Un peu. Mais ça va aller, je vous assure. » Non seulement il n’était plus habitué depuis des lustres à ce qu’une femme le touche, encore moins sans sa permission, mais en plus, il ferait certainement soigner ses blessures plus tard, alors pourquoi s’inquiéter ? « Vous êtes médecin. Oui, c’est ce que je vais faire. Merci. » Enfin, un sourire était apparu sur les lèvres de notre blondinet. Finalement, cette étudiante ou qui que ce soit d’autres, était plus douée dans ses approches vis-à-vis de la gent masculine. Remarquez, pour se faire apprécier d’un homme tel que Noah, il ne fallait pas grand-chose. Un sourire et ça y est, il vous aimait sur le champ. « Enchanté, mademoiselle Seymour. » Il n’allait commencer par l’appeler par son prénom alors qu’il la connaissait à peine, ce ne serait pas correct. « Noah. Clives. Noah Clives. » Toujours se présenter après des présentations en bonne et due forme disait maman. « Le professeur James O’Malley ? » Oui, forcément. « Venez, je vais vous montrer. » Une fois dans le couloir. « Vous prenez à gauche, puis vous continuez tout droit. Vous arriverez devant une porte, ce sera ici. L’amphithéâtre 500 si je ne me trompe pas. » Espérons-le, il n’avait pas envie de l’envoyer dans un placard à balai, même par accident. « Veuillez m’excuser mais, je dois vous laisser. Les cours n’attendent pas. Bonne journée, miss Seymour. » ajouta t-il pour finir de son accent anglais avant de lever la main pour la saluer et disparaître à l’angle du prochain couloir.