❦ une explication dure à avoir...

Une chose était sûre, en se levant ce matin-là, Camille n’aurait jamais deviné ce qui l’attendrait dans la suite de la journée. Et pour cause, le voilà qui, alors qu’il se précipitait afin de se rendre à un de ses cours qui avait déjà commencé, il bouscula de plein fouet une jeune femme visiblement absorbée par un quelconque document. Confus, Camille s’apprêta à la rattraper au cas où elle perdrait l’équilibre à cause de la bousculade, mais au lieu de cela, il croisa le regard de l’inconnue… qui était tout sauf une inconnue.

Solveig… elle était là. C’était bel et bien elle, aucun doute n’était possible. Elle avait conservé ce visage parfait, ces grands yeux bleus où se mêlaient malice et innocence, et où se lisaient toutes ses émotions, cette bouche écarlate sans qu’elle eut besoin de la maquiller pour lui donner cet aspect, cette peau albâtre qui lui donnait un air quasiment noble, ces boucles folles qui descendaient en cascade le long de ses épaules et de son dos. Oh que oui, c’était bien elle. Stupéfait, Camille ne réagit pas, tout comme Solveig, qui partageait de toute évidence sa surprise – à la différence près qu’elle savait qu’il était ici, et que la réciproque n’était pas vraie. « Sol… Solveig ? Comment ça se fait que tu es ici ? Je te croyais en Norvège… » Si sa voix paraissait uniquement teintée de surprise, il ne fallait en aucun cas s’y fier. Car une fois le choc passé, Camille sentit une immense joie l’envahir, comme à chaque fois qu’il avait l’occasion de retrouver sa cousine, peu importe la durée qui s’était écoulée depuis leur dernier moment passé ensemble. Certes, cette fois-ci, les choses allaient sans doute être un peu plus délicates qu’à l’accoutumée, car Camille ne pouvait oublier comment s’était déroulée leur dernière entrevue… Ils avaient repris leurs anciennes vilaines habitudes, c’était le moins que l’on puisse dire – même si on ne pouvait réellement parler d’ « habitudes », dans la mesure où cela n’était arrivé que quelques fois auparavant, et il y a bien des années de cela de surcroit. Et pourtant… le souvenir était encore tout à fait vif dans l’esprit alerte de Camille, qui se souvenait sans peine de la peau brûlante de Solveig contre la sienne, alors qu’ils se perdaient dans une nuit de passion inavouée. Comment oublier ? Ce serait comme lui demander de s’arracher un bras. D’ailleurs, Camille ne regrettait rien. Cette nuit était comme une bouée au milieu d’un océan de tristesse et de deuil, et comme à son habitude, Solveig était parvenue à lui remonter le moral et à le consoler, lui changer les idées, ne fût-ce que pendant quelques heures. Grâce à elle, il était parvenu à ne plus penser à sa défunte petite sœur pendant quelques moments, et rien que pour cela, il ne pouvait se résoudre à oublier cet acte que d’aucuns considéreraient sans aucun doute comme un acte d’immondice de première classe. Mais Camille n’avait cure de ce que pensaient les autres. Tout ce qui importait, c’était que Solveig, par il ne savait quel miracle, se tenait devant ses yeux, en chair et en os. Un large sourire se dessina sur le visage serein de Camille.

Mais clairement, sa joie n’était pas partagée. Fronçant les sourcils en voyant Solveig détourner le regard et reculer de quelques pas jusqu’à se retrouver dos à un mur, Camille se rapprocha de la jeune femme et la sonda du regard, en vain, car elle refusait obstinément de lever les yeux vers lui. « Hé, Solveig, quelque chose ne va pas ? Regarde-moi, s’il te plaît… Qu’est-ce qui cloche ? » Inquiet, il posa une main sur la joue de la jeune femme, dans l’espoir que cela puisse la convaincre de lever les yeux et de lui confier l’objet de son inquiétude ou de son appréhension, quel que celui-ci fût.