Concernant l’âge des étudiants, Pacey-Danyaël ne doutait pas qu’Alcide avait raison. Il savait qu’à l’adolescence, les gosses ne faisaient aucun cadeau. Les plus jeunes aussi maintenant. Tout était complètement différent qu’il y a une vingtaine d’années encore. Enfant, l’acteur n’aurait jamais osé contredire un enseignant. Aujourd’hui à croire que c’était « celui qui défie l’autre ». Pacey savait que si un jour ça devait lui arriver, il ne devait pas entrer dans ce jeu là. C’était bien trop risqué. Dans l’ensemble le jeune enseignant avait une bonne répartie mais s’il paniquait, il avait de fortes chances de perdre la face. Et se faire publiquement humilier n’était pas du tout conseillé dans le guide du parfait professeur.

Pacey : " – Mettre sa propre vie entre parenthèses… Oui j’imagine… “

Si seulement le plus vieux connaissait le secret de Pacey… Ce dernier n’avait fait que répéter doucement ces quelques mots en fixant un point imaginaire dans le vide. Maintenant qu’il avait enfin retrouvé son père, il devait se sentir prêt à travailler dur comme fer pour devenir le super professeur qu’Alcide voudrait qu’il soit. Alors si pour le devenir il devait mettre une croix sur sa vie privée, le garçon serait alors prêt à le faire. Et puis ce ne sera pas si difficile que cela vue à quoi son intimité se résumait : dodo – travail – manger – ordinateur. Quatre mots, c’était aussi faible en nombre que cela en était pathétique.

Pacey : " – Donc si ça ne peut que me faire devenir un meilleur enseignant alors c’est ce que je ferai. “

La conversation dévia vers les potentielles relations sexuelles entre les étudiants et le corps enseignant. Parler d’un sujet aussi intime mettait Pacey mal à l’aise. A tel point il avait plus la tête baissée qu’autre chose. Il en avait les joues qui s’enflammèrent. Indirectement le plus jeune avait avoué son inexpérience dans le domaine. Mais bon Alcide ne semblait pas en avoir pris conscience au bonheur de l’autre. Le plus âgé lui donna quelques conseils. En autre celui de ne pas tomber amoureux d’une élève. Au loin, Pacey voyait Chuck en compagnie d’une de ses copines. Il ravala difficilement sa salive.

Pacey : " – Tomber amoureux n’est pas vraiment un problème si les sentiments ne sont pas réciproques… “

Le pauvre détourna la tête. Il avait mal au cœur. Il y a quelques jours en tombant sur cette fille, Pacey eut un autre coup de foudre. Décidément c’était elle et personne d’autre pour lui. Ca faisait déjà six ans qu’il n’attendait qu’elle. Qu’il n’avait plus eu aucune histoire d’amour malgré la distance qui les séparait. Aujourd’hui, si le jeune professeur le désirait, il pouvait la voir quotidiennement. Mais Pacey doutait que ce soit une bonne solution. Ses sentiments le faisaient souffrir. Il était persuadé que son amour n’était pas réciproque. Enfin bon aux dires d’Alcide le problème était décidément résolu. Dany n’avait plus qu’à se replier sur lui-même et travailler durement encore et toujours. En mettant sa vie privée de côté, Pacey devait renoncer à vivre une belle histoire d’amour. En ce qui concerne le sexe, il ne préférait même pas y penser. Ce sujet pouvait dorénavant partir aux oubliettes.

Dans l’enseignement, il y a des choses à éviter. Comme dans toute autre profession, me direz-vous, mais la différence essentielle, c’est que le monde de l’enseignement travaille sur une matière première vivante. Des êtres humains qu’il faut former, essayer de faire grandir et progresser, des jeunes et des moins jeunes qui ont soif d’apprendre et qui méritent qu’on leur adresse un discours de qualité, basé sur des codes déontologiques on ne peut plus clairs.
La théorie est bien belle et les décrets divers aussi utopiques que possible : donner à chacun des chances égales d’émancipation sociale, forger un esprit critique permettant de devenir des citoyens responsables et acteurs de la société… oui, c’était bien beau, tout cela, mais la réalité était parfois bien différente.
Le principal souci qui se posait était l’importance à donner à sa propre manière d’être. Car s’il faut s’adapter à son public, il ne faut pas pour autant perdre sa propre personnalité… C’était ce qu’Alcide voulait essayer de faire comprendre au jeune enseignant, mais quelque chose lui disait qu’il ne s’y était pas pris exactement comme il le fallait.

"Je veux dire que tu dois rester toi-même, mais qu’il ne faut pas que tes étudiants te connaissent trop bien. La vie privée doit rester la vie privée…"

Au fond, c’était assez difficile à faire. Mettre sa propre vie entre parenthèses, pour se concentrer sur les cours, sur la matière, sur ce pour quoi les étudiants étaient là… mais il fallait tout de même pouvoir rester soi-même, sinon, la déprime et la dépression surgiraient à coup sûr.
Le professeur parfait n’existait pas. Et tous les élèves, quel que soit leur âge, idéalisaient leurs professeurs à un moment ou à un autre. Les enseignants étaient des exemples, des modèles et il fallait pouvoir coller un minimum avec cette image que les jeunes avaient d’eux.

"Tes étudiants n’ont pas à savoir de quoi est faite ta vie en dehors du cadre scolaire. Sois mystérieux, ne leur révèle que ce qui est nécessaire… Tu verras que c’est déjà un début pour asseoir l’autorité dont tu es investi face à un groupe de jeunes."

Van Stexhe avait commis l’erreur, quand il était bien plus jeune, d’être toujours sympa avec ses élèves. Il enseignait alors dans des classes du secondaire supérieur et durant une année complète, il en avait bavé pour réussir à faire aboutir ses élèves à quelque chose. Il faut dire que quand on sort fraîchement de ses cours d’agrégation, la réalité du terrain est totalement inconnue et il faut se fier aux anciens qui, parfois, acceptent de prodiguer des conseils aux débutants.
Après cela, Alcide avait enseigné ailleurs et avait commis l’excès inverse. Il était devenu le professeur hyper autoritaire qui dirigeait ses classes d’une main de fer sans accepter le moindre petit pas de travers. Les élèves le détestaient et lui, il se sentait très mal car il jouait un rôle qui ne lui convenait pas.
Le juste milieu était difficile à trouver, mais l’homme y était finalement parvenu. Il se sentait maintenant à l’aise devant ses étudiants, il parvenait à faire régner l’ordre et la discipline nécessaires à un climat de travail et pouvait se permettre de taquiner les jeunes et de se montrer sympa. Tout cela lui donnait l’occasion d’être heureux dans sa profession et cela se ressentait beaucoup dans la vie quotidienne également.

"Tu sais, ça demande du temps et pas mal de travail sur soi-même, mais tu peux compter sur moi pour t’aider. J’ai fait pas mal de gaffes au début et je ne voudrais pas que tu aies à vivre la même chose que moi. Alors, autant que mes conneries puissent te profiter."

Le professeur reconnaissait ses propres limites, il en avait pleinement conscience, mais il était persuadé qu’en faisant part de ses expériences personnelles, il pourrait être un soutien plus efficace pour ce tout jeune enseignant.

Il y avait, à l’extérieur de l’université, un cadre agréable où il était possible de se sentir bien, même pour mener une conversation qui n’était pas forcément folichonne. Des arbres, des oiseaux, de la pelouse… au loin quelques jeunes filles qui discutaient et riaient… ça donnait l’impression que la vie était belle. Mais à voir l’expression du visage et l’attitude de Stenfler, ce dernier avait du mal à s’en rendre compte. Peut-être bien à cause de ce qu’Alcide lui avait dit à propos des étudiantes dont il fallait éviter de tomber amoureux. Cela dit, les paroles du jeune homme lui firent penser autre chose. Il était question de ce que l’on appelait communément « l’amour platonique ». Mmmh, sale affaire.

"Evite de penser comme cela, Pacey-Danyaël… Si tu es dans le cas d’un amour unilatéral, c’est qu’il est peut-être temps de te révéler à cette fille que tu as remarquée. Qui sait, tu pourrais être agréablement surpris…" L’homme sourit et adressa un clin d’œil à son interlocuteur. "Les coups de foudre ne tombent pas que sur les paratonnerres."

Van Stexhe se voulait plein d’espoir, une fois de plus. Ce jeune homme était bien différent de lui, mais il ne voulait pas qu’il soit démoralisé. Le début d’une carrière dans l’enseignement devait se faire avec un regard positif et Alcide espérait pouvoir motiver Pacey-Danyaël pour qu’il suive cette voie-là.

"Allez, viens, on va marcher un peu. Tu me poses toutes les questions que tu veux. On va essayer de bâtir ensemble quelque chose qui pourra t’être utile pour t’en sortir."