Es-tu seulement prêt à supporter l'amateurisme d'une presque inconnue ?

Impossible d’être plus ridicule qu’en cet instant. A croire que Lexie se donne un mal fou pour apparaître comme une fille légère et sans aucun principe. Une petite bouteille de vodka à la main, qu’elle n’avait pas encore osé ouvrir, elle titubait complètement dans les allées se Berkeley alors que la nuit était tombée depuis un certain nombre d’heures déjà. C’était à peine si elle savait quel jour il était. Ce n’était pas faute d’avoir travaillé jusqu’à pas d’heure tout le jour…Mais peut-être était-ce là que le bas blessait. Lexie s’usait constamment les yeux sur des bouquins que n’importe qui de normalement constitué aurait trouvé soporifique, mais elle s’en passionnait comme personne. Constamment, elle était major de sa promotion, et ce depuis son arrivée à Berkeley il y a trois ans. Mais ses relations humaines laissaient cruellement à désirer. Soit elle était d’une maladresse abominable, soit elle fuyait purement et simplement tout contact, de peur qu’on ne découvre ses petits travers : Sa santé fragile, d’une part, mais également cette fixette qu’elle faisait sur l’alcool. Il n’y avait pourtant qu’à la voir admirer cette minuscule bouteille de vodka qu’elle tenait en main depuis une heure pour se rendre compte que rien ne tournait rond chez elle. La jolie étudiante n’avait pas encore bu la moindre goutte, et pourtant, elle semblait être sur une autre planète. Elle avait passé un long moment sur ce green de golf appartenant à une connaissance à elle, sans même frapper la moindre balle, pour finir par embarquer la voiturette à travers les rues de San Francisco. Elle s’était retrouvée à l’université sans savoir trop comment elle s’était débrouillée, et se dirigeait maintenant vers les toits, telle une ombre. C’était exactement ce qu’elle était pour beaucoup de gens, une ombre…Quelqu’un de transparent n’ayant strictement rien d’intéressant à raconter. Lexie n’était ni comprise ni sondée par quiconque, de toute évidence. Tous croyaient qu’elle n’avait que ses études en tête et qu’elle n’avait aucune conversation en dehors de la politique…Gravissime erreur, et la preuve était présente sous leurs yeux ! Lexie venait tout juste de ranger sa petite bouteille de vodka dans son sac en bandoulière, avant de sortir trois balles de golf pour se mettre à jongler en plein escaliers. Elle ne regardait nullement où elle mettait les pieds, mais ce n’était pas bien important : Lexie ne se cassait jamais rien, ne tombait que rarement et avait toujours cette même agilité qui faisait autrefois son succès dans la compagnie de cirque où elle avait passé toute son enfance. L’esprit jonglant avec les planètes, très loin de son corps, ce n’est qu’au bout d’un long moment qu’elle se rendit compte que près des toits, une petite musique filtrait. Elle n’était pas encore en mesure de discerner le style exact, mais la curiosité aidant, elle ne pu que laisser ses pieds la guider vers cette mystérieuse mélopée. Cela ne l’empêcha pas de jongler, jusqu’à ce qu’elle n’ouvre la porte conduisait aux toits et ne découvre un peu plus loin un danseur dont la grâce n’avait d’égal que son talent pour sa discipline. Quelques secondes durant, Lexie demeura proprement bouche bée, sans faire le moindre bruit et surtout, sans oser approcher davantage. C’était un régal pour les yeux, et elle aurait même pu rester des heures à le contempler se défouler ainsi sur la musique. Chaque geste était en adéquation parfaite avec le rythme, et si elle s’était écoutée, elle se serait mise à bouger à son tour…Le seule problème, c’est que malgré sa souplesse légendaire, elle n’avait aucune grâce dès qu’il s’agissait de danser et avait un sens du rythme proprement calamiteux. Elle était donc prête à rebrousser chemin, malgré le spectacle fabuleux que lui offrait ce jeune homme, au moment même où apparut son visage à la pâle lueur présente sur les toits. Par manque de chances, leurs regards s’étaient croisés et d’un même coup, Lexie s’était retrouvée figée sur place. Impossible de revenir en arrière, ou de faire mine de partir comme si de rien n’était…Après tout, elle connaissait ce jeune homme, d’un point de vue purement technique. Elle ignorait son prénom certes, et leur relation était aussi étrange que son propre caractère, mais ils s’étaient croisés et avaient de nombreux points communs…Si l’on excluait l danse.

LEXIE – « Ne t’arrête pas pour moi, je vais disparaître comme dans un tour de passe-passe ! »

Décidément, il devait considérer, à raison, qu’elle ne vivait pas sur ce petit truc que l’on appelle la terre. Lexie était constamment sur une autre planète. La preuve, elle lui parlait, mais elle jonglait toujours, ne s’arrêtant qu’après seulement avoir constaté qu’elle n’était plus toute seule et que son comportement était ridicule à souhait. En soit, Lexie n’était pas quelqu’un de timide. Elle ne moquait éperdument de se ridiculiser, et c’est sûrement la raison pour laquelle, au lieu de quitter les toits en disparaissant comme dans un tour de passe-passe, elle eut le réflexe de bloquer la porte d’entrée aux toits avec la première pierre de taille conséquente qu’elle trouva à portée de sa main, pour mieux s’approcher ensuite du jeune homme. Non, elle n’allait pas disparaître et le laisser seul…Pourquoi, elle n’en n’avait aucune idée, et fondamentalement, ce n’était pas ça l’important.

LEXIE – « J’ai épuisé mes tours de magie tout à l’heure sur le green…Tu me remontres cet espèce de truc que tu faisais là, avant que j’arrive ? C’est un enchaînement je crois, m’enfin je ne suis pas experte. J’ai bloqué la porte aussi, parce que je ne sais pas si tu as remarqué, mais tu étais bloqué sur les toits avant mon arrivée ! »

Elle n’en n’était pas au point de croire qu’elle lui avait sauvé la vie, ce n’était pas du tout ainsi qu’elle voyait la chose : Elle était plutôt d’un esprit purement pratique, analysant froidement une situation simple et claire. La porte était fermée avant son arrivée, elle ne l’était plus maintenant qu’elle l’avait ouverte, point final.

LEXIE – « Le CD est rayé je crois…Tu peux danser sans musique ? »

Un bon danseur le peut, et ça, elle en était persuadée. Mais pour l’aider, elle se mit à choquer légèrement les trois balles de golf ensemble, afin de lui donner une piste de rythme. C’était mieux qu’un silence parfait, n’est-ce pas ?

Sauveuse, c’était un bien grand mot…Lexie n’avait jamais fait qu’ouvrir une porte, il n’y avait pas de quoi s’en payer une tranche ! D’ailleurs, elle était très étonnée qu’il la vouvoie ainsi alors qu’elle s’était permis de le tutoyer d’entrée de jeu. Ils n’étaient sûrement pas sur la même planète…Lexie démontrait qu’elle était très polie envers ses aînés, habituellement, mais ce jeune homme ne paraissait pas très vieux par rapport à elle. C’était sûrement parce qu’elle était relativement à l’aise qu’elle se permettait un discours aussi « familier », ou peut-être était-ce la fatigue qui la rendait moins vigilante des conventions, allez savoir. Quoi qu’il en soit, elle était prête à rétorquer que l’horreur qu’il disait effectuer était on ne peut plus plaisante à regarder, mais il ne lui en laissa pas l’occasion. Sûrement fut-elle troublée par ce clin d’œil impromptu et par le fait qu’il la surnomme « madame », mais elle ne pu détacher son regard des mouvements qu’il lui offrait. Elle cessa même de jongler durant plusieurs minutes, s’attardant sur cette œuvre d’art vivante qu’elle avait sous les yeux et qui avait si gentiment accepté de lui démontrer l’étendue de son savoir. Si elle savait danser comme ça, sûrement aurait-elle nettement moins de mal à payer ses factures. Elle pourrait alors très bien postuler dans un bar et se déhancher avec grâce en ayant payée une somme croquignolette…Mais elle ne savait faire que jongler, et exécuter un numéro on ne peut plus impressionnant sur un trapèze. Son deuxième don, lié à son passé au cirque, était pour ainsi dire son petit secret. Personne n’était au courant ici, et à vrai dire, personne ne la connaissait. Lorsque l’on demandait au peu de connaissances qu’elle avait où elle avait habité, ou quels étaient ses passes temps, c’était le flou intégral. Lexie ne semblait vivre que pour ses études, pour que l’avenir puisse enfin lui sourire et, surtout, afin d’avoir un jour l’opportunité de subir cette greffe cardiaque devenant de plus en plus urgente. Elle avait cette épée de Damoclès au dessus de la tête en permanence, et le pire, c’est que personne ne s’en rendait compte. Du fait qu’elle soit sans arrêt solitaire, elle n’attirait guère l’attention…En revanche, le jeune homme qui dansait juste devant elle devait en attirer, des regards. Il devait même être au centre de beaucoup de discussions, notamment féminines. Lexie ne pouvait qu’être surprise qu’il n’y ait d’ailleurs pas d’autre fille qu’elle sur ce toit, par cette nuit magnifique où les étoiles étaient toutes dévoilées à leurs yeux nus. Il ne pouvait pas danser uniquement pour lui-même, ou pour elle si l’on poussait la réflexion pour elle. Si tel était le cas, alors c’était proprement scandaleux ! Personne ne peut avoir un talent aussi véridique et ne pas le montrer au monde entier. « Ca m’étonne que personne ne t’applaudisse. » Certes, l’enthousiasme de Lexie était toujours on ne peut plus contenu, mais elle ponctua néanmoins ses dires d’un mince sourire avant de s’avancer légèrement vers lui. Elle ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il lui propose danser après l’avoir questionnée sur ses dons supposés…Le jogging, n’importe quel imbécile était capable d’en faire. Le jonglage, il suffisait d’une bonne synchronisation et d’un équilibre parfait, mais ça aussi, cela pouvait très bien être à la portée du premier couillon venu, pour peu que celui-ci n’ait rien d’autre sur quoi se concentrer…Et le troisième don, bien que Lexie y songea très fortement en ajoutant un sourire plus franc à ses traits trop souvent figés, elle ne l’énonça pas à haute voix. Ce don, c’était son secret. Pour peu qu’elle puisse un jour remonter sur un trapèze, il ne fallait en aucun cas que ce moment lui soit gâché… « Je n’ai pas d’autre don. Enfin, si on peut parler de don ! Le jogging, n’importe quel couillon peut mettre un pied devant l’autre et courir pour se dépenser. Le jonglage, bah…J’avais trois balles entre les mains avant même de marcher, il parait. Je peux t’apprendre, tu verras, c’est fastoche comme tout. Et puis bah…A moins que faire du surf en amateur soit un don, je n’en n’ai pas d’autre. Je veux juste devenir Sénatrice et Présidente, plus tard. » Il y avait de nombreuses raisons poussant Lexie au silence sur son passé et sa vie de manière plus générale. Mais rien que dans sa façon de s’exprimer, c’était une énigme parfaite…Sauter ainsi du coq à l’âne n’était pas donné à tout le monde, et la superbe de son verbe était tout de même un détail que personne n’aurait pu ignorer. Il était dit qu’un jour, elle aurait un poste à responsabilités, si possible dans la politique. Tant qu’elle pouvait exercer ses talents en tant que diplomate… « A moins que tu ne veuilles sacrifier ton pied, je crois qu’il vaut mieux éviter de me tendre la main » répondit-elle avec une moue on ne peut plus significative. Autant elle avait une main droite, une main gauche et une extraordinaire dextérité dans les doigts, autant elle était née avec deux pieds gauches. Néanmoins, comment refuser d’apprendre quelque chose ? Ce jeune homme, qu’elle connaissait sans réellement le connaître, était le danseur le plus doué qu’elle ait jamais vu. Elle finit donc par ôter ce rictus de ses lèvres pour mieux se saisir de sa main et se rapprocher ainsi de lui. Elle ignorait totalement quelle danse au juste il allait bien pouvoir souhaiter faire avec elle, mais dans tous les cas, le pire était évidemment à redouter. « Je n’ai pas de constat sur moi en cas d’accident, je te préviens. » A aucun moment Lexie ne lui demanda une danse particulière, ni un cours. Pourtant, elle était curieuse de voir ce que leur duo pourrait bien donner. Pour quelqu’un qui n’était pas passablement coutumier des contacts physiques, Lexie s’en sortait plutôt bien pour l’instant : Leurs deux corps bougeaient de manière à peu près souple, grâce notamment à l’habitude de la demoiselle de bouger de manière logique et gracieuse, et à la pratique phénoménale du jeune homme. Mais évidemment, alors que Lexie prenait un brin confiance en elle, ce fut le drame. Elle finit par lui marcher sur le pied, et alors, sa réaction ne pu qu’apparaître de façon disproportionnée : La jolie demoiselle s’écarta, lâchant brutalement la main du jeune homme avant de quitter toute expression. Son visage devint impassible, et, avant qu’elle ne se confonde en excuses, elle ironisait la situation : « Je t’avais prévenu ! La danse et moi, ça fait deux. Pour devenir prof, je crois que je vais passer ma chance. » A ce moment précis, elle avait complètement oublié le fait qu’il lui ait précisé qu’il comptait devenir professeur très prochainement. Dans le cas contraire, sans doute Lexie aurait-elle pris la peine de lui demander des cours…Mais pour l’instant, c’était inutile : Deux pieds gauches, ce n’est pas une chose que l’on peut guérir. « Tu peux quand même marcher ou tu veux que je t’emmène à l’hosto ? Non parce que j’ai une excellente voiturette de golf qui marche très bien, dans le parking devant la fac. » Mais au moment même où elle proposait cette solution de dernier recours, il se mit brusquement à pleuvoir. Comme s’il était écrit quelque part qu’ils allaient faire un remake de dansons sous la pluie…Mais la chose la plus étonnante, ce fut que Lexie ne pu s’empêcher de laisser échapper un petit rire amusé. Elle ne proposa pas qu’ils se mettent à l’abri, à vrai dire, elle ne proposa rien du tout. Son premier réflexe, ce fut de reprendre en main les trois balles de golf qu’elle avait précédemment posées à terre. Comme si celles-ci avaient tout d’un coup un air on ne peut plus salvateur…