Ce n’était qu’un murmure, soufflé au creux de son oreille. Autour d’eux, la musique semblait s’amplifier, les personnes circulaient, de plus en plus nombreuses à désirer s’attabler au bar, demander une énième bière ou encore à la recherche des amis qu’ils avaient perdus dans l’intense foule sortie de nulle part, à se demander comment tant de personnes étaient entrés dans un endroit si confiné. Pourtant, malgré les effluves de conversations, la musique entêtante, les verres qui s’entrechoquent et heurtent le sol avec fracas, éparpillant leurs morceaux sur le parquet style saloon, seule sa voix existait. Sensuelle, excitante, même la légère note d’adrénaline qui devait circuler dans ses veines se faisait sentir dans sa voix, et atteignait la jeune femme. Acquiesçant, elle sentait à son tour l’adrénaline se faufiler dans ses veines, tandis que son pouls s’accélérait lentement. Puis, soudainement, le paysage se modifia. Ils étaient seuls, leurs pieds s’enfonçaient dans une immense étendue de sable blanc, tandis que le soleil couchant colorait leurs cheveux transportés par le vent en un orangé délicieusement beau. Il s’éloigna d’elle, échappant à son contrôle, ses pieds foulant le sable jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un point à l’horizon. Il l’avait utilisée. Non. Ce n’était pas ainsi que c’était censé se passer. Aller à la plage n’avait pas été dans ses priorités, qu’il s’échappe non plus. Même si c’était son idée, à la base, elle avait le contrôle de la situation. Sauf que non. Ses pieds nus sortant de la pédicure s’enfonçaient de plus en plus dans le sable, tandis que le soleil, engloutit par l’océan, la laissait sans lumière. Elle n’avait aucun contrôle, elle s’était salement fait utilisée, puis jetée, abandonnée. Tout partait, foutait le camp, rien ne se passait comme elle l’avait prévu. Un hurlement strident s’échappa d’entre ses lèvres tandis qu’elle commença à se débattre furieusement. Il ne lui échapperait pas. Il n’avait pas utilisé n’importe quelle fille, qui irait pleurer dans un coin avant d’affirmer haut et fort qu’ils sont tous les mêmes. Il avait demandé le mauvais service, à la mauvaise personne. Amusant, au départ, certes. Désormais ce n’était plus qu’un goût de citron amer persistant au fond de sa gorge. Elle allait reprendre le contrôle, se dépêtrer de ce merdier. Sa revanche aura le goût de ses lèvres contre les siennes. Mélange framboise au parfum glacé de sa vengeance.

Encore ce murmure, persistant, lui chuchotant des paroles incompréhensibles d’une voix rauque et plus qu’énervante. Mais la situation avait changé, les protagonistes n’étaient pas les mêmes que la dernière fois qu’elle s’était trouvée dans cet endroit, à cette place précisément. Levant ses yeux de biche vers cet inconnu, elle le détailla : cheveux en bataille, barbe de trois jours, odeur corporelle de poisson qui signifiait clairement soit qu’il était marin pécheur fasciné par son travail, soit qu’il utilisait des poissons desséchés en guise de shampoing/parfum. La jeune femme fronça le nez, passa une main dans ses cheveux avant d’esquisser un geste de la main, qui signifiait clairement « casses toi de mon chemin. » Il sembla comprendre le message, et la regarda avec un air de dédain avant de s’éloigner vers d’autres contrées plus vertes. Ou pas.
La chaleur de l’été se sentait, lui faisant penser à de l’eau s’infiltrant dans une éponge, lui grossissant la peau et lui donnant la sensation d’exploser. La nuit était pourtant tombée depuis une bonne demi-heure, mais la chaleur persistait, collante, énervante. Autumn avait toujours adoré l’été, pour ces longues soirées sur la plage, ce soleil qui termine sa course dans l’eau bien tard, ces jours qui s’écoulent bien trop vite, mais tellement agréablement que l’on ne peut pas se plaindre. Cependant, quand à l’extérieur il faisait la température idéale, à l’intérieur, on avait toujours l’impression de suffoquer. La jeune femme pivota sur son tabouret, posa ses mains sur le comptoir du bar et héla le serveur, qui se matérialisa devant elle comme par magie. Un sourire, un regard en coin, il savait ce qu’elle désirait, c’était une habituée des lieux. Son cocktail apparut à son tour sur le comptoir éclairé par les milles et unes lumières du bar, elle le prit entre ses doigts et vida son verre d’un trait avant de se lever, prenant son sac sur son épaule au passage. Une idée venait de germer dans son esprit, et se développait lentement en elle, en même temps qu’un sourire naquit sur son visage. Cette soirée s’annonçait plus qu’intéressante.

Un souffle de vent assez violent souleva ses cheveux, dès l’instant où ses pieds foulèrent le même sable que dans son rêve éveillé, une petite heure plus tôt. La plage était ce soir le lieu de festivités, quelques étudiants avaient organisé une petite soirée privée, bien évidemment Autumn était conviée. De toute manière, même si elle n’avait pas été sur la liste vip, elle aurait trouvé un moyen ou un autre pour entrer sur la plage, qui, après tout, appartenait à tout le monde. La nuit était tombée, il était plus de 23 heures. Se pointer à une soirée qui a déjà commencé depuis plusieurs heures, cela paraitrait pour certains assez impoli, mais c’était la routine d’Autumn, qui ne se pointait jamais à l’heure, nulle part. Agaçant, sans aucun doute, mais les gens pouvaient penser ce qu’ils voulaient, peu lui importait. Une vingtaine d’étudiants seulement étaient présents, un petit groupe réunis dans le sable au bord de la mer, qui venait leur lécher les pieds, tandis que leurs rires si expressifs allaient jusqu’à exploser les tympans de la blondinette. Un couple, qui se tenait la main -sérieusement, ça fait tellement primaire-, s’approchait de l’une des petites tables remplies de victuailles et boissons, la jeune fille brune assez petite gloussant, telle une poule apprenant à marcher. Elle salua quelques personnes, échangea quelques politesses, ignora royalement d’autres, balança l’une de ses tongs roses sur l’un des organisateurs de cette toute petite fête ridicule, qui la reçut en pleine tête avec un hurlement strident. Elle s’approcha de l’une des tables et saisit un gobelet en plastique, qu’elle remplit à une vitesse stupéfiante de divers alcools d’une couleur colorée effrayante. Alors qu’elle portait le verre à sa bouche, elle le repéra. Elle qui pensait quitter cette fête quelques secondes après y être entrée, une raison venait d’apparaitre, qui l’avait faite changer d’avis. Il se trouvait quelques mètres plus loin, assez près du groupe posé sur la plage, sans pour autant les intégrer complètement. Il était seul sans vraiment l’être. Parfait. Proie repérée, impact dans trois secondes. Sa légère robe blanche-laissant presque voir son bikini en dessous- flotta au vent, tandis qu’elle s’approcha de lui, animée d’intentions, il faut le dire, peu catholiques. Ses mains fraichement manucurées allèrent se déposer sur les yeux du jeune homme, lui cachant la vue momentanément. Ambitieuse, ou plutôt sans gêne, ses bras allèrent enlacer son cou, tandis que ses lèvres déposèrent un baiser léger comme un papillon sur sa joue droite, laissant sur lui une effluve de son parfum au patchouli. « Bonsoir, beau brun… » dit-elle en souriant. Ses mains se retirèrent de ses yeux, et elle se plaça face à lui, sa main frôlant toujours son bras. « Tu as l’air bien seul ce soir…heureusement que je suis venue te tenir compagnie » continua-t-elle, toujours cet éternel sourire, qui pouvait lui sembler sympathique, mais qui en réalité ressemblait au sourire du chasseur ayant attrapé sa proie. Pas de copine à l’horizon, seul la plage, à la nuit tombée, de l’alcool à proximité, peu de témoins. Les témoins importaient peu, en fait. Ce qui comptait était que la situation était parfaitement appropriée pour appliquer son plan. Il n’allait pas résister longtemps, personne ne pouvait lui dire non.

Quelques secondes, ses doigts s’attardèrent sur le bras du jeune homme, les pulsations de son cœur battant au bout de sa main. Elle savait qu’elle aurait dû être en colère. Si elle avait été dans son état normal, si elle n’avait pas une idée derrière la tête, elle aurait hurlé, et ses doigts ne seraient pas posés sur son bras, mais autour de son cou. L’étrangler, sans doute pas, le secouer violemment la ressemblerait peut-être plus. Il l’avait utilisée, avait fait d’elle une vulgaire marionnette qu’il avait mis sur sa main et guidé, dont il avait dicté le texte au mot près. Mais elle n’était pas une bête de foire, ni un soldat à sa merci. Il estimait qu’elle lui avait rendu une fière chandelle, sans doute. Elle estimait plutôt qu’il la prenait pour une poupée de chiffon usagée, qu’il avait jetée sur un tas d’ordures après l’avoir utilisée. Autumn n’était pas en colère, non. Ce sourire carnassier qui se dessinait en elle, mais qu’elle se gardait bien de trop dévoiler, de peur de gâcher son plan, prouvait bien ses véritables émotions. On dit que la vengeance est un plat qui se mange froid, et Damian s’apprêtait à y goûter, pour le plus grand plaisir de la blondinette.
Il ne se trompait pas, et, pendant une fraction de seconde, Autumn se demanda s’il n’y avait pas une fissure dans son plan si parfait ; si Damian ne s’attendait pas à sa riposte, à sa vengeance. Non, il ne pouvait pas. Elle avait accepté d’être sa poupée de chiffon, il l’avait maltraitée et jetée, et désormais la voilà qui lui disait bonjour avec ses lèvres sur sa joue, affection improbable après ce qu’il avait fait. Il ne pouvait pas se douter d’une vengeance aussi sucrée.
Ses yeux se relevèrent et croisèrent les siens. Il y avait un regard dont Autumn avait le secret, ce regard précisément qu’elle était en train de lui donner ; un partage d’émotions passées entre les deux pupilles, une communication par les yeux, un mensonge . Qui a dit qu’on ne pouvait pas mentir avec les yeux ? En tout cas, Autumn en était capable à coup sûr, et très bien même. Elle possédait ce regard qui disait qu’elle l’aimait, pas du doux, révoltant et douloureux sentiment qu’est le véritable amour, mais cette sensation que l’on ressent lorsque l’on sait que l’on se retrouve avec un ami, qui sera toujours là pour nous. Quelle manipulation, quelle supercherie, quelle menteuse. Elle a ça dans le sang, à ce qu’il parait, elle ment depuis toujours comme elle respire, un de plus ou un de moins…ça ne changera rien. « Tu ne te trompes pas, tu sais bien que les amis sont là pour ça, après tout. » Il y avait une part de vérité dans ses paroles, pour une fois. Ils étaient amis. Après ce qu’ils avaient traversé, ce petit service rendu, même s’il l’avait sans conteste ni rancune utilisée, ce service les avait rapprochés. Ils avaient partagé la vie de l’autre pendant plusieurs semaines, jouant au petit couple, faisant semblant de connaître tout l’un de l’autre, de partager autant de sentiments profonds que de couvre-lit ; alors qu’en vérité, ils découvraient chaque seconde une nouvelle chose, une facette de la personnalité et des goûts de l’autre. Ils étaient passés de presque amis à presque couple, et descendaient dans les oubliettes. Mais ils ne s’évanouiraient pas avant qu’Autumn ait dit son dernier mot.
Sa main finit par lâcher à regret le bras de Damian. Elle savait qu’il ne serait pas si facilement dupe, et qu’elle devrait ruser si elle désirait la bonne exécution de son plan. Il n’était pas stupide, loin de là, et c’était également ce qui donnait plus de piment à ce petit jeu.

Tout autour d’eux, la fête battait son plein. Quelques personnes qui passaient, seuls ou par petits groupes, les dévisagèrent un instant, avant de reprendre leur route, chacun de leurs pas dans le sable soulevant quelques grains qui voletaient dans l’air, donnant une atmosphère assez romantique, presque fantastique à la situation. Autumn n’avait pas lâché son verre pendant tout ce temps, et elle en porta le contenu à sa bouche, sirotant lentement le liquide qui lui brûlait l’œsophage au fur et à mesure qu’il descendait dans son estomac. C’était une mauvaise, très mauvaise idée de boire, puisqu’elle n’était malheureusement pas aussi imperméable à l’alcool que l’était un ciré à la pluie. Mais un petit verre ne pourrait pas lui faire de mal. Son verre une fois vidé, elle le laissa tomber dans le sable, où il s’étala, et le reste de son contenu vint asperger les pieds nus de la jeune femme. Elle se sentait d’humeur joyeuse, presque hystérique, et le léger rire qui s’échappa d’entre ses lèvres vint comme pour confirmer son humeur. Des notes de musique commencèrent à s’échapper dans l’air de la nuit, venant caresser leurs oreilles, emballer ses sens , une musique légère, comme l’était cette soirée…du moins pour l’instant. « Ah, voilà ce qui manquait à la soirée ! » Les bruits de conversations, qui étaient auparavant seuls bruits de fond de la fête, furent bien vite couverts par la musique entraînante. Un sourire, un haussement de sourcil significatif, et, sans attendre de réponse, Autumn entraîna son…ami, sa prochaine proie, quoi qu’il soit pour elle, bref, elle entraîna Damian dans une danse, prenant ses mains sans avoir son autorisation préalable, leurs pieds foulant le sable, les vagues venant lécher leurs chevilles. Ce n’était pas son genre, de toute manière, de demander l’autorisation avant de faire quelque chose, elle agissait, simplement. Elle voyait dans son regard qu’il avait déjà descendu quelques bières, il semblait plongé dans une béatitude étrange provoquée par l’alcool, qui précédait la folie. C’était cette folie qu’elle attendait. Sans lâcher ses épaules, auxquelles elle était pendue depuis quelques minutes, tournant et retournant dans le sable, sourire aux lèvres, comme pour l’entraîner avec elle dans ce tourbillon de folie qui, personnellement, l’atteignait depuis sa plus tendre enfance. « Hum, dis-moi, tu es bon danseur... Dit-elle, ses pupilles bleutées vrillées dans les siennes, envoutantes, l’invitant à se noyer dans cet océan. Y a-t-il d’autres talents que tu me caches ? Je croyais pourtant que tu me disais tout. » Elle-même n’en revenait pas d’arriver à utiliser leur ancienne.. Disons expérience en tant que ‘couple’. Rien que d’y penser, d’ordinaire, cela la gélifiait sur place, et réveillait les démons de la colère enfouit en elle, si bien qu’elle devait serrer les poings pour ne pas péter un câble. Continuant à l’entraîner dans sa danse folle, la musique changea pour quelque chose de plus entraînant, un air pop dont la batterie sortit si violemment des enceintes disposées sur la plage qu’Autumn sursauta. Mais rien ne pourrait la faire arrêter sa danse folle. A force de tourner, les pieds de la jeune femme finirent par trébucher sur un coquillage traînant sur le sable. En tombant, elle entraîna Damian dans sa chute, et tous les deux tombèrent lourdement côte à côte dans le sable. Aouch. Autumn tourna la tête et ne put s’empêcher d’éclater de rire. Ils semblaient seuls sur la plage, et, même si elle savait que Damian pouvait se douter de quelque chose, savoir que ses actes n’étaient pas totalement désintéressés ; elle savait qu’il ne connaissait pas toutes ses ressources. On dit souvent qu’il ne faut pas faire justice soi-même, que ce genre d’initiatives ne peut amener qu’à de mauvaises choses. Tuer quelqu’un pour venger son mari, voler dans une boutique parce que le vendeur ne possédait pas l’objet de nos désirs…se venger ainsi peut amener à se retrouver en prison. Mais la revanche marche également dans d’autres contextes, comme celui présent. Et Autumn était loin d’être le genre de personne qui s’effraye à la simple idée d’aller en prison, de se faire arrêter, ou, ce qui collerait plus dans ce cas précis, se faire une ou plusieurs ennemies de plus. Mais Autumn n’avait pas peur ; parce qu’elle savait qu’au bout d’un moment, elle obtiendrait ce qu’elle voudrait.

Ce soir était différent, cette nuit semblait plus intense que toutes les autres qu’elles avaient passées à la belle étoile. Peut-être était-ce du à sa compagnie fort agréable, à la bonne exécution de son plan, ou simplement parce qu’elle sentait les effets de l’alcool circuler dans ses veines de seconde en seconde, l’envahissant d’une euphorie silencieuse et dévastatrice. Allongée dans le sable, dont les petits grains dorés, soulevés par le vent, venaient décorer ses cheveux, elle se sentait plus sûre d’elle que jamais, plus puissante, comme si, d’un coup de baguette magique, elle parviendrait à dominer le monde et les humains, tout être vivant, et toute chose existant sur cette planète. Elle laissa échapper un rire, cristallin, et quelques regards se dirigèrent vers ces deux drôles d’énergumènes, allongés dans le sable, l’eau venant leur lécher les pieds régulièrement, les rafraichissant et remettant quelque peu les idées en place dans la tête de la blondinette. Son rire finit par s’évanouir, la musique reprenant son tambourinement incessant dans sa tête, musique pop assez ridicule, digne d’une danse des canards chantée par une pré adolescente sans véritable talent. Au son de sa voix à ses côtés, elle tourna la tête, sans pour autant se lever, ou esquisser le moindre geste pour se redresser, trop à son aise dans le sable, à l’idée de l’avoir allongé à ses côtés, qui présentait une opportunité très intéressante. Cependant, elle savait qu’il était trop tôt pour faire le moindre geste, tenter la moindre approche à son encontre sans éveiller ses soupçons, qui devaient déjà flotter à la surface de ses pensées. Un sourire se dessina sur son visage, tandis qu’elle jaugeait d’un air plus ou moins indifférent les vêtements du jeune homme ; dont le bas du pantalon se faisait régulièrement tremper par l’eau de mer. Se faire pardonner, comment ? Elle avait bien une petite idée, mais elle était plutôt off-limits. Aussi, elle se contenta de hausser les épaules, cet éternel sourire collé au visage, bonne humeur permanente qui parviendrait à faire sourire un koala. « Je ne te croyais pas si superficiel, dit-elle, ne pouvant s’empêcher d’élargir son sourire. Bien sûr, et c’était elle qui disait cela, la reine de la superficialité en personne, celle qui accordait plus d’importance à son vernis posé sur ses doigts de pieds plutôt qu’à la faim dans le monde. Elle le voyait venir à des kilomètres, tout comme lui la voyait également arriver, munie de ses gros sabots, approchant déjà ses lèvres brillantes des siennes. Ce petit clin d’œil n’y était pas pour rien, peut-être se trompait-elle, mais elle y voyait une provocation, un défi. Ahah, il ne savait pas avec qui il jouait. Ou peut-être que si, justement, il savait exactement avec qui il jouait. Se redressant légèrement, son coude s’enfonçant dans le sable, le vent soulevant sa robe pour donner une vue assez… intéressante à Damian -croyez le ou non, Autumn ne commande pas le vent, donc cela n’était pas véritablement fait exprès, mais ça aide, évidemment (a)-, elle fronça légèrement les sourcils. Se faire pardonner ? Pourquoi, pour donner de l’animation à cette soirée, pour lui tenir compagnie, le distraire, lui faire passer ce qui allait être sans aucun doute, mais il l’ignorait encore, la pire tout comme la meilleure soirée de sa vie ? Quoique…tout bien réfléchi, oui, elle se ferait pardonner; pas de la façon dont il l’imaginait sûrement, mais elle le ferait tout de même. « C’est une soirée sur la plage, dit-elle, et ses yeux indiquèrent deux jeunes hommes qui arrivaient, tous les deux vêtus de simples maillots de bain, déjà avançant d’un pas assez peu sûr d’eux, leurs pieds s’enfonçant dans le sable et leurs éclats de rire aussi tonitruants qu’un éclat de tonnerre. Tu n’avais qu’à mettre ton maillot de bain. » acheva-t-elle dans un haussement de sourcil parfaitement épilé, toujours sourire aux lèvres. Elle-même avait son bikini en dessous de sa robe, pour elle, ça coulait de source. Qui disait soirée sur la plage, disait océan, disait bains de minuits, plongeons des falaises, enterrement des gens dans le sable, et tellement d’autres activités toutes aussi intéressantes que folles.

Elle sentait qu’elle avait besoin de quelque chose de plus. Rester là, allongée dans le sable, à ses côtés, quelques regards passant sur leurs corps allongés, troublés, intrigués, ou seulement vides ; cela la rendait folle. Complètement folle. Autumn avait souvent eu la bougeotte, le fait de rester sur place longtemps, à cogiter, se torturer, trop penser, rien de pire pour elle. Bouge maintenant, ou jamais, tel était son style de vie. Elle ne pouvait pas agir tout de suite, mais elle ne pouvait pas non plus attendre que ça passe, que son intérêt pour elle s’en aille aussi vite qu’il soit arrivé, qu’il décide de quitter la fête avant même qu’elle n’aie eu le temps de faire un geste. Ce soir était le bon soir, mais le timing n’était pas encore juste. L’alcool n’était pas encore assez coulant dans ses veines, l’euphorie restait tapie au fond d’elle, il fallait attendre le moment où elle surgirait brutalement, coulée de lave dans laquelle le pauvre Irlandais allait se retrouver empêtré pour la nuit. La jeune femme se releva, esquissa un sourire mystérieux à Damian, et se dirigea vers les autres personnes qui se trouvaient à la fête. Non, elle ne l’abandonnait pas, elle se faisait désirer. Tout un art. Mini coup d’œil derrière elle, et son regard croisa, comme par un heureux hasard, celui de Damian. Il l’avait regardé partir, première étape presque réussie. Ses doigts vernis d’une teinte corail saisirent deux gobelets rouges en plastique emplis évidemment d’alcool, pas de sirop de pêche ; puis, elle repéra un jeune homme qui tenait un bretzel dans sa main relevée d’une façon très… gay. Un sourire se dessina sur son visage. Zut alors, elle n’avait plus de main libre. Elle approcha sa bouche du bretzel qu’elle croqua, et tourna le dos au jeune homme, suivie des rires des fêtards qui avaient assisté à la scène, et de la mine estomaquée du gay pas bien dans ses chaussures. Elle retrouva Damian près de l’endroit où elle l’avait laissé, et lui tendit ce nouveau gobelet empli, sourire aux lèvres. « T’as vu, je me fais pardonner. » Ahah, se faire pardonner en offrant un verre d’alcool, en le rendant plus saoul qu’il ne l’était déjà, drôle de façon.

Elle descendit son verre d’une traite ; un garçon muni d’une planche de surf passa derrière elle, et elle lui tendit le gobelet en articulant exagérément des remerciements, fidèle à elle-même de profiter de la gentillesse des autres, ou plutôt de les mettre au pied du mur et les obliger à lui rendre un service en utilisant son sex appeal indéniable, dont elle était bien consciente. A nouveau au bord de l’océan léchant leurs pieds, une idée lui vint. Peut-être que ça donnerait un peu plus de peps à cette soirée, et puis évidemment ça le distrairait de cette Plum qu’il devait avoir en tête depuis le début de la soirée. Regrettait-il de passer la nuit avec elle plutôt qu’avec sa délicieuse et adorable Plum, celle qui, sans elle, il n’aurait jamais reconquiert ? Une grimace ne put s’empêcher de se dessiner sur son visage à ce souvenir, qu’elle s’empressa de cacher derrière un sourire, sa main parcourant discrètement le bras du jeune homme. « L’idée du maillot de bain est très intéressante, tu sais… Laissant sa phrase en suspens, elle enleva sa main de son bras, et passa ses bras sous sa robe avant de l’enlever d’un geste digne d’une professionnelle de…strip-tease ? Oui, c’est le cas de le dire. Autumn apparut alors sous un tout autre angle, derrière celle qui avait l’air d’un ange dans sa robe du soir apparut la folle, déjantée, celle qui allait lui faire passer la soirée de sa vie. Armée de son bikini blanc, de son corps de rêve, son sourire dévastateur, elle passa une main dans ses cheveux et le fixa, haussa légèrement un sourcil. Il avait toujours son verre à la main, plongé dans ses pensées, peut-être la regardait-il sans véritablement la voir, ou, au contraire, il la voyait trop, et se demandait dans quoi il allait être entraîné. …si tu en avais un, tu serais mieux préparé pour ce qui t‘attend. » Pas le temps de comprendre. Elle allait encore plus lui ruiner son pantalon. Pas grave, il n’en avait pas besoin (a). Il pouvait l’engueuler, s’énerver, ce n’était que de l’eau, ça allait sécher. Leurs pieds étaient déjà dans l’eau; et, en une fraction de seconde, Autumn bondit sur son dos, le faisant basculer sous son poids dans l’océan. Un bain de minuit, un peu avant l’heure. Mais qui n’en était pas moins agréable.

Cette douce sensation de chaleur s’emparait à nouveau d’elle, prenant possession de son corps, envahissant son estomac et, il faut le dire, aussi ses pensées, les rendant quelque peu confuses. Pourtant, une pensée restait plus forte que jamais, claire, écrite noire sur blanc dans sa conscience, et c’était elle qui la guidait depuis le début de la soirée, et elle savait que, même l’alcool, peu importe la dose qu’elle ingurgiterait, ne pourrait la dévier de la trajectoire pour laquelle elle avait été programmée ce soir là. Debout, face à l’océan, leurs verres dans le creux de leur main, ils fixaient l’horizon et le reflet argenté de l’éclat de la lune dans l’océan. Au loin, le son des verres remplis qui s’entrechoquaient, des éclats de rire se brisaient dans le silence, en même temps que chacune des petites vagues provoquées par le vent venaient s’écraser sur leurs pieds, puis s’évanouir et humidifier le sable derrière eux. Qu’attendaient-ils, au juste ? Que la lune se lève un peu plus dans le ciel, puis qu’elle disparaisse à nouveau pour assister au coucher de soleil ensemble, summum de la niaiserie de tous les petits couples fraichement amoureux ? Elle l’imagina momentanément, son bras enroulé autour de ses épaules, leurs regards fixés sur l’horizon illuminé par les premiers rayons de soleil de l’aube, puis chassa cette image de sa tête. C’était ridicule, et elle sentait qu’elle commençait à divaguer de son but principal, et que si elle restait là une seconde de plus, immobile, elle se gélifierait d’ennui.
En deux temps trois mouvements, sa robe passa au-dessus de sa tête, dévoilant un bikini la seyant à merveille. Le tissu qu’elle portait se retrouva balancé au loin dans le sable, tandis qu’un sourire se dévoila sur son visage. Le bain de minuit aurait bientôt lieu, du moins le premier acte. Passant ses mains fraiches autour de son cou, et, poussant un léger cri de victoire, elle transféra tout son poids sur le corps du jeune homme, déjà à moitié immergé dans l’eau ; ce qui acheva de le noyer. Le contact glacé de l’eau la fit frémir tandis que ses paupières se fermèrent automatiquement, et pourtant ses mains restèrent encore en contact avec ses épaules quelques secondes de plus, peut-être de trop. Elle sentit pourtant, alors que son corps s’enfonçait un peu plus dans l’océan, qu’il s’éloignait, que ses mains perdaient de sa force, qu’il se détachait de son étreinte. Elle le perdait, il lui échappait, sans qu’elle ne puisse esquisser un geste pour le rattraper. Une profonde frustration l’envahit alors. Ses yeux s’ouvrirent, dévoilant les fonds sous-marins, les quelques touffes d’algues vertes et de sable sombre, tourbillon de poussière qu’ils avaient provoqué en s’enfonçant ainsi dans l’eau. Ses yeux la piquaient, cependant elle continuait à observer, tout en essayant de nager avec ses bras, restant sous l’eau. Enfin, elle le repéra, quelques mètres en avant d’elle, son corps d’athlète nageant devant elle, puis crevant la surface de l’eau. Non, pas question de le laisser s’échapper.

Quelques secondes plus tard, elle refit surface, barbotant gaiement à ses côtés, affublée d’un grand sourire innocent, tel celui de l’enfant qui sait qu’il a été pris en faute, mais essaye de fuir la punition en utilisant habilement son charme. En voilà un domaine dans lequel Autumn excédait, tiens. Comme un poisson dans l’eau, elle nageait habilement, décrivant des petits cercles, tel un requin tournant autour de sa proie avant de se décider à l’attaquer. Posant deux doigts sur son nez, elle se laissa à nouveau engloutir par la petite vague qui arrivait, avant de ressortir de l’eau. Elle ne put s’empêcher de passer sa main dans ses cheveux, histoire de les remettre un peu en place. Bah oui, elle n’est pas une Bêta pour rien. Le tee-shirt de Damian s’envola subitement, atterrissant quelques secondes plus tard sur la plage, à côté de la robe de la jeune femme, petite méduse échouée sur le sable. Tournant la tête, ses yeux bleutés furent confrontés à une toute autre vision, bien plus intéressante. La bouche de la blondinette s’entrouvrit légèrement, puis se ferma brusquement, tandis qu’elle s’efforçait de fixer autre chose que le torse parfaitement musclé de Damian, torse contre lequel elle s’imaginait bien. Mon dieu oui, elle allait bien en profiter. Rien que d’y penser, elle jubilait déjà.

Tellement plongée dans ses délires et fantasmes, imaginant déjà la prochaine phase de son plan, ses pieds quittant le fond de l’océan tapis de sable, pour s’éloigner vers les profondeurs, et vers Damian, elle ne remarqua même pas son attaque. En une fraction de seconde, il fut à ses côtés, si près que si elle en avait eu le temps, elle aurait pu compter ses cils. Quoique, c'aurait été un peu stupide. Ses bras l’enserrèrent, et elle sentit l’eau monter autour d’elle, puis les bruits de la fête s’évanouir tandis que l’eau entrait dans ses oreilles. Elle se débattit toute seule dans l’eau, luttant pour retrouver l’usage de ses bras et ses jambes, qui ne tardèrent pas à la ramener à la surface. Elle l’entendit avant de le voir, ses éclats de rire parvinrent à ses oreilles à peine débouchées, tandis qu’elle se frottait légèrement les yeux pour atténuer la douleur -automatisme peu intelligent, étant donné que ça la faisait plus souffrir que la soulageait-. Ouvrant à nouveau les yeux, elle fronça les sourcils de mécontentement, mais un sourire se dessina tout de même sur son visage. Il semblait heureux, à cet instant précis. Joyeux, ses éclats de rire de gamin étaient communicatifs, si bien qu’Autumn se mit à son tour à rire. Le côté machiavélique de la jeune femme se mit à nouveau en route, et elle rit de plus belle, heureuse à son tour, à l’idée que tout se déroule parfaitement. Parce que tout allait si bien, le plan semblait se dérouler trop bien pour que ce soit vrai. Suspicieuse, attentive à toute fuite dans le mécanisme, elle se laissa pourtant aller quelques minutes de plus, oubliant tout, savourant juste l’instant présent. Des gerbes d’eau lui parvinrent à nouveau, l’éclaboussant, l’aveuglant, elle avala de l’eau salée avec une grimace, et ses mains continuèrent à s’agiter, soulevant des litres et des litres d’eau dans sa direction, espérant qu’elle le mouillait plus que lui, tout son corps et son âme hurlant de rire, d’un rire joyeux et léger à l’extérieur, et démoniaque à l’intérieur.
La bataille cessa, et Autumn ne put à nouveau s’empêcher de se recoiffer du mieux qu’elle le pu, regrettant intérieurement de ne pas avoir un miroir à sa disposition. La remarque de Damian, au lieu de la piquer au vif, élargit encore plus son sourire. Ce soir, elle se sentait belle, même en étant trempée de la tête aux pieds, et elle était persuadée que Damian le savait, et pensait de même ; du moins la partie de lui qu’il refusait d’admettre la trouvait forcément attirante. Ceux qui affirment ne pas trouver Autumn Rowen-Glaswell à leur goût sont des menteurs, doublés d’idiots. « Ce n’est pas ces quelques éclaboussures qui vont ternir ma beauté, tu le sais », dit-elle, son sourire s’élargissant tandis qu’elle arrivait enfin à la hauteur de son corps d’Adonis flottant à la surface. Il semblait plongé dans ses pensées, et Autumn aurait aimé savoir quel était le sujet de sa rêverie. Imaginait-il le reste de la soirée, pensait-il à elle ou, au contraire, à sa petite amie, et au fait qu’il était complètement trempé et qu’il devrait peut-être rentrer dans cet état ? Posant ses coudes sur son torse, elle le fit d’une pression légère s’enfoncer un peu dans l’eau, ce qui le dissuada malheureusement d’exposer un peu plus son corps aux yeux de la jeune femme. Elle le regarda s’éloigner, puis sortir de l’eau tel un remake d’Alerte à Malibu. Oubliait-il qu’elle était la plus sexy des deux ?

If you want me you’re gonna come & get me babe. Voilà ce qu’elle mourrait d’envie de lui répondre. Mais elle savait pertinemment qu’il ne viendrait pas. Avait-il une raison de s’accrocher à elle ? Non, aucune. Elle n’était que l’une de ses multiples connaissances, pas quelqu’un de spécial à ses yeux, elle le savait bien. Quoique, peut-être pensait-il à elle d’une façon différente qu’à ses autres amis, étant donné le lien étroit qui les liait, ce qu’ils avaient « traversé » ensemble, ou plutôt la mise en scène avec laquelle tout avait commencé. Mais ils n’étaient pas meilleurs amis, pas confidents, rien. Elle avait été sa fausse petite amie un temps, et ce temps était révolu. Il n’aurait aucune raison de venir la chercher dans l’eau, il pouvait s’en aller et aller rejoindre sa petite amie. Alors qu’Autumn avait une raison précise de s’accrocher à lui, et cette raison était la vengeance. Il n’allait avoir que ce qu’il mériterait. Elle était entrée et entrerait à nouveau dans sa vie pour tout bouleverser, avant de s’en aller, laissant derrière elle un souvenir amer, mais mémorable. Un peu comme un ouragan, sauf que les dégâts qu’elle laisse ne sont en aucun cas matériels.
Après quelques brasses, elle finit par sortir de l’eau, ses pieds retrouvant le contact du sable. Se laissant tomber à ses côtés, elle fixa le peu d’étoiles peintes dans le ciel sombre. « Tu ne peux vraiment pas te passer de moi, hein, dit-elle, taquine, les yeux toujours rivés vers le ciel, un rire secouant sa poitrine. Elle retourna sa tête vers lui, ne le quittant pas des yeux. La musique, plus forte que jamais, entama un morceau rock. Elle cligna des yeux une fois, deux fois, passa une main dans ses cheveux. Pourquoi se sentir nerveuse ? Il n’y avait pas de raison que tout foire. Alors, racontes moi…comment se fait-il que Damian se retrouve seul à une soirée et ait tellement besoin de son Autumn ? Honnêtement, ils ne parlaient pas souvent d’eux. Ils avaient passé leur temps à jouer une comédie ensemble, et donc il leur était arrivé de parler d’eux et de leur vie quelques fois, mais juste assez pour maintenir l’illusion, sans trop dépasser les bornes. Elle finit par se redresser sur les coudes, ses yeux se fixèrent quelques secondes sur l’horizon. T’as de la chance, je sais comment rendre les soirées amusantes, ajouta-t-elle, en haussant légèrement les sourcils. Leur petite bataille dans l’eau le prouvait bien. Les quelques verres l’avaient rendues joyeuse, pratiquement hystérique, si bien qu’elle ne put s’empêcher de glousser, avant de brusquement poser sa main sur ses lèvres, telle une gamine prise en faute. Se retournant vers lui, elle glissa sa main dans le sable, qu’elle fit lentement couler entre ses doigts. Elle le poussait à se confier, sans trop savoir à quoi s’attendre, et si c’était une bonne chose ou non. Autumn, la nouvelle confidente, celle qui ne la connaissait pas assez pour porter un jugement…parfois il est plus simple de parler aux inconnus. Non, ce bain de minuit ne l’avait pas transformé en bonne sœur. Chacun de ses gestes, de ses paroles, pouvaient être remis en question. Là était sans doute le problème, avec Autumn. On ne peut pas savoir lorsqu’elle ment, et lorsqu’elle est sincère. Le sable s’écoula plusieurs fois encore entre ses doigts, jusqu’à l’instant où elle en récupéra à nouveau au creux de sa main, et le laissa glisser sur l’avant-bras de son ami, tout sourires, attendant qu’il se décide -ou pas- à parler un peu.

Spoiler:

Le sable glissait lentement entre ses doigts, chaque grain de sable était une seconde de plus passée dans le silence. Avait-elle fait une erreur, avait-elle franchi une ligne qu’elle ne devait pas ? Ils ne se confiaient pas, leur relation n’était pas basée sur ça. Après tout, leur relation n’était que le fruit d’un hasard, d’une petite idée tordue qui avait germé dans l’esprit de Damian, poussé comme une plante, qu’ils avaient entretenu pour maintenir l’illusion, avant de l’oublier dans un coin, la laissant s’assécher et mourir, par manque de soins. Elle ne savait même plus pourquoi elle avait posé cette question, elle n’avait pas envie de connaître la réponse, d’entendre ses somptueuses éloges sur la relation qu’il avait avec Plum, celle qui, sans Autumn, il n’aurait jamais pu récupérer. Un goût amer se promena sur la langue de la jeune femme quelques secondes à ce souvenir. Merde, sans elle, il n’en serait pas là, il ne serait pas sans doute aussi heureux qu’il en avait l’air. Il lui devait bien une fière chandelle, elle comptait bien réclamer ce qui lui était dû.
Pourtant, patiemment, telle une amie, une épaule sur laquelle il pouvait se reposer, elle attendit sa réponse, les yeux fixés dans le vague, les quelques grains de sable restants s’incrustant dans les lignes de la paume de sa main, encore légèrement humides. Elle savait qu’elle ne suivait pas le plan qu’elle avait établi. Tout était prévu, pratiquement seconde après seconde de cette soirée où, enfin elle parviendrait à resserrer ses griffes autour de lui. Elle s’était répété cent fois la scène dans sa tête, avait planifié jusqu’au moindre des mots, gestes et petites attentions anodines qui le ferait craquer. Mais rien ne se déroulait comme prévu, elle n’imaginait même pas le trouver à cette fête ce soir là. Il lui restait l’improvisation, qui offrait deux résultats très incertains. Soit elle gagnait son pari, bouleversait sa vie et rentrait chez elle le sourire victorieux accroché à ses lèvres…soit elle perdait tout. Son pari mais aussi sa pseudo amitié avec lui. Ça valait le coup de tenter.

Elle sentait qu’il cherchait à éviter son regard, fixant l’horizon d’un air nonchalant, mais Autumn ne se laissait pas berner. Il était troublé, sans doute, par son attitude soudainement attentionnée, qui donnait à la soirée un ton beaucoup plus sérieux que quelques minutes auparavant. Il ne voulait pas parler de sa vie personnelle avec elle, c’était compréhensible. Après tout, qu’avaient-ils à se raconter ? Rien, absolument rien. Ils ne connaissaient, en fin de compte, pas grand-chose l’un de l’autre, et, en tout honnêteté, Autumn n’en avait un peu rien à faire. Il lui avait fait du mal, et, tout ce qu’elle attendait, c’était de se venger, et de se tirer. Complètement égoïste, vous l’avez dit.
Un sourire se dessina sur son visage, manifestation satisfaite qui n’avait absolument pas lieu d’être, vu la réponse de l’Iota. Tout allait parfaitement bien pour lui, il ne cherchait pas de bras pour le consoler, il vivait dans son petit conte de fées, qu’est-ce que c’était ridicule. Autumn n’avait aucune raison d’être satisfaite, à première vue. Il ne se plaindrait pas de Plum, ce qui n’offrait pas de possibilité pour un petit écart dans sa relation. Mais c’était parfait. Dans ce cas, si elle obtenait ce qu’elle désirait, Autumn en éprouverait la satisfaction d’être l’entière cause de l’immense bordel dans la relation entre l’Iota et l’Alpha. Un athlète, un corps d’Apollon, fêtard et délirant, avec une petite intello sans aucun doute des plus coincées et des plus chiantes ? Plus d’une fois lors de leur petite mise en scène, une pensée peu catholique avait traversé l’esprit de la jeune femme. Une Bêta et un Iota, A&D, un couple qui serait au top des charts, le plus populaire mais aussi le plus glamour de tous. Ah, ils auraient régné sur le campus..et cet idiot, plutôt que de s’abandonner complètement à la déesse qui lui servait de couverture, avait choisi de s’obstiner avec cette petite brunette. Elle ne le comprendrait jamais.

Il ne croyait pas si bien dire. Autumn ne put s’empêcher de glousser, sans trop savoir ce qui lui prenait. Même le bain de minuit, l’eau glacée qui léchait le bout de ses orteils à intervalles réguliers, la musique qui pulsait dans sa poitrine ne parvenaient à lui mettre les idées correctement en place. Elle sentait cette adrénaline monter dans ses veines, son sourire s’étirer de plus en plus, sans qu’il y ai de raison particulière. Elle se laissa tomber dans le sable, ses cheveux tombant autour de sa tête comme une immense auréole dorée, et fixa quelques instants le ciel sombre, et les quelques étoiles brillantes qui venaient d’apparaitre. Il lui sembla voir une étoile filante, mais peut-être délirait-elle complètement. Elle fit tout de même son vœu, fermant momentanément les yeux. Lorsqu’elle les rouvrit, le jeune homme était penché vers elle, attendant une réponse à sa question, sans aucun doute. « Tu ne sais pas, depuis le temps que tu me connais maintenant ? Partout où il y a une fête, je suis là, honey. C’était vrai, cette soirée était parfaite pour leurs retrouvailles, parfaite à tous les points de vue. Il y avait des témoins, ce qui serait bien utile à Autumn- mais pas trop, de la bonne musique, de l’alcool, l’océan qui s’étendait à leurs pieds. C’est parfait, en effet. Ses paroles ne furent qu’un murmure, emporté par le vent, si bien qu’elle ne sut pas s’il les entendit. Ils furent plongés dans le silence quelques éternelles secondes. Ils n’avaient rien de particulier à se dire, maintenant que tout était terminé.

De l’alcool. Il optait pour la facilité, il s’éloignait d’elle, lui échappant encore une fois. La frustration de voir ses pieds nus s’enfoncer dans le sable vers le groupe d’étudiants disparut bien vite. Elle savait qu’elle aurait besoin d’un petit verre. Se redressant, elle fixa quelques instants les formes indistinctes de jeunes femmes riant aux éclats dans l’océan, avant de retourner la tête vers le bar improvisé. Quelques secondes, ses yeux le cherchèrent sans le trouver, tandis que la panique montait en elle. Était-il parti, l’avait abandonné ici ? Tout serait terminé, elle aurait loupé cette fantastique occasion de lui faire goûter les plus belles lèvres de toute l’université. A présent assise, elle était sur le point de se lever pour partir à sa recherche, lorsqu’elle l’aperçut, fendant la foule avec deux gobelets rouges remplis dans les mains. Ouf. Elle se détendit à nouveau, heureuse d’avoir reprit mentalement le contrôle de la situation, ravie de la tournure des événements. Attrapant son gobelet, elle le porta à sa bouche, avant d’esquisser un sourire et de cogner son verre dans celui de Damian, laissant échapper quelques gouttes d’alcool dans le sable. A la tienne ! Elle descendit son verre d’un trait, grimaça légèrement tandis que le liquide lui brûlait l’œsophage, puis reposa son gobelet dans le sable. Bon, c’est vraiment pas le cocktail de l’année. Un cri retentit, suivi de nombreux éclats de rires. Se retournant momentanément, Autumn remarqua que les étudiants avaient commencé un feu de joie sur la plage, qui brûlait déjà haut dans le ciel, et dont les étincelles manquaient parfois de peu de toucher des étudiants, qui semblaient plus s’amuser de la situation que de s’en inquiéter.

Bon, je propose qu’on démarre enfin cette soirée ! Bah quoi, c’était qu’un avant goût de ce qui les attendait. Il n’était que minuit, ils avaient encore de nombreuses heures devant eux avant que le soleil ne se lève. Elle lui prit la main et le força à se lever, avant de l’entraîner vers le bar, sans lâcher son emprise sur lui, ce qui provoquait quelques regards intrigués et jaloux des jeunes hommes. Ils avaient tout l’air d’un couple, ou de deux personnes très proches qui basculaient du mauvais côté de temps en temps, Autumn avait cet air collé sur son visage qui semblait dire qu’ils étaient très complices, tous les deux. Elle jouait complètement avec lui. Passant d’un état à l’autre, d’une petite question sérieuse à la folie totale, elle incrustait en lui la confusion la plus totale, l’empêchant de la cerner complètement, de savoir si elle cherchait à renforcer leur amitié ou simplement s’amuser, si elle s’intéressait réellement à sa vie ou pas. Cela l’amusait, de perturber les gens, qui ainsi, ne parviendraient jamais totalement à la comprendre. Une fois arrivés près du bar improvisé, elle le contourna, et dénicha derrière deux bouteilles, l’une de vodka, et l’autre de téquila, pleines. Elle ouvrit la première et but quelques gorgées au goulot, avant de la tendre à Damian, et d‘esquisser un sourire mystérieux. Ses doigts se posèrent sur la sono, dont elle augmenta le son à fond, et une musique pop rugit soudainement des haut-parleurs, effrayant quelques personnes. Elle saisit à nouveau la main du jeune homme, et commença à tournoyer autour de lui, étourdie par l’alcool, l’entraînant à nouveau dans son tourbillon de folie.
Ils dansèrent bien quelques minutes, ses cheveux blonds flottant autour de sa tête, elle sentait les nombreux regards posés sur elle, et elle en souriait intérieurement, ressentant toujours cette pincée d’excitation lorsqu’elle se sentait être le centre de l’attention. Alors que sa main frôla celle de Damian, qui semblait loin d’être aussi déchaîné qu’elle-malheureusement-, quelque chose attira son attention, au bord de la plage. Son sourire surgit sur ses lèvres, tandis qu’une idée germait dans son esprit. Sa main serra plus fortement celle de Damian, avant de l’entraîner dans son sillage parfumé. Une, deux, trois secondes plus tard, la chose se dressa dans toute sa splendeur devant les deux jeunes gens. Une voiturette de golf abandonnée là, sur la route goudronnée jonchée de grains de sable de la plage, qui se trouvait à peine à un mètre de celle-ci. Partant pour un tour ? Elle sauta dans le véhicule et démarra sans attendre de réponse de sa part. Elle savait qu’il ne dirait pas non. Le moteur s’emballa et la course commença, les cheveux au vent, la route à peine éclairée défilant à quelques centimètres d’eux. Effrayant, la montée d’adrénaline soudaine. Décidant brutalement qu’ils s’étaient trop éloignés de la soirée, des témoins potentiels, de l’abondance d’alcool et de musique enivrante, Autumn effectua un brillant demi-tour au milieu de la route, manquant de peu de se prendre une autre voiture. Pourtant, elle riait aux éclats. La musique de la fête se fit de plus en plus intense au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient, et Autumn commença à chanter à tue-tête ce tube passé sur les ondes. « ‘cause baby toniiiiiight, the DJ got us falling in love agaaaaaaaaaaain ! » Elle se tourna momentanément vers Damian, savourant quelques instants l’idée qu’ils étaient seuls dans cette mignonne petite voiture, et esquissa un léger mouvement de la tête, l’invitant à chanter avec elle. Ils avaient l’air ridicules, complètement tarés, légèrement bourrés, mais peu importait. Elle s’amusait comme une folle au volant de cette petite voiture, sillonnant les routes autour de la plage, le vent dans ses cheveux, si bien qu’elle en oublia momentanément ses plans. Plongée dans les paroles de la chanson, le rythme dans la peau, ses mains tapant en rythme sur le volant, ses yeux fixés sur ceux de Damian tandis qu’ils chantaient à tue-tête, elle ne remarqua pas qu’elle avait légèrement dévié de sa trajectoire. La voiture fit une embardée sur le côté, continua sa course effrénée sur le sable, à quelques mètres de la soirée. Et son rire n’en finissait plus, haché par les soubresauts du véhicule dans le sable qui volait tout autour d’eux. Leurs épaules se touchaient, jouaient au chat et à la souris toutes les deux secondes, et elle appréciait ce contact physique. Peut-être qu’elle avait trop bu, peut-être que c’était une mauvaise idée de prendre le volant, même de ce véhicule ridiculement petit. Mais Autumn était une mauvaise, une très mauvaise conductrice. Cependant, il fallait admettre que là, dans le sable, manquant d’écraser un pigeon, chantant à tue-tête, ses cheveux blonds emportés par le vent et Damian à ses côtés, délicieux petit morceau qui, elle le savait, ne pouvait s’empêcher de l’adorer. Comme tout le monde.