Je ne sais pas comment réagirais mes parents s'ils devaient un jour venir à me revoir. Maintenant que j'étais revenu, je serais certainement contraint de les retrouver un jour, n'importe quand, durant des fêtes familiales par exemple. Déjà, je savais que Samuel appellerait notre mère dés ce soir pour lui apprendre la « bonne » nouvelle : j'étais toujours en vie, sain et sauf. Il irait également prévenir les enfants Salaun. Le fils est de retour. Et si un jour je venais à me retrouver en face de mon père et de ma mère, mes simples géniteurs, deux solutions se présenteraient à moi. La première : ma mère se mettrait à pleurer, n'en croyant pas ses yeux, heureuse que toutes ses peurs soient réduites à néant. Mon père serait également heureux de retrouver un de ses fils, un vrai, ayant son sang qui coule dans ses veines. La seconde : ma mère tenterait de me tuer pour lui avoir fait de telles peurs. Mon père, lui, me décrochait un coup de poing dans la figure, afin de se venger de tout le mal que j'ai pu leur causer et disparaissant depuis plus d'une décennie. Mais la partie qui ne changerait pas, c'est que moi, je ne cesserais de froncer les sourcils, je ne prendrais pas des pincettes en leur parlant, surtout à Nathan. Je n'hésiterais pas à lui faire comprendre qu'il avait gagné toute ma haine et il serait même fort probable que je me jette sur lui pour le ruer de coup jusqu'à ce qu'il atterrisse à l'hôpital. Au final, il valait certainement mieux que chacun reste dans son coin. Si Samuel retournait en France, notamment en Bretagne, pour retrouver toute la famille, je ne l'accompagnerais pas. Je n'avais plus ma place dans les Salaun, d'une parce qu'ils avaient continué leur vie sans moi ; et de deux, parce que je ne voulais plus en faire partie. C'était aussi simple que cela.

« Nous sommes tous des animaux. Seulement les situations que l’ont vit, font que ce côté animal prend le dessus ou pas. » Pour ma part, mon côté animal avait bien trop pris le dessus. Je n'avais plus grand chose d'un humain, même si je ne devrais pas trop m'en plaindre, car j'arrivais à retrouver un peu d'humanité, aussi minime soit elle, en revenant jusqu'ici pour retrouver les personnes proches à mes yeux, vivantes ou défuntes, bien évidemment. Je portais de nouveau ma cigarette à mes lèvres afin d'en prendre une longue latte, laissant ainsi l'extrémité de la clope s'embraser pour laissa place à la cendre. Je donnais un petit coup, à l'aide de mon pouce, sur le filtre orange afin de faire tomber la matière grisâtre dans le cendrier, puis soufflais tranquillement la fumée par mes lèvres à peine entre-ouvertes.

« Tu veux te comporter comment face à Kilian ? » Sa question attira bien vite mon attention. Je relevais mes yeux marrons clairs vers lui. Je ne le savais même pas encore. « J'aimerais tenter de renouer le contact avec lui mais pour le moment, ce n'est pas dans mes cordes. J'essaie déjà de puiser assez de courage là où je peux, pour juste engager la conversation pour la toute première fois avec lui. Pourtant, tout de suite, je ne sais pas comment m'y prendre, j'essaie de trouver le meilleur scénario, en analyser toutes les possibilités de réponses. Quand j'aurais trouvé le bon, je me lancerais... », lui avouais-je alors que je baissais un instant les yeux. C'était très compliqué, mais ce qui était sûr, c'est qu'il y avait une grande différence entre ce que je veux faire et ce que je peux faire.

Connaître le passé de Logan était à la fois plaisant et surprenant. Samuel n’avait jamais vu cet animal qui était en Logan. Evidemment, il l’avait déjà vu s’énerver. Il l’avait vu face à leurs parents, quand personne n’avait voulu le soutenir face à la grossesse de Sasha. Il l’avait vu à la mort de cette dernière. Il avait été détruit, une sensation et des sentiments que Samuel avait déjà vécus. Mais être un animal en soit, ça il ne l’avait jamais vu. Il savait ce que pouvait donner l’armée. Il savait que ça pouvait changer un homme, que ça pouvait le rendre meilleur, comme mauvais. Apparemment pour son petit frère, ça l’avait rendu vraiment mauvais. Samuel pouvait le comprendre, mais il ne pouvait pas dire qu’il avait ressentit cela. Pour lui l’armée avait été une étape obligatoire, mais il n’avait rien trouvé de parfait à y participer. Expliquant donc à son frère qu’en chaque personne il y a un animal, il savait de quoi il parlait. Tout le monde est un animal, mais ce sont les situations que l’on vit qui font que l’on devient ou non un animal en puissance. Regarder ces personnes dites sans histoires et qui du jour en lendemain tuent de sang froid comme si c’était tout à fait normal. Samuel lui avait vu l’animal qui sommeille en lui, le jour où il s’est mit à boire. Il est devenu horrible avec tout le monde, alors qu’ils voulaient tous l’aider. Ce fut encore pire, en cure de désintoxication, vu qu’il devenait violent verbalement et physiquement avec tout le monde. Il s’est retrouvé plus d’une fois à l’infirmerie du centre pour avoir tabassé et s’être fait tabasser par d’autres personnes. Alors oui chacun à un animal en soit, mais on choisit ou non de l’exprimer. Parlant ensuite de Kilian, le fils de Logan, Sam voulait savoir comment son frère voulait se comporter face à son fils. Beaucoup d’années s’étaient écoulées sans qu’ils ne se voient et Samuel savait que Logan, voudrait prendre contacte avec son fils et qu’il voudrait faire partie de sa vie un jour. Le voyant qui le fixait, il savait qu’il avait fait mouche et il l’écouta répondre.

Je peux lui parler si tu veux ?

Samuel avait vu son frère baisser les yeux et le voir aussi fragile, lui faisait prendre ses airs de grand frère protecteur.

Kilian est vraiment un jeune homme à qui on doit s’intéresser. Je peux lui dire que je sais que tu es en ville, je peux lui demander s’il veut te rencontrer ou même s’il veut juste savoir à quoi tu ressembles aujourd’hui.

En effet, si Sam pouvait les aider à se retrouver, ça ne serait vraiment pas quelque chose de mauvais, en tout cas, ça n’était pas mauvais aux yeux du français.

Est-ce que les parents de Sasha savent que tu es là ? Ca pourrait être eux le premier intermédiaire entre vous. Je pourrais ensuite intervenir et à vous de voir les choses ensuite.

« Je peux lui parler si tu veux ? » Je reconnaissais très bien Samuel dans ses paroles. Il ne semblait pas avoir changé, prêt à aider les personnes qui lui sont chères. Prêt à me rendre service alors que je m'étais comporter avec lui comme le pire des salopards. Dans le fond, il avait conscience que quoi que l'on fasse, nous resterons pour toujours des frères, unis par un amour incassable. Nous ne pouvions pas lutter contre notre lien. Néanmoins, je ne souhaitais pas qu'il aille lui parler. Pourquoi ? Parce que je ne suis plus un gamin qui a besoin que son grand frère prenne les rennes avec lui. Je suis devenu un homme et c'est à moi d'accomplir maintenant les choses. Et ce, même si j'étais particulièrement touché par ce qu'il avait pu me proposer. « C'est gentil, mais non merci, il faut que je me débrouille seul. J'ai fait en sorte que la situation devienne ainsi, ce n'est pas à toi de tout arranger. »

Je tirais de nouveau sur ma cigarette. Au sinon oui, les parents de Sasha sont au courant de mon arrivée et, même s'ils m'en veulent quelque peu pour ce que j'ai pu faire, je pense que ce sont les seules personnes qui arrivent le mieux à comprendre mon point de vue. Ça m'aidait. Et puis, je sais que Kilian est entre de bonnes mains avec eux. Il n'y a qu'à voir comment ma femme a été élevée. Ils sont doués. Je sais qu'ils ont pu donner à mon fils tout l'amour dont il a eu besoin. De plus, Samuel est arrivé à San Francisco. Je savais qu'il prendrait de nouveau contact avec son neveu. Je ne m'inquiétais donc pas pour lui. Je ne lui souhaitais que de connaître l'amour d'une famille, d'avoir la santé, et de faire de belles études pour avoir un bon travail plus tard, sans se tuer à la tâche pour gagner un salaire de misère.

« Sinon oui, ils sont au courant que je suis arrivé, mais je leur ai demandé de garder le secret pour le moment. Je me montrerais quand j'en aurais le courage. Il me faut un peu de temps, je ne suis pas capable, après plus de dix ans d'absence, de me pointer devant lui et de déclarer « C'est moi ton père, celui qui t'as abandonné ». Non, il y a d'autres façons de faire, et je la trouverais, tout seul. Mais merci quand même, c'est sympa de ta part de me proposer ton aide. » Je soufflais la fumée en l'air. « Et toi alors ? Explique moi ce que tu es devenu. Je veux tout savoir, sans exception. » Je lui adressais un fin sourire en coin.

Parler seul à seul avec Killian ne dérangeait pas du tout le français. Il savait que Killian serait rancunier envers Logan et il pouvait essayer d’apaiser les tensions avant leur premier rendez-vous. Seulement son frère préféra lui dire de ne rien faire. Hochant simplement la tête en réponse, il accepta de ne rien faire. Ecoutant ensuite son frère parler, Samuel comprit donc que les parents de Sasha savaient qu’il était de retour. Sam comprit ensuite le fait que Logan veuille d’abord pouvoir voir par lui-même comment était son fils, avant de lui avouer quel était leur lien profond. Le français le comprenait parfaitement bien et il devait avouer qu’il ne ferait rien pour parler à Kilian. Même s’il parlerait avec les parents de Sasha, il ne dirait rien au jeune homme. Buvant une gorgée de café, Sam écouta ce que son frère ajouta et il haussa les épaules.

Ma vie n’a pas changé depuis que tu es partit. A vrai dire tout était tout à fait normal jusqu’au jour où l’université de La Sorbonne dans laquelle je travaillais ne reçoive des étudiants américains. J’ai donc pû apprendre à connaître quelques personnes, seulement ça a mal tourné. Une étudiante m’a fait croire que j’avais couché avec elle, des photos on circulées. Photos que je connaissais vu que j’avais accepté de les faire pour l’aider à gagner un pari.

Il savait avec le recul que c’était stupide d’avoir fait ça, mais il avait simplement voulu l’aider, avant de devenir Sam la bonne poire de service.

Antoine et Lucie m’ont tournés le dos, puis finalement ont a réussit à en parler. Ensuite l’échange a prit fin, mais le directeur de Berkeley m’a proposé de venir travailler dans son université et j’ai accepté. Mes enfants ont aussi décidés de venir et ont vit ici depuis.

Evidemment, il ne parlait pas de tout le reste, mais en fixant son frère, il savait qu’il n’avait pas le droit de lui cacher la suite.

J’ai revu l’étudiante du pari avec qui j’ai eu une liaison. Elle m’a laissé pour un étudiant et comme je n’avais pas envie de replonger dans l’alcool, j’ai cherché du monde pour me tabasser, ce qui a marché. D’ailleurs, un des hommes qui m’a tabassé est un homme avec qui je suis en froid depuis l’échange entre les deux universités. Tu te souviens d’Ambre Harrison ?

En effet, cette histoire là partait de la fillette.

Elle a une famille adoptive, dont la mère est la directrice adjointe de Berkeley, Maria O’Berkeley. Elle est en couple avec Edward O’Malley, l’homme avec qui je ne m’entends pas et on en est arrivé aux mains plusieurs fois.

Soupirant, il but une nouvelle gorgée de café.

Donc en gros, ma vie est devenue minable depuis cet échange entre les deux universités. Je suis partit en France, voir maman pendant deux semaines et aujourd’hui je suis de retour, mais je ne serais plus le même. J’ai trop prit pour rester le même.

En effet, Sam était bien décidé à changer et il savait qu’il aurait besoin de certaines personnes pour changer.

Donc ma vie est merdique, mais j’espère pouvoir la relever quand même.

Il m'était important d'en connaître davantage sur la vie de mon frère aîné. Je n'avais pas envie qu'on porte trop d'attention à moi, le gamin qui a coupé les ponts avec tout le monde pour aller s'engager dans l'armée et voir les pires horreurs, et qui, finalement, a remis les pieds en ville. Non, je n'avais pas besoin de ça. Vous savez, il y a des sujets de conversation que l'on préfère éviter. En parler nous fait du mal. On aimerait avoir à faire à un lavage de cerveau, retirer une par une chaque image bouleversante de notre esprit. Recommencer notre vie à zéro. Pourquoi pas finir amnésique ? Bref. J'avais vraiment besoin d'en savoir davantage sur Samuel. Il faut dire qu'il fait partie des rares personnes qui arrivent à attirer à ce point mon attention. En temps normal, je me ficherais que telle ou telle personne ait fais ci ou ça au cours de sa vie. Franchement, j'en aurais rien à foutre. Mais avec mon frère, c'était différent. Un grand lien nous unissait. Une fraternité sans limite, nous venions de nous en rendre compte encore aujourd'hui.

Je l'écoutais donc, sans même chercher à l'interrompre. Et, au fur et à mesure que son monologue avançait, je comprenais qu'effectivement, il n'avait pas changé. Samuel semble avoir un don aussi fort que le mien pour se mettre dans de sales draps. L'étudiante qui lui avait mené la vie dure, je n'allais certainement pas la porter dans mon cœur, en admettant seulement que j'ai à faire à elle. Non mais pour qui se prend-t-elle pour agir ainsi avec mon frère ? Certes, il n'avait pas à accepter ce genre de demande d'aide, mais tout de même. Puis il parla d'Antoine et Lucie. Je ne pus retenir un très vague sourire, presque invisible. Mon neveu et ma nièce. Deux enfants que j'avais connu bambins. Que j'avais vu un peu grandir avant de partir. J'aimerais bien les revoir. Surtout en sachant qu'ils ne sont pas restés en France. Je ne sais pas comment ils réagiront en me voyant. Là, à ma grande surprise, il revint sur la fameuse étudiante. Comment ça il a eu une liaison avec elle ? Oui, Samuel aime toujours autant le compliqué et les histoires qui ne peuvent avoir une issue que désagréable. Soit. Il a toujours été ainsi, et ce n'était pas à cinquante et un ans qu'il changerait. Enfin, certainement pas.

Il me parla ensuite d'une certaine Ambre Harrison que je ne connaissais évidemment pas dans la mesure où elle semblait être une petite fillette. Dans la mesure où elle avait moins de douze ans, il aurait été difficile pour moi de la connaître et encore moins de mettre une visage sur ce nom. Il enchaina sur un fameux Edward O'Malley. Était-ce le petit minet aux yeux bleus que j'avais vu dans la salle des professeurs à plusieurs reprises ? Je fronçais les sourcils. Lui aussi, il valait mieux pour lui qu'il fasse attention. Oui, je suis d'un naturel très protecteur. Enfin, Samuel termina sur le fait qu'il revenait de deux semaines en Bretagne. Je baissais les yeux en entendant le mot « maman ». J'avais barré ce mot de mon vocabulaire depuis longtemps déjà.

Relevant la tête vers Samuel, je lui adressais un petit sourire en coin. « On n'aurait qu'à se serrer les coudes, comme on a su le faire avant. Et tu verras, on avancera plus facilement. »