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Adossé à un mur de ruelle, habillé d'un débardeur gris simple et d'un jean, j'attends mon prochain client. Matinée à dealer, sachets de coke plein les poches, j'ai pas intérêt à voir une descente de chiens, sinon ça risque de mal se passer. Je cours vite mais ils n'oublient pas une tête, comme s'ils avaient une mémoire photographique sur puissante quand il s'agit des dealers. Ils sont plus aptes à choper les petits dealers comme moi que les gros revendeurs, c'est plus simple, il y a moins de soucis, on leur fait un procès, ils n'ont pas assez de thunes pour se payer un bon avocat, on leur met un commis d'office qui sort juste de l'école, qu'en a rien à foutre de ton cas, ils préfèrent tous se battre pour tomber sur l'affaire Kerviel. Alors tu prends un ou deux ans, parce que t'avais un peu de poudre dans les poches pour payer un nouveau bouquin de cours à ton frère. J'vois un mec, capuche sur la tête, tête baissée qui s'avance vers moi d'un pas lent. Il me donne un coup sur l'épaule et me dit que machin, un pote à lui, m'avait dit où me trouver. Il c'est cru dans quel film là, avec sa capuche sur la tête pour pas qu'on reconnaisse son visage ? Je hausse les sourcils, sourire moqueur sur les lèvres. J'tire une longue taff sur ma marlboro avant de lui demander ses thunes, en l'échange d'un sachet. Il me demande dix grammes … Ça me fait marrer, je sais pas qui m'a envoyé ce bouffon, mais je suis pas Al Pacino, je me trimbale pas avec une valise de cocaïne sur moi. Je lui passe les cinq grammes que j'ai sûr moi, lui jurant père et mère qu'il y en a dix. Branleur. Poches libérées d'un poids, dans les mains une liasse de billet, je me dirige vers la rue piétonne. Emma doit déjà m'attendre. Après un rapide coup d'oeil à mon portable, je constate que oui, elle doit bel et bien m'attendre avec mon gros quart d'heure de retard. Shit, ça le fait pas quand on se dit en couple, de laisser sa girlfriend poireauter sur un banc. Bah, ça lui aura donné du temps pour faire les magasins, ça m'étonnerait pas de la retrouver les bras chargés de sac de shopping.

Je tourne dans la rue bondée, magasins de tous les côtés. Je pense l'emmener dans un café, se mettre en terrasse histoire que tout le monde nous voit. Si Andreas pouvait passer devant, ça serait encore mieux, il aurait la haine de me voir main dans la main avec une nana, plutôt jolie d'ailleurs. Beaucoup mieux que sa nana à lui d'ailleurs. Je sais plus comment on en était arrivé à se mettre en couple fictif, comment j'avais tourné le truc pour lui demander mais je n'en voulais pas une autre dans ce rôle. Emma, elle était parfaite pour ça, avec son p'tit cœur brisé par un mec qui se rendait pas compte que c'était une perle. Avec son côté déjanté, et ses grands yeux. Enfin ce qu'il est en, c'est qu'elle me permettait de m'afficher aux côtés d'une fille, de passer pour le petit couple heureux alors qu'il n'en était rien, et surtout de faire taire les quelques rumeurs selon lesquels j'aimais aussi les hommes. Ça me tuait qu'on puisse dire ça de moi. J'avais la carrure d'un type sortit de banlieue, du dealer notoire, et on me prenait pour quoi ? Pour une tapette ? Je ne supportais pas, pire que ça, j'en avais honte. Honte ouais, d'être tombé amoureux de cet abruti d'Andreas, qui passait de lits en lits juste pour m'emmerder.

Emma est assise sur un banc, jambes croisées et clope pendue aux lèvres. Je m'approche avec un léger sourire d'excuse, prend sa main pour l'aider à se relever et pose mes lèvres sur le coin de sa bouche. Ça me faisait bizarre au début, d'embrasser comme ça mon amie … certes c'était plus des baisers chastes que des trucs langoureux. C'était suffisant, et fallait pas qu'on en fasse trop non plus. Juste changer ton statut Facebook, de célibataire à en couple. « Salut babe. Je t'ai pas trop fait attendre ? » Je met ma main sur sa taille, avant de rallumer une nouvelle marlboro.

Depuis quelques jours seulement, Emma s'ennuie. Pour la première fois de sa vie, elle ne savait quoi faire de ses journées. Aller à l'université l'achèverait complètement. Non vraiment, elle en avait vraiment marre. Il lui manquait quelque chose dans sa vie, quelque chose qui pimenterait cette vie qu'elle trouvait si monotone (même si elle ne l'était pas). Il lui fallait de l'adrénaline, de l'action, et surtout de nouvelles rencontres. Elle était lasse de voir constamment les mêmes personnes, les mêmes têtes. Emma pensait toujours à Belammée. Dès que ce nom lui parvint à la tête, elle s'énerva toute seule. Cette fille la hantait constamment, et ça devenait de plus en plus exaspérant. Elle pensa aussi que cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas vu Charlie. En fait, ils ne s'étaient pas vus depuis le matin où ils s'étaient réveillés dans le même lit. Il devait sûrement être toujours aussi énervé, mais il fallait avouer qu'il lui manquait un peu. Cependant, elle avait peur de ce qu'il lui dirait, si elle allait le voir. Mais ce n'était pas dans ses projets de passer voir Charlie.

Lasse de cet ennui, lasse de la vie qu'elle menait à San Francisco, Emma fouilla dans son sac afin de trouver son paquet de cigarettes, et par la même occasion son briquet. Elle tira une cigarette du paquet pour la porter ensuite à ses lèvres, et l'allumer grâce à la flamme du briquet. C'était des gestes qu'exécutaient à peu près quotidiennement la jeune femme. Elle n'était pas dépendante de la cigarette, mais pour elle, cela était normal de fumer, comme boire de l'eau. Néanmoins, elle savait que si elle voulait arrêter, elle le pourrait. Elle souffla de la fumée, et faisait tomber des mégots à ses pieds. Pourquoi fumait-elle ? Elle se demandait bien pourquoi. En tout cas, ce jour-là, c'était très probablement pour pouvoir s'éloigner de cet ennui, mais cela ne fonctionnait pas. Fumer n'était pas très intéressant, loin de là. Elle finit donc rapidement sa cigarette, la jeta quand il ne restait presque plus rien à fumer, et l'écrasa grâce au bout de sa chaussure. Après ça, elle jeta un rapide coup d'œil sur son portable et partit.

Elle avait rendez-vous avec son ami Soan. Elle ne savait pas exactement si c'était un rendez-vous galant ou bien un rendez-vous en simple amitié. Il y avait de quoi hésiter. En effet, Soan et Emma étaient de très bons amis: ils s'entendaient à merveille, et elle avait appris à lui faire confiance. Mais il y a quelques temps de cela, il lui avait demandé un service qui avait changé en apparence la nature de leur relation. Ils étaient officiellement passés d'amis au statut de petits copains. Elle n'accordait pas trop d'importance à cette nouvelle relation, qui ne changeait en rien ses vrais sentiments pour son ami. Du moment que cela lui rendait service, c'était tant mieux. Elle comprenait parfaitement pourquoi il faisait tout ça, même si elle n'était pas certaine que ça soit la meilleure solution pour qu'il parvienne à ses fins. Il était assez fréquent de voir des fausses relations entre une fille et un garçon, souvent pour attiser la jalousie de quelqu'un d'autre, et Emma pensait que leur faux couple serait rapidement dévoilé, par le principal intéressé qui était Andreas. Mais bon, celui-ci n'avait pas l'air de se préoccuper de Soan et Emma. Plus elle y réfléchit, et plus il était évident pour elle que ça ne pouvait pas être un rendez-vous galant. Il était difficile de s'imaginer Soan en tenue de soirée, lui tenant la chaise et lui offrant des roses. Il était inimaginable pour elle d'endosser le rôle de celle qui se fait draguer. De la part des deux jeunes gens, cela était inconcevable. Ils étaient tous deux loin des idées du romantisme, ils vivaient dans la génération du sexe, de l'alcool et de la drogue à présent. Elle s'imaginait plutôt qu'ils allaient boire un coup, et fumer quelques cigarettes, comme des bons amis. En fait, elle arrêta de supposer quand elle comprit qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'ils allaient faire.

Elle s'arrêta et regarda les noms des rues. Normalement, elle était là où elle devait être, et à la bonne heure. Mais aucun signe de son ami Soan. C'était étrange, mais elle se dit qu'il devait sûrement être en retard. Chez les Omegas, la ponctualité n'est pas toujours au rendez-vous, il fallait l'avouer. Comme la jeune femme n'avait pas très envie de rester seule debout comme une attardée qui ne sait pas où aller, elle décida de s'assoir. Cela faisait déjà plus crédible, et elle paraissait attendre quelqu'un, ce qui était le cas. Elle regarda autour d'elle. Il n'y avait ni trop de monde ni pas assez. A vrai dire, elle ne se souciait pas de ce qui l'entourait, au contraire. Tout ce qu'elle voulait, c'était voir son ami, et elle avait hâte qu'il arrive. Elle croisa les jambes et posa son sac sur ses genoux. Elle s'ennuyait encore plus que tout à l'heure, et elle commençait à s'impatienter.

Heureusement, le jeune homme arriva. Sa posture désinvolte était toujours la même, il ressemblait toujours autant à un adolescent rebelle, ce qu'il était, et ce que Emma était également. En même temps, elle se demandait pourquoi il voulait qu'il change, alors qu'elle l'avait vu la veille, à Berkeley. Elle arrêta de se poser des questions quand Soan prit la parole. Il y avait une certaine assurance quand il parlait, ce qui plaisait assez à la jeune blonde. Non pas qu'elle comptait tomber sous les charmes de son ami, mais elle lui trouvait tout de même des qualités, car oui, il était son ami. Tout ce qu'elle ressentait pour lui était de la simple amitié, beaucoup d'amitié, et cela n'allait pas changer, elle en était certaine. En tout cas, elle ne le souhaitait pas.

Il l'embrassa sur le coin des lèvres. C'est vrai que c'était assez bizarre. Cependant, ce n'était pas non plus désagréable, alors Emma se laissa faire et sourit. Histoire de le taquiner un peu, elle fit un peu la moue et un air fâché, comme les filles qui attendent des heures mais qui sont au final heureuses, et elle dit:

- Tu m'as fait attendre, mais bon, je te pardonne. Mais c'est bien parce que c'est toi.

Il lui sourit, l'air content qu'elle ne lui en voulait pas trop. Ils se regardèrent pendant quelques minutes, sans rien dire. Ce silence était assez inhabituel et gênant, et afin de rompre ce silence, Emma dit d'un ton enjoué:

- Alors, tu m'amènes où ?