7 Août 2010. Il est précisément 4h36 du matin, et ça fait presque une heure que je me retourne dans mon lit. Je suis fatigué, et pourtant, je sais que ce soir, je ne dormirais pas. Pour une fois, mes insomnies ne sont pour rien dans ma difficulté à m'endormir.

Je suis en Allemagne depuis plus de trois semaines. J'ai vu la plupart des gens que j'avais à voir. Comme tous les ans, je me suis retrouvé à faire le tour de l'Allemagne. Düsseldorf, Bonn, Sarrebruck, Stuttgart, Munich, Francfort, et pour finir, Berlin.

Pour la première fois depuis des années, je suis heureux de me retrouver à Berlin. D'habitude, je n'attends qu'une chose : c'est de quitter cette ville. Pour deux raisons principales. La première, c'est que mon passé à Berlin a été totalement chaotique : une carrière de sportif brisée, une relation réduite à néant, et une trahison difficile à avaler. La seconde, c'est que la personne à cause de qui tout ça s'est produit, autrement dit mon cher père, réside et travaille toujours à Berlin.

Pour le moment, tout se passe bien. Je veux dire, personne n'a remarqué ma présence à Berlin. Mais je sais que ce n'est plus qu'une question de temps ; un jour, un paparazzi finira bien par réaliser que je suis là, et bonjour la couverture de magazine. La seule chose que j'espère, c'est que ce fameux photographe, qui qu'il soit, ne me découvre qu'après le départ d'Estrella.

Estrella... Voilà la raison pour laquelle je suis incapable de fermer l'oeil. J'attends son arrivée, et je dois avouer que je suis terriblement impatient. Je ne l'ai pas vue depuis presque un mois, et elle me manque. On s'appelle souvent, on s'envoye des sms... Mais ça ne me suffit pas. Plus que jamais, j'ai besoin de la voir, de la sentir, de la toucher, de l'embrasser. Grâce à internet, je peux facilement suivre la progression de ses concerts, et les dernières nouveautés qui paraissent sur elle. Mais ça non plus, ça n'aide pas à combler l'absence. Bien au contraire.

Heureusement, Estrella a réussi à aménager une semaine de repôt dans ses vacances. Une semaine qu'elle a décidé de me consacrer entièrement, pour mon plus grand bonheur. Pendant un temps, nous avions envisager de partir à Venise, ou Paris. Mais là-bas, notre relation ne serait pas restée discrète longtemps. Ces deux villes sont réputées pour être celles des amoureux, et notre secret serait rapidement parti en fumée. Alors qu'en Allemagne, les risques étaient moindres.

L'avion d'Estrella atterissait à l'aéroport à 5h28. D'un commun accord, nous avions décidé de prendre des horaires matinales, afin de rendre le déplacement d'Estrella plus discret. Et à 5h30 du matin, il n'y aurait personne à l'aéroport. Ainsi, nous ne serions pas dérangés.

Finalement, je me suis levé. Inutile d'essayer de dormir, j'en suis incapable. Je suis allé prendre une douche, avant d'aller fumer une cigarette sur le balcon de la chambre d'hôtel. La ville était encore endormie, mais plus pour longtemps. Je suis retourné dans la chambre, puis j'ai cherché mes clés de voiture. Inutile de prendre un taxi, nous risquions d'être reconnus. Je préférais largement conduire.

Je suis descendu. Le réceptionniste me regarda d'un drôle d'air, probablement étonné de me voir debout si tôt. Les deux gardes, à l'entrée de l'hôtel, me saluèrent d'un vague hochement de tête, alors que je passais devant eux pour rejoindre ma voiture. Pour tout le monde, j'étais le « fils de ». En réalité, tous les employés savaient qui j'étais, mais personne n'osait rien dire. Et c'était tant mieux.

Je me suis installé dans la voiture, avant de démarrer. J'ai profité du fait que la ville soit calme pour faire un tour. Je connaissais chaque recoin de la ville ; rien ne m'était inconnu. Pourtant, j'avais quitté Berlin six ans plus tôt, sans aucun regret.

A 5h12, je suis arrivé à l'aéroport. Je suis allé me garer, puis j'ai été attendre dans le hall. Les seize dernières minutes qui me séparaient d'Estrella seraient les plus longues, je le savais. J'ai regardé autour de moi, afin d'être sûr de ne voir personne. Tout le monde présent ici était en train de dormir, de comater, ou attendait le prochain vol, en direction de Paris.

Et enfin, l'avion de 5h28 en provenance de New-York atterissa. L'attente était finie, et j'allais enfin revoir Estrella.

L'avion venait tout juste d'atterrir. Ça faisait un mois que j'attendais ce moment. Le soulagement, la délivrance, après quatre semaines passées loin d'Estrella. Je me suis décalé, pour me mettre légèrement à l'écart des autres personnes présentes dans le hall. Inutile de tenter le diable en me mêlant aux autres, ou en restant près d'elles.

C'est là que je l'ai vue. J'eus un petit sourire en me rappelant le MMS qu'elle m'avait envoyé, pour me prévenir de son changement physique. La dernière fois que je l'avais vue, ses cheveux étaient longs et bruns. Aujourd'hui, et ce malgré son chapeau, quelques mèches blondes s'échappaient et glissaient sur son cou. Dans un sens, ce changement physique tombait au bon moment ; il n'y avait presque personne au courant, et ainsi, notre relation pourrait être plus discrète.

Elle me chercha des yeux un instant. Je l'attendais en souriant légèrement, les bras croisés, appuyé contre un mur. Un sourire fendit son visage lorsqu'elle me vit. Elle vint me rejoindre rapidement. Mes bras encerclèrent sa taille, alors que les lèvres d'Estrella se posèrent sur les miennes. Ce contact m'avait terriblement manqué, durant ce long mois.

Pourtant, nos lèvres dûrent se séparer quelques instants plus tard. Le regard d'Estrella ne lâcha pas le mien, alors qu'elle me murmurait un petit « salut ». Un sourire amusé vint se dessiner sur mes lèvres, alors qu'une de mes mains alla soulever son chapeau, pour constater ce changement physique.

- Magnifique, comme d'habitude, murmurais-je après l'avoir regardée quelques secondes.

J'ai baissé les yeux, et je me suis aperçu qu'Estrella n'avait pas pris ses bagages. Je l'ai donc entraînée à l'opposé de la sortie, pour aller récupérer ses valises. Je ne sais pas combien de temps nous étions restés seuls, dans notre coin. Suffisamment longtemps pour que la plupart des gens désertent, en tout cas.

J'ai attrapé ses bagages, puis nous nous sommes dirigés vers la sortie. Nos doigts étaient entrelacés, et pour la première fois, nous pouvions nous afficher en tant que couple, ce qui n'était pas le cas à San Francisco. Certes, quelques fois, nous avions pu nous comporter comme tel ; comme par exemple le soir, quand nous allions nous promener sur la plage, à une heure avancée de la soirée. Pourtant, nous devions restés discrets, et surtout, nous devions être vigilants. Et c'est cette vigilance constante qui nous pourrissait la vie. On devait sans cesse faire attention, que personne ne nous voit, que personne ne nous reconnaisse... Le risque était permanent.

A San Francisco, quasiment personne n'était au courant de notre relation. William, le frère d'Estrella, était dans la confidence. En même temps, comment faire autrement ? Il aurait bien fini par apprendre la vérité. Je ne savais pas si William l'avait dit à quelqu'un d'autre, mais Estrella m'avait assuré que ce n'était pas le genre de son frère. Evidemment, Naomi savait, elle aussi, la vérité. A ma connaissance, ils étaient les deux seuls. Jude, mon meilleur ami, lui aussi professeur à Berkeley, se doutait bien de quelque chose, mais ce n'était que des suppositions. Je ne lui avais jamais confirmé, mais je n'avais jamais non plus démenti. Pour le moment, le secret était bien gardé, et j'espèrais que ça allait durer.

Avant de sortir de l'aéroport, je ne pus m'empêcher de regarder autour de moi. Certes, les risques d'être découverts en Allemagne étaient moindres, mais ils n'étaient pas inexistants, malheureusement. Par réflexe, j'ai mis la capuche de mon sweat, puis nous sommes sortis.

Le trajet jusqu'à ma voiture se fit sans encombres. Alors qu'Estrella allait s'installer à l'avant, j'ai déposé ses bagages dans le coffre. Un léger coup d'oeil m'indiqua qu'il n'y avait personne dans les environs. J'ai enlevé ma capuche, puis je suis allé la rejoindre.

- Alors, ce mois de travail ? Demandais-je en démarrant.

Corbeille.