Jodie était aussi arrivée à l’université aujourd’hui. Enfin, elle y avait déjà mis les pieds, évidemment. Pendant près de deux ans elle avait fréquenté les longs couloirs infinis de la prestigieuse Berkeley. À la fin de sa deuxième, elle eut un léger problème à cause de sa maladie et fut obligée d’être hospitalisée jusqu’à quelques jours avant cette date. On l’avait d’ailleurs cru morte, oui. Ne voulant pas faire souffrir à nouveau ses proches si jamais quelque chose se passait mal après sa transplantation de poumon, elle avait préféré se la jouer invisible pendant quelques mois, même si ceci était complètement injuste. En sortant de cette vie secrète et retournant au vrai monde, Jodie a réalisé qu’elle avait fait une grossière erreur. Son petit ami est parti en fumée, probablement trop touché par la mort de sa moitié. L’un de ses plus proches amis a aussi disparu de la carte. Et son meilleur ami a sombré dans une sorte de dépression de laquelle il se remet peu à peu grâce à l’amour. Tout le monde avait été touché, de très près ou de loin. Elle n’avait pas réalisé tout le mal qu’elle avait fait, mais maintenant qu’on apprenait qu’elle était toujours de ce monde, cette souffrance lui frappait en plein visage. Elle se sentait égoïste, nulle, bref elle ne savait pas quoi faire pour se faire pardonner de ceux qui lui en voulaient. C’est pourquoi ce matin, elle était seule, ne sachant plus trop vers qui se tourner. Elle avait honte dès qu’elle se retrouvait en face d’un proche. Alors elle passa plutôt à l’université pour se réserver un horaire chargé pour cette nouvelle année à venir. Les universitaires le faisaient habituellement en ligne, quelques temps après la rentrée, mais puisque son retour était plutôt considéré comme une inscription, elle devait tout recommencer. Elle allait se réserver une place dans la confrérie des thêtas en même temps, parce qu’elle ne comptait pas rester chez son père jusqu’à la fin de ses études quand même. Et puis l’ambiance sur le campus, dans les résidences, était tellement énorme ! Elle alla donc au secrétariat, remplir les formulaires nécessaires, s’inscrire au programme de théâtre et dans sa confrérie adorée. Après quelques signatures, elle pu enfin sortir, horaire en main. Jodie ne se sentait toutefois pas prête à entrer pour la première fois dans son ancienne demeure, son ancienne chambre, et peut-être retrouver quelques-uns de ses anciens confrères ou consœurs qui venaient eux aussi s’installer, ou qui avaient tout simplement passé l’été sur le campus. Probablement que la rumeur qu’elle était bel et bien vivante avait fait le tour plus d’une fois sur la bouche et dans les oreilles des universitaires, alors ce ne serait pas surprenant de la voir arriver là, mais quand même. L’entendre c’est une chose, le voir de ses propres yeux, c’en est une autre. Jodie n’était pas prête à supporter leurs regards et leurs jugements, bien qu’ils ne le fassent probablement pas, les connaissant. Elle avait envie d’un endroit tranquille, plutôt qu’une foule de gens qui n’en reviendrait pas de toute cette histoire qui faisait d’elle une morte-vivante. Elle alla donc au premier endroit qui lui vint en tête : le stade. À ce temps-ci de l’année, l’équipe de football américain n’avait pas encore recommencé ses entraînements, bien que ça ne saurait tarder. Elle rentra donc par l’entrée menant directement au terrain et s’adossa au petit mur blanc tout près de l’accès aux gradins. Une vague de nervosité, d’angoisse, de solitude et de nostalgie s’empara d’elle, et elle enfouit sa tête dans ses mains en sanglotant. Jodie avait d’ailleurs tendance à pleurnicher d’une façon très audible. Elle se tourna tout en pleurant pour aller s’asseoir sur un banc, mais elle réalisa qu’un garçon avait déjà pris place dans cette section. « Oh merde. » Rapidement et impulsivement, la brunette se cacha derrière le muret blanc. Quelle idiote. Il l’avait vu, c’était assuré.