Je marchai tranquillement dans le parc lorsque je cessai de bouger, comme ça, d'un coup, tel un chien d'arrêt qui aurait détecté une proie et ne voudrait pas la lâcher du regard. Je me ressaisis rapidement et me glissai derrière un arbre tel un espion à deux sous.
Aengus. Il aurait été difficile de ne pas la reconnaître, ses cheveux, son visage sans défaut, sa hargne que l'on sentait à des kilomètres. Je souris légèrement en repensant aux moments que l'on avait passé dans les voitures, au beau milieu de la nuit, dans la ville qui ne dort jamais. C'était de bons moments, j'étais presque... heureux de la revoir, de revoir quelqu'un de NY. C'était une fille... hors du commun, je me souviens aussi et surtout des courbes de sa femme.

Pendant une demi-seconde, j'eus une boule au ventre. C'était comme de la... culpabilité ? Non, je ne me sentais pas coupable mais je n'appréciais pas les personnes qui trompaient leur conjoint... sans doute parce que, n'ayant jamais été en couple pendant plus de... deux semaines, je n'ai jamais été infidèle moi-même. Je jetai un coup d'oeil de l'autre coté de l'arbre, Aengus était toujours là et si je croisais l'un de mes étudiant j'aurais l'air très fin à me cacher tel un imbécile derrière un tronc d'arbre comme un gamin vraiment très mauvais à cache-cache.
Je me battis contre une forte envie de riire. La situation était comique, il fallait l'admettre : moi, devant espionner une amie de New York pour un inconnu. Pas de quoi être fier non plus. Pour être franc, j'avais refusé à la base puis on m'a fait "une offre que je ne pouvais pas refuser". Non, on ne menaçait pas de tuer tous les membres de ma famille en les faisant souffrir... non, on m'a juste offert le rêve de toute une vie ou du moins de plusieurs années sur un plateau : faire une course face aux meilleurs dans une vraie voiture de course sur un vraie circuit automobile et dans la toute proche banlieue de San Francisco. Celui qui m'avait proposé un tel marché devait savoir que je ne pouvais pas trop m'éloigner de SF. Il m'avait contacté deux ou trois jours après mon arrivée seulement. J'imaginais qu'il était Irlandais comme Aengus, il devait avoir des contacts avec mes anciens amis de New York, ça ne me plaisait qu'à moitié mais espionner une jeune fille n'a jamais été illégale, si ? Peut-être un peu si mais moins pas de quoi finir en taule.

Et je me sentais tout puissant avec cette chanson des Doors dans ma tête : I'm a spy... in the house of love. I knoooow the dream that you're dreaaamin' of. I know the woord that you long to hear. I know your deepest secret feaaar. Lorsque cet air résonnait dans ma tête, j'avais l'impression d'être un magnifique mélange de Jim Morrison et de Sean Connery. C'est meilleur que la C mais c'est tout de même une sensation très furtive.

Je regardai à nouveau derrière l'arbre ; par miracle Aengus était toujours là. BOOON Joe, il faut se booouger, parce que là t'as juste l'air d'un tocard sous ecsta ! Et pour qui tu te prends ? Daniel Craig ? Franchement, tu peux certainement voler des voitures et dealer de la drogue sans te faire prendre 99% du temps mais là... Tu vas te faire caler en 10... 9... 8... 7...

" Hey, Aengus... ça fait un bon bout de temps !"

Mes pieds semblaient avoir bouger tous seuls et sans que je comprenne je m'étais retrouvé tout proche de ma "cible" et lui avais parlé. Je souris largement. Après tout on s'entendait très bien à New York, c'était sympa de la revoir. Et... elle ne devait pas savoir pour moi et sa femme... Je saurai très rapidement si elle savais de toute façon : si elle me fichait une claque ou plutôt une droite, c'était plus son genre, c'est qu'elle ne m'avait pas oublié ni moi ni les nuits que j'avais passé avec Kim.

Merde fut l’unique pensée structurée qui pu jaillir hors de son esprit après l’immense blanc que provoqua Joe en se pointant devant elle. Qui était-il ? Seigneur Dieu… Parcourant un instant sa tenue, passant des pieds à la pointes de ses cheveux, son regard chassa le moindre indice. Ami ? Ennemi ? Blague ? Tant de questions se bousculaient à présent. Si elle savait…Si elle se doutait qu’il était l’homme qui avait vu naître la Bestiole, The Monster. L’ensemble des pseudonymes qu’elle se donnait durant ses activités illégales, activités qu’elle avait reprit par ailleurs. Si seulement, elle avait pu deviner ce qu’il avait fait pour elle, elle aurait réagit autrement, comme elle aurait changé d’attitude si elle avait su qu’il se tapait sa femme en douce. Mais tout ça était une autre histoire non ? Alors autant se pencher sur le présent et répondre à ce brave garçon le plus vite possible.

« Euh… ouais. » Marmonna Aengus avant de saisir le bras de Joe pour l’entrainer vers l’avant.

D’accord, les retrouvailles, c’était sympathique. Surtout quand le gars en question était plutôt bien fait et qu’il surgissait devant vous comme un beau diable, mais quand on venait de rouler une pelle à la petite amie d’un caïd devant toute sa bande, on évitait de trainer dans les parages.

« Super. Pour fêter ça, tu m’invites boire un verre ? » Proposa t elle avec un sourire aussi charmant que faux.

Bon alors voyons voir. Il était plus âgé. Peut être est ce un ami de son frère ? Un rapace ? Un journaliste ? Un ex ? Non. Il ne lui aurait pas sauté dessus s’ils avaient couché ensemble ! A moins qu’elle ne soit super bonne au lit, chose dont elle ne doutait absolument pas, et qu’il souhaite remettre le couvert. Qu’importe, dans tous les cas, le verre serait plus sympa qu’un échange silencieux en se fixant dans le blanc des yeux. Alors que derrière, des hurlements retentissaient sans que la blonde ne bouge le moindre sourcil, elle comptait dans un coin de son esprit le temps que mettrait le gros dur pour frapper quelqu’un. Tant qu’il ne s’en prenait pas à la fille qui d’ailleurs venait de le gifler avant de prendre la poudre d’escampette, tout irait pour le mieux.

« Je veux dire nos retrouvailles méritent tout de même bien une bière non ? » Ajouta t elle pour tenter d’arrondir les angles.

L’une de ses mains se plaça dans la poche de jean bleu clair, trop clair et déchiré. Son débardeur jaune flashy presque transparent laissait entrevoir un soutient gorge noir finement décoré. Le tissu devenait plus opaque à l’arrivé du ventre. Une petite veste de jean lui permettait d’offrir un minimum de pudeur que réclamait cette université. Quant à ses cheveux, ils étaient coupés courts, très courts. Leur couleur rose fuchsia ne manquait de pas choquer et c’était sans nul doute le but. Un maquillage soulignait son regard clair et marquait sa peau pâle d’une noirceur surenchérie. Aengus n’avait jamais fait dans la juste mesure.

Je suivis son regard. Elle avait l'air pressée de partir d'ici et je compris rapidement pourquoi lorsque je vis une tribu de... d'étudiants sans doute la reluquer avec hostilité. Je hochai donc la tête et la suivis sans broncher. Elle avait toujours eu le coup de main pour attirer le maximum d'emmerdes et visiblement, elle n'avait pas abandonné ses anciennes habitudes. Pendant une demi-seconde, je me demandais si elle m'avait véritablement reconnu ou se servait juste de moi comme un magnifique prétexte pour s'éloigner de ses "amis" et se faire payer une bière en passant.
Après tout elle n'avait pas prononcé mon nom et s'était montrée prudente dans tous ses propos... Mais comment pourrait-elle oublié un autre Irlandais avec lequel elle a appris à conduire assez rapidement. Je jetai un coup d’œil derrière moi.

- Hey... si ton but est de semer les gars derrière il va falloir se mettre à courir je pense. J'ai pas spécialement envie de me battre aujourd'hui.

Ni un autre jour, j'ai toujours détesté en venir au main même si, bien sûr, l'habitude m'a rendu un peu plus agile que la moyenne en combat de rue. A force de se ramasser des coups, on apprend à esquiver et à frapper au bon moment à l'endroit où ça fait mal. Aller... c'est ton moment de gloire Jon, ne le laisse pas passer. En la charmante compagnie de Aengus, tu peux jouer les Ethan Hunt... so... let's go.
Les deux gars derrière nous avaient l'air bien balaise et se rapprochaient dangereusement. En une demi-seconde, je passait de la position de suiveur à la position de leader. Je pris la main de Aengus.

- Suis moi, je connais un super pub irlandais en ville.

Je souris légèrement, l'adrénaline commençait déjà à monter. Je me mis à courir en direction du parking du campus. Nous n'étions qu'à 500 mètre de la Chevrolet Corvette C7 rouge que j'avais "empruntée" à l'un de mes voisins en vacance. Les deux mecs ne nous rattraperaient pas avant que nous arrivions à la voiture et là... s'ils voulaient nous suivre en voiture... ils ne feraient que gaspiller de l'essence avant de nous perdre.

On me demanda de rouler. Il ne m'en fallait pas tant appuyer sur la pédale de droite. Ce n'était pas une automatique contrairement à la plupart des voitures que l'on voit de ce coté de l'Atlantique et je m'amusais comme un enfant avec les vitesses. Je lui fis un clin d'oeil lorsqu'elle me demanda d'aller sur l'autoroute, ce serait un plaisir, je ne payais pas l'essence ni les amendes. Il fallait donc profiter de la puissance de ce joli bijoux technologique avant que je ne la rende à son propriétaire sans rayure et sans qu'il ne se rende compte de rien.
Je caressai le volant et souris largement. Ce n'était pas une course mais l'adrénaline montai au fur et à mesure que l'aiguille indiquant la vitesse se rapprochait du rouge.

Gus se mit à parler et je mis une seconde avant de comprendre se qu'elle me baragouinait. Du gaélique. Je n'en entendais pas tous les jours surtout depuis que je m'étais installé à San Francisco mais la mafia irlandaise à New York et l'IRA à Belfast ne s'exprimait que dans ce langage. J'aimais cette langue, plus dur que l'anglais, incompréhensible pour quelqu'un qui n'est ni Irlandais, ni Breton, ni Gallois.
Je lui répondis donc dans le même dialecte.

- J'aime l'action et tu me manquais Gus ! C'est vrai, ça fait combien de temps déjà ? De plus, je ne crache jamais sur une Guinness même lorsque c'est moi qui dois la payer ! 

On était à présent sur une route à grande vitesse et je slalomais dangereusement entre les voitures. Toute ma concentration était sur la route mais le temps passai à une vitesse folle.

- Ecoute ce moteur... J'en avais jamais conduit... même à New York.

J'avais conduit d'autres voitures de cette trempe mais jamais une corvette. Il faudrait que je la réutilise pour une course.

Il répondait. Il répondait même très bien dans cette langue qu’Aengus apprenait tout doucement à apprécier à nouveau. Etrangement, elle frappait souvent ses oreilles, comme des pics brulants. Probablement que les disputes et les nombreuses remontrances avaient toujours eut lieu en Gaélique et non en Anglais, contrairement au reste des conversations habituelles. Cette langue était alors devenue le symbole des colères et des reproches.
Le cœur battant la chamade, Aengus écouta attentivement le moteur. La passion la fit si violement trembler qu’elle en oublia d’écouter Joe. Lorsqu’elle réalisa que la voiture ralentissait, elle comprit que c’était fini. Dans un sourire, la tête dans les nuages et dans sa bulle, la blondinette redescendit lentement sur terre. Les yeux se posèrent sur la devanture d’un petit bar isolé, l’idéale pour faire des bêtises en somme. Glissant hors du bolide, Aengus peina à revenir à la réalité ou à s’éloigner de l’engin.

L’air absolument ailleurs et béat s’éveillait sur son visage. Lorsqu’un coup d’épaule ouvrit la porte devant elle, il lui fallut tout le temps du monde pour comprendre que c’était la sienne qui venait d’heurter le bois. Le postérieur trouva le bar, ignorant la douce musique Irlandaise à l’arrière. Le bar ressemblait à ses vieux recoins typiquement de chez elle. Un bois particulier, des décorations typiques, des clients typiques… Bref, un retour au pays. Depuis son accident, Aengus n’avait jamais remit les pieds en Irlande. Aucun souvenir des vertes plaines ou des villes si particulières. Plus rien ne la troublait actuellement et seule cette Amérique avait de la place dans sa tête.

Commandant une bière, forcement Irlandaise, elle tourna enfin son regard paumé sur Riley, le sourire jusqu’aux oreilles.

« Tu disais quoi déjà ? J’étais encore dans la voiture moi tu vois… »

Un rire se fit doucement entendre à la fin de son propos. Espérons qu’elle ne le vexe pas. Se levant, elle et sa mousse, elle prit la direction du billard.

« Et si je te mettais ta misère. » Proposa t elle en plongeant ses lèvres dans le liquide ambré après avoir trinqué à la vitesse.

Enfin, l’espoir faisait vivre et il lui en faudrait beaucoup pour réussir à vaincre Joe au billard. Si ses doigts avaient été doués durant un temps, aujourd’hui, son niveau frôlait la nullité. Depuis son accident, sa dextérité n’avait plus rien à voir avec celle d’avant. Aengus avait déjà bien du mal à boire sans en mettre partout et sa concentration restait à son comble uniquement pour cet effort.