No, I'm not sorry.
James & Devon.
I'll break your glasses, James.
Ce n'était pas la première fois qu'elle se trouvait dans cette petite salle, assise à cette petite table, sur cette même chaise. Les chevilles croisées sous son siège, Devon attendait docilement, ses mains sur la table et le regard perdu vers un point dans le lointain, un point qui n'existait que dans son esprit, perdu sur les lumières de la ville sous le flou de cette fin d'après-midi pluvieuse de novembre. La rousse savait qu'elle n'aurait pas à attendre longtemps, si l'élève de médecine qu'elle avait accepté d'aider suivait le même schéma temporel que les deux premières fois; mais les autres étaient parfois si aléatoires qu'elle avait du mal à calculer les heures exactes de leur venue et cela la frustrait parfois, elle qui aimait que tout soit dompté, sous son contrôle, quantifiable et manipulable.
Dehors, la pluie ne cessait pas; bien au contraire, elle redoubla sur le carreau en un bruit régulier et entêtant que suivit Devon presque religieusement. Comme une sorte de musique répétitive, comme quand elle lisait à voix haute ses recherches. Et, sans bouger, sans rien dire, elle attendait. Ce ne serait surement plus très long; attendre ne la dérangeait pas: rien ne la dérangeait réellement. Alors elle attendait, sans regarder autour d'elle, sans s'impatienter. James Davis Linso -puisqu’elle avait une tendance stéréotypée à appeler les gens par leur nom entier, prénoms secondaires compris- ne lui semblait pas connu pour être un retardataire.
Leurs rendez-vous semblaient portés sur la
différence de Devon.
Différence, pas
maladie. Il n'existe aucun traitement curatif pour l'autisme et ses causes restent encore mystérieuses. Ces désordres semblent le plus souvent d'origines multifactorielles, avec une forte composante génétique, plus que neurologique. Ils en avaient discuté ensembles, un long moment: Devon connaissait bien ses troubles, autiste du type Asperger avec un quotient intellectuel plus élevé que la moyenne.
Les troubles du spectre autistique correspondent à des désordres de l'agencement des neurones dans le cortex du cerveau humain, qui entraînent des défauts de circulation de l'information. Ces défauts concernent plusieurs niveaux d’organisation du cortex, de l'organisation des dendrites et des synapses, jusqu'à des modifications plus larges de structures cérébrales. Elle savait, mais cela ne voulait pas dire grand chose pour elle; cela signifiait seulement que c'était pour cette raison qu'elle était ainsi. C'était aussi abstrait que l'algèbre linéaire.
Elle avait insisté auprès de James sur le fait qu'elle n’était pas malade. Qu'elle ne se sentait pas différente des autres, même si elle ne les comprenait pas et qu'elle menait ses études sans heurt. Qu'elle aimait les mathématiques et faisait du calcul fractionnel quand elle s'ennuyait. Elle ne riait pas aux plaisanteries, ne souriait jamais, ne remerciait jamais. Elle ne signait ni les objets, ni les gens et ne savait pas comment expliquer ce qu'on ressent lorsqu'on est triste, ou à l'aise. Elle ne connaissait pas l'intérêt d'avoir des connaissances; pour elle, l'on pouvait vivre tout seul. Les chiffres étaient ce qui se rapprochait le plus d'amis. Des confidents silencieux.
Elle attendait James Davis Linso en regardant tomber la pluie sur les carreaux, lissant un instant les plis de sa robe noire, le regard fixé sur le dehors; lorsqu'elle entendit la porte s'ouvrir, la rousse ne tourna pas la tête, et ne prit pas la peine de se lever ou de saluer. Elle attendit simplement que l'autre étudiant vienne s'assoir. Ensuite, ils discuteraient.
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