Ce matin, je me réveillai. Souriante. Comme toujours. Une fraction de seconde à peine après avoir ouvert les yeux, j'étais debout, sautillante. Comme toutes les nuits, j'avais fait ce rêve, le même rêve. Un cauchemar plutôt dont j'étais toujours heureuse de me réveiller. Je tentai de l'oublier en me passant la main devant les yeux, remettant mes cheveux en ordre et sautillant sur place. Une nouvelle journée peut commencer et elle sera bonne. Il faut que j'aille bosser mon devoir sur Zeus à la bibliothèque, je l'avais presque terminé.
Alerte, je me lavai les dents en récitant des textes de théâtre et une fois un short mis et le premier T-shirt de la pile enfilé, T-shirt... Batman visiblement. J'adore ce T-shirt, léger, un peu décolleté, gris clair. Impeccable.
Deux tasses de cafés plus tard, j'étais sur mon vélo, saluant un ami et accélérant pour sentir l'air frais de cette matinée fouetté mon visage. Un instant, je contemplai le ciel. Un nouveau sourire plus apaisé s'étendit sur mes lèvre, j'aimais ce ciel nuageux, ces gros nuages qui semblent délicatement posé sur un plafond de verre comme pour nous protéger de quelque chose plus sombre. Un klaxon me ramena à la réalité, je me baffai intérieurement et fronçai des sourcils avant de me diriger, comme presque chaque matin vers le kiosque à journaux. J'y trouvai une silhouette familière en train de mettre en place les journaux de la matinée.

- Don Giovaaaaaaaaaaanni !

Mon ami se tourna vers moi et un sourire se dessina sur son visage. Puis John prit son air exaspéré auquel j'étais habituée.

- Mozart ? Vraiment ?! T'as déjà fait plus original !
- Je sais... je sais... j'suis fatiguée.

Sautant de mon vélo, je lui fis un High Five.

- T'es en avance tu sais... de genre... 35 minutes.
- Je saaaais. Mais comme ça, on peut discuter... et t'as tout ton temps pour me faire ce magnifique cappuccino dont toi seul a le secret !


Une vingtaine de minutes plus tard, The Herald Tribunes sous le bras droit, je pédalai sur les quelques centaines de mètres me séparant encore de l'entrée. Comment débuter une journée sans une discussion sérieuse avec Giovanni ? Comment débuter une journée sans son magnifique cappuccino et cette feuille dessinée sur la crème... Hum. Rien que d'y penser, l'envie de faire demi-tour me prit, mais non... il faut parfois avoir un peu de volonté. La BU m'attend et je suis certaine que je lui manque déjà... mais... Non. Pas de mais qui tienne Kate. Pas de "mais" qui tienne !
Avec une rapidité que seule l'habitude peut conférer j'accrochai mon vélo et passait par l'entrée, étrangement déjà remplie. Peut-être que j'étais restée plus de vingt minutes auprès de Giovanni... il faudrait que je m'achète une montre... ouais, un jour quand j'aurais de l'argent. C'est pas près d'arriver. Je regardai mon portable, une antiquité, trois messages, deux de ma mère, un de mon père... Ce n'est pas bon ça... Pas du tout bon.
Je m'apprêtai à les écouter lorsque quelqu'un s'accrocha à mon de tout son poid et me fit perdre pied, je perdis l'équilibre à mon tour et tombai. Je suis maladroite mais j'arrive en générale à tenir debout, par contre lorsque quelqu'un me tombe dessus, j'ai du mal à tenir l'équilibre pour deux personnes. Une fois assise au milieu du couloir, j'éclatai presque de rire alors que l'autre personne se répandait en excuses. Mon téléphone m'avait échappé des mains et il me fallait le retrouver avant que quelqu'un ne marche dessus et se vautre aussi. Je le rattrapai et le regardai, deux nouvelles rayures le rendaient désormais encore plus unique qu'avant.
Toujours un grand sourire au visage, je regardai la fille qui avait réussi à me mettre à terre en moins de temps que Chuck Norris.

- C'est vraiment pas grave tu sais.

Je sautai sur mes pieds et fit marché mes petits abdos pour ne pas me rétamer à nouveau et offrait ma main à la jeune fille qui m'avait fait tombé. Je regardai la jeune fille... très classe. Talons, petite robe. Léger maquillage qui fait "genre je ne me suis pas maquillée mais faut pas pousser quand même"... un style très calculé. J'aurais presque donné ma main à couper que cette fille était une Bêta ou une future Bêta. Une "Heathers". Oh oui, il faut croire que le film de Michael Lehmann m'a marqué... en même teps, vous ne pouvez pas m'en vouloir... Christian Slater & Winona Ryder quand même.

- Laisse moi deviner, t'es nouvelle, non ?

Je souris légèrement. Les Bêtas sont à l'opposé de moi mais on ne peut pas dire le contraire, beaucoup d'entre elles sont très sympa.

- Kate en passant... Pas trop perdue sur la campus ?

En voyant la jeune fille assise sur le sol à la recherche de son antiquité de téléphone, Heather balbutia quelques paroles incompréhensibles tout en tentant de retrouver l'équilibre. Porter des talons gigantesques ne l'aidaient pas à la tâche, mais, appuyée contre le mur, elle se retrouva debout presque immédiatement. Ce qu'elle n'avait pas prévu, en revanche, c'était d'entendre un craquement provenant de son dos. Sa robe. Sa nouvelle robe. Elle jeta un regard timide à la discrète fermeture éclair et découvrit une petite déchirure juste au niveau de son omoplate droite.

- Et merde, grommela-t-elle.

Elle essaya vainement de refermer le trou avec une main, tout en regardant avec inquiétude l'inconnue qu'elle venait de bousculer se relever. Elle tenait son téléphone, qu'elle avait sauvé in extremis alors que plusieurs élèves avaient été sur le point de le piétiner. Comme elle avait cru le voir quand elle l'avait aperçut sur le sol, il n'était pas récent. Elle s'approcha alors de la jeune fille, une moue décomposée sur son visage, tout en acceptant sa main.

- Oui, je viens tout juste d'arriver. Moi, c'est Heather, et oui, je te l'avoue, je ne sais même pas où se trouve mon prochain cours ... lui fit-elle tout en lui tendant son emploi du temps.

Jamais elle n'avait eu aussi honte. Elle, Heather Ivy Caffrey, que seuls les chanceux avaient eu la chance d'appeler Heath, venait de s'humilier devant les quelques dizaines d'élèves qui étaient présents dans le hall d'entrée de sa nouvelle université. Le jour même de son arrivée. Un frisson lui parcourut l'échine. Et si elle ne se faisait pas d'amis ? Elle regarda autour d'elle et remarqua avec soulagement que personne ne la fixait. En temps normal, cela l'aurait ennuyée, mais dans cette situation précise, elle en était reconnaissante. Elle posa alors ses yeux sur Kate, à qui elle tenait toujours la main, et lui adressa son plus beau sourire. On pouvait remarquer dès le premier coup d'oeil que contrairement à Heather, la jeune étudiante n'avait pas choisi avec soin sa tenue du jour. Elle ne portait en effet qu'un simple short accompagné d'un t-shirt à l'effigie de Batman. Batman. Quelques bribes de souvenirs lui revinrent en mémoire, qui se dissipèrent aussitôt. Tenter de se rappeler des moments passés avec sa mère était bien trop douloureux, elle préférait les oublier, afin d'éviter la souffrance.

- Sympa, ton t-shirt, murmura-t-elle, comme pour elle-même. Elle remarqua alors le journal coincé sous le bras de Kate, et le pointa du doigt. Tu as l'intention de lire ça en cours ? rigola-t-elle.

L'entrée se vida petit à petit. La cloche venait de sonner. Super. Elle allait donc arriver en retard à son premier cours. Elle scruta les couloirs, et soupira. Que des visages inconnus. Elle détestait être "la nouvelle". A Los Angeles, quand elle marchait dans la rue, la moitié de la ville se retournait en chuchotant son nom. Ici, personne. Elle n'était qu'une fille parmi tant d'autres. Par chance, Kate avait l'air d'être quelqu'un d'adorable. Elle aurait été vraiment ennuyée si, dès son arrivée, elle était entrée dans une dispute devant la moitié des élèves de Berkeley simplement parce qu'elle l'avait bousculée. Elle lui sourit de nouveau, heureuse de l'avoir rencontrée elle, en particulier. Elle se rappela alors du téléphone de la jeune fille, qu'elle avait visiblement abîmé au niveau de l'écran.

- Oh, et je paierai les frais de réparation de ton portable ! Quoique ... Je t'en achèterai plutôt un autre.

C'était le seul moyen qu'elle avait trouvé pour se racheter. Après tout, elle ne l'avait pas seulement faite tomber à terre, non, elle lui avait également cassé son téléphone. La dédommager était la moindre des choses à faire.

Mon T-shirt ? Vraiment, elle trouve mon tee sympa ? Je la regarde, elle n'a pas l'air du genre à porter ce genre de tees mais sait-on jamais ? De plus... je ne vais pas me comporter comme ces idiotes se permettant de vous juger d'un regard... soit sa robe devait couter environ trente fois mon budget annuel niveau fringue et tout autre cosmétique... à moins que ce soit une bonne copie mais chacun sait que les personnes achetant des trucs chers font marcher l'économie. Je ne suis pas de ceux qui font marcher l'économie, je n'en ai pas les moyens mais acheter des trucs est quelque part... généreux j'imagine. Aaaah le capitalisme, quelque chose m'échappera toujours dans le capitalisme.

- Je... non... j'allais à la bibliothèque mais je l'ai acheté pour tenter le mot croisé en cours mais je préfère tellement les mots flêchés... Moi, c'est Kate, enchantée.

Je souris largement et regardai le couloir, il s'était vidé en quelques secondes, mon premier cours était dans une heure et la nouvelle devant moi, même si elle essayait sans doute de le cacher comme je le ferais moi-même, semblait totalement paumé.

- ne t'inquiète pas pour le retard... certains profs sont sympa, ça dépend desquels, si on se dépêche, je pense que je peux t'emmener dans ton amphi assez rapidement... C'est où ?

Suite à sa remarque je jetai un coup d'oeil à mon portable et remettait la coque en place avant de tenter de l'allumer. Je souris légèrement.

- T'inquiète pas pour mon portable, il me va très bien tu sais... j'aime les trucs construits pendant la guerre froide, ça doit être soviétique, ça résiste à tout même à une guerre mondiale.

Je me mordis la lèvre en me disant que mes cours d'histoire me définissait vraiment en tant que personne désormais et que ça y est, j'étais fichu.

- Tu étudies quoi ?

J'avais tout de suite apprécié Kate. Avec son large sourire et son allure décontractée, elle paraissait adorable. Mais aussi adorable fut-elle, j'étais en retard, et n'avais aucune idée de où se trouvait mon prochain cours. Je jetai un coup d'oeil à ma montre puis aux couloirs désormais vides. Mon lycée me manquait déjà. Je connaissais les lieux par coeur, tous les professeurs avaient au moins entendu parler de moi, et surtout, tous mes amis y étaient. Ici, j'étais seule. J'avais entendu dire qu'une fille de Los Angeles intégrait aussi Berkeley cette année, mais nous n'avions jamais été proches, donc cela n'avait pas d'importance.

- La bibliothèque, hein ... Je suis plus sudoku, personnellement, ajoutai-je avec un sourire.

Je lus alors mon emploi du temps, à la recherche de l'endroit où était spécifié le numéro de la salle. Il était simplement écrit "SALLE 409, BATIMENT PRINCIPAL". Précision très utile pour une nouvelle élève qui ne savait même pas si elle se trouvait. Je poussai un long soupir. Je pouvais au moins m'estimer heureuse d'être tombée sur Kate. Dans tous les sens du terme. Seule, je savais pertinemment que je n'aurais jamais trouvé le lieu de mon prochain cours.

- Salle 409, apparemment. Tu sais où c'est ? Et pour ce qui est de mon professeur, je le connais pas, donc je pourrais pas te dire s'il est suffisamment sympa pour accepter une retardataire.

Je vis par la suite qu'elle fixai avec intérêt son téléphone, qu'elle avait fait tomber par ma faute. Je me sentais vraiment mal. Et si elle y tenait vraiment ? Un nouvel iPhone n'y changerait rien. Elle aurait perdu tous ses messages, photos ... Décidément, j'avais une énorme dette.

- Mais ça va, il n'a rien ? Il s'allume au moins ? demandai-je, tout en me mordillant la lèvre inférieure. Mauvaise habitude. Je souris néanmoins à sa blague historique. Elle avait de l'humour, en plus de cela.

Je n'avais jamais vraiment prêté attention à mes cours d'Histoire, mais était pourtant assez cultivée sur le sujet. Je connaissais par exemple toutes les dates importantes des deux guerres mondiales, allez savoir pourquoi.

- Je suis des études d'Arts Dramatiques, dans l'espoir de devenir actrice. Je fis une pause. La fille de LA qui veut faire du cinéma ... Cliché, hein ?