« Il est 6 heures du matin, merci de vous réveiller avec nous. San Francisco devrait être ensoleillé toute la journée. La température ne devrait pas baisser en dessous des 20 degrés, de quoi se balader dans la ville et flâner… »

Kitty arrêta le réveil, l’animateur la saoula dès le matin. C’était un grand jour aujourd’hui. Le Maire de la ville allait signer avec la ville française Bordeaux, un jumelage. C’était une grande nouvelle car San Francisco avait quelques partenaires dans le monde, mais pas en Europe, ce qui était une grande première. Kitty devait donc arriver au bureau dès 7h30 pour mettre tout à plat, faire le bilan avec ses associés, les conseillers municipaux et le Maire.

Elle prit sa douche rapidement, se maquilla comme à son habitude et se vêtit de la manière la plus chic possible. Elle avait déjà préparé sa tenue la veille au soir, pour ne pas perdre de temps avec ces broutilles : jupe crayon en cuir noir, sans collant, un chemisier blanc en soie, et un blazer noir très cintré. Aux pieds, elle avait opté pour des escarpins noirs également, qui allaient très bien avec le reste. Elle s’installa à la cuisine pour prendre son petit déjeuner, léger pour une fois, car il était prévu un second petit-déjeuner à la mairie. Elle but sa tasse de café en quelques minutes et prit son sac matelassé griffé Chanel d’un coup de main, et partit. Il était à peine 7h lorsqu’elle arriva à la mairie. Elle salua les premières personnes arrivées, s’installa dans son bureau, jeta un bref coup d’œil à ses derniers messages de la veille ainsi qu’à ses e-mails. Pleins d’autres projets étaient en cours : une fête aux abords de la marina, ainsi qu’un évènement au musée d’art de la ville à destination des jeunes. Il était 7h30 à sa montre et il était donc l’heure de convier tous ses partenaires pour vérifier si tout était ok pour la signature qui allait se profiler vers midi.

« Aujourd’hui est un grand jour. On a travaillé dur pour y arriver et il n’est pas l’heure de se tromper. Je vérifie avec vous les dernières directives que je vous avais indiquées dans le dernier mail collectif :
Carrie, tu t’occupes de la mise en ligne du communiqué sur le site de la ville, Adam, c’est toi qui assurera la liaison avec la ville de Bordeaux, John, n’oublies pas Mr. Simmons pour les affiches et les nouveaux panneaux à installer dans les semaines à venir, Denise, tu vérifieras nos réseaux sociaux bien entendu, et Dan, j’espère que tu n’as pas oublié les journalistes de la ville et de l’Etat. Hannah, on en est où pour la conf’ de ce soir, la salle est bloquée, tout est installé ? » « Oui Kitty, tout est prêt. Rudy et Stella devraient être sur place vers 10h ».

Il était 9h lorsque le Maire de la ville arriva à la mairie et prit connaissance avec Kitty de toute la procédure prévue. Un représentant du Ministère des Affaires Etrangères devait également être là pour signifier tout cela et reconnaître le jumelage.

Midi. La visio-conférence débuta dans la plus grande salle de réunion de la Mairie. Journalistes, conseillers en communication, invités de marque et autres personnalités s’étaient empressés de venir pour être témoin de tout ce matraquage. Alain Juppé, Maire de Bordeaux, semblait ravi de tout ce qui se tramait entre les deux villes. C’était une reconnaissance de plus.
La conférence de presse de la journée qui suivit vers 15h attira bon nombre de journalistes de tous les Etats Unis. San Francisco qui s’allia symboliquement avec une ville française était une première. Le Maire de la ville se félicita, autant qu’il remercia toutes les personnes ayant contribué au bon déroulement du jumelage. Kitty pouvait rentrer tranquillement chez elle, fière d’avoir aidé à tout cela. Elle aimait son job, le fait de monter des projets dans l’intérêt des habitants, de la communauté, de la société. Elle aimait ce sentiment de proximité qui faisait partie intégrante de son métier. Elle n’avait rien à vendre, mais elle avait le devoir d’informer, de donner des possibilités à ses compatriotes. Ce jumelage était grandiose dans le sens que la ville de San Francisco allait retentir dans une contrée très éloignée : la France.

Il était 18h lorsque Kitty put enfin rentrer chez elle. Après le débrief’ et l’apéritif organisé pour tous les agents municipaux, elle se retira gentiment. On l’invita à finir la journée dans un bar mais elle déclina l’offre. Elle rentra chez elle, et avait besoin de se vider la tête, de s’évader, de s’expatrier un moment dans son monde. Elle enfila ses tennis et s’habilla d’un jogging usé et d’un pull aux couleurs de l’Université de Berkeley.

Kitty prit sa voiture et partit loin du centre-ville, loin de toute cette agitation urbaine. Elle avait besoin de souffler, de prendre le large, dès ce soir. Elle gara sa voiture près de la fôret de la ville, fit un signe au garde-forestier, et commença à courir le long du sentier. Ecouteurs vissés sur les oreilles, elle courut au rythme effréné de Switchfoot, groupe qu’elle adorait depuis qu’elle les avait vus en concert sur New York. La nuit tombait très vite à présent, mais cela ne faisait pas peur à Kitty. Elle en avait traversé des moments d’angoisse, mais la forêt semblait paisible et calme, elle ne courait aucun danger.

Au bout d’une bonne quarantaine de minutes, la jeune femme s’arrêta pour souffler et s’étirer. Elle enleva ses écouteurs, et se baladait tranquillement, dans la fraîcheur de la nuit qui commençait à poindre. Elle brisa quelques vieilles branches, lorsqu’elle vit une tente dressée. Un homme se retourna en entendant ses pas, et Kitty s’arrêta net. Elle ne parvenait pas à discerner le visage de l’homme, et hésita à avancer de plus près.

Finalement, elle reconnue la voix de Lucas, une bonne vieille connaissance qu’elle n’avait pas vu depuis bien trop longtemps à son goût.

« Lucas ! Quelle surprise, en effet. Je ne m’attendais pas à te voir ici. »

Elle se mit à rire, tout en s’approchant de lui. Il n’avait pas changé : toujours aussi charmant et prévenant.

« Je vois que tu retrouves tes veilles amours : la tente, la forêt, le calme… Tu as toujours aimé ça Lucas. »

En effet, Lucas était de ses personnes qui n’avait pas peur de partir seul, se retrouver, se ressourcer, loin de tout, dans une forêt sombre mais si merveilleuse. Kitty ne savait pas trop quoi dire, mais finit par avouer, tout en s’installant sur un rondin de bois, non loin de Lucas…

« Je suis heureuse de te voir. »

« Je veux bien un verre d’eau. Je viens de courir un long moment. »

Le feu qu’avait fait Lucas était magique. Il était la seule source de lumière qui permettait de distinguer les visages des deux protagonistes. C’était presque romantique, intime.

La jeune femme s’installa près du feu, attendant son verre d’eau, et contemplait le ciel, le paysage, ce qui se déployait face à elle. C’était vraiment un endroit magnifique qui renfermait ses mystères. Le soleil avait presque disparu mais dégageait encore quelques rayons ici et là d’un rose violacé assez magique aussi. C’était étrange de retrouver Lucas ici, non pas qu’elle le ne le pensait pas de cette nature-là, car il était un fana de forêt, de balades, de randonnée. En fait, ce qui était vraiment étrange, c’était le fait de le retrouver ici, aujourd’hui, ce soir-là. Ils ne s’étaient pas vu depuis l’incident et avaient ainsi repris leur vie sans pour autant demander des nouvelles l’un de l’autre.

« Oui, c’est une belle coïncidence quand même. »

Elle lui souriait malicieusement. Il n’avait pas changé du tout : toujours aussi élégant, même sans sa blouse blanche ou son habit de professeur. Kitty avait toujours trouvé charmant son sourire, et son regard si profond et déstabilisant. Elle n’avait jamais réussi à garder son regard ancré dans le sien car il la perturbait, l’intimidait. Elle avait pensé à lui, il n’y a pas si longtemps, en rangeant son studio. Kitty était tombée sur de vieilles photos datant de l’an dernier. Elle avait alors retrouvé des clichés du week-end ou tous les deux étaient partis sur Los Angeles pour visiter la ville. Ils avaient pris une multitude de photo : dans la ville, sur la plage, devant le mont Lee où étaient positionnées les énormes lettres « Hollywood ». Elle avait regardé toutes ces photos avec une pointe de nostalgie. Ils étaient biens, ils étaient heureux. Mais Kitty a préféré le laisser partir. Elle ne voulait pas le retenir si telle était sa volonté de partir.

« Ce que je deviens ? Pas grand-chose. Je travaille toujours à la mairie, j’ai toujours autant de travail, et j’ai revu ma petite nièce il n’y a pas si longtemps, celle dont je te parlais souvent, Louna. Et je fais toujours fuir les hommes. Mais sinon, tout va bien. ».

Elle finit son verre d’eau et le posa sur un rondin de fortune faisant office de table. Elle baissa la tête à ces dernières paroles, ne voulant pas remuer le passé. C’était fini, terminé, enterré. Lucas a énormément compté pour Kitty, elle éprouvait de réels sentiments, mais ce n’était tout simplement pas réciproque. Voulant esquiver au plus vite la conversation, elle demanda :

« Et vous Docteur Connelly ? Vous soignez toujours des tours de rein et autres entorses de touristes pas très futés ? »

Elle lui souriait toujours. Mais elle était intimidée, presque réservée. Elle ne voulait pas transparaître une nouvelle attirance ou tenter de le reconquérir. Kitty n’était pas ce genre de femmes, loin de là. Mais, parfois, elle aurait aimé l’être…