Ce n’était plus la peur qui m’habitait. J’avais dépassé ce stade depuis quelques minutes déjà, depuis le moment où j’avais compris que j’étais devenu ni plus ni moins qu’un meurtrier avec le sang de quelqu’un d’autre sur les mains. Alors non, je n’avais pas peur, j’étais contrôlé par l’adrénaline à présent, douce drogue qui s’infiltrait dans mon veine, répandant lentement son poison tandis que je braquais mon arme sur le visage méprisable du bourreau qui tendait à se transformer en victime. Tel est pris qui croyait prendre, eus-je envie de dire en voyant son visage se décomposer sous la terreur. Ma main ne tremblait pas, l’arme pointée entre ses deux yeux, tandis que ses bras enserraient toujours Autumn. Autumn qui, si elle devait probablement être en proie à une immense panique ne laissa rien transparaître, nous intimant même de partir. Comme si j’allais l’abandonner. Un pour tous, tous pour un, au point où j’en étais, après avoir sauvé une vie contre mon âme, je pouvais bien en sauver une deuxième n’est-ce pas. Le rictus de Courtney m’exaspérait. Me mettre au défi de le faire ? Elle aurait tout aussi bien pu affirmer que je n’avais pas tué son copain Ruben. Manque de chance, lorsque l’on me met au défi de faire quelque chose, je m’exécute et les règles n’étaient pas prêtes de changer ce soir. Une pression sur la gâchette, et ce cliquetis annonciateur de mort imminente, je m’attendais à sursauter au son de la balle s’infiltrant rapidement dans son corps. Une infime seconde pour comprendre que le revolver était vide, notre dernier espoir de fuite s’envolant en même temps, à moins que… Seigneur, qu’elle était stupide, la crétinerie faite femme, et elle relâcha sa garde quelques instants, suffisamment pour récupérer Autumn et intimer aux demoiselles de prendre leurs jambes à leur cou et de courir, le plus loin, le plus vite possible, mettre le plus de distance entre cette psychopathe et nous. Nous avions eu suffisamment de psychopathie pour les mois, les années à venir. Le rictus de Courtney se transforma en hoquet de surprise lorsqu’elle reçut un coup de talon, droit dans la côte. Je n’avais jamais eu l’occasion d’expérimenter, mais quelque chose me disait que la sensation ne devait pas être particulièrement agréable à en juger par le souffle court et le cri qu’elle poussa. Hache balancée quelques mètres plus loin, juste à nos pieds, et je contemplai la scène, admiratif de l’audace de Cadence qui ne déméritait pas sa réputation de reine des glaces. Froide et pleine d’assurance, comme on l’affirmait. Elle tenait les cheveux dans sa victime dans ses mains, et la tueuse se retrouvait prisonnière, à son entière merci. It’s time to put on a little show. Cadence devait être en train de lui faire subir une terreur psychologique, ce moment insupportable où l’on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé. Pour Courtney, c’est au sang qu’elle serait mangée. Tuée même, à en juger par le regard glacial de son bourreau. Elle la balança comme une vulgaire poupée de chiffons avant de repartir dans notre direction. Je n’approuvais pas son comportement, après tout je n’avais pas l’âme de la revanche, tant que je pouvais sauver ma peau, je ne comptais pas me donner en spectacle, encore moins faire payer aux autres leurs agissements, tout comme je n’avais pas voulu tuer Ruben, le coup de feu parti avant même que je n’eus le temps de comprendre ce qu’il se passait. Karma is a bitch, preuve en était lorsque Cadence tomba au sol, sa cheville maintenue fermement par une Courtney décidément infatigable. N’allait-elle jamais laisser tomber ? Nous étions trois, elle était seule, désarmée qui plus est, la hache à quelques centimètres de nous. Qu’allait-elle faire, la tuer à mains nues ? Elle en aurait été bien capable, mais elle ne le ferait probablement pas. Avant même que je ne pusse réagir, Autumn enserrait de ses frêles doigts l’arme, dirigée vers Courtney. Je lui lançai un regard inquisiteur. Comptait-elle vraiment hacher menue cette détraquée ? Son visage dur me donna la réponse sans que je n’aie même besoin de lui demander. Mes lèvres voulurent lui dire de ne pas le faire. Ne surtout pas le faire, car une fois que l’on donne le coup fatal, une partie de soi meurt avec et je ne voulais pas de ça pour Autumn, mon Autumn, ma meilleure amie. Mais je ne dis absolument rien, restant muet face au dialogue se déroulant sous mes yeux. S’il y avait bien une chose que je savais, c’était qu’il ne fallait jamais dire à la Iota qu’elle ne pouvait pas faire quelque chose. Car elle pouvait tout faire, absolument tout, et cela incluait de découper à la hache quelqu’un qui tenait le même instrument contre sa carotide une minute plus tôt. Revenge is a dish best served cold. Apparemment pas pour elle, qui n’attendrait pas pour se venger. Elle me lança un dernier regard, avant de lui asséner le coup fatal, particulièrement bien porté, pile à l’endroit où Courtney menaçait de frapper Autumn. Une entaille épaisse, d’où le sang jaillissait presque par litres, tant la mare se dessina rapidement. En quelques secondes, le marbre du couloir prit une teinte écarlate tandis que la psychopathe tentait de respirer, posant sa main sur sa blessure comme pour l’empêcher de couler tandis qu’elle hoquetait, le souffle court, l’air disparu de ses poumons. Autumn tremblait, comme une feuille, et je sentis la pression de ses doigts sur mon bras pour rester stable. Non ma belle, ce n’est pas le moment de tomber, ressaisis-toi. Courtney desserra son étreinte de la cheville de Cadence, la libérant brusquement, lui rendant la motricité de sa jambe, dernier rempart avant de prendre la fuite une bonne fois pour toutes. « Partons. Maintenant. » ordonnai-je, tandis que je tournai les talons sans même un dernier regard pour notre bourreau réduit à néant, noyée dans son propre sang mais probablement toujours en vie. Peut-être comprendrait-elle notre supplice, maintenant que c’était elle qui agonisait. Je m’assurai juste de la présence des deux filles, juste derrière moi, leurs talons claquant contre le sol tandis que nous avancions vers la porte qui nous offrirait la liberté. Un, deux, trois, quatre pas, et mes mains soulevèrent la barre bloquant l’accès. Une forte pression et elle s’ouvrit, enfin. L’air frais caressa mon visage et je réalisai que je n’avais jamais été aussi heureux de me trouver à l’extérieur. On l’avait fait. Malgré le cauchemar, nous avions réussi, nous étions libres de partir à présent. Je jetai un regard à Autumn, encore tremblante. Peut-être était-ce le froid, ou bien le contrecoup. Toujours est-il qu’en bon gentleman, je lui offris ma veste, tachée de sang, certes, mais qui la réchaufferait à coup sûr. « Tu en as plus besoin que moi » lui répondis-je avant même qu’elle ne puisse refuser mon offre. J’inspirai une nouvelle bouffée d’air frais, laissant les filles mener la danse jusqu’à l’une de leurs voitures. Partir, loin, le plus rapidement possible, l’atmosphère morbide de l’université me rendait malade, à moins que ce ne fut l’odeur du sang imprégnée dans ma chemise. Je regardai mes mains, toujours écarlates avant de pousser un soupir. Mes pensées s’égarèrent et le visage de Micah se dessina dans mon esprit. J’avais envie de repartir. D’y retourner. Fou que j’étais. Je n’aurais pas supporté qu’il lui arrive quelque chose alors que j’avais risqué ma propre vie et ôté celle d’un autre pour la protéger. Je me retournai vers les portes, à quelques mètres de moi. Il était encore temps d’y retourner, de récupérer la hache et de parcourir les couloirs à la recherche de la jeune femme, réduisant en poussière quiconque oserait s’approcher de moi. Une rage sourde s’empara de moi en repensant à Ruben et l’espace de quelques instants, ce n’était plus la culpabilité que je ressentais, c’était la satisfaction, l’atroce satisfaction d’avoir fait ce qui était juste. La voix d’Autumn me sortit de mes pensées, dissipant cette odieuse jubilation. C’est fini, me répétais-je. Micah était une grande fille, elle saurait se débrouiller, elle était suffisamment habile des mots pour s’en sortir si jamais elle tombait sur l’un d’eux, il serait toujours tant de s’inquiéter plus tard. Je saisis la main d’Autumn, pressant mes doigts contre son poignet. Je me demandais dans quel état d’esprit elle se trouvait, après avoir volontairement mis fin à la vie de Courtney. Culpabilité, remord, peur, colère, vengeance assouvie. Je n’aurais su dire. Ce que je pouvais dire en tout cas était que Cadence ne semblait avoir aucun problème avec ce qui venait de se passer. Son visage intimant à son amie d’enfoncer la lame dans le cou pour la libérer. Je la connaissais assurée et redoutable, mais ce nouvel aspect de sa personnalité ne me plaisait pas davantage, et c’était là tout mon problème avec elle. Ne ressentirait-elle donc jamais la moindre once de culpabilité ? Probablement que non. Mais qu’importait. Après tout, nous étions tous les trois sortis presque indemnes, au moins physiquement, de ces couloirs qui menaçaient de devenir notre tombeau, libres de nos mouvements, libres de choisir de quoi notre lendemain serait fait. Moi je savais déjà de quoi il serait fait. Cauchemars. Crainte. Culpabilité. Les trois C annonciateurs du malheur, sachant déjà quelle direction mon futur prendrait. Hell is around the corner where I shelter.
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