« Happy go to hell »

« Allez, ce sera drôle !! » Maria en doutait sincèrement. Elle n’avait pas franchement la tête à vouloir sortir ces temps-ci, mais Edward avait insisté pour qu’elle constate le travail de dingue qui avait été fait pour préparer cette fameuse soirée de Saint Valentin alors que le Doyen de Berkeley n’était pas là. Elle avait été mise au courant par son mari des préparatifs mais avait tout bonnement refusé d’en faire partie tout en sachant que si le Doyen venait à apprendre que la directrice de l’université dont il était à la tête lui faisait des coups par derrière, les choses se passeraient très certainement mal pour elle. Maria ne tenait pas franchement à perdre son travail, et surtout pas en ce moment alors que les temps étaient déjà assez compliqués comme cela, elle ne voulait pas en rajouter une couche en perdant son emploi. Ce n’était réellement pas le moment pour ce genre d’absurdités.

« Tu es prête ? » Son impatience fatiguait Maria qui était en train d’ajuster le buste de sa robe noire qu’elle avait décidé de porter pour la soirée. Rien d’extravagant, elle voulait juste passer inaperçue, bien qu’elle sache que cela n’arriverait pas, elle restait – malheureusement – la directrice de l’université. « Edward ce n’est qu’une soirée étudiante pour un jour purement commercial, je t’en prie… » Rien à faire, il voulait véritablement y aller, et évidemment Maria n’avait pas su comment lui dire non, donc elle était résolue à l’accompagner. Question de s’assurer qu’aucune midinette n’essaierait aussi de le droguer et de le mettre dans son lit. Non, évidemment, ça n’était pas la raison.

« Nous y voilà donc. » Lâcha Maria alors qu’ils se trouvaient à l’entrée de la salle où tout devait donc se dérouler. Alors qu’elle se trouvait au bras d’un enfant, et non plus d’un adulte, Maria O’Berkeley croisa au loin un regard qu’elle connaissait très bien, trop bien sans doute. Maxence était revenu depuis peu à Berkeley, pour le plus grand plaisir d’Edward d’ailleurs qui n’avait pas franchement bien réagi à l’annonce que sa femme lui avait faite quelques temps plus tôt. Elle avait eu beau le rassurer, Maria savait pertinemment qu’un doute persistait encore dans l’esprit de celui qu’elle avait pris pour époux.

Il y avait déjà quelques étudiants par-ci, par-ci. Mais Maria savait que d’ici quelques minutes, ils seraient des centaines à grouiller un peu partout. Intérieurement, la brunette priait déjà pour que rien ne dérape, dans le cas contraire, elle serait officiellement virée de son poste et bye bye [O’]Berkeley. « Tu es sûr que notre place est vraiment ici, Edward ? Je ne vois toujours pas Alcide, toi qui semblais pourtant certain qu’il viendrait… »

« Edward ce n’est qu’une soirée étudiante pour un jour purement commercial, je t’en prie… » Non, c'était bien plus que ça à mes yeux. En réalité, c'était un échappatoire. Quand des élèves étaient venus me voir en m'expliquant leur désir de faire une soirée pour la Saint-Valentin, et me demander de l'aide pour les aider à organiser, j'avais tout de suite accepté. Pourquoi ? Uniquement car c'était un moyen de me changer les idées, ne pas penser aux problèmes quotidiens. Je m'occupais les mains et l'esprit, c'était le principal. Et puis, ça serait une bonne soirée à passer, dans la joie et la bonne humeur. Aucun problème. Je danserai avec Maria pendant des heures, l'embrasserai discrètement comme deux adolescents qui se cachent, et lui ferai l'amour dans un endroit à l'écart à l'intérieur de l'université. Un bal de promo digne des États-Unis, mais version adulte. Ça pouvait être intéressant. Ainsi, quand j'entendais que la brunette n'était pas vraiment emballée par cette idée, je la poussais pour qu'elle accepte tout de même. J'insistais car je savais qu'elle finirait par céder. Ainsi, je la prenais par la taille, dans un geste viril et l'attirais contre moi. « Non, ce n'est pas uniquement une soirée étudiante pour un jour purement commercial. C'est une façon de penser à autres choses qu'à nos problèmes. L'espace d'une soirée. Oui, l'espace d'une soirée, je veux être seulement ton amant. Un amant fou amoureux de toi. » Je lui avais adressé ce sourire charmeur qu'elle appréciait tant. Elle ne pouvait jamais y résister. D'ailleurs, j'en usais parfois un peu trop. Enfin je déposais un doux baiser sur ses lèvres. Que la soirée commence !

Je m'étais élégamment vêtu pour ce soir. Une chemise blanche, donc les manches étaient retroussées jusqu'au niveau de mes coudes. Un gilet de costume foncé arborant des rayures verticales claires, assorti au pantalon du même style. Les cheveux coiffés en arrière, comme cela pouvait plaire à Maria. Enfin une barbe naissante. Et voilà que j'entrais à l'intérieur de la cafétéria qui servait de salle officielle pour la soirée, au bras d'une délicieuse brune aux yeux clairs, plus connu sous le nom de Mme O'Berkeley, directrice de l'université. La main posée au creux de ses reins, en parfait gentleman, j'avançais en souriant. Le travail qu'avait fait les étudiants était impressionnant. Un peu kitch, mais attrayant.

Mes yeux se posèrent un instant sur Maxence Delacre. Oui, il était réapparu, comme par enchantement. Comme s'il avait appris, de l'autre bout de l'Atlantique, que mon couple avec Maria battait un peu de l'aile, bien que pour le moment, tout s'arrangeait d'une façon inespérée. Nous étions redevenus les deux amoureux transis. Toutefois, l'idée de le revoir quotidiennement me donnait presque des boutons. Pouvais-je y faire quelque chose ? Absolument pas. J'assurais à ma femme que ça ne me dérangeait pas. Pourtant, il ne fallait pas être devin pour comprendre que sa présence ne me plaisait pas du tout. Mais je prenais sur moi, pour mon épouse, et uniquement pour elle. J'étais persuadé qu'il était encore amoureux d'elle et ça ne me disait rien qui vaille.

« Tu es sûr que notre place est vraiment ici, Edward ? Je ne vois toujours pas Alcide, toi qui semblais pourtant certain qu’il viendrait… » Je levais les yeux au plafond. Sans trop savoir pourquoi, j'avais l'impression que j'allais l'entendre toute la soirée me répéter qu'elle était là à contre-cœur. Je tournais la tête vers elle avec une moue enfantine. « Il va arriver. Mais s'il te plaît, essaie au moins de t'amuser un peu, tu veux ? Fais le pour moi... j'ai envie de passer une bonne soirée à tes côtés. » Une mine, qui en disait long sur mes envies, s'inscrivit sur mon visage. Puis je lui volais un baiser. J'avais donné rendez-vous à Alcide pour martyriser également quelques étudiants. Cela faisait bien longtemps que nous n'avions pas passé une soirée ensemble. Je dirais... un mois entier !

La Saint-Valentin… la belle affaire ! Quelle idée de faire de ce jour la fête des amoureux, franchement ? Historiquement, ce Valentin n’était rien d’autre qu’un prêtre – donc, par définition, un célibataire endurci (du moins en théorie) – qui avait été martyrisé par les Romains. Où est l’amour là-dedans ? Et où est-il, sincèrement, quand on voit l’étalage de petits cœurs et de toutes ces choses bassement commerciales dégoulinant de romantisme à deux balles ?
Vous l’aurez compris, van Stexhe était loin d’être un partisan de la Saint-Valentin. Tout simplement parce qu’il ne voyait en cela qu’une fête commerciale. Bon, entendons-nous bien, l’année précédente, à pareille époque, il était en couple avec une jeune fille plutôt romantique, ce qui l’avait motivé à mettre les petits plats dans les grands… mais c’était pour lui faire plaisir, à Lucie, rien à voir avec la fête en tant que telle.

Alors quel rapport avec cette soirée organisée à l’université ? Pourquoi s’y rendre ? Eh bien pour plusieurs raisons : d’abord, il fallait bien montrer son nez aux activités multiples organisées à Berkeley, quand on y était prof. Et puis, c’était une occasion comme une autre pour faire la fête et boire un petit coup. Et enfin, c’était l’occasion de croiser des gens qu’il n’avait pas l’occasion de voir très régulièrement. Alors, de fait, mieux valait y aller dans une optique plutôt positive, en voyant dans cette fête une sorte de continuité des lupercales antiques… cela dit, Alcide n’avait pas pour projet de courir à moitié nu dans la salle en touchant les gens pour leur apporter la fertilité. Sauf s’il était saoul, ce qui pouvait toujours arriver.

Cela faisait partie des lubies de Gemma de participer à cette soirée ensemble. Et lui… sachant que cette charmante collègue portait son fils, n’avait tout simplement pas pu dire non. Alors, il fallait faire avec. Après tout, si ça aussi c’était une envie de femme enceinte, due aux hormones, il ne voyait pas ce qu’il aurait pu faire d’autre qu’accepter. Les rares fois où Alcide avait osé refuser une demande de Mrs Nightingale, celle-ci avait eu des sautes d’humeur phénoménales, devenant tantôt complètement rageuse, tantôt s’effondrant, en larmes.
Pour faire plaisir à la mère de son fils, van Stexhe s’était dit qu’il valait mieux faire ça dans les règles de l’art, comme si c’était un rencard ou ce genre de niaiserie. De ce fait, le smoking tuxedo était de rigueur : noir, avec la chemise blanche et le nœud papillon noir, parce que les cravates, l’homme aimait encore moins… enfin, bon, le but était de ressembler à un fantasme pour Gemma, comme ça, après cette soirée, elle allait lui sauter dessus.

A vingt-et-une heures, Alcide était prêt, changé comme il se devait, et il avait laissé à Mrs Nightingale tout le loisir de se vêtir comme elle le souhaitait… puis, ils avaient pris la route pour venir ensemble à cette fameuse soirée. Mais bon, vous savez comment sont les femmes, alors que van Stexhe cherchait son meilleur ami des yeux dans la salle, Gemma avait fini par s’éclipser… peut-être pour s’empiffrer de chips au paprika, elle en raffolait ces derniers temps… avec un haussement d’épaules, Al avança dans la salle, et soudain, ô miracle !! Il aperçut enfin son frère de bière, en compagnie de son épouse… en d’autres termes, la belle-sœur de bière d’Alcide, si on veut être précis… mais le quinquagénaire songeait que madame la directrice n’apprécierait peut-être pas un tel grade…

S’approchant du couple, Alcide sourit. Il était le seul type dans cette salle à oser abandonner sa cavalière pour rejoindre un ami… pas très galant, certes, mais van Stexhe avait une énorme priorité, ce soir. Et une annonce à faire, aussi. Il aurait bien aimé faire une entrée fracassante dans la discussion entre Edward et Maria, du genre se jeter dans leurs bras à tous les deux, mais c’était le genre de trucs qui ne servait qu’à s’étaler par terre, ça… et avec un tuxedo, il valait mieux éviter. Jouer le mec sérieux, c’était sympa aussi. Et c’est ainsi que l’homme décida de faire son approche.

"Bonsoir, les jeunes mariés…" La bise à Maria, quasiment un chest pump à Edward. "Content de vous voir, tous les deux… ça change des couples pas glamour qu’il y a un peu partout…"

« Happy go to hell »

« Il va arriver. Mais s'il te plaît, essaie au moins de t'amuser un peu, tu veux ? Fais le pour moi... j'ai envie de passer une bonne soirée à tes côtés. » Certes, Maria avait cette fâcheuse tendance à vouloir tout, tout de suite et cela valait également pour les amis. Le fait de ne pas voir Alcide dès leur arrivée ne l’avait évidemment pas contrarié, mais disons qu’elle aurait apprécié voir un visage connu – autre que Maxence, de loin – pour ne pas se sentir trop mal à l’aise dans cette foule de jeunes gens apparemment prêts à passer une nuit de folie.

Soudain, Maria eut un petit sourire en coin en apercevant celui qui était attendu. Alcide arrivait à grands pas vers eux, laissant sa cavalière en plan plus loin derrière lui. « Bonsoir, les jeunes mariés… » Souriant à l’homme tout en lui faisant la bise. Leur relation s’améliorait de jour en jour, en effet voilà un long moment qu’Edward n’était pas rentré totalement ivre, ainsi Maria ne voyait plus l’intérêt d’en vouloir à Alcide qui semblait, lui aussi, passer par une passe un peu compliqué ces temps-ci. « Content de vous voir, tous les deux… ça change des couples pas glamour qu’il y a un peu partout… » Levant les yeux au ciel en écoutant le professeur, Maria ne put réprimer un sourire malgré tout.

Comme elle l’avait prévu, les jeunes arrivaient assez rapidement. La soirée semblait lancée. Maria n’en était pas forcément ravie, de peur qu’il y ait des complications. Elle n’y pouvait rien, elle restait tout de même la directrice de cet établissement et une soirée avait été clairement organisée dans le dos du Doyen. Le Doyen, le fameux. Une vraie terreur, selon certains. Maria elle, ne l’aimait pas, pour sûr, mais elle essayait simplement de faire en sorte de ne pas à avoir à croiser son chemin trop souvent. Malgré tout, cela restait difficile au vu de son statut au sein de l’université.

« Qui d’Edward ou de mademoiselle Nightingale vous a forcé à venir ici aussi, Alcide ? » Elle savait parfaitement que ce genre de soirée ne ressemblait certainement pas au personnage que pouvait être Alcide Van Stexhe.

Il me fallu quelques minutes à peine pour que mes yeux bleus ne se posent sur Alcide qui venait d'entrer dans la cafétéria, accompagné de Gemma Nightingale. Ces deux là semblaient désormais inséparables. Et même si Van Stexhe me précisait à chaque fois qu'ils n'étaient pas l'un de ces couples amoureux transis et exclusifs, je ne pouvais m'empêcher de sourire, de façon amusée. C'était bien l'une des premières fois, en dehors de Lucie, que mon meilleur ami se montrait aussi présent et attentionné envers une femme. Mais pour éviter de lui faire admettre quelque chose qui pourrait le gêner, je me contentais d'acquiescer avec une mine aussi sceptique que malicieuse. Puis il abandonna sa cavalière. Ou bien ce fut le contraire, je n'eus pas le temps de voir car tout se passa très vite. Quoi qu'il en soit, mon frère de bière s'approcha de nous en grandes enjmabées. Maria et lui se firent la bise. Pour notre part, nous nous saluâmes d'une façon beaucoup plus virile.

En parlant de frère de bière, j'étais heureux de constater que la relation entre ma femme et mon meilleur ami s'améliorait. En effet, jusqu'à preuve du contraire, mon épouse n'avait que peu apprécié Alcide dans la mesure où quand je passais une soirée avec lui, le plus souvent, je rentrais ivre mort. Néanmoins, la façon dont elle tournait les choses, c'est comme si Van Stexhe m'influençait. Pourtant, je n'avais pas besoin qu'il me pousse pour que je boive à outrance. Pas très malin d'avouer une telle chose me direz-vous, mais au moins, je suis honnête. La différence, c'est qu'avec lui, il n'y a pas de tabous. Nous avons l'alcool joyeux et même si sobres, nous faisons les cons avec des comportements souvent douteux, ivres, c'est pire que tout. De cette façon, nos soirées restent toujours mémorables. À côté de cela, Maria et moi avions une personnalité très différente. Elle restait particulièrement casanière, appréciait de sortir de temps en temps, certes, mais l'idée de passer une soirée tranquille chez nous la tentait bien plus. Pour ma part, bien que j'appréciais aussi des moments posés, j'avais davantage besoin de sortir. En bon hyperactif que je suis, le côté pantouflard ne me réussit pas ou bien à faible dose. De cette façon, je n'hésitais pas à aller boire une bière dans un bar avec mes amis après une longue journée de cours et ce, même si je devais me lever tôt le lendemain pour aller au travail. Tout cela mène donc à des soirées que nous ne passons pas ensemble pour la plupart du temps – aujourd'hui restait une grande exception. Heureusement qu'elle n'est pas le genre de femme qui refuse que son mari sorte sans elle, sinon, je serai bon pour rester enfermé entre quatre murs. D'un côté, tout ceci n'était pas plus mal car nous gardions un espace intime et nous avions nos moments à nous. « Salut Al' ! »

« Content de vous voir, tous les deux… ça change des couples pas glamour qu’il y a un peu partout… » Je ne pus retenir un sourire de fierté vers Maria. Néanmoins, cette dernière ne semblait pas réussir à se détendre. Il fallait savoir vivre dans le péché ! « Bon, je vais nous chercher des verres ! » Puis je filais jusqu'au bar, laissant ma femme et mon meilleur ami ensemble, pour qu'ils discutent. Je revenais au bout de quelques minutes, les mains chargées. « Alors, une bière pour notre belge. Un whisky pour moi. Et... je t'ai prise une coupe de champagne Maria. » Je distribuais le tout, jusqu'à sentir un regard insistant posé sur moi. Je tournais donc la tête vers Maria qui semblait très mal voir le fait que de l'alcool soit servi dans une soirée étudiante alors que ces derniers ne sont pas tous majeurs. « … quoi... ? Non mais ne t'inquiète pas, carte d'identité obligatoire pour servir. » Et pour le lui prouver, je tournais la tête vers le bar. Quoi que... on venait de servir un étudiant de dix-huit ans. Mh... « Bon d'accord... il y a une petite faille dans le système mais qui a attendu l'âge légal pour boire de l'alcool ? » Je tournais la tête vers Alcide, comme pour lui demander de l'aide.

Mon regard se posa un peu plus loin sur Cheyenne qui venait de faire son entrée avec Logan. Je levais les yeux au plafond. J'irai la voir tout à l'heure pour la saluer. « Gemma t'as abandonné pour le buffet visiblement... », murmurais-je vers Alcide en voyant sa cavalière se jeter sur la nourriture, un sourire sur les lèvres.

La perspective d’une soirée de Saint-Valentin n’avait pas grand-chose pour plaire à Alcide… C’était surtout l’idée de faire plaisir à Gemma et celle de passer la soirée avec Edward et Maria qui l’avaient décidé. D’ailleurs, il n’y avait qu’à voir le sourire du quinquagénaire et la manière, joyeuse, dont il venait de saluer ses deux collègues pour s’en rendre compte.
Certes, l’homme se permettait des compliments envers le couple, mais c’était surtout parce qu’il pensait sincèrement ce qu’il disait : à ses yeux, Edward et Maria formaient le duo le plus glamour de l’université. Alors, dès qu’il les avait rejoints, le reste du monde ne comptait plus. Ces deux-là constituaient une sorte d’idéal pour le Belge.

D’après ce qu’il savait, cette fameuse soirée n’était pas parmi les activités tolérées par le doyen, mais, ça, Alcide s’en foutait pas mal. Pour lui, ce doyen n’était rien d’autre qu’un trouble-fête avide de pouvoir. Et s’il fallait créer un mouvement de résistance, voire de révolution, pour changer les choses, van Stexhe avait d’ores et déjà choisi son camp. Être ici, ce soir, en tant que professeur, c’était peut-être aussi une manière de marquer son désaccord face aux directives et à la présence de ce maudit doyen.

La question de la directrice amusa le quinquagénaire. Elle devait bien se douter qu’Alcide n’était pas vraiment du genre à aimer les soirées comme celle-ci…

"A vrai dire, ils sont tous les deux en cause, Maria… et dans certains cas, refuser peut être perçu comme un crime… et j’ai beau chercher, je n’ai rien d’un criminel."

Le mot était fort, mais il y avait tout de même un peu de cela. Ed proposa alors d’aller s’occuper des boissons, laissant Alcide et Maria pour quelques instants, puis il revint avec une bière pression pour van Stexhe. L’Irlandais glissa un mot au sujet de l’âge légal pour boire de l’alcool et cela prêtait à sourire, compte tenu des circonstances… et dans de telles circonstances, Alcide était censé abonder dans le sens de son ami, question de principe.

"Personnellement, je préfère savoir qu’ils consomment ici des alcools pas trop trafiqués… C’est plus sûr que d’avoir à avaler des trucs pas nets obtenus on ne sait pas trop comment." Sans compter les choses qui s’ajoutaient facilement dans les boissons en boite de nuit ou autre, il fallait reconnaître un aspect un peu sécuritaire tout de même dans la situation actuelle. "Et puis au moins, ici, il y a toujours des personnes responsables vers qui les jeunes peuvent se tourner en cas de besoin…" Maria, par exemple, était une personne responsable… Edward et Alcide, c’était un peu moins concret, mais ils pouvaient l’être quand même.

Au fond, c’était un peu idiot d’imposer un âge pour tout ça. En Belgique, il fallait seize ans. En Norvège, dix-huit. Et aux Etats-Unis, vingt-et-un. Du grand n’importe quoi.
Ils ne trinquèrent pas tout de suite et la remarque d’O’Malley au sujet de Mrs Nightingale poussa van Stexhe à penser que le moment était peut-être venu de dire ce qu’il avait à dire, ce qui lui brûlait les lèvres et qu’il taisait depuis plus de trois mois.

"Oui, en fait, Gemma a beaucoup d’envies bizarres ces derniers temps… quand il s’agit de manger, surtout. Aujourd’hui, les chips au paprika… hier c’était le chocolat, ce week-end des escargots à l’ail et la semaine dernière, une envie folle de petits oignons au vinaigre… Et moi, bon prince, je ne vois pas ce que je peux faire d’autre que tout lui apporter."

Le sous-entendu était gros comme une maison, mais van Stexhe ne voyait pas d’autre manière marrante d’annoncer l’affaire sans que la nouvelle ne tombe comme un cheveu dans la soupe. Pendant qu’il parlait, il avait gardé les yeux fixés sur la mousse de sa bière, mais à présent, il les avait levés, afin de mieux se rendre compte des réactions de ses deux acolytes du soir…

« Happy go to hell »

Ce n’était pas tant le fait de voir des étudiants boire de l’alcool qui gênait Maria en vérité. Il fallait dire qu’elle avait fait bien pire au cours de sa vie étudiante. C’était plutôt le fait que ce soit SES étudiants qui la dérangeait vraiment. Elle avait beau ne pas en connaitre un quart, Maria tenait malgré tout à tout ce petit monde qui faisait de son métier ce qu’elle avait toujours aimé. Alors s’il arrivait quelque chose – et en particulier ce soir – à l’un d’entre eux, la brunette aurait très certainement du mal à ne pas laisser son esprit divaguer de manière à ce qu’elle se rende coupable de la situation en ayant laissé faire pour cette fameuse soirée du 14 février à laquelle ils semblaient – pour la plupart – tant tenir. Voilà une chose qu’elle ne comprendrait définitivement jamais d’ailleurs. Elle avait beaucoup être romantique, O’Berkeley ne voyait en ce jour de Saint Valentin qu’un attrait purement et simplement fictif et monétaire. Comme si un jour en particulier dans l’année allait changer le court d’une relation. N’importe quel jour de l’année pouvait le faire en réalité, alors pourquoi ce fichu 14 février ? Maria ne comprendrait sans doute jamais.

« Et puis au moins, ici, il y a toujours des personnes responsables vers qui les jeunes peuvent se tourner en cas de besoin… » O’Berkeley apprécia la manière dont Alcide eut de dire que s’il arrivait quelque chose, elle serait là. En effet, elle serait là car il fallait bien qu’elle le soit, mais heureusement, elle ne serait pas seule à pouvoir gérer une situation de crise si situation de crise il devait y avoir. Mais pourquoi y en aurait-il après tout ? Une cuite n’avait jamais tué personne si celle-ci n’allait pas trop loin. Il suffisait finalement de pouvoir compter sur ses amis les plus proches alors près à vous arrêter en cas d’excès incontrôlé.

« Oui, en fait, Gemma a beaucoup d’envies bizarres ces derniers temps… quand il s’agit de manger, surtout. Aujourd’hui, les chips au paprika… hier c’était le chocolat, ce week-end des escargots à l’ail et la semaine dernière, une envie folle de petits oignons au vinaigre… Et moi, bon prince, je ne vois pas ce que je peux faire d’autre que tout lui apporter. » Il n’en fallu pas plus à la brunette pour tiquer face aux propos tenus par son collègue. Étant passée plus ou moins par cela dans sa vie, Maria savait exactement de quoi Alcide était en train de parler en ce moment. Cela la fit alors sourire. « Toutes mes félicitations ! » Lâcha-t-elle, un beau sourire aux lèvres. Puis, elle regarda Edward qui semblait sceptique, comme si…comme s’il n’avait pas compris.

Je n'étais pas spécialement un grand fanatique de la Saint-Valentin. Bon d'accord, je ne vais tromper personne. Je n'aime pas du tout cette ''fête''. Depuis quand faut-il attendre une seule journée dans l'année pour se montrer galant et romantique envers la personne que l'on aime ? Et c'était bien pour ça que Maria et moi ne nous achetions pas de cadeaux en ce jour si précieux pour bon nombre de personnes. Nous n'en avions même pas discuté, cela c'était fait naturellement, ayant le même point de vue sur cette fête beaucoup trop commerciale. Les petites attentions, nous aimions nous en faire à n'importe quel moment, quand l'envie nous prenait. Et sans vouloir me vanter, j'estimais que mon épouse n'avait pas trop à se plaindre de moi de ce côté. J'ai bon nombre de défauts, mais on ne pourra pas dire que je suis comme tous ces hommes qui finissent le cul posé dans le canapé à regarder un match de foot en sirotant une bière fraîche, sans prêter un seul regard à leur femme. De cette façon, il m'arrive souvent de lui laisser quelques messages sur post-it, ou bien sur le miroir de la salle de bain avec son rouge à lèvre – que je ruine au préalable. Je sais que ça la rend folle, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme. Quand je sais que telle ou telle pâtisserie lui plaît énormément, et que je passe devant une boulangerie française, je la lui achète. Je lui offre des roses de temps en temps. La dernière fois, je lui ai même fait un chèque de dix-mille baisers. Niais, oui, ça l'était, mais en attendant, je lui en devais encore pas mal. Bref. J'aime lui faire plaisir, l'écouter, la câliner, m'occuper d'elle, passer des heures entières en sa présence. En somme, la Saint-Valentin, c'est quasiment tous les jours entre nous.

« Oui, en fait, Gemma a beaucoup d’envies bizarres ces derniers temps… quand il s’agit de manger, surtout. Aujourd’hui, les chips au paprika… hier c’était le chocolat, ce week-end des escargots à l’ail et la semaine dernière, une envie folle de petits oignons au vinaigre… Et moi, bon prince, je ne vois pas ce que je peux faire d’autre que tout lui apporter. » J'eus besoin d'un temps de réaction. Était-il en train de nous faire comprendre que Gemma attendait un bébé ? Un bébé de lui qui plus est ? Je restais néanmoins immobile, pas assez sûr de moi pour me jeter sur lui et le féliciter comme il se doit. Maria fut bien plus réactive et certaine de son hypothèse car elle le félicita, visiblement très heureuse face à cette nouvelle. C'était donc ça. « Putain Al'... tu... tu vas être papa ? » Un large sourire s'afficha sur mon visage alors qu'une mine enfantine se lisait sur moi. J'allais être tonton d'un petit garçon ou bien d'une petite fille. Mon Dieu ! Je me trouvais dans mon élément. Entouré d'une ribambelle de gosses. Les quatre miens, ceux de Cheyenne, celui d'Alcide. M'approchant de Van Stexhe, nous eûmes une accolade virile et tendre à la fois. Je le serrais fort contre moi, avec un côté joueur. « Je suis fier de toi ! Si tu savais ! Ça me fait plaisir ! » Oui, j'avais un sérieux problème avec les enfants. En fait, on m'a toujours dit qu'aussi hétéro je puisse être, j'aurai tout de même dû m'adonner à un métier avec des enfants. Instituteur peut-être ? Non, mauvaise idée. J'aurai passé mon temps à jouer avec eux et leur faire des câlins. Et ça, ce n'était pas très toléré. Mais j'étais fait pour avoir une famille nombreuse, ce qui était devenu le cas. Quatre enfants. J'en aurai volontiers eut six de plus, mais c'était bien trop de responsabilités. De toute façon, la naissance d'Aaron relevait d'un miracle en vue de la faible fertilité de mon épouse. Mais je me dis que même si elle n'avait pas pu me donner d'enfants, je ne lui en aurai jamais voulu. C'est la vie.

Quand je me détachais d'Alcide, je trinquais avec lui en claquant mon verre de whisky contre sa bière. « A ton futur rejeton ! » Puis je me tournais vers Maria, épanoui comme si on venait de me dire que j'allais moi même avoir un nouveau bébé. Déjà, quand Cheyenne est tombée enceinte, c'est limite si je ne m'incrustais pas aux échographies pour savoir comme mes filleuls se portaient. « Voilà une bonne raison de faire la fête ce soir ! » Et non, je ne perds pas le Nord ! Fête, fête, fête !

Quand il avait accepté de venir à cette soirée, Alcide l’avait fait pour des raisons n’ayant strictement rien à voir avec la fête en elle-même. C’était peut-être pour cela qu’il se sentait en décalage permanent avec toutes les personnes qui adoraient les fêtes commerciales… non, pour lui, ce qui comptait, c’était de voir les gens, de passer un bon moment avec des amis… et pour ça, de fait, tous les prétextes étaient bons, qu’il s’agisse de la Saint-Valentin ou du Carnaval, le quinquagénaire avait toujours fonctionné de la même manière. Et il lui était souvent arrivé d’accompagner une femme quelconque – ou pas – quelque part, simplement pour lui faire plaisir et pour laisser la fête prendre le dessus.
De mémoire d’Alcide, les meilleures fêtes auxquelles il avait participé, celles où l’ambiance ne l’avait jamais déçu, c’étaient les occasions diverses et variées en Flandre ou dans des communes à facilités. C’était un peu le genre « c’est la fête, j’oublie tout, le reste, je m’en fous »… et, toujours, van Stexhe finissait par s’envoyer en l’air. La belle vie.

Les fêtes, c’étaient aussi des occasions pour faire des annonces officielles… et Alcide avait beau ne pas être un grand orateur, il n’avait pas fallu longtemps pour qu’il sente que le moment était venu de dire à Edward et Maria ce qu’il avait à leur dire. L’occasion s’était présentée grâce au sujet de la nourriture et van Stexhe n’avait pas vraiment hésité. Bien sûr, il y a des manières plus élégantes d’annoncer cela, mais c’était la première fois qu’Alcide était confronté à cette tâche…

Ce fut le superbe sourire de Maria qui déclencha toute la suite, une succession de mots et de gestes qui eurent tous lieu très rapidement, mais qui avaient le don de transporter van Stexhe sur un petit nuage… Al souriait, bien sûr, cet étirement des lèvres vers la gauche lui était devenu terriblement familier en ce moment, comme s’il était en permanence en proie à toutes ces possibilités de bonheur à venir. Edward mit un peu plus de temps à réagir, mais ses premiers mots furent aussitôt accompagnés par un sourire immense.

"Il était temps, non ?" A son âge, van Stexhe avait quelques craintes pour un tas de choses qui étaient bien plus faciles à faire avec quinze ou vingt ans de moins, mais il tenait à être un papa génial, le genre exigeant et droit, mais compréhensif et doux.

Soudain, l’Irlandais vint étreindre Alcide, comme si ce dernier venait de lui annoncer que c’était lui qui était enceint… Par une réaction pareille, si franche, si sincère, van Stexhe avait tendance à se trouver en parfaite harmonie avec un tas de petits détails qui lui échappaient généralement.
De félicitations en sourires, de paroles si chaleureuses en gestes d’amitié, Edward vint faire tinter son verre de whisky contre celui du quinquagénaire, resté sur place après l’étreinte d’ours que venait de lui prodiguer O’Malley. "T’imagine même pas comme j’ai dû me retenir pour ne pas te le dire avant !" C’était une décision prise d’un commun accord avec Gemma : ne pas parler trop vite, car les avortements naturels pouvaient toujours arriver… après la première écho, c’était un bien meilleur moment, bien moins de risques de fausses couches après trois mois. Ceci expliquant cela.
Van Stexhe porta son verre à ses lèvres, le regard brillant.

"J’offre les deux prochaines tournées, alors !"

En fait, Alcide aurait aimé que Gemma soit à côté de lui, en ce moment précis, qu’elle puisse vivre ce moment avec Edward, avec Maria et avec Alcide, mais elle n’était plus dans le coin, ayant carrément déserté le buffet. Mais bon, elle avait bien le droit de s’amuser, elle aussi…