Sometimes, ennemies become friends ;
and for now, I just wanna trust you and listen to you...

La première surprise, cela avait sûrement été Abbygail. Des mois qu’elle n’avait pas vraiment eus de nouvelles directes de Lia, et ce petit message n’avait donc pu que lui faire plaisir. Il lui était récemment arrivé tellement de choses qu’elle se sentait légèrement abandonnée, comme seule au monde…Au point qu’elle trouvait de moins en moins idiote l’idée d’aller se réfugier quelques temps en Russie. Aaron n’était pour ainsi dire jamais là, et quand par hasard ils se croisaient, leurs échanges étaient tout sauf sympathiques. A croire qu’ils soient aussi doués pour s’aimer que pour s’envoyer des amabilités en pleine poire. Quoi qu’il en soit, c’était avec plaisir que la jolie blonde s’était saisie de son clavier de cellulaire afin de répondre à la jeune maman. Besoin de parler ? C’était un euphémisme ! Elle avait tellement de choses à dire qu’elle ne savait exactement par où commencer. Non pas qu’elle soit complètement ignorante, Abby se doutait bien que Lia avait dû obtenir des informations de la part de « son » Aaron, mais elle savait par expérience que rien ne valait une information de première main. Elle l’avait donc invitée à dîner, histoire de renouer une alliance qui s’était peu à peu crée depuis la Sorbonne ; et pour marquer le coup, la jolie russe n’avait pas manqué à son devoir : Elle avait commandé un plat japonais chez un traiteur dont on lui avait dit grand bien, et sortit de l’excellente vodka de l’un de ses placards. Un cadeau de Charles, après un aller-retour San Francisco Moscou. Abby s’était dit qu’elle l’ouvrirait pour une grande occasion, et pour le coup, c’en était une ! Malheureusement, elle n’allait pas pouvoir mettre une tenue hors de prix pour cette fois. Le fait d’avoir eu des dettes monstrueuses avait considérablement fait baisser sa garde robe : Finies, les robes de cocktail, les tenues de grands couturiers…Abby avait pratiquement tout vendu pour ne garder que l’essentiel, que dis-je, l’indispensable, afin de ne pas se balader constamment toute nue en ville. La seule « œuvre d’art » qu’elle s’était permis de garder, c’était sa robe sur mesure qu’elle avait portée à Blackpool. Cela aurait constitué un véritable péché que de la vendre. De plus, Abby ne perdait pas espoir. Elle savait qu’avec suffisamment d’entraînement, elle allait retenter sa chance pour la seconde fois à ce concours mondial, et ainsi entamer sa carrière en tant que danseuse uniquement. Qu’importe Berkeley, qu’importe qu’elle ait un diplôme en bonne et due forme…Abby avait le talent. De nos jours, c’était on ne peut plus rare et important.

ABBY – « Je t’en prie, entre. Fais comme chez toi. »

Ce n’était pas sans un mélange d’appréhension et d’émotion que la jolie blonde avait fait rentrer Lia dans son appartement. Après tout, c’était la toute première fois qu’elle pouvait vraiment la voir de ses propres yeux, et éviter ainsi de l’imaginer suivant des critères précis décrits par Adrian. Il n’y avait plus rien de factice, et ce fut pourquoi son sourire, bien que léger, était bien présent contre ses lèvres maquillées. Elle l’invita à s’asseoir sur le canapé en cuir du salon, avant de prendre place dans un fauteuil juste en face. Elle n’avait pas vu le temps passer, entre le rangement, le fait de s’occuper du traiteur et sa douche…Du coup, elle n’avait rien de préparé à lui offrir pour l’instant.

ABBY – « Tu t’es fais mal ? Tu as des béquilles…Si j’étais encore aveugle, j’aurais probablement reconnu ça au son, mais maintenant que je peux te voir de mes propres yeux, c’est différent. D’ailleurs, je ne t’imaginais pas blonde…C’est étrange comme le monde que je m’imaginais est différent de celui que je peux voir désormais tous les jours. »

Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la demoiselle n’était qu’à moitié ravie de constater à quel point le monde qu’elle imaginait était légèrement plus reluisant que le véritable. Lia n’avait pas eu ce problème, et Abby ne s’attendait pas à ce qu’elle comprenne véritablement, mais c’était la toute première fois qu’elle évoquait la chose avec quelqu’un. Il fallait dire qu’elle n’avait pas pu le faire avec Aaron, ni avec son meilleur ami…Abby avait la confidence difficile, parfois.

ABBY – « Je peux t’offrir quelque chose à boire ? J’ai mis de la vodka au freezer, mais on peut tout à fait se rabattre sur autre chose. Je n’ai aucune idée de tes goûts par contre, c’est pour ça que j’ai préféré ne rien planifier d’avance…Pour ce soir, c’est Japonais ! Je ne cuisine pas moi-même, mais tu ne risques pas l’intoxication alimentaire, car c’est un excellent traiteur. »

La volcanique blondinette n’osa pas s’aventurer sur le terrain dangereux du « tu peux me faire confiance » mais il était implicite et Abby sentait que Lia comprendrait aussitôt le message. Ce n’était pas vraiment évident, pour l’une comme pour l’autre, d’être totalement à l’aise. Mais Abby s’était promis de faire un effort et d’éviter pour cela les sujets fâcheux : pas d’évocation d’Adrian dans la mesure du possible, pas d’épanchement sur le sujet Aaron Keegan non plus, et les deux nouvelles camarades pourraient sûrement passer une soirée agréable, sans s’entretuer évidemment. Déjà, si elles se détendaient en buvant toutes les deux une bonne rasade de vodka, elles en viendront sûrement à voir la vie nettement plus en rose.

ABBY – « Pour être honnête, j’ai été très surprise de ton message…Dans le bon sens évidemment ! Ces derniers temps n’ont pas été vraiment faciles pour moi et je me demande parfois comment j’ai fais pour ne pas me tirer une balle en pleine tête ! Enfin, je voulais te remercier, d’entrée de jeu et par principe, pour cette attention. J’ai perdu l’habitude des gens corrects… »

Pas si loin peut-être, mais si Abbygail savait être sauvage comme une lionne en pleine savane, elle savait aussi vivre et être parfois humaine. C’était étonnant, certes, surtout en connaissant les rapports aussi divers qu’enrichissants qu’elles avaient entretenus jusqu’à lors. Mais Abby n’avait aucune intention de laisser partir Lia, surtout à pieds et en pleine nuit, si elle avait bu un coup de trop. Après tout, il y avait toujours la chambre d’ami, ou le canapé si telle était sa préférence. Mais en attendant de pouvoir rentrer dans les détails, elle la laissa s’exprimer plus tranquillement tandis qu’elle partait chercher la vodka haut de gamme placée dans son freezer quelques temps avant qu’elle n’arrive. Qui dit vodka, dit shooter…Abby était passée maîtresse pour servir cet alcool trouble et enivrant avec le temps. Cela dit, elle ne s’était plus servit le moindre verre depuis son accident, ce n’était en rien étonnant : N’importe quel aveugle aurait évité la catastrophe en ne préparant plus le moindre plat, et en oubliant même de vouloir servir à boire. Aucun danger avec la vue retrouvée de la jolie blonde, n’hésitant pas à déposer et la bouteille, et deux verres « dé à coudre » sur la table basse tandis qu’elle écoutait le discours de Lia avec une attention toute particulière. C’était bien la première fois qu’elles s’adressaient l’une à l’autre avec gentillesse et altruisme. Jamais auparavant elles n’avaient fait preuve d’autant de patience, du moins, aussi loin qu’Abby s’en souvienne. Tout n’était que cris, crise de nerfs et autres réjouissances pour lesquelles elles étaient toutes deux passées spécialistes. Pourtant, Abby avait décidé d’enterrer la hache de guerre avec sa camarade, au moins le temps d’une soirée, et pour la simple raison qu’on ne lui avait pas tendu la main très régulièrement ces derniers temps. Elle lui servit un shooter plein à ras bord avant de le lui repousser légèrement vers elle et de lever le sien pour trinquer. Autant ne pas faire les choses à moitié et tenter de passer la meilleure soirée possible, malgré les circonstances peu réjouissantes, et pour Abby, et pour Lia. « Santé. Mais ça me fait penser que si tu veux dormir là ça ne me gêne pas. Tu sais, il y a de la place ici…Et ça t’évitera de te priver. Une fois n’est pas coutume, autant y aller franco, non ? » Abby n’était pas nécessairement coutumière de tous les excès, si l’on mettait de côté son vocabulaire souvent peu fleuri. Après tout, elle ne fumait pas, n’avait jamais touché à la drogue et buvait avec une infinie modération. Par conséquent, faire un petit écart ne serait pas considéré comme de l’alcoolisme, bien au contraire. On ne pouvait que comprendre que la soirée commençait bien et qu’il n’y avait aucune raison pour qu’elle ne continue pas tout aussi bien. Ce n’est cependant qu’après s’être rincé la gorge avec le liquide trouble présent dans son shooter qu’elle se permit de répondre à Lia de manière plus précise. « Ca ne m’étonne pas du tout d’Aaron, tiens…Je savais que ça allait finir par arriver à tes oreilles d’une façon ou d’une autre. Je ne lui en veux pas, attention…Au contraire, je crois que c’est justement ce dont j’avais besoin. Ce n’est pas que c’est vide à crever ici, mais presque. » Cela lui rappelait son arrivée aux États-Unis, le moment précis où elle s’était échouée à Chicago alors qu’elle ne parlait pratiquement pas l’anglais et le comprenait à peine. Cette solitude, haute source de panique, Abby ne voulait plus jamais l’endurer. Hélas, après l’adoption des jumeaux, difficile de se refaire un réseau social ou même d’avoir ne serait-ce que l’envie de voir quelqu’un. L’ardente blondinette avait donc fait le vide, à sa façon. C’était stupide, on ne peut plus puéril mais n’importe qui dans sa position en aurait sûrement fait autant. « Ce n’est pas mon genre de donner dans la guimauve, mais une fois n’est pas coutume : Je pense au contraire que tu élèves très bien ton fils. Tu ne l’as jamais abandonné bébé dans un parc, non ? Alors tu es une bonne mère. Meilleure que celle que j’ai été, en tout cas. La vérité c’est que j’ai merdé sur toute la ligne…Pire, je me suis enfoncée jusqu’à ce que je me fixe moi-même des limites. Il fallait que les jumeaux aient une vie qu’ils auraient méritée, tu vois ? Alors en voyant que je déconnais à plein tube, j’ai opté pour l’adoption en choisissant moi-même la famille. Je sais qu’ils vont être heureux, avec eux. Je crois que je n’aurais jamais dû choisir de les garder en sachant que j’étais aveugle, que je risquais de le rester et qu’Adrian était plus paniqué qu’un gamin de cinq ans en temps d’orage. C’était de la folie furieuse, et sérieusement, je me demande comment j’ai fais pour avoir aussi peu de matière grise ce jour là ! » Abby ne regrettait pas de les avoir mis au monde, c’était la plus belle chose qu’on lui ait donné. Mais elle avait peur de ne pas avoir pris la bonne décision…Elle espérait seulement que maintenant, ils soient choyés et placés en sécurité. C’était son seul souci, même son état de santé ne semblait pas autant la préoccuper. Comme quoi, elle n’aurait pas été une mère si catastrophique que cela…Pas jusqu’au bout en tout cas. « Je ne sais pas pourquoi je te débine tout ça…Ca n’a pas vraiment d’intérêt. Mais merci pour ton attention. Ca ne se voit pas forcément énormément, mais ça me touche. Je me doute que ça n’a pas forcément été évident pour toi de faire ce pas. »

En toute honnêteté, Abbygail avait du mal à en croire ses oreilles. Après avoir songé pendant des mois que Lia n’était qu’une idiote sans cervelle, dotée d’un égoïsme à toute épreuve, elle se rendait bien compte à quel point elle était dans l’erreur. Au contraire, elle savait faire preuve d’altruisme, et en lui disant qu’elle aurait dû l’appeler pour lui demander de l’aide, Lia marqua un premier point. Elle venait de toucher Abby et si elle ne s’était pas retenue, la jolie russe aurait probablement laissé une larme perler depuis l’un de ses deux yeux d’un bleu saisissant. Elle regrettait d’avoir été suffisamment stupide pour ne pas se rendre compte qu’elle n’était pas aussi seule qu’elle l’avait cru jusqu’à lors. Si elle s’était mieux renseignée au lieu de s’enfermer dans un mutisme sans fin, la donne aurait sûrement été très différente. Abby ne pouvait malheureusement pas revenir en arrière, mais elle pouvait tout de même essayer de ne pas reproduire les mêmes stupidités…C’était presque encourageant de savoir qu’elle n’avait pas été la seule à merder sur un bon bout de la ligne : Lia aussi estimait avoir fait des erreurs, seulement, elle avait reçu du soutien. C’était sûrement la raison pour laquelle elle était une mère presque accomplie aujourd’hui. C’était l’image qu’elle envoyait à Abby, véritable éberluée de ne pas avoir eu cette force de caractère dont sa camarade avait fait preuve. Sans continuer à s’envoyer mutuellement des fleurs, elle devait bien admettre que sa présence la rassurait. Cela l’aidait de savoir qu’elle pouvait confier tous ces sentiments toxiques qu’elle ressentait à l’heure actuelle et qui la précipitait immanquablement au fond du gouffre. Quelque part, maintenant qu’elle avait touché le fond, il n’y avait aucune raison qu’elle aille plus bas. Elle ne pouvait que se relever, la tête haute, et tâcher de se découvrir un nouveau rêve à exploiter et à réaliser. Qu’importe le temps que cela allait sûrement prendre, Abby avait bon espoir que toutes ces souffrances n’aient pas été endurées pour rien. Ne dit-on pas qu’il y a une raison à toute chose, après tout ? Si ses jumeaux avaient été adoptés, ce n’était sûrement que pour mieux les retrouver par la suite, dans quelques années, quand elle aurait vieilli, mûri, et que son expérience lui aurait servi de leçon. Il n’y avait plus qu’à attendre que la morsure du coup de fouet donné par ce choc émotionnel s’efface comme dans un tour de passe-passe. Abby n’avait plus l’intention de faire le dos rond, désormais. Il fallait qu’elle avance, et qu’elle commence à ouvrir véritablement les yeux sur son monde afin de pouvoir le changer par elle-même.

ABBY – « Merci, Lia. Si j’avais été moins stupide et bloquée par ma fierté, j’aurais probablement pu t’accorder ma confiance. Fondamentalement, on ne s’est jamais traitées comme des amies mais on ne s’est jamais vraiment fait de mal. Je ne peux pas en dire autant de certains abrutis qui ont prétendu un jour être mes amis…Je ne mets pas Aaron dans ce sac là, rassure-toi. Il n’est pas au courant de tout, en plus. C’est pas de la fierté, c’est juste que je sais trop bien à quel point il aurait envie de me botter le cul s’il savait tout. On s’est toujours mutuellement soutenu et poussé à réussir, mais là…J’ai pas été là pour lui et je ne lui ai rien dit non plus. Je n’ai peut-être pas merdé sur toute la ligne, mais je ne vois pas ce qu’il y a de gratifiant pour autant ! Il faut que je me reprenne en main, et d’urgence. Je n’ai plus l’excuse de la cécité…Plus d’excuses du tout, d’ailleurs. Il faut que j’agisse, point final. Le point positif, c’est que j’ai un point de départ : J’ai décroché un job à Berkeley en tant que prof de danse. On peut trouver largement pire comme premier boulot ! Au contraire, c’est cette idée qui m’aide à tenir le coup et à essayer de planifier ce qui va me servir de futur. »

Dans son esprit, son futur commençait à se dessiner petit à petit. Évidemment, Abby le voyait en solitaire, du moins pour l’instant, aussi la question suivante de Lia ne pu que lui faire grincer des dents : A aucun moment elle n’avait eu réellement de nouvelles d’Adrian. Il était parti du jour au lendemain en la laissant se débrouiller avec les bébés, et ce sans l’ombre d’une petite explication. Abby avait donc tiré un trait définitif avec son histoire avec le bulgaro-anglais. Courir après des chimères, ou pire, des moulins à vent n’avait jamais été son fort…Il fallait qu’elle ait un espoir de réussite pour qu’elle soit en mesure de se démener pour quelque chose. Cette relation chaotique qu’ils avaient eue ne pouvait pas lui servir à l’avenir. Alors, à moins qu’elle ne veuille continuer à souffrir, souffrir et souffrir encore, il valait mieux qu’elle se cantonne au fait qu’Adrian n’était rien d’autre qu’un imbécile ne sachant jamais ce qu’il pouvait bien attendre de la vie.

ABBY – « Aider ? Adrian ? Tu es sûre qu’on parle bien du même ? Non, il s’est barré alors que j’en étais à cinq mois de grossesse. Au début, je le recroisais un peu, on s’engueulait comme des chiffonniers et on se perdait à nouveau de vue, comme si de rien n’était. Il a récemment déménagé. Il est reparti en Bulgarie avec sa précieuse môman, et tu veux que je te dise ? Bon débarras ! C’était un crétin. Dommage que je ne m’en sois pas aperçue avant…Ca m’aurait évité de me retrouver dans une merde noire à cause de lui ! Il n’a jamais été capable de gérer quoi que ce soit, même pas sa petite personne. Je suis désolée Lia, d’habitude c’est en face que je lâche des saloperies de ce genre, jamais dans le dos des gens, mais là c’est vraiment la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je pense que toi tu es capable de comprendre. »

Jamais Abby n’avait félicité Aaron d’en avoir fait autant avec Lia, jamais. Certes, elle ne s’en n’était que peu mêlée et dans le fond, elle ne regrettait pas de s’être mêlée de ses propres affaires, mais elle savait que la jeune femme pouvait la comprendre. Elle aussi avait dû se débrouiller toute seule, sans oublier la douleur de la rupture et de l’abandon. Au fond, elle sentait que Lia allait exactement savoir de quoi elle parlait, et la souffrance qu’un tel discours représentait. Adrian n’avait rien géré, du début à la fin, il avait merdé sur toute la ligne, plus encore qu’elle. Si jamais il l’avait soutenue comme il fallait, quitte à ce qu’ils ne soient plus jamais un couple normal, la donne aurait sûrement été diablement différente.

ABBY – « S’il m’avait aidée et s’il avait su prendre soin de ses gamins, je n’aurais jamais fait adopter les jumeaux. C’est parce que j’étais seule à en crever que j’en ai été réduite à cette solution ! Je sais que tu l’apprécies beaucoup, mais à mes yeux, c’est comme s’il était mort. Je me suis débrouillée sans lui, et je continuerais à faire sans. Je me doute que tu dois être paumée et pour être honnête je le suis encore plus que toi…C’est à se demander s’il pensait vraiment les « je t’aime » qu’il a eu le culot de me dire. Bah, les hommes sont tous affreusement décevants, non ? Tous des tartes ! On devrait virer nonne, sérieux. Parfois, c’est tout ce que ça m’inspire. Pour ma part, je mets de côté les histoires amoureuses, hein…J’suis pas sûre que ça me réussisse si bien que ça. Je suis même quasiment certaine du contraire. A mon tour d’être légèrement curieuse, mais…Ca va s’arranger, avec Aaron ? Ce serait dommage dans le cas contraire. Je ne m’en mêlerais surtout pas ne t’inquiètes pas, j’ai beau adorer Aaron, même s’il est comme un frère pour moi, ce sont vos oignons. C’est juste histoire d’échanger des conseils…Après tout, au point où on en est hein ! »

Abby se permit de resservir le shooter de Lia, du reste. Son but n’était pas de l’alcooliser jusqu’au bout de ses ongles, mais plutôt de se remettre. Cela ne l’empêchait pas de souhaiter tout le bonheur du monde à sa camarade de la soirée. Elle avait toujours pensé qu’ils formaient un beau couple et qu’Aaron avait merdé sur toute la ligne. Mais comme elle l’avait dit…Ce n’était pas ses oignons.

Qu’Adrian ne donne aucune nouvelle à Lia n’était pas pour surprendre Abbygail, bien au contraire. Non seulement il cachait habilement cet affreux côté égoïste qui était le sien, mais en plus il avait le culot de se présenter comme LE gendre idéal à qui voulait bien s’en apercevoir. Quelle malchance que la jolie blonde n’ait pas vu clair dans son jeu plus tôt…Non pas qu’elle regrette le fait d’avoir été un jour enceinte, ni d’avoir mis ses deux jumeaux au monde, mais le simple fait de savoir que le danseur Bulgare était le père desdits jumeaux avait une fâcheuse tendance à lui provoquer une nausée indicible. Lia n’avait pas idée de l’égoïsme absolu dont il avait fait preuve depuis le moment où il avait appris la grossesse d’Abby. A croire que ses sentiments soit disant indélébiles avaient fondu comme par enchantement, ou comme la neige fondrait au soleil. Il s’était détaché de la jeune femme petit à petit, sans crier gare, avant de l’abandonner purement et simplement, sans un mot, en ne lui laissant qu’un grand appartement vide et ses yeux pour pleurer. A cette époque, Abby était encore aveugle, et si son compte en banque était rigoureusement rempli grâce à l’héritage de sa mère, la danseuse virtuose s’était rapidement rendu compte que l’argent ne fait pas tout, loin s’en faut. Ce fut sans doute pourquoi le sourire qu’elle offrit à Lia face à ses paroles réconfortantes fut de courte durée. Parler de ces épisodes douloureux lui faisait du mien, mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’être amère, et ce pour de multiples raisons tout à fait logiques. Abby avait souffert, et de la solitude et de l’abandon. Si seulement Adrian avait été plus présent, sans doute la donne aurait été très différente. « Je n’ai jamais dit que tu ne savais pas voir clair, au contraire, mais je ne sais que trop bien à quel point casser du sucre sur le dos d’autrui est pénible comme comportement…Il y aurait pourtant des tas de saloperies que je pourrais balancer comme ça, à son encontre, et dont il est parfaitement conscient puisque je les lui aie déjà dites. Seulement ce serait plomber l’ambiance pour pas grand-chose. Comme tu l’as dit, votre amitié était fragile et même si ça me désole pour toi aussi, je ne suis pas vraiment surprise…Il a toujours été particulièrement léger dans toutes ses relations, alors s’il l’a été avec moi, ça ne m’étonne pas du tout qu’il ne t’aies jamais donné de nouvelles. S’il avait su être proche de toi comme un vrai ami l’aurait été, il t’aurait appelée au moins avant de quitter le pays comme un voleur…Mais je crois que définitivement, je ne suis pas faite pour vivre avec quelqu’un. Pendant un temps, je m’accrochais à l’idée de ne pas être la seule fautive, je cherchais à me convaincre que le grand amour qui chamboule tout et sait réparer les maux passés allait finir par me parvenir…Mais jamais il n’a montré le bout de son nez. Pourtant, j’y ai cru. Avec James, puis avec Adrian…Les rêves, c’est pour la bleusaille si on part du principe que l’expérience est maîtresse en matière de réflexe. C’est désespérant, hein ? Je parle trop peut-être, excuse-moi… » Il était extrêmement rare que la langue d’Abby soit aussi déliée lorsqu’il s’agissait de faire des confidences. Mais sans doute n’était-ce pas la faute de la présence de Lia, mais plutôt celle de la bouteille de vodka qu’elles avaient déjà bien entamée et que la jeune femme venait de reprendre en main afin de les servir à nouveau. Si jamais elles dépassaient l’une comme l’autre le seuil autorisé d’alcool pour la conduite, il était toujours possible pour Lia de dormir ici, ou de prendre un taxi. L’un dans l’autre, sa présence ne dérangeait nullement Abby, bien au contraire. Cela faisait un siècle qu’elle n’avait plus pris le temps ni la peine de s’exprimer sincèrement face à quelqu’un, et le fait d’avoir été une parfaite inconnue aux yeux de Lia pendant si longtemps ne pouvait que l’aider à poursuivre sur cette voie, si sinueuse soit-elle.

ABBY – « C’est compliqué pour tout le monde, va. Dès qu’il s’agit de sentiments, les hommes sont hyper aveugles…Aaron n’est pas l’exception, hélas ! Mais tu lui en as fait baver comment ? Je t’avoue que je me suis bien gardée de lui faire subir un interrogatoire à ton sujet. Je ne voulais surtout pas être indiscrète, mais puisque le sujet est soulevé…Autant que tu aies l’occasion de vider ton sac à ton tour. Attention, loin de moi l’idée d’avoir la curiosité mal placée, c’est simplement pour te filer un coup de main. Tu viens de le faire pour moi, après tout ! »

Aaron était le meilleur ami d’Abby et il l’avait aidée à remonter la pente plus souvent qu’à son tour, c’était un fait on ne peut plus indéniable. Mais la jolie russe n’oubliait pas que ce soir, l’oreille qui écoutait ses doléances et autres complaintes depuis de nombreuses minutes, c’était celle de Lia et non celle d’Aaron. Et, bien qu’elle vienne de s’enfiler son énième shooter de vodka, Abby avait encore les idées parfaitement claires, et aptes à écouter les détails de l’histoire de Lia. C’était étonnant tout de même, cette facilité qu’elles avaient à se livrer l’une à l’autre sans jamais avoir été proches auparavant. C’était d’autant plus surprenant qu’il semblait qu’Abby se souvenait avoir juré ne plus jamais vouloir voir Lia après avoir appris que celle-ci avait couché avec Adrian. Comme quoi, lorsque les couples se défont, les promesses de haine finissent par s’envoler irrémédiablement à leur tour…

ABBY – « Déjà, Aaron est là pour son fils, c’est un début, c’est ce qu’il faut se dire. Votre confiance mutuelle reviendra forcément à un moment donné, laisse-toi le temps aussi ! Tu te débrouilles toute seule depuis plusieurs années, il ne faut pas s’attendre à ce que tu lâches du lest immédiatement. Donne-toi du temps, au moins pour réfléchir à la suite de votre histoire et vas-y progressivement. Aaron est quelqu’un de patient, je le connais bien…S’il t’aime, il comprendra. Et je suis sûre qu’il comprendra, sinon il va se faire appeler Arthur ou Germain la prochaine fois que je le croise tu peux me faire confiance ! »

Cette fois-ci, la jeune femme ne porta pas à nouveau son shooter à ses lèvres. Il n’était pas question de se saouler pour mieux sortir des inepties tout au long de la soirée…Elle se leva plutôt afin d’amener toutes les denrées prévues pour leur repas : Sushis, Sashimi, brochettes, baguettes afin de manger réellement à la japonaise, tandis qu’elle mettait à cuire du riz dans une cuiseuse spéciale à la vapeur. Abby avait encore suffisamment les idées claires pour que ses gestes soient précis, adroits, et afin d’être en mesure d’offrir un repas conséquent à son invitée de marque. Ce qui ne l’empêcha pas de reprendre de plus belle, et ce même si elle était derrière son bar à quelques mètres de Lia :

ABBY – « Ca me fait penser que je voulais te prévenir d’une chose concernant Aaron : Je lui ai demandé un coup de main pour les cours que je donnerais en danse à Berkeley à partir de septembre. En cas de crise, il me remplacera certainement…D’accord, ce n’est pas l’aveu du siècle et ça ne t’empêchera sûrement pas de dormir, mais je préfère être franche afin d’éviter tout malentendu. C’est mieux ainsi, non ? »