En ce moment, l'ambiance à la maison était plutôt difficile. Surtout entre Maria et Edward à vrai dire. Du côté de la brunette elle semblait faire moins d'efforts pour se retrouver seule avec son compagnon et du côté de ce dernier, il semblait complètement oublier que sa femme était enceinte et que malgré la mort d'Alan il ne devait pas la laisser tomber, qu'il devait avancer. Non, en effet ça il avait comme beaucoup de mal à l'intégrer à première vue, ou tout du moins c'était l'impression que la brunette en avait depuis quelques temps maintenant. Bon d'accord, depuis le retour de l'irlandais plus exactement. Elle ne lui en voulait certainement pas d'être malheureusement d'avoir perdu un frère, mais ce qui lui faisait mal était le fait de le voir rentrer à trois heurs du matin, bourré après avoir participer à une belle beuverie avec Alcide. Cela devenait bien trop régulier au goût de Maria, mais lorsqu'elle amenait le sujet, Edward l'envoyait voir ailleurs lui expliquant qu'il avait besoin de se changer les idées. Vous parlez d'un changement d'idées...

Tout cela l'épuisait véritablement, mais personne mise à part ne semblait vraiment s'en rendre compte. De temps en temps, elle ne pouvait s'empêcher d'aller à l'université pour vérifier que tout était en ordre, et à chaque fois on lui faisait le reproche d'en faire trop. Pourtant, elle ne faisait absolument rien si ce n'était lire de la paperasse, ce n'était certainement pas cela qui risquait un quelconque déclenchement d'accouchement, que tout le monde reprenne son souffle. L'intérêt excessif qu'on lui portait l'agaçait quelque peu. Le seul intérêt dont elle voulait être l'objet présentement était celui d'Edward, malheureusement elle avait l'impression de ne plus être au centre des préoccupations de son compagnon depuis la mort d'Alan, ce qu'elle – une fois encore – comprenait tout à fait. Elle savait le mal que cela faisait que de perdre une personne que l'on aimait tellement.

Au fond, tout ce dont Maria avait besoin était de se confier à quelqu'un qui saurait l'écouter, vraiment l'écouter. Elle avait bien pensé à Elena mais en ce moment celle-ci semblait très occupée et ne lui accordait pas franchement de son temps non plus. Elle avait hésité à aller parler à Abbygail, mais la jeune femme étant également enceinte, Maria ne voulait en rien la contrarier. Ce n'était pas franchement le moment pour elle non plus, la pauvre. Et puis, elle avait pensé à Cheyenne. Évidemment, elle aussi restait très occupée en ce moment, mais Maria savait qu'en parlant avec elle, Cheyenne lui donnerait une tonne de bons conseils comme elle avait toujours su si bien le faire depuis qu'elles se connaissaient. Et puis, de toute façon, Maria avait véritablement besoin de se confier à une femme, certainement pas un homme, pensez-vous.

Voilà pourquoi Maria avait donné rendez-vous à Cheyenne au centre-commercial, à quinze heures sachant qu'elle n'avait pas cours à cette heure-ci, contrairement à Edward soit dit en passant. Assise à la table d'un café qu'elle avait signalé dans un sms à son amie, la future maman attendait patiemment l'arrivée de Cheyenne ne ressentant qu'une seule envie présentement ; celle de se confier à quelqu'un qui saurait vraiment l'écouter et qui ne la jugerait pas à peine aurait-elle commencé à parler de ce qu'il se passait en ce moment dans sa vie, et surtout dans son couple.

Le matin avait à peine commencé à filtrer par mes fenêtres lorsque j'ai reçu ce message de Miss O'Berkeley. Bien sûr, elle insistait toujours à ce que je l'appelle par son prénom, mais j'avais encore un peu de mal avec tant de familiarité, même si notre amitié croissante basée sur ce respect mutuel facilitait les choses jour après jour.

Un coup de téléphone allait tout changer.

Je n'étais pas sûre d'avoir bien compris le pourquoi du comment d'un tel appel, mais j'étais certaine d'une chose: Maria ne m'aurait jamais appelée avant les cours, demandant si j'étais disponible dans l'après-midi pour se voir si le "pourquoi" n'était pas sérieux. Au moins pour elle. Je reconnaissais la question polie derrière la demande de rendez-vous, puisqu'en tant que co-directrice de l'établissement dans lequel je travaillais, elle était mieux placée que quiconque pour savoir que cette après-midi était synonyme pour moi de quartiers libres. Je fis mine de rien, et lui répondit avec un sourire dans la voix. Elle voulait me voir, je ne demandais pas pourquoi. Je me doutais bien qu'il n'était pas question de l'université ou de mon travail, auquel cas elle m'aurait convoquée dans son bureau lors des rares fois où elle se trouvait sur le campus. Non, tout cela résonnait d'une note bien plus personnelle et elle semblait évidemment en nécessité de parler à quelqu'un. Je n'avais jamais été le genre à fermer la porte au nez de mes amies, non plus, et sans doute le savait-elle lorsqu'elle avait composé mon numéro.

De plus, une bouffée d'air frais allait me faire le plus grand bien à moi aussi, alors n'était-ce pas gagnant gagnant?

Richmond District Mall
2.47PM

Cela avait toujours été dans mes habitudes d'arriver en avance. Je me doutais que Maria allait arriver un peu avant l'heure prévue également, et lorsque je reçus son sms me signalant qu'elle se trouvait à un petit café que j'affectionnais, je souris en acquiesçant. Comme si elle pouvait me voir... Le café bordait un petit carrousel où il arrivait qu'Ambre aille s'amuser. Situé au centre d'une intersection en croix au coeur du centre commercial, le lieu était brillamment éclairé par un toit vitré laissant filtrer la lumière naturelle, tout en laissant quelques vitraux de couleur chatoyer les lieux de teintes aussi chaleureuses que variées. De plus, j'adorais tout simplement ce petit coin tranquille dans le capharnaüm général que pouvait parfois représenter le mot "shopping", un peu comme une oasis de simplicité au coeur d'un enfer de commerces et de marketing. J'appréciais que Maria ne me laisse pas me balader sans fin dans le bâtiment, mais cela ne m'étonnait pas. Je l'imaginais déjà attablée, occupée à siroter un milk-shake tout en regardant les enfants s'amuser à quelques mètres de là. Peut-être Ambre l'accompagnait-elle? Le café, lui, devait avoir été pensé pour les mères parce qu'il offrait un havre de paix idéal à qui voudrait pouvoir surveiller ses enfants tout en profitant tranquillement d'une boisson fraîche (ou chaude, selon les goûts). Le carrousel et la micro aire de jeu qui se trouvait à côté était encadré par une équipe spécialisée d'animateurs, sûreté de plus dans ce monde où à tout instant un enfant peut disparaître. Ici, que je sache, ça n'était jamais arrivé jusque là, et ça réconfortait les parents tout en amusant les bambins. Un peu comme une garderie, qui n'en était pas vraiment une.

Aucune surprise que Maria ait choisi ce petit café-ci. Elle devait être une habituée des lieux, ou au moins l'imaginais-je.

Le souvenir de ma propre expérience avec les enfants assombrit mon visage suffisamment pour me forcer à baisser les yeux et tripoter un instant dans mon sac, comme si cette distraction allait me valoir de mieux me sentir. Je ne remarquais pas tout de suite Maria, et ce n'est qu'une fois arrivée à quelques mètres de sa table que je sentis son regard sur moi, provoquant l'apparition immédiate d'un sourire éclatant. Me penchant doucement pour lui faire une accolade et une bise, laissant clairement sous entendre qu'elle pouvait rester assise, je m'installais bien rapidement face à elle avant de signaler au garçon de table que j'aimerais commander. Ma morosité soudaine désormais disparue, au même titre que ma veste légère que je venais d'attacher au dossier de ma chaise, j'entrecroisais les doigts après m'être accoudée à la table, posant mon menton sur ce support improvisé avant d'observer une seconde Maria. Être enceinte lui allait comme un gant, elle était radieuse. Peut-être un peu fatiguée en apparence, mais radieuse.

Alors, comment s'est déroulée votre journée?, demandais-je avec un sourire complice.

Je savais que briser la glace était pour le mieux, mais je n'allais pas lui demander de go ce qui n'allait pas. J'étais confiante dans le fait qu'elle allait en parler quand elle le désirait. Pour l'instant, elle pourrait même ne pas répondre et se contenter de pester contre mon usage continuel du vouvoiement avec elle, je m'en moquais vraiment. Tant que ça l'éloignais un instant de ce qui la tracassait à l'évidence...

S'il y avait bien une chose qui pouvait – gentiment – agacé Maria, c'était bien le fait que Cheyenne n'accepte toujours pas de la tutoyer. Certes, elle pouvait tout à fait admettre le fait qu'à l'université, il était sans doute préférable que les deux femmes se vouvoient, mais était-ce véritablement nécessaire même en dehors de l'établissement ? Pas selon la brunette, non. Enfin, elle ne disait finalement plus rien par rapport à cela sachant pertinemment que Cheyenne ne changerait pas ses habitudes avant un petit moment sans doute.

« Épuisante, comme toutes les autres. La grossesse me fatigue pour un rien, que c'en est tout autant épuisant. Je ne fais rien de la journée, et je suis fatiguée comme si j'avais couru le marathon de New-York, c'est absolument pathétique. »

Elle se mit à sourire malgré tout. Elle ne savait pas comment réussir à aborder le sujet spécial Edward O'Malley. Les choses étaient tellement compliquées entre eux en ce moment qu'elle ne saurait certainement même pas par où commencer toute l'histoire. Pouvait-on d'ailleurs véritablement parler d'une histoire ? Maria n'en était même plus sûre, c'était pour dire. Cette situation la tourmentait, c'était ce dont elle était vraiment certaine à l'heure actuelle.

« Et toi ? »

Voilà la plus nette des différences entre les deux femmes. Maria tutoyait Cheyenne, mais pas inversement. Peut-être que cela viendrait finalement avec le temps, qui sait. Tout du moins, Maria l'espérait vivement. Elle ne se voyait pas réellement continuer à s'entendre être vouvoyée alors que les deux femmes devenaient de vraies amies au fil du temps. Non, ça c'était plus que certain. Tout du moins, cela n'était dans l'esprit de la directrice adjointe qui présentement n'était qu'une femme enceinte parmi tant d'autres dans le monde. En dehors de Berkeley, Maria ne se considérait certainement plus comme une directrice mais bel et bien comme une femme quelconque, même si son compagnon ne cessait de lui répéter qu'elle était tout excepté une femme quelconque.