Le roi du silence [libre]

Invité

La bibliothèque… lieu béni… épure du savoir et de la connaissance, où la lecture et l’écriture peuvent rapprocher les gens et laisser naître et s’insérer une forme de complicité saine et silencieuse…

Alcide aimait cet endroit. Il y avait chaque fois trouvé toutes les informations dont il avait besoin, aussi bien pour étudier les grands auteurs dont il parlait en cours de critique d’art que pour étudier les gravures diverses en possession de l’université, que pour une « simple » lecture-plaisir, car, effectivement, en tant que professeur et en tant que passionné de littérature, l’homme multipliait ses lectures et recherches. D’ailleurs, dans un souci évident de bien faire, van Stexhe tâchait de se tenir au courant des nouveautés littéraires (même si, très franchement, la production actuelle avait parfois l’art de laisser à désirer) et pour ce faire, la bibliothèque publique de la ville constituait un atout majeur.

Celui que tous ici connaissaient comme un célibataire endurci qui se voulait plein d’humour était optimiste. Il se disait qu’un jour ou l’autre verrait l’avènement de quelque auteur digne de ce nom… Ce regain d’intérêt qu’il constatait pour les mythes multiséculaires, par exemple, ça pouvait avoir du bon… Il se pourrait bien un jour prochain qu’un écrivain en herbe puisse rendre ces mythes à nouveau légers et fluides, leur donner une deuxième vie, une deuxième jeunesse qui vaille la peine et qui n’aurait rien à voir avec les romans actuels, ces feuilles de choux tout juste valables pour qu’on épluche des pommes de terre dessus.

Ces derniers temps, l’homme avait beaucoup lu d’oeuvres datant de quelques siècles. Par principe, il relisait les textes qu’il abordait aux cours, même s’il devait prendre des années pour cela, au moins il pouvait être sûr et certain d’avoir de quoi passer le temps en cas d’avaries météorologiques…

Ainsi, Alcide venait rendre à la bibliothèque les quelques ouvrages sur lesquels il avait fini de travailler : Villon, Rousseau et Molière. Pour la suite, il avait l’intention d’emprunter l’un ou l’autre Voltaire et un bon petit Diderot. Van Stexhe déposa donc les livres qu’il rendait sur le bureau de la bibliothécaire responsable des retours, puis il alla sélectionner quelques livres dans le rayonnage de littérature française et, trois volumes sous le bras, l’homme se rendit en salle de lecture, là où il aurait à sa disposition des ouvrages de référence où il devait chercher une information essentielle, car, bien évidemment, van Stexhe vérifiait méticuleusement tout avant de communiquer son savoir à ses étudiants.

Il s’avança dans la salle silencieuse où régnait une atmosphère de travail plus que de détente et choisit de déposer veste et livres sur une table où était installée une jeune fille blonde. Alcide posa ses affaires sur le coin opposé à celui où se trouvait la demoiselle, peu désireux de déranger une personne ayant certainement besoin de calme et de concentration, puis, il partit chercher l’encyclopédie des topoï romanesques (une édition vieillotte, mais très complète et pratique) et revint à sa place avec l’imposant ouvrage qu’il ouvrit à la page consacrée aux structures rimiques des romans médiévaux.

Invité

Un détour par Starbucks, puis direction la bibliothèque, caféine oblige !
Lorsqu’elle l’avait découverte Brunella l‘avait trouvé merveilleuse, il y avait une telle ambiance, pesante de connaissance, ça grouillait de partout, en haut, en bas, à droite puis à gauche, peu importe où elle pouvait porter son regard, la jeune fille ne voyait que des livres. Le premier endroit qu’elle visitait avec autant de livres réunis en son sain. Heureusement pour elle, Brunella était déjà entrée quelques fois dans une bibliothèque mais jamais rien d’aussi fabuleux. De plus, son plaisir était redoublé car c’était bien la première fois de sa vie qu’elle obtenait une carte de bibliothèque !.. (Si c’est pas tragique ça !.. )

Brunella voyait ce genre de grandes bibliothèques comme une sorte d’univers totalement mis à part, parallèle à la vie réelle, où chaque individu se montrait plus estimable et respectueux que jamais, envers toute chose. Lorsqu’elle y entrait Ella se sentait comme pénétrer dans une bulle aux parois tellement épaisses, qu‘aucun bruit ne pouvait y filtrer. Les hurlements d’un piéton mécontent et sous le choc d’avoir faillit être écrasé par une voiture se transformaient en murmures décontractés, le klaxon rageur de cette fameuse voiture était remplacé par le bruissement d’une page que l’on tournait, avide de savoir la suite. Et même le crissement des pneus se transfigurait en raclement de la pointe du stylo sur une feuille de papier.
C’était un univers totalement confiné, qui nous mettait l’espace de quelques instants à l’abri de la réalité.

C’est les épaules nues, chauffées par le soleil que la jeune femme entrait dans le bâtiment. Elle avait un devoir urgent à terminer et c’était bien là qu’elle y trouverait satisfaction. Une soutenance qu’elle devait préparer ayant pour thème la Constitution américaine. Mais avant, direction rayon littérature. La belle espagnole avait déjà assez donné en littérature européenne et souhaitait découvrir les grands classiques américains, Scott Fitzgerald, Hemingway ou encore Eliot, en fait tous ceux qui faisaient partie de la Lost Génération. Parcourant, les livres, elle en touchait la tranche du bout des doigts, elle aurait voulu tout emporter, néanmoins elle se contenta de The great Gatsby et d’un recueil de nouvelles d’Hemingway.
C’est deux livres en main, Brunella se dirigea vers la salle de travail, à une grande table, celle qu’elle jugea la plus idéale il y avait déjà une jeune femme qui travaillait visiblement sur de l’espagnol et qui n’était pas très douée et un homme d’âge mûr. Elle s’assit côté de l’hispanophone en herbe, à une place d’écart de l’homme qui lui disait d’ailleurs vivement quelque chose. Posa les deux livres près d’elle ainsi qu’une bouteille d’eau, elle en bu d’ailleurs une gorgée mais ne la referma pas.
Elle se leva et parti à la recherche d’un livre ou deux sur la Constitution. La pêche avait été bonne. Une fois revenue elle se mit à feuilleter. Elle eue soif mais ne pouvait détacher ses yeux de ce qu’elle lisait de peur de perdre la ligne. Malheur, au lieu d’attraper la bouteille elle la poussa. La bouteille d’eau encore pleine vida tout son contenue sur la table, se dirigeant dangereusement vers l’homme aux cheveux poivre et sel.

- ¡Coño!

Elle n’eu le temps de rien dire d’autre.

Invité

Plongé dans sa lecture, Alcide ne faisait pas vraiment attention à ce qui se passait autour de lui. Les bibliothèques étaient des havres de paix, où il était possible de se sentir soi-même, où l’on pouvait penser à tout un tas de choses sans avoir l’air rêveur. Tant que le regard était dirigé vers un livre, ce qui se passait dans la tête des gens pouvait être de n’importe quel ordre, les autres n’en avaient que faire.
Ainsi, alors qu’il lisait le livre qu’il avait trouvé dans le rayonnage des analyses littéraires, van Stexhe pouvait laisser vagabonder son esprit là où il le voulait. Et à ce moment précis, tandis qu’il venait de parcourir un chapitre consacré aux octosyllabes à rimes plates des romans courtois, il songeait à celle qu’il pouvait appeler la « dame de ses pensées ». Lui aussi aurait volontiers agi en chevalier, faisant preuve d’honneur, d’excellence et de courage pour braver des dangers afin de la sauver ou de la protéger. Il aurait certainement pu chevaucher un destrier rapide et solide, dont la robe aurait eu la couleur des yeux de sa belle… Tableau idyllique s’il en est, comble du romantisme guimauve, symbole d’un idéal chevaleresque qui n’avait plus rien d’actuel.
L’homme était dépassé. Dépassé par ce qui lui arrivait, dépassé parce qu’il ne savait plus comment s’y prendre exactement dans une relation sérieuse, dépassé aussi parce que, d’une certaine manière, tout cela l’effrayait.

Chercher dans les livres la solution n’était sans doute pas la meilleure idée qu’il ait eue ces derniers temps. Mais il ne pouvait pas en parler avec Samuel. Il n’osait en toucher mot à Esmeralda et Célestine avait suffisamment de choses en tête pour ne pas lui ajouter ça encore en plus. Ce qu’il aurait fallu, c’est un homme de confiance, ou bien quelqu’un tenu par le secret professionnel – psy ou prêtre, donc – ou encore un parfait inconnu qu’il ne reverrait jamais. Cette dernière option était peut-être la plus simple à trouver par ici. Il y avait Internet, il y avait des forums, des chats, ce genre de choses. Alcide pouvait se faire passer pour n’importe qui et parler à un ou une inconnu(e) de ce qu’il vivait. L’idée était à creuser.

Un vague mouvement sur le côté le rappela à la réalité. Le livre. Le topos de la cour… bla bla bla… Van Stexhe avait choisi ce bouquin-là pour travailler un sujet qu’il n’avait pas l’occasion d’enseigner cette année, n’ayant pas obtenu de poste dans les branches de littérature, et voilà que le sujet en question commençait à lui peser. Il aurait dû prendre un ouvrage plus léger, moins technique. Peut-être une bande dessinée, tiens. Ou un recueil de nouvelles ou de poésies… quoique la poésie, ça avait tendance à trop le toucher, ces temps-ci, comme s’il était devenu extrêmement sensible aux mots.
Aussi, un mot tel que celui qu’il entendit juste après avoir ressenti une légère secousse – comme si un objet était tombé sur la table – lui fit lever le nez de l’ouvrage qui allait finir par l’endormir. « ¡Coño! ». Le regard d’Alcide tomba sur le visage de la jeune fille qui avait lâché cette grossièreté en langue de Cervantés et il eut tout juste le temps de soulever le livre pour éviter qu’il ne prenne l’eau dans cette flaque qui ne manqua pas de venir arroser les genoux de l’homme. De fait, il avait préféré sauver le bouquin plutôt que son image à lui. Quand il se leva, le mal était fait et une tache plus foncée garnissait son pantalon gris.

"Génial, j’ai l’air d’un incontinent, maintenant…"

Regardant la jeune fille d’un œil noir, il poussa un soupir exaspéré.

"Au risque de paraître désagréable …Il est heureux que vous ne buviez pas du vin rouge… mais il me semble que les aliments et les liquides sont interdits dans les bibliothèques, mademoiselle… "

corbeille

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