Stop looking at me like that! ;
Je ne t'ai pas encore reconnu, mais une fois que ce sera fait, je vais recommencer à bafouiller...

Plus les minutes passaient, moins Abbygail savait ce qu’elle était venue faire dans ce bar. Une énième dispute avec sa jumelle Tasha avait eu raison de son habituelle prudence, semble-t-il. Elle avait donc enfilé une belle robe blanche très courte, des cuissardes en beau cuir noir, et était partie, ou plutôt s’était-elle enfuie de l’immense demeure Vodianova bordant le long de Financial district. Elle avait atterrit dans ce bar par un pur hasard, en vérité. Elle ne savait vraiment pas ce qu’elle y faisait, ni pourquoi elle buvait une bière, soit la boisson qu’elle devait détester le plus au monde. Pourtant, elle la sirotait, sans se douter qu’en face d’elle se tenait l’un de ces hommes à la recherche d’une nouvelle proie nocturne. Ce ne fut que lorsque sa main frôla son épaule et qu’il se mit à lui débiner l’habituel discours du séducteur des bacs à sable qu’elle comprit qu’elle était passée de simple proie à proie prioritaire. Elle ne devait pourtant pas être l’unique demoiselle esseulée dans ce bar, bien qu’elle doive être la seule aveugle dans tout ce beau monde. Elle soupira doucement, haussant l’épaule pour qu’il en ôte sa main, avant de finir le contenu de sa chope cul sec. L’alcool lui fit automatiquement tourner la tête, non pas violemment, mais tout de même assez pour qu’elle soit prise d’un léger tournis dès qu’elle fut levée de sa chaise. C’était l’occasion rêvée pour que l’importun séducteur passe à l’action, et pourtant, il ne fit que se rapprocher d’elle pour l’inviter à danser, sans la toucher à nouveau. Abby déclina l’invitation, non pas parce qu’elle ne savait pas danser, mais parce qu’elle estimait qu’il était plus que temps qu’elle regagne son beau chez elle. Tasha devait commencer à s’inquiéter, et bien qu’Abby ne puisse cautionner ce que sa jumelle lui avait envoyé dans les gencives, elle ne pouvait pas la laisser s’inquiéter sans réagir. Elle fit donc quelques pas, passant avec grandes difficultés au travers de la foule, avant de bousculer quelqu’un. Le choc fut plutôt virulent, si bien qu’elle du se rattraper au mur juste à côté d’elle d’un geste habile et souple. Heureusement que la belle blonde avait appris à contrôler les gestes de son corps, même en étant aveugle.

« Tu peux pas regarder où tu vas non ? Toi qui le peux ! Crétin ! »

Abby n’avait pas été capable de reconnaître James, à cause du brouhaha ambiant et des mélanges d’odeurs présents dans le bar. Étant donné qu’il n’avait pas encore dégoisé un mot, elle ne pouvait décemment pas le reconnaître, sans quoi, elle aurait probablement été moins virulente. D’ailleurs, ce petit accès de colère lui permit de mieux appréhender la suite des évènements. Le dragueur précédent n’avait visiblement pas abandonné la lutte, et semblait plus que décidé à obtenir au moins une danse en sa compagnie…Et plus, cela allait sans dire. Il replaça sa main sur son épaule, se rapprochant une fois encore d’elle, jusqu’au moment où elle tourna sur elle-même pour se défaire habilement de son emprise. Abby était danseuse, et ce genre d’aptitude était parfois bien pratique. Seulement, le dragueur en question n’était visiblement pas aussi idiot qu’il n’y paraissait au premier regard, si bien qu’il ne trouva rien de mieux que d’insister sur son invitation, à la vue de la souplesse de la charmante blondinette…Autrement dit, il avait choisi l’exacte manière inappropriée en présence d’Abby, qui ne supportait pas d’être draguée, et encore moins pas quelqu’un d’aussi peu fin.

« Écoute-moi bien, ouvre grands tes aises gourdes parce que ça va être un festin : Même dans un million d’années, je préfèrerais m’ouvrir les veines et faire la danse de la pluie avec mon propre sang plutôt que d’être touchée par toi, connard ! »

Le ton d’Abby était resté étonnement calme et froid, par rapport aux accès de colère dont elle était capable. C’est également ce qui faisait son charme, le fait qu’elle soit capable du pire comme du meilleur, et cela en un rien de temps. D’ailleurs, par chance, l’importun n’insista pas, ou alors sans doute allait-il chercher du renfort pour faire face dans la plus grande lâcheté du monde à l’ardente demoiselle.

« Faut que je me barre d’ici illico presto…Ou que je trouve une autre soluce. »

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Je ne t'ai pas encore reconnu, mais une fois que ce sera fait, je vais recommencer à bafouiller...

Tout se passa très vite. Tellement vite qu’Abbygail n’eut pas le temps de faire ouf…Se retrouver dans les bras de quelqu’un qu’elle pensait avoir reconnu sans en être vraiment sûre, il n’y a sûrement rien de pire. Quoi qu’il en soit, James l’avait embrassée. Oui, elle aurait pu reconnaître cette voix sans problème, même si elle n’avait aucune certitude…Cette façon douce et tendre de la toucher, cette manière de lui sauver la mise, il n’y avait vraiment que lui pour faire une chose pareille. Mais c’était ce baiser qui la troublait…La dernière fois qu’il l’avait empêchée de se faire malmener par un autre dragueur, il l’avait jouée plus finement que cela, à croire que tout avait décidément changé depuis son retour à Berkeley. Les gens n’étaient plus aussi naturels avec elle, ou alors sans doute le devenaient-ils un peu trop…Dans quelle catégorie se trouvait James au juste, c’était un mystère. L’entendre murmurer à son oreille alors qu’il la tenait dans ses bras comme si elle était la huitième merveille du monde était très troublant…Trop, pour quelqu’un dont l’esprit était décidément bien embrumé ce soir. Abby ne parvenait plus à faire la part des choses, ni même à être capable de dégoiser la moindre parole. James avait bien réussi son coup, elle était comme une marionnette entre ses mains ! Elle respira lentement, allant jusqu’à fermer les yeux pour reprendre contenance. Non, il ne fallait pas qu’elle se laisse aller à ce point, ce n’était pas convenable ni même envisageable.

« James. James Callahan. »

Pour être sûre de son coup, Abby avait tentée de lui dire qu’elle se doutait que c’était lui. Elle passa outre l’épisode du baiser pour l’instant, s’écartant légèrement de lui pour mieux se saisir de sa main, décidée à l’emmener ailleurs. Elle joua parfaitement le jeu en demeurant collée serrée contre lui, afin de ne surtout pas subir les foudres d’un autre dragueur sur le chemin. Ils quittèrent temporairement le bar, Abby ayant eu du mal à en trouver la sortie…Mais maintenant qu’elle sentait la fraîcheur de cette nuit lui scier presque les membres, il n’était pas compliqué de devenir qu’ils se trouvaient en pleine rue…Très étonnement, la rue était nettement plus silencieuse que le bar, bondé et avec la musique à fond. A partir de là, Abby se détacha évidemment de lui, croisant les bras sous sa poitrine, non pas par colère mais parce qu’elle avait tout de même froid. Les nuits étaient fraîches et elle n’avait qu’une petite tenue…

« Qu’est-ce que tu fais ici, James ? Ca fait deux fois que tu me sauves la mise, je vais finir par croire que ma dette s’allonge ! »

Abby n’avait même pas le goût de se mettre en colère. L’épisode dans le bar l’avait suffisamment retournée, ce n’était pas la peine d’en rajouter une couche…Mais sa voix était froide, distante. Comme si elle n’osait pas y croire.

« T’as mis la barre plus haut, cette fois. Pourquoi m’embrasser cette fois-ci, hum ? T’avais envie de tester un baiser avec une aveugle ? J'peux rien te donner en échange, en fait. J'peux pas payer ma dette, tu t'en doutes. »

Abby haussa les épaules. Elle était vraiment incorrigible…Tout en partant du principe qu’il était forcément au courant de son accident, dont la nouvelle s’était rapidement répandue dans l’université.

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« Qu’on me prenne en pitié ?! Alors celle-là elle est excellente ! D’où je me suis plainte ? Tu ferais bien de te nettoyer plus souvent les aises gourdes coco, parce que tu te plantes de personne là. »

Et voilà…Comme d’habitude, un seul mot de James et Abby était déjà partie dans une colère indicible, impossible à contrôler. Elle ne supportait pas que l’on prétende qu’elle était en train de se plaindre, ou de faire en sorte qu’on la prenne en pitié…C’était même tout le contraire ! Elle avait toujours détesté qu’on la prenne pour une petite chose fragile, et c’était pire encore depuis son accident. Elle avait certes perdu tout ce qui pouvait bien compter à ses yeux, mais elle n’en parlait jamais, pas même à Tasha, sa sœur jumelle. Si bien que sa tentative pour paraître agréable lui parut être la pire erreur de sa vie. La prochaine fois, elle resterait naturelle et impitoyable…James ne méritait pas plus que les autres sa douceur et sa compréhension, fondamentalement. Elle arqua donc un sourire, les poings serrés contre sa poitrine, elle se retenait effectivement de lui mettre une gifle amplement méritée. Il avait de la chance qu’elle ait peur de mal viser et de se faire mal, sans quoi, sa joue serait d’ors et déjà marquée d’une trace rouge, la signature de sa main. Abby constatait avec effroi et dégoût comme l’arrogance était devenue vertu masculine…Et plus elle le comprenait, moins l’envie d’être avec quelqu’un était présence. Fatalement, la bonne vieille maxime « mieux vaut être seul que mal accompagné » lui allait à ravir. Ce soir, c’était plus véridique d’auparavant…Et James allait s’en mordre les doigts.

« Bingo, t’as deviné, ton discours, tu peux te le foutre là où je pense. J’veux qu’on me prenne en pitié ? T’as surtout du bol que j’ai peur de m’esquinter, parce que t’as manqué de coups de pied au cul dans ta jeunesse, l’ami ! »

D’un geste vif, Abby avait ôté la veste de James avant de la lui balancer en pleine figure. Il pouvait bien se garder ses réflexions et ses attentions pour lui, elle n’avait pas besoin d’une conscience, et encore moins d’un moralisateur des bacs à sable l’accompagnant dans ses moindres faits et gestes. Quitte à prendre des risques, si la finalité devait être négative, au moins elle saurait pourquoi.

« Parfait, si c’était gratuit, alors on a plus rien à se dire. Oh et à l’avenir…Si c’est pour me dire que je veux qu’on me prenne pour une pauvre petite chose, reste dans ton coin, crétin ! »

Abby avait déjà tourné les talons, revenant dans le bar. Elle n'était pas femme à se laisser marcher sur les pieds, non mais! Et non, elle n’allait pas rentrer chez elle tout de suite…La belle blonde savait qu’énervée comme elle l’était, Tasha allait encore lui faire office de punching ball. Pour une fois, elle optait pour une attitude plus « altruiste ». Elle se dirigea donc vers le fond du bar sans aucun état d’âme, avant de se placer à une table où semble-t-il, il n’y avait personne d’autre. Cette partie là était pratiquement déserte, les clients occupant avant tout le bar et la piste de danse…Parfait ! Elle allait calmer ses nerfs toute seule en tapant furieusement du pied. Jusqu’au moment où un serveur vint prendre sa commande…

« Vodka, et que ça saute ! »

Une Russe énervée est une Russe autoritaire, parait-il…Bah, ce n’était pas tout à fait faux. Cela dit, le serveur fit vite…Lui amenant l’équivalent d’une bouteille. Abby en bu déjà un shooter cul sec, avant de soupirer.

« Quelle soirée de merde, bordel… »

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Abbygail n’en revenait tout bonnement pas. Comment osait-il venir jusqu’ici pour lui donner c qui ressemblait fortement à une leçon de morale après son discours de tout à l’heure ? Pour sûr, s’il avait voulu l’énerver, il n’avait pas manqué son coup ! La demoiselle tapait furieusement du pied contre le sol, et son regard était brillant de rage. C’était à peine si elle avait envie de se contrôler et de ne pas le remettre physiquement à sa place…Il avait pris un gros risque en la traitant comme une moins que rien, un très gros risque !

« T’as crée la situation, maintenant te plains pas si j’ai envie de te refaire le portrait façon puzzle, d’accord ? J’étais parfaitement calme tout à l’heure. Alors t’es gentil, tu me fais pas chier avec tes détails à la con, d’accord ? »

D’un geste vif et pourtant hésitant, Abby se releva de sa place, prête à se saisir de son sac. Elle le chercha à tâtons quelques secondes, jusqu’à parvenir à s’en saisir d’un geste plutôt virulent, avant de le placer à côté d’elle, tout en soupirant. Elle avait évidemment entendu le bruit de la chaise qu’il avait tirée avant de s’asseoir, si bien qu’elle s’épargna le fait de l’inviter à sa table, puisqu’elle n’en aurait pas eu l’intention en d’autres circonstances. Il était parvenu à la blesser, maintenant, elle allait mettre un temps considérable à se calmer. Ce n’était pas en buvant que cela allait s’arranger, mais la demoiselle s’en fichait. La preuve en était, elle saisit la bouteille avant de se servir un autre shooter, qu’elle bu de la même façon que le premier. Loin d’elle l’idée de l’inviter à se saouler avec elle, évidemment. Si Abby avait envie de se bourrer la gueule pour noyer sa déchéance, cela la regardait. Il n’avait aucun droit de la juger, et encore moins de vouloir l’aider. Jusqu’à preuve du contraire, elle se débrouillait très bien sans lui, jusqu’à ce soir en tout cas. Elle n’en revenait pas de ne pas l’avoir insulté et giflé alors qu’elle était encore proche de lui, tout à l’heure dans le bar. C’était tout ce qu’il méritait…Mais quelque part, maintenant qu’elle avait récupéré son sac, il n’avait plus besoin de rester, n’est-ce pas ?

« Si tes tests sont ta technique de drague, laisse-moi te dire que tu devrais la revoir du départ. Parce que c’est vraiment pas attirant, au contraire, j’trouve ça à chier. »

Voilà bien la jeune Abby dans toute sa splendeur : On la blessait, elle rendait la monnaie de sa pièce, avec les intérêts exorbitants allant avec bien entendu. Elle avait passé l’âge de se laisser marcher sur les pieds, et elle estimait qu’avec son accident elle avait largement payé sa dette pour toutes les erreurs qu’elle avait bien pu faire dans sa vie.

« Ca va, j’ai mon sac, j’ai de quoi payer, tu veux pas me lasser mes pompes non plus ? Ca va, j’ai capté le truc : J’suis une grande fille. Donc tu peux te casser, pour reprendre tes propres mots : J’ai pas besoin de ta pitié. Alors, dégage ! »

Et pour la peine, Abby s’était même levée, avec la tête qui commençait à lui tourner sérieusement, mais qui ne l’empêcha pas de le toiser de manière plus que virulente. Il n’était pas question qu’elle soit la plus faible des deux, cette fois, sa fierté était en jeu, et son orgueil en avait déjà pris un sacré coup.

« T’inquiètes pas, je risque pas d’être à nouveau sympa avec toi…Tu m’as vaccinée, tu peux être fier. »