Je déteste ton emprise sur moi... ;
Tu peux me dire ce que tu fous là, franchement ?!

A bien y regarder, il n’y avait vraiment qu’Abbygail pour se rendre à l’université alors qu’il n’était pas encore six heures du matin. Mais depuis son retour à Berkeley après son accident qui l’avait bloquée des semaines sur un lit d’hôpital, elle avait besoin de se rendre compte par elle-même si elle était encore capable de pratiquer la danse. Ce besoin vital de se défouler une bonne fois pour toute avant de se rendre à ses cours de la journée l’avait prise la veille au soir. C’était pour cela qu’elle n’avait pas dormi de la nuit, s’adonnant au gravage de plusieurs CD de musique. Dès cinq heures du matin, elle était déjà sous la douche, ses affaires de la journée prêtes, et son esprit on ne peut plus éveillé. Dire qu’elle n’était pas fatiguée aurait été un mensonge honteux…Mais quitte à être épuisée, que ce soit au moins pour une bonne raison. Après tout, d’après Tasha elle-même, sa jumelle, Abby était la spécialiste du sommeil de plomb pendant un cours soporifique. Elle avait donc une porte de sortie toute trouvée si d’aventure elle piquait trop du nez durant la journée. Mais pour l’instant, revêtir son débardeur moulant noir et sa jupe courte rouge, ainsi que ses chaussures à talons étaient sa priorité…Et non le sommeil. En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, la demoiselle était déjà en bas de son immeuble, un taxi l’attendant devant, alors qu’elle s’était armée de sa canne d’aveugle ; soit le seul détail au monde à pouvoir prouver d’un coup d’œil qu’elle était bel et bien victime d’une cécité lui gâchant considérablement la vie. Somme toute, les rues étaient presque désertes à cette heure, et l’université semblait l’être encore plus à bien y réfléchir. Le silence de mort qui régnait dans les couloirs la rassura, quelque part. Pouvoir s’entraîner sans être reluquée comme une bête de foire, c’était tout de même notable. Elle soupira donc d’aise en pénétrant dans la salle, n’allumant même pas les néons, partant du principe qu’elle n’avait nullement besoin de lumière…L’obscurité faisait déjà partie de sa vie, et que les lumières soient éteintes ou allumées, ça ne faisait aucune différence pour elle. Au contraire, savoir qu’il faisait noir dans la pièce la rassurait presque. Elle mit son premier CD dans le lecteur, non sans le chercher à tâtons, et commença quelques mouvements simples dans un premier temps, pour s’échauffer. Au fur et à mesure des minutes, le niveau s’intensifia, et Abby fut ravie de constater que pour l’instant, elle ne tenait pas trop mal le rythme. Malheureusement, elle ne pu décemment aller très loin, son premier cours commençant à huit heures, et il était hors de question qu’elle se rende en cours sans prendre une douche. Il lui fallut donc qu’elle s’arrête là pour l’instant.

« Bordel de merde j’vais être à la bourre ! »

Abby avait beau être très serrée au niveau de l’horaire, elle partit illico sous la douche avant de se rendre à ses cours…Tous plus soporifiques les uns que les autres. Par chance, elle ne s’endormit qu’au dernier, ses paupières lourdes ayant eu raison de sa volonté de suivre. Après tout, l’histoire de la danse contemporaine ne serait pas si dure que ça à rattraper. Au pire, elle allait faire de l’œil à son prochain camarade, ou voisin de siège en TD pour avoir l’intégralité du reste du cours. Mais pour l’instant, quitter l’amphi était vital ; tout comme continuer son entraînement. Abby avait les yeux creux tellement elle était épuisée, mais tant pis…Quitte à se faire un claquage, elle voulait se conforter dans l’idée qu’elle n’était pas encore bonne pour la benne à ordures. Elle se dirigea donc à l’aide de sa canne d’aveugle au travers de la foule prête à quitter aussi vite que possible l’université. En chemin, elle bouscula plusieurs personnes, ne s’excusant même pas, partant du principe qu’elle n’avait pas le temps de s’attarder à s’excuser. Après tout, c’était elle « l’handicapée », c’était donc aux autres de s’écarter, pas à elle. Abby continua donc raide comme la justice, non sans hésiter à certains moments, serrant d’autant plus fortement sa canne d’aveugle dans ses doigts. Quand elle parvint à destination, elle ne pu s’empêcher de pousser un soupir de soulagement…

En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, Abbygail fouilla dans son sac à bandoulière pour y trouver son justaucorps blanc ainsi que ses collants noirs. Après s’être habillée, elle prit un de ses CD au hasard avant de le mettre, non sans mal, dans lecteur. La première chanson était une valse, une danse qu’elle avait justement peur d’expérimenter. Mais elle ne se découragea pas, prenant la pause sans attendre la fin de la chanson, et commença à esquisser les premiers mouvements. Abby n’avait rien perdu de sa grâce naturelle, mais ses mouvements étaient nettement plus hésitants qu’avant, lorsqu’elle était capable de voir où elle mettait les pieds ; d’un autre côté, danser une valse sans partenaire, on pouvait connaître plus facile. Quand au bout d’un moment elle manqua de tomber, elle ne pu s’empêcher de jurer violemment.

« Bordel !! J’suis plus bonne à rien… »

Abby posa ses mains sur ses hanches, la tête baissée, laissant la fin de la première piste de l’album survenir. En entendant le début de la deuxième piste, un large sourire s’esquissa sur ses lèvres. Du hip hop, parfait pour se défouler. Pour le coup, le corps d’Abby commença à danser presque tout seul, retrouvant des réflexes qu’elle pensait perdus. Les mouvements, tantôt violents et tantôt plus lents, étaient parfaitement maîtrisés. Elle avait les yeux clos, se laissant emporter par la musique avec une facilité qui la surprit elle-même. A la fin de la chanson, Abby était transpirante de sueur, mais elle avait un large sourire dessiné sur son visage. Elle ouvrit les yeux doucement, arrêtant subitement la musique en appuyant sur le bouton pause…Avant d’énoncer, le visage rivé sur le lecteur, d’une voix fort peu aimable :

« Qui est là ? Qu’est-ce que tu fous là ? »

Abby ne savait pas de qui il s’agissait, évidemment…Mais c’était habituel ce genre de réaction chez elle.

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Tu peux me dire ce que tu fous là, franchement ?!

Dès lors que cette voix masculine se mit à s’élever dans l’atmosphère, le sang d’Abbygail ne fit qu’un tour. Impossible de ne pas reconnaître cette voix, suave et troublante, d’un jeune homme qui avait sur elle une détestable influence. Elle ne se souvenait pas de son nom, elle ne se souvenait même pas qu’il lui ait donné d’ailleurs, elle avait juste un vague souvenir d’une altercation plutôt violente entre eux, devant les casiers. Lui était resté plutôt calme, et elle s’était violemment enflammée, comme à son habitude. Les détails de la dispute lui échappaient, en vérité. Elle ne savait même plus pourquoi elle l’avait engueulé comme du poisson pourri, mais elle devait forcément avoir une raison. Après tout, ce n’était pas comme si elle gueulait au loup sans aucune espèce de raison…Même si cette raison avait du échapper au jeune homme, il ne devait pas lui en tenir rigueur, puisqu’il se trouvait devant elle. Il n’avait pas tracé sa route sans lui accorder la moindre attention, il avait attendu qu’elle arrête de danser visiblement, sans doute l’avait-il observée pendant un moment, si elle s’en tenait à ce qu’il venait de dire. Pour une fois, Abby se hasarda à se retourner, saisissant non sans mal la télécommande posée sur la table, à côté du lecteur de CD, qui servait à allumer la lumière. Evidemment, un aveugle n’a que faire d’être dans l’obscurité ou dans la lumière…Mais Jayden, puisqu’il semblait que ce soit son nom, n’était pas un non voyant aux dernières nouvelles. Ou alors, il cachait tellement bien son jeu qu’elle n’y aurait « vu » que du feu. Elle demeura ensuite les bras croisés, à le toiser un long moment. Elle feignait habilement de le regarder, priant pour qu’il ne s’aperçoive pas que son regard n’était pas exactement rivé sur ses yeux. Abby était totalement dans le flou, et conserver une distance de sécurité entre eux était pour ainsi dire primordial, vital. S’il s’approchait encore, comme il ne devait pas être stupide, il verrait probablement qu’elle était devenue…Handicapée, inutile, plus bonne à rien. Il avait beau dire qu’elle était douée, la seule réaction qu’elle eut fut un rire teinté d’une large expression narquoise n’annonçant surtout pas qu’elle le croyait…Bien au contraire.

« Mouais…Je dansais avant de marcher, parait-il. Ca fait pas de moi une virtuose de la danse. Mais bien essayé, le caressage dans le sens du poil, c’était plutôt habile. »

Abbygail n’était pas habituée aux compliments ; et surtout venant de lui, il n’y avait rien de tel pour la gêner. Cela dit, sa voix n’avait pas été aussi glaciale que la fois dernière…Au contraire, elle feignait d’être amusée, affichant son accent russe sans chercher à le cacher d’une quelconque façon. Feindre tout et n’importe quoi, elle était devenue spécialiste en la matière. Encore plus depuis son accident, où elle cachait autant qu’elle le pouvait le fait d’être aveugle. La pitié, le fait d’être considérée comme une petite chose fragile l’énervait, lui faisait peur même. Et si jamais Jayden se mettait à être comme ça, pour sûr, ça lui ferait mal ; sans s’expliquer pourquoi, elle se sentait proche de lui. Il n’avait pourtant rien en commun, du moins pas qu’elle sache, et ils ne se connaissaient vraiment pas…Pourtant, elle ne pouvait pas s’empêcher de se sentir troublée alors que si ça se trouvait, son regard n’était même pas rivé sur elle. Pourtant, elle osa s’avancer vers lui et attraper sa main d’un geste vif pour la serrer. Par chance, elle ne manqua pas son coup et n’éprouva pas d’hésitation…L’honneur était donc sauf, n’est-ce pas ?

« Je me souvenais même pas qu’on avait fait les présentations…On va même dire que je me souviens plutôt de t’avoir dégagé à coups de mots…Pas très aimables. Par contre, ta voix est reconnaissable. Mais on va dire que je suis ‘enchantée’. »

Il ne fallait pas s’attendre à ce qu’Abby se présente à son tour. C’est qu’elle était têtue comme une bourrique, cette jeune demoiselle…Elle lâcha donc plutôt rapidement la main de Jayden avant de le regarder dans les yeux, son beau regard bleu eau-de-mer se perdit un instant dans celui du jeune homme, dont elle aurait bien aimé se souvenir des couleurs. Mais il faut croire que les couleurs autres que le noir ne seraient plus jamais vues par sa petite personne. D’ailleurs, elle allait ajouter autre chose, mais fut interrompue par l’arrivée impromptue d’un garde du corps…Oui, vous avez bien lu, et votre étonnement sera sûrement semblable à celui d’Abby elle-même, en entendant la voix de cet homme qu’elle avait vu plusieurs fois en rendant une visite à son père à Moscou. C’était sûrement sur les ordres de son père qu’il était là, il ne pouvait en être autrement. En s’avançant et en se présentant, il fut évident qu’il dévoilait le jeu de son père : Protéger sa pauvre petite fille devenue si fragile…Fondamentalement, le garde du corps ce soir ne fit que tendre sa canne d’aveugle à Abby, qui l’avait visiblement laissée à l’entrée de la salle, exprès pour ne pas être tentée de s’en servir tout de suite. Abby voulait apprendre à marcher sans, quelque part…

« Dégage tout de suite ! »

Ces quelques mots, criés en Russe plutôt qu’en Anglais, marquaient très nettement à quel point ce type avait mis les pieds dans le plat. Il partit sans demander son reste, tandis qu’Abby serrait plutôt fortement sa canne d’aveugle entre ses mains. Elle n’avait pas encore tourné son visage vers Jayden, mais était-ce seulement utile puisqu’elle ne pouvait pas le voir ?

« Si tu dis quoi que ce soit, je te jure que je te tue. »

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A la grande surprise d’Abbygail, le jeune homme eut une réaction complètement à l’opposé de ce qu’elle imaginait. Plutôt que de se moquer d’elle ou même d’envisager de dévoiler ce scoop absolu, il fit mine de n’avoir rien à en dire…Parfait, c’était même un bon point pour lui, même si Abby eut du mal à y croire au premier abord. D’ailleurs, la large expression surprise qu’elle arborait en était la preuve : Comme interdite, incapable de bouger, elle mit quelques minutes avant d’avoir un sourire discret, presque gêné, lorsqu’elle reprit contenance. Sans doute l’avait-elle mal jugé, en fin de compte…Bien évidemment, elle ne le reconnaîtrait jamais ouvertement, mais s’en être rendue compte était déjà un début. Mais là où la surprit plus encore, ce fut en lui dictant que la valse ne se dansait pas seule. Là, Abby ne fut pas seulement étonnée, elle ne pu réprimer un rire sincère qui résonna quelques secondes dans la salle de danse. Décidément, il n’était pas banal…Soit sa technique de drague évoluait suivant les proies qui se trouvaient en face de lui, soit il était fou. Abby ne savait pas du tout si elle avait affaire à un bon ou à un mauvais danseur, mais le défi était intéressant à relever. Elle ne pu donc s’empêcher de sourire largement avant d’ajouter, plus qu’amusée :

« Très bien, tu veux danser une valse ? Alors dansons. »

Evidemment, pas sans préparation. La posture était déjà un premier point sur lequel Abby ne pouvait pas ne pas s’arrêter. Elle s’approcha donc davantage de Jayden, frôlant ses épaules, ses bras ainsi que ses mains pour savoir un peu comment il se tenait. Par chance, il se tenait plutôt droit, et pour quelqu’un qui ne faisait manifestement pas de danse, c’était relativement rare. Abby le gratifia donc d’un sourire, avant de tourner autour de lui, jusqu’à se placer dans son dos. S’il avait une bonne posture, il aurait difficilement du mal à se faire un claquage, et il suivrait plus facilement ses pas. Elle plaça donc délicatement ses mains sur ses épaules pour les placer de manière droite, avant de frôler sa nuque et de la placer de telle manière à ce qu’il regarde droit devant lui. Elle posa le dos de sa main contre son menton pour le relever, avant de revenir devant lui, non sans un sourire amusé dessiné sur ses lèvres. C’était un peu comme si elle avait deviné sans peine qu’il ne valsait pas souvent…En même temps, il y avait relativement peu de danseurs classiques dans le lot, et Abby agissait souvent par anticipation. Elle partit donc ensuite vers le lecteur de CD, pour remettre en marche la première piste de son album gravé, contenant la mélodie d’une valse très agréable à danser. Elle la mit en marche non sans tâtonner, bien entendu, mais une fois qu’elle entendit les premières notes, Abby se dirigea à nouveau vers Jayden, tendant la main jusqu’à le frôler pour être sûre de ne pas le louper.

« Tu vas suivre mes pas, d’accord ? Je vais te placer comme il faut et tu vas essayer de suivre la musique en même temps que moi. C’est pas grave s’il y a des ratés…Ce soir, quand tu rentreras chez toi, tu pourras dire que tu auras accompli un exploit si on arrive à danser ensemble ! »

Abby ne pu réprimer un rire tandis qu’elle avait pris sa main droit dans la sienne pour la positionner à peu près au milieu de son dos, avant de saisir sa main gauche pour la serrer dans la sienne. Elle posa ensuite sa main gauche à elle contre l’épaule du jeune homme, attendant le deuxième temps de la valse pour démarrer. Jayden avant de la chance, elle avait choisi une mélodie plutôt simple, histoire de ne pas le dégoûter trop vite de cette danse…Après tout, s’il était souple, il y avait moyen qu’ils parviennent à valser au moins trois secondes avant de se marcher mutuellement sur les pieds. Par chance, Abby n’était pas spécialement douillette, heureusement…Elle esquissa le premier mouvement, et par chance, elle ne marcha pas sur le pied de Jayden. A croire qu’il parvenait à suivre la musique, ce qui la fit sourire et accéléra considérablement son rythme cardiaque. Danser avec lui c’était…Troublant. Abby ne pouvait contrôler son rougissement et c’était bien dommage, pourtant, loin d’elle l’idée de baisser la tête. Au contraire, tout son corps était bien droit, frêle, gracieux, offrant des mouvements à la fois contrôlés et fluides. La souplesse dont elle faisait preuve était digne de celle des danseuses professionnelles…Et à sa grande surprise, ils parvinrent tous deux à faire une valse plutôt correcte ; si celle-ci devait certainement contenir de nombreux défauts et autres ratés d’un point de vue technique, l’émotion était là. Abby ne manqua pas de sourire doucement tandis que les dernières notes de la valse se firent entendre et qu’elle esquissa le mouvement final, la poussant à se rapprocher légèrement plus de Jayden. Heureusement qu’il ne lui avait pas proposé de danser un tango, sans quoi, sa gêne aurait été très largement supérieure à celle qu’elle ressentait à être si proche de lui.

« Pour une première fois, ce n’était pas mal. Tu arrives à dégager une bonne émotion, c’était divin…Enfin, je veux dire, c’était potable. »

Abby ne s’était pas encore écartée, le CD dévoilant une musique suivante à forte consonance espagnole, offrant la possibilité d’une danse plus sensuelle. Les beaux yeux bleus eau-de-mer d’Abby étaient rivés sur ceux de Jayden, se maudissant de ne pas pouvoir les voir. C’était presque un supplice de ne pas savoir ce que le partenaire peut bien ressentir…Elle espérait simplement de ne pas trop rougir afin de ne pas trahir sa gêne.

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Jayden n’avait rien dit sur leur danse, ou même sur la musique qui défilait maintenant ; c’en était presque stressant pour Abby, incapable de le voir et de constater ce qu’il pouvait bien ressentir. Tellement stressant qu’elle n’osa pas esquisser le moindre mouvement, avant que Jayden ne fasse le premier pas. En l’incitant à s’incliner avant de la faire se redresser plus brutalement, Abby comprit aussitôt qu’elle n’échapperait pas au tango, soit la seule danse qu’elle n’aurait pas souhaité danser avec lui. Déjà qu’elle se sentait troublée en sa présence, sa gêne n’était pas prête de s’effacer. Pire, elle commençait à se prendre au jeu alors que sa conscience avait été littéralement effacée. Elle soupira doucement d’aise, le suivant tandis qu’il se fait guide en suivant avec une aisance qu’elle ne lui connait pas la musique. Danser un tango, ce n’est pas une mince affaire…Et pourtant, bien que Jayden ne soit pas danseur professionnel, la jolie blonde ne pouvait que reconnaître qu’il se débrouillait admirablement bien. En un geste sensuel, elle fit descendre sa main jusqu’au bas de son dos, pour que les mouvements se trouvent facilités, et c’est à ce moment précis qu’ Abby pu commencer à se mêler vraiment au jeu. Elle échappa l’espace de quelques secondes à son emprise pour mieux revenir se coller à lui en un mouvement à la fois violent et sensuel, puis les fait tourner ensemble, d’abord lentement, puis de plus en plus vite, jusqu’à ce qu’elle se cambre comme au début, avec une souplesse qu’elle avait un grand plaisir à retrouver. Au fil de la musique, les mouvements sont de plus en plus fluides, comme s’ils ne formaient plus qu’un tout sur la piste. La danse s’accélère et se ralentit instantanément, puisant dans les ressources moindres de la demoiselle, mais Abby ne peut qu’éprouver un plaisir infini à danser de nouveau un tango : Cette danse, emplie de sous entendus habituellement, lui fait repousser ses derniers retranchements…Et même si la simple présence de Jayden la trouble plus qu’elle ne saurait l’avouer, elle aime cette proximité entre eux. Si elle devenait plus importante, il était évident qu’Abby fuirait…Mais pour l’instant, elle apprécie cette proximité, qu’elle n’a plus eue avec personne depuis un temps considérable. Si bien que lorsque la musique prend fin, elle ne peu s’empêcher de se cambrer une dernière fois, très lentement, pour que la danse ait un ‘rendu’ plus fini ; sauf que cette fois, Abby ne laisse pas une troisième chanson défiler dans le lecteur. Elle hocha respectueusement la tête pour le saluer avant de se diriger à tâtons jusqu’au poste pour mettre le CD en pause.

« Je ne te pensais pas aussi bon danseur, Jayden…Tu es conscient qu’un tango, c’est faire virtuellement l’amour à sa partenaire sur la piste ? »

Après avoir dévoilé cette réplique, Abby se mit à le regarder à nouveau intensément, un léger sourire narquois sur ses lèvres. Elle ne connaissait que trop bien sa réputation de séducteur pour ne pas être tentée de lui envoyer cette petite pique dans les gencives. C’est tellement tentant qu’elle arqua également un sourcil, comme pour le défier de rétorquer quelque chose à cela. Mais alors que le silence demeure intact, Abby commet l’erreur de se rapprocher progressivement, comme si elle avait le goût de se mettre en danger.

« Je n’aime pas quand tu ne dis rien. C’est gênant et pénible. Pourquoi un tel silence ? »

Le visage d’Abby était redevenu soudainement impassible, et sa voix nettement plus froide. Cette facilité qu’elle avait de passer du positif au négatif était assez impressionnante, sa sœur le lui avait toujours dit ; sauf qu’elle était véritablement gênée par le fait qu’il n’ait pas dégoisé un mot depuis plusieurs minutes. Non pas qu’elle soit particulièrement fan des gens bavards, mais elle n’aimait pas trouver des gens aussi taciturnes qu’elle : Abby était toujours tentée de leur reprocher son propre défaut récurrent.

« Pourquoi danser un tango avec moi, d’ailleurs ? Tu disais être mauvais danseur, force est de constater que tu es plus menteur que mauvais danseur… »

Beau parleur était sans doute le mot adéquat. Mais Abby n’avait aucune envie de jouer sur les mots, surtout qu’elle était plus amusée par la situation qu’autre chose. Enfin, amusée, là encore, tout est une question de point de vue. Elle ne pu s’empêcher de retourner au poste pour y retirer machinalement son CD. Cacher son trouble n’était pas la meilleure des solutions, et comme elle était toujours d’une franchise à toute épreuve, sa langue fourcha, une fois de plus :

« Ca m’énerve que tu aies un tel effet sur moi. Va pas croire que je te fais du gringue ! Ca va, tu dois recevoir des tas de visites charmantes…Je m’en fous de la finalité, je cache pas la vérité moi. Ta présence m’énerve et en même temps je l’aime bien. »

Abby se maudit aussitôt d’avoir dit ça. Elle manqua de faire tomber l’album gravé, d’ailleurs, tellement ses doigts étaient crispés. Elle soupira doucement avant de se mettre à rire. C'était bien la première fois qu'elle disait aussi franchement ce genre de choses, elle qui n'aimait pas dévoiler son jeu trop vite d'habitude!

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Abbygail n’aimait clairement pas cette soudaine proximité entre eux. Non seulement celle-ci la mettait résolument mal à l’aise, mais elle ne supportait plus vraiment d’être touchée par quiconque. Résultat de son accident, sans nul doute, mais quoi qu’il en soit, elle avait encore du mal à être naturelle vis-à-vis des relations humaines. Prendre la fuite était devenu sa spécialité, et lorsqu’elle n’était pas en mesure de pouvoir le faire, se montrer parfaitement odieuse paraissait être sa porte de sortie par excellence. Après tout, Jayden ne devait pas être véritablement habitué à ce qu’on lui résiste, et encore moins à ce qu’une blondinette comme Abby se déclare à lui pour mieux faire un pas en arrière, de peur que sa confession ne prenne une tournure non désirée. Jayden ne pouvait pas comprendre ce que cela faisait d’avoir été voyante et d’être désormais résolue à ne voir aucune autre couleur que le noir. Après tout, ne pas sentir le regard des autres sur soi pouvait être pratique, puisqu’il ne la troublait plus de cette manière, mais son trouble était d’autant plus intense qu’elle s’attardait sur chaque son, chaque émotion. Chaque chose qui lui paraissait totalement anodine auparavant prenait une toute autre tournure, un tout autre visage. Certes, elle était presque frustrée de ne plus pouvoir contempler aucune visage, aucune forme, aucune couleur, mais elle apprenait à faire de son sens du toucher sa nouvelle manière de voir. Voilà pourquoi elle ne pouvait pas abandonner la danse, son rêve, et voilà pourquoi elle était d’autant plus troublée d’avoir dansée pareille danse en compagnie de Jayden. Il n’avait pas l’air de comprendre que la connotation d’une danse est toujours perçue de manière plus virulente par une danseuse qui en connait les moindres attraits. Pour lui, danser un tango était sûrement aussi innocent que de draguer en boîte de nuit, tout en dansant n’importe comment sur n’importe quelle musique. Mais pour Abby, qui s’était toujours passionnée pour le langage du corps ainsi que le message délivré par chaque danse apprise, c’était particulièrement gênant de savoir qu’elle avait dansé un tango avec lui. Oh, elle prit sur elle pour ne rien laisser entrevoir de son trouble plus profond, mais elle ne pouvait empêcher son cœur de battre nettement plus vite depuis quelques minutes. Elle haïssait presque cette proximité entre eux, tout autant qu’elle l’appréciait, à dire vrai. C’était tellement contradictoire tout ce qu’elle pouvait bien ressentir que ses émotions lui faisaient vraiment peur…Ces sentiments là semblaient la désarmer totalement, sans qu’elle ne puisse aller contre cet état de fait.

« Pourquoi tu te plierais en quatre pour obtenir un sourire ou une attention de moi alors que tu as une dizaine de minettes à tes pieds prêtes à te faire tout ce que tu veux sans que tu aies à lever le petit doigt ? Soit t’es carrément taré, soit je sais pas…Mais y’a quelque chose qui tourne pas rond chez toi ! »

Abby était tellement persuadée que les aveugles ne pouvaient que passer inaperçu qu’elle ne se doutait pas un seul instant que le fait d’avoir pareille cécité puisse être charmant. Elle ne pouvait pas juger sur pièce, évidemment, elle était obligée d’aller au fond des choses et de parler plusieurs minutes avec la personne avant d’émettre un quelconque jugement…Mais le discours de Jayden la gênait, sans compter qu’elle sentait maintenant son souffle chaud contre sa peau. Etait-il plus près d’elle encore qu’elle ne se l’imaginait ? Sans doute. Elle n’osait pas esquisser le moindre geste de peur de se rendre compte qu’elle était plus proche de lui qu’elle ne le pensait. Cela étant, elle n’eut pas à faire la moindre chose, puisqu’il dicta une dernière phrase, presque murmurante, qui mit dès lors tous ses sens en alerte. Il était près d’elle, trop près sans doute. Et ce conseil qu’il venait de lui donner était tout bonnement inhumain…Ne pas refouler la présence de quelqu’un possédant la réputation de manipulateur fini ? Très peu pour elle ! Et pourtant, Abby était encore incapable de bouger ; au contraire, plutôt que de fuir comme à son habitude, tout son corps faisait en sorte de la rapprocher plus encore de Jayden.

« Ou alors c’est moi qui tournerais décidément jamais rond… »

L’espace de quelques secondes, Abby eut une forte envie de disparaître dans un trou de souris, comme dans un tour de passe-passe. Mais au lieu de cela, elle plongea une fois encore aussi précisément qu’elle le pu son beau regard bleu si clair dans celui de Jayden, dont elle avait complètement oublié la couleur, sûrement énigmatique et attirante. Sa respiration se fit légèrement plus rapide avant que ses lèvres ne frôlent délicatement celles du jeune homme, en un contact qu’elle trouva à la fois divin et paniquant en même temps. Abby ferma doucement les yeux, laissant ses émotions la porter, pour son plus grand malheur. Elle aurait pu s’arrêter en si bon chemin, mais au contraire, le baiser, au départ d’une timidité touchante, pris de plus en plus d’importance. Bientôt, leurs langues respectives se lancèrent dans une danse aussi furieuse et sensuelle que le tango qu’ils avaient précédemment effectué, et Abby alla jusqu’à passer sa main contre la nuque de Jayden, avant de mettre brutalement un terme à ce baiser. Elle venait juste de prendre conscience de la bourde énorme qu’elle avait faite, et elle se mordit aussitôt la lèvre avant de laisser ses traits redevenir aussi impassibles que de la glace en plein pôle nord. Abby s’en voulait…Comme une bleue, elle s’était laissée prendre au piège ! Mais cela n’allait pas se reproduire de sitôt, elle en fit le serment !

« Je n’aurais pas du faire ça. »

Sa voix, résolument fière et sans aucune empreinte d’hésitation, ne fit qu’achever ce que son comportement laissait déjà entendre : Abby allait se refermer très vite comme une huître, et ne plus laisser aucune faille apparaître. La preuve en était faite, elle avait déjà saisi son sac en bandoulière pour y trouver la pochette de son CD. Sa canne d’aveugle n’était pas loin, preuve qu’elle souhaitait plus que tout quitter rapidement les lieux.

« Il n’y a pas de place pour moi dans ton monde. Alors si, je refoule ta présence. Je n’ai aucune envie que tu te joues de moi et que tu me prennes pour une conne…Je ne suis pas une de ces midinettes qui courent après ton lit. J’suis très bien en solo. »

Abby ne choisissait pas, dans l’histoire. Elle subissait malgré elle la césure entre son envie d’aller plus loin, de laisser ses émotions s’exprimer, et la petite voix en elle qui lui faisait comprendre que Jayden ne serait jamais qu’un baratineur sans vergogne.