Hier, l’événement le plus merveilleux s’était produit alors que Nelligan avait tourné le couloir de l’aile d’astronomie. Il était tombé face à face avec Ileana, probablement la femme qu’il trouvait la plus belle dans toute cette université. Évidemment, à chaque fois qu’il la voyait et se perdait dans ses magnifiques yeux et sa longue chevelure blonde, le jeune homme s’en voulait puisqu’il était en relation non-officielle avec Chuck, pour le moment. Tromper par la pensée était pour lui une grosse bêtise, et même s’il n’était pas encore véritablement amoureux de sa consœur, il jugeait que de regarder d’autres filles n’était pas permis. Nelligan avait toujours été très respectueux en amour – en même temps, il n’avait pas eu énormément d’occasions de le démontrer … -, et lorsqu’il était en couple, la fille de son cœur devenait si importante à ses yeux qu’il en était carrément à ses pieds. C’est pourquoi, lorsqu’Ileana lui demanda gentiment s’ils pouvaient se rencontrer le lendemain pour une mise à nouveau à propos des derniers cours, il eut de nombreux remords par la suite, tout simplement parce qu’il avait accepté, le cœur léger et des ailes dans le dos. Nelligan n’était pas habitué à ce que des femmes dans son genre viennent vers lui, l’abordent avec un si beau sourire et de si belles manières, lui demandant son aide. Elles préféraient aller vers des mecs peut-être moins bons, mais beaucoup plus intéressants, autant physiquement que mentalement. Le jeune homme avait donc une très bonne opinion d’Ileana, se disant qu’elle était différente de toutes les autres Epsilon, de toutes les autres étudiantes en fait. De l’autre côté de la médaille, Chuck était magnifique en son genre – genre qui était tout à fait celui de Nelligan -, puis elle était intelligente mais aussi de son niveau. Avec elle, tout était simple. Bref, cette nuit-là, l’Alpha s’endormit en riant de lui-même, se disant qu’il n’avait même pas à penser à tout cela, puisque la demande d’Ileana n’avait rien de très explicite. Elle voulait de l’aide, pas l’amour. Il ne mit pas de temps à trouver le sommeil. Son cadran sonna plusieurs heures plus tard, vers les sept heures du matin. Il prit une douche, mit des heures à regarder sa peau dans le miroir, guettant toute imperfection qu’il pourrait éliminer. Le jeune homme ne se souciait habituelle guère de son apparence, mais là, c’était différent. Après s’être rasé la barbe, il retourna à sa chambre et choisit un jeans foncé qu’il agença à un chandail vert foncé à manches longues. Il soupira en se regardant dans la glace, se disant que sa réflexion n’était même pas seulement proche de celles de ces sportifs de Berkeley. Nelligan abandonna ses essais et se dirigea vers l’amphithéâtre convenu, oubliant au passage de manger un petit quelque chose. Évidemment, étant toujours trop ponctuel, il arriva dix minutes en avance au point de rendez-vous. Étant tuteur, il possédait les clés des salles de classe, alors il pu facilement entrer malgré l’absence de professeur. Ce ne serait toutefois pas un réel cours, ce matin, puisqu’il ne chargerait pas Ileana. Injuste envers ses autres élèves ? Peut-être. Il n’en était pas vraiment conscient. Après s’être installé, Nelligan n’eut pas à attendre plus de deux minutes que la belle blondinette entra dans l’auditorium.
Nell ▬ « Hey, Salut ! »
Répondit-il, tout aussi souriant alors qu’elle s’assit à ses côtés. Déjà, ses muscles se tendirent à cause de cette proximité. Le jeune homme se força donc à penser à Chuck, et à cette pensée, son corps se détendit. Il avait Chuck. C’était bien assez. Elle était parfaite. Puis Ileana ouvrit la bouche et il reperdit le contrôle.
Nell ▬ « Oh … oh … heu … ne … ne t’en fais pas. Je me lève toujours très tôt. »
Bonne réplique si on veut passer pour le pire des rejets. Samedi matin, se lever tôt ? Cela revenait à dire qu’il en sortait jamais le vendredi soir, donc qu’il était un no-life. Ileana ne releva pas trop, et prit plutôt le petit déjeuner qu’elle lui avait amené. Nelligan sourit en se rappelant qu’il n’avait justement pas avalé quoi que ce soit. Quelle belle coïncidence.
Nell ▬ « Oh, c’est gentil ! Ça tombe bien, j’oublie jamais d’habitude, mais là je dois avouer que ça m’est complètement sorti de la tête ! »
Espérons qu’elle ne comprenne pas pourquoi ! Le jeune homme posa son petit-déjeuner sur la petite table et but aussi une gorgée de son café. Il hocha la tête lorsque la blondinette lui expliqua le problème qu’elle avait rencontré durant le cours.
Nell ▬ « Tu parles des points de Lagrange ? »
Ces points, sur lesquels les satellites devaient se trouver pour demeurer fixes, étaient effectivement assez complexes à saisir.

Et la manipulation était loin d’être un art, mais plutôt un comportement à bannir, chez les Broinowski. Ils avaient toujours été une famille très intègre, avec de bonnes valeurs et de bons principes auxquels ils tenaient fermement. Les parents avaient toujours enseigné à leurs deux enfants à devenir des personnes respectables et bonnes. C’est pourquoi c’était toujours lui qui était manipulé, et non lui le contrôleur de la marionnette. C’était injuste, mais il savait qu’à la fin, il en ressortirait gagnant. Du moins, c’était ce que sa mère ne cessait de lui répéter. Alors il avait appris à se ficher des manipulateurs, à les laisser l’utiliser car il ne pouvait quand même pas enlever sa confiance à qui que ce soit. Cela pouvait passer pour de la naïveté, au contraire c’était de l’intelligence. Ça ne servait à rien de se méfier de tout le monde. Après tout, on ne pouvait pas dérober grand-chose de Nelligan mis à part son intelligence. Ilena l’utilisait justement pour celle-ci. C’était probablement la seule raison pour laquelle il serait complètement dévasté lorsqu’il l’apprendrait. Ça, mais aussi le fait qu’elle était Ilena, quoi. La plus belle fille de cette université entière. Pour le moment toutefois, Nelligan n’était pas au courant et c’était mieux ainsi. Il pouvait mieux profiter de la présence de la roumaine. Ainsi, ils étaient assis côte à côte dans la première rangée de bancs de l’amphithéâtre, tous les deux prêts à commencer le cours portant sur les points de Lagrange.
Nell ▬ « Bon. Voyons voir … laisse-moi deux petites secondes … »
Nelligan se pencha vers son sac et en sortit un grand livre portant sur l’astronomie. Ce n’était pas un livre obligatoire pour le cours, c’était plutôt une lecture que Nell s’était achetée pour ses heures libres. Il trouvait que la matière était mieux expliquée que dans leur livre universitaire. Lorsqu’il posa le livre sur la table, il remarqua qu’Ilena avait ouvert son cahier à la page portant sur son problème. Elle écrivait tellement bien, et tellement clairement. Tout y était. Il adorait le fait qu’elle soit aussi studieuse : l’Alpha avait un faible pour les filles studieuses. Inévitablement, quoi. Il leva les yeux vers elle lorsqu’elle spécifia quel fragment du cours elle ne comprenait pas. Il hocha la tête. Il était vrai que le calcul de la position des points était quelque peu complexe comme principe. Le jeune homme se raidit le dos et racla sa gorge avant de commencer ses explications.
Nell ▬ « Donc … si on se fait un dessin comme ça … »
Il prit sans gêne le stylo de la demoiselle – son côté tuteur ressortait assez facilement – et dessina sur les pages suivantes de son cahier de notes, un cercle avec deux axes X et Y le découpant en son centre. Du côté droit du graphique, le jeune homme dessina un losange dont les points centraux étaient situés sur l’axe des abscisses. Le centre du cercle fut désigné comme le Soleil. La Terre, elle, était située à l’autre extrémité du rayon, soit sur l’arc extrême droit du cercle. Les points L1, L2, L3, L4 et L5 furent positionnés à des endroits stratégiques du dessin.
Nell ▬ « Le losange, en fait, c’est tout simplement parce que les points L4 et L5 forment des triangles équilatéraux avec les deux astres. C’est clair pour le moment ? »
Demanda-t-il, assez certain que la réponse d’Ilena serait positive.

Étrangement, la majorité des êtres humains avait de la difficulté avec les mathématiques, plus que les autres matières. Bien sûr, il avait les grands génies qui adorent les mathématiques, mais mis à part ceux-là, la plupart des étudiants se plaignaient de ces cours obligatoires depuis la petite école. Et tout le monde crie hourra lorsqu’ils entrent à l’université en arts et lettres et qui disent enfin adieu aux calculs. Nelligan, pour sa part, n’affectionnait pas particulièrement tout ce qui demandait l’utilisation de la calculatrice graphique, mais en même temps il ne détestait pas au point d’en trembler de peur avant d’entrer dans l’un de ses cours de physique ou de calculs. C’était difficile, certes, et il devait souvent passer des nuits à terminer ses exercices pour être bien certain d’avoir assimilé la matière, mais lorsque ce « rush » se terminait, il était assez content de ce qu’il avait appris. De toute façon, s’il avait détesté les mathématiques au point d’en mourir, il aurait été légèrement fou de s’inscrire en astronomie. Elle n’en a pas l’air, vue d’en bas, mais la galaxie est remplie de formules et de théories. Le jeune homme sortit donc son livre personnel d’astronomie et, sous le regard interrogateur d’Ileana, il sourit.
Nell ▬ « Je l’ai acheté dans une vieille librairie sur l’avenue Cortland. Bernal Heights, quelque chose comme ça … j’ignore s’ils en ont encore en stock, mais c’est un très bon bouquin, bien illustré, et pas cher en plus. »
La roumaine, vu son statut, ne devait pas avoir de problème avec le coût de ses livres, alors il se sentit légèrement con d’avoir souligné cette information, mais tant pis. Lui n’était pas né avec une cuillère en or à la bouche, donc il courrait sans cesse après les rabais. Bref, le jeune homme commença à lui expliquer la théorie du dernier cours, soit les points de Lagrange.
Nell ▬ « En fait, en résumé, un point de Lagrange c’est une position. Une position de l’espace où les champs de gravité de deux corps quelconques en orbite l’un autour de l’autre se combinent pour balancer avec exactitude la force centrifuge. Si jamais un troisième corps en venait à se trouver dans la même orbite, alors les points de Lagrange représentent les endroits précis où le troisième corps serait immobile par rapport aux deux autres. »
Et ils parlèrent, longtemps, longtemps, de cette théorie. Il y eut le célèbre calcul du r2 R(-e 1/3e² 1/9³ O(e4)), qui fut le plus long à décortiquer. Au bout d’une heure et trois quart, ils en eurent terminé avec le rattrapage. Étrangement, cette théorie devenait amusante lorsqu’il était en compagnie d’Ileana. Il la regarda avec un sourire.
Nell ▬ « Ne le prends pas mal, mais je ne t’imaginais vraiment pas comme ça, Ileana. Pour tout te dire, ce matin j’avais un peu peur de l’heure qu’on passerait, mais en fait je me suis bien amusé … »
De temps en temps, cela faisait du bien de se faire complimenter, alors pourquoi ne pas le faire à l’adresse de la blondinette ? Certes, il avait manqué de tact et avait fait preuve de maladresse, mais tant pis. Elle le prendrait comme elle le voulait.

En réalité, Nelligan n’était pas vraiment un génie. Enfin, si, il était intelligent. Mais pas l’intelligence du garçon qui ne fait qu’écouter d’une oreille un cours théorique et qui comprend tout en un claquement de doigts. Il ne captait pas tout après une seule explication. Il devait recevoir des informations de la part de plusieurs livres, de plusieurs professeurs, avant de pouvoir totalement s’approprier les méthodes. C’est pourquoi il faisait souvent appel à différents professeurs d’astronomie de l’université, pour qu’ils lui expliquent chacun à leur façon les procédures. Ainsi, en ayant plusieurs trucs et points de vue, il avait de la facilité à faire un bilan de toutes les informations et se faire un système encore meilleur que celui de chaque professeur. Ensuite, il était comme un fou pendant des heures sur des centaines de numéro qu’il prenait soit des documents de son professeur, soit de bouquins ou encore de l’internet. Comme mentionné plus tôt, la clé de la réussite scolaire de Nelligan résidait en les différentes sources qu’il utilisait. Ainsi, son intelligence était plus d’avoir bonne mémoire et d’avoir de bonnes stratégies. Et la patience. S’il ne passait pas les heures qu’il passait la tête dans ses bouquins, ses notes en seraient grandement affectées. C’était peut-être la différence en Ileana et lui. Elle ne semblait pas du tout être le genre de fille à sacrifier des fins de semaine entre amis pour préférer bosser. Bien sûr, elle devait bien le faire de temps à autre, comme ce matin d’ailleurs, mais pas à la même extrémité que Nelligan. Après tout, nous choisissions tous le chemin que nous empruntions. Lui avait choisi d’être le ringard, comme elle le pensait, et elle, elle avait choisit d’être la belle. Toutefois, peu importe l’image que nous décidions de projeter, ce qui restait en notre intérieur n’était pas nécessairement égal à cette projection. Prenez Nelligan : lorsque nous apprenions à le connaître un peu plus, il était loin d’être le petit intello très « space » et dans sa bulle que tout le monde pensait vraiment bizarre. Il était assez drôle, très relax, sociable et gentil. Il fallait juste se donner la peine de l’extirper de ses étoiles. Comme pouvait commencer à le voir Ileana, le jeune homme avait la parole assez facile quand il se sentait un peu plus à l’aise. Évidemment, en compagnie de la riche héritière, Nelligan était tout sauf confortable, mais déjà, après quelques heures de cours, il pouvait se permettre d’être un peu plus lui-même. Sans avoir peur de se faire rembarrer tout de suite. Ileana l’avait accepté comme professeur malgré ses petits défauts, et rien que de savoir ça lui redonnait un minimum de confiance en lui. Non, ça ne lui en prenait pas beaucoup, me direz-vous. Eh bien tant mieux ! Lorsque le cours d’appoint fut terminé et que son élève sembla avoir bien compris toute la matière, le jeune homme ne pu s’empêcher d’émettre la constatation qu’elle n’était pas du tout comme il se l’imaginait.
« Eh bien, sans vouloir avoir l’air d’avoir des préjugés, habituellement les riches héritiers donnent souvent l’impression d’être au-dessus de moi … et avec toi j’ai pas du tout l’impression que tu cherches à me montrer ta supériorité. »
Ileana lui demanda alors de quoi il aurait pu avoir peur, de toute façon.
« Oh tu sais, t’as pas vécu dans mes souliers, tu peux pas savoir toutes les peurs qu’on développe quand on est moi … »
Nelligan laissa paraître sur ses lèvres un mince sourire, un peu déçu de la vie, si on veut. Dans le sens qu’il ne pouvait sourire de joie en repensant à ces événements de son adolescence qui avaient fait que celle-ci avait été un enfer à vivre pour lui. La demoiselle le rassura tout de suite en le complimenta sur le fait qu’il était bon professeur et qu’il prenait son temps pour aider, véritablement. L’australien en fut flatté.
« Merci, ça fait plaisir à entendre. Et je dois avouer que comme élève, tu n’es pas désagréable non plus. Si tous mes étudiants pouvaient m’apporter du café le matin ! »
Nelligan rigola légèrement avant de boire les dernières gorgées de son café, maintenant tiède.