Pour sa part, ce n’était pas cette journée là en particulier qui l’avait marqué dans sa rencontre avec Catahleen. Malheureusement, dans son regard de petit nouveau, elle n’avait été qu’une élève parmi tant d’autres. Nelligan était immunisé contre les belles femmes, à ce moment-là. Parce qu’il sortait de ses dures années de lycée, durant lesquelles ces belles femmes s’étaient jouées ou moquées de lui. Alors en entrant à Berkeley, il s’était juré de ne plus se faire avoir – promesse qui était difficile à garder, puisque pour se faire, il ne devait avoir confiance en quasiment personne. Tandis que le nouvel Alpha se trouvait devant la maison de confrérie des studieux, Nelligan avait regardé tout autour de lui, scannant une à une les personnes qui se trouvaient dans la cour. Ils seraient ses futurs colocataires. Il n’avait pas pensé au terme amis, parce qu’à l’époque, il n’en avait presque jamais eu. Pas de vrais, du moins. Pas ceux qui durent et perdurent. L’australien avait regardé Catahleen, cette grande brunette très mince, avec un style bien à elle et qui se démarquait de tous. Puis il y avait eu Eliana, la blonde parfaite pour incarner un genre de WonderWoman – il adorait les bandes-dessinées. Et un paquet d’autres filles, ce qui le terrorisa dès sa première journée dans sa nouvelle université. Comment allait-il survivre dans une confrérie comportant majoritairement des filles ? Il allait faire une syncope à chaque fois qu’il se lèverait le matin et les verrait tous en pyjama. Heureusement, quelques années à peine plus tard, le jeune homme pouvait rire de sa réaction et se dire que depuis ce temps-là, il en avait fait du chemin. Le petit Nelligan n’était plus le même, bien que sa timidité ne l’ait pas abandonnée. Il s’ouvrait de plus en plus aux autres, il faisait du progrès. Cette évolution lui permettait entre autre de passer une nuit complète dans le même lit que cette même Catahleen, sans vraiment s’y sentir mal à l’aise ou inconfortable. Il n’aurait jamais imaginé qu’environ quatre ans plus tard, cette jeune femme allait devenir l’une de ses meilleures amies, celle avec qui aucun sujet n’était tabou. Celle qui, un jour ou l’autre, apprendrait la vérité sur le dur passé de Nelligan. Peut-être aurait-elle souhaité le connaître encore plus que cela, même avoir appris ce tragique événement bien avant dans l’histoire de leur amitié. Cependant, elle n’en restait pas moins la première personne à qui il le confiait. Ce qui représentait un très grand pas dans leur lien de confiance. De plus, il ne l’avait même pas fait pour trouver un certain réconfort dans les paroles de Catahleen. Il ne comptait pas sur elle pour l’aider à traverser cette dure épreuve – bien qu’il ne douta pas une seule seconde de ses capacités à le faire. Non, tout ce qu’il désirait, c’était de se vider le cœur, de s’enlever ce poids énorme des épaules sans pour autant le mettre sur celle de sa grande amie. Toutefois, entre temps, ils parlèrent d’autres problèmes, que vivait Nelligan également, soit la course vers la popularité et les éternelles cliques lycéennes et même universitaires.
Nell ▬ « Ça donne pas vraiment envie d’être plus tard, si tu veux mon avis … »
Ouais, il en avait marre, et ça se voyait très bien rien qu’au ton de sa voix. L’Alpha en voulait tellement à tous ces gens qui faisaient de son quotidien un Enfer. Certes, il n’était pas malheureux, mais c’était tout simplement parce qu’il était capable d’optimiser et de passer au travers des reproches et insultes. Parfois, par contre, Nelligan en avait par-dessus la tête de toutes ces hautaines personnes. Heureusement que lorsqu’il rentrait dans la maison de confrérie, le soir, il se retrouvait entouré de gens normaux, et qui recherchent eux aussi des gens normaux. Catahleen, qui faisait partie de ceux-ci, prit alors son visage entre ses mains et le força à la regarder – ce qui n’était pas très difficile à faire.
Nell ▬ « Désolé Cat’, mais … je doute fortement qu’elle soit là-haut en train de me regarder. J’suis convaincu qu’elle n’est plus rien, maintenant. Rien du tout. Mais ça, ce sont mes croyances … j’crois en la science, rien d’autre … »
Après avoir parlé de croyances et de vie après la mort, Catahleen sourit tout simplement, d’un air rassurant, et lui proposa de rester dormir avec lui cette nuit. Offre qu’il ne pouvait refuser, surtout dans l’état dans lequel il se trouvait.
Nell ▬ « J’aimerais bien, oui … je n’ai pas vraiment envie d’être seul … »
Nelligan les couvrit donc de son grand couvre-lit assez chaud, et il s’allongea, posant enfin sa tête sur son oreiller, regardant toujours Catahleen.
Nell ▬ « Merci. Merci d’être là pour moi. »

Il était vrai de dire que les filles n’avaient pas mis de temps à se lier d’amitié avec les rares garçons de la confrérie. Malgré qu’il fût dans la confrérie la plus ringarde de l’université, Nelligan connaissait enfin un peu ce qu’était la popularité. N’allons pas jusqu’à dire que dès qu’il pénétrait dans la maison, toutes les filles se ruaient vers lui avec des petits soins, mais tout de même, il ne se retrouvait jamais seul bien longtemps. S’il descendait un soir pour se regarder un film dans le salon, ou tout simplement étudier ailleurs que dans sa chambre, les demoiselles venaient vite s’asseoir à ses côtés pour papoter. En même temps, Nelligan ne se prenait pas la grosse tête avec ça ; aucune d’entre elle n’avait démontré d’intérêt amoureux, alors il en avait conclut que parmi toutes ces filles, certaines avaient envie de retrouver un peu de virilité de temps à autre. Passer du temps avec un homme devenait donc quelque chose de très recherché, au sein d’une confrérie dominée par la gente féminine. Les garçons n’allaient pas commencer à se plaindre, tout de même. Alors il se liait d’amitié avec toutes sortes de personnalités, il découvrait que malgré qu’ils fussent dans un groupe où tout le monde avait la même préoccupation principale – les études -, ils étaient dotés de caractères et d’histoires bien différentes. Nelligan avait toujours aimé analyser les autres, comparer les êtres humains, sans pour autant les étiqueter. S’il n’avait pas étudié en astronomie, il se serait certainement penché sur la psychologie, voulant comprendre tout le fonctionnement du cerveau, ce qui fait en sorte que nous sommes tous uniques et que nous possédons chacun notre réaction à tel ou tel événement. Et l’aider à comprendre pourquoi lui avait été contraint de grandir si tôt. Parce que si tout le monde le trouvait mature et plein de bon sens malgré son jeune âge, comme le dirait Catahleen elle-même, c’était parce que Nelligan avait acquit une sagesse prématurée. Alors que tous les gosses dans la cours d’école déconnaient avec des fusils à eau, lui était plutôt dans son coin à lire des livres sur la philosophie, des livres de réflexions et autres ouvrages très profonds. Le jeune homme avait toujours adoré les lectures qui vous poussent à réfléchir, qui éveillent des sentiments nouveaux en vous, qui vous emmènent d’autre part. C’était peut-être le fait d’être trop souvent plongé dans cet état d’esprit qui faisait que Nelligan paraissait lunatique et qu’il avait sans cesse cette boule au fond du ventre, qui le poignait et le déprimait de temps à autre. Heureusement, comme le devinait sa confidente, le jeune homme avait trouvé une nouvelle source d’oxygène dans le vrai monde : Chuck. Depuis la nuit qu’ils avaient passés sur le toit, leur relation s’était légèrement concrétisée. Le seul hic était que dans les derniers jours, la relation stagnait. Il ne savait trop quoi penser, si c’était à lui de faire évoluer la chose ou s’il devait laisser le temps à l’Alpha de venir vers lui. Disons qu’il était un grand débutant dans la matière, n’ayant jamais vraiment eu à faire les premiers pas. Parfois il avait l’impression que c’était de sa faute, s’il y avait quelque chose qui les retenait. Peut-être était-ce le fait que justement, Nelligan n’avait pas encore tout à fait tourné la page sur Soledad. Qu’il aurait l’impression de la tromper. Peut-être qu’inconsciemment, alors, il repoussait Chuck, et celle-ci s’en rendait compte et ne bougeait donc pas. En vérité, il n’avait réellement aucune idée de ce qui se produisait entre eux depuis quelques temps. C’est pourquoi il décida de parler à Catahleen de la mort de son ex petite amie : peut-être que de se sortir l’histoire de la tête lui permettrait de mieux faire le tri dans ses sentiments.
Nell ▬ « Je respecte aussi le fait que tu y crois … Qui suis-je pour dire qu’il n’y a personne dans les coulisses du spectacle ? Seulement je … je ne vois vraiment pas ce qu’il y aurait, après. »
Il aurait pu continuer pendant des heures à sortir des arguments et des questionnements à propos de la religion et de l’athéisme. Seulement, Nelligan savait que certaines personnes trouvent désagréables ceux qui contredisent leur croyance. Il avait donc assez de bon jugement pour avoir un minimum de retenue dans ses propos qui auraient pu s’avérer beaucoup plus durs. C’est ainsi qu’ils décidèrent de partager le même lit pour la nuit, comme ils le faisaient habituellement. Tous les deux s’allongèrent et s’installèrent confortablement, bien emmitouflés dans les couvertures, marquant ainsi la fin de cette discussion. Toutefois, Nelligan ne serait pas surpris si après cinq minutes de silence, l’un des deux relançait une discussion. Ou peut-être allaient-ils s’endormir, aussi. Il était vrai que la fatigue commençait à s’emparer du corps du jeune homme. En entendant la voix de Catahleen, par contre, ses sens furent assez en éveil pour qu’il tourne tout de suite la tête vers elle. Il rigola.
Nell ▬ « Il faudra que tu sortes par la fenêtre, car les autres filles t’attendront sûrement avec un couteau à la sortie de ma chambre … »
Ils rirent ensemble, s’imaginant chacun de leur côté la scène. Puis Nelligan soupira.
Nell ▬ « Ah, c’est beau de rêver ! »