Opportunity may knock only once,
But temptation leans on the doorbell.
Si Ella ne supportait pas les soirées de gala – probablement parce qu’elle avait assisté à trop d’entre elles étant petite – elle attendait pourtant celle-ci avec impatience. L’événement annuel organisé par l’entreprise dans laquelle elle travaillait était un des meilleurs moments de l’année professionnellement parlant. C’était une excellente façade pour attirer de nouveaux artistes mais également pour convaincre certains dissidents de prolonger l’aventure avec la maison de disques. Elle appréciait également cette soirée parce que la musique y était toujours bonne, ce qui était loin d’être le cas dans les autres événements de ce type, mais aussi parce qu’il y avait généralement beaucoup moins de personnes pompeuses que dans les soirées de gala dans lesquelles elle allait enfant, où les gens étaient toujours très – trop – guindés. Ici, elle était davantage à sa place, dans un monde bien plus ouvert bien que peuplé d’artistes à l’égo surdimensionné. Elle s’arrêta un instant pour discuter avec une chanteuse qui ressentait toujours le besoin d’être au centre de l’attention. Ella devait se montrer sans arrêt aux petits soins avec elle et cela commençait sérieusement à l’énerver, d’autant plus que la dite chanteuse n’avait pas enregistré la moindre chanson ni fait le moindre concert depuis plusieurs mois désormais. « On en reparlera demain tu veux bien ? Profite donc de la soirée en attendant, il n’y a rien qui presse. » répondit-elle fermement à une énième de ses requêtes. Malheureusement, ce genre d’artistes était de plus en plus fréquent ces derniers mois. Ils n’avaient fait que quelques morceaux, n’était pas spécialement très connus, ni rentables, mais ils agissaient tout de même comme si leur renommé était internationale en faisant des caprices de stars (qu’ils n’étaient définitivement pas). Et si elle cherchait une tête amicale pour se débarrasser de cette artiste, c’était raté. En s’éloignant, elle tomba nez à nez avec Dean, l’expert-comptable de l’entreprise qui se permettait sans cesses de critiquer des dépenses qu’il jugeait trop extravagantes et injustifiées dans les projets des artistes d’Ella. Qu’est-ce qu’il y connaissait à la musique ce type ? Comment pouvait-il savoir ce qui était nécessaire et ce qui ne l’était pas pour qu’un single fasse un carton, pour qu’un artiste se hisse au top des charts. Il était sans discussion possible le type le plus insupportable qu’elle côtoyait au travail (artistes exclus) et ça, ce n’était pas une mince affaire étant donné qu’elle vivait dans un monde remplis de requins. Mais lui, surplombait tout le monde. Il était tellement irritant qu’elle avait envie de lui mettre une paire de claques à chaque discussion qu’elle partageait avec lui. « Fantastique. » lâcha-t-elle ironiquement, ne pouvant décemment pas ignorer la présence de celui qui était face à lui, à à peine plus d’un mètre. Elle se souvenait très bien de la première fois qu’elle l’avait rencontré au bureau. Elle avait d’abord été charmé, d’un aspect purement physique, il surclassait largement tous ses autres collègues. Et si elle s’était fixée comme règle de ne jamais mélanger le travail et la vie privée, elle s’était imaginée l’espace d’une seconde finir un soir dans son lit. Mais le charme avait très vite été rompu, tout juste lors de la première réunion, où ce monsieur je-sais-tout était venu se mêler d’affaires qui ne le regardaient certainement pas, mettant à mal l’un des projets de recrutement qui tenait le plus à cœur à Ella. Et depuis, rien n’avait changé, il ne comprenait toujours pas que l’artistique devait toujours primer dans une maison de disques et restait sans cesse fixé sur ses chiffres, ses satanés chiffres qui la mettaient hors d’elle. « Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu es venu vérifier que l’on ne sortait pas des limites budgétaires c’est ça ? » continua-t-elle, froidement. Elle ne comprenait pas comment l’entreprise avait pu l’inviter à cette soirée, c’était irresponsable. Un mec comme lui pouvait faire partir bon nombre d’artistes du label si jamais il commençait à leur parler de chiffres. Et puis après tout, il n’était qu’un simple consultant au sein de la maison de disques, il n’était pas salarié ici, c’était un travailleur indépendant, un intervenant extérieur, alors il n’avait rien à faire ici. Les seuls éléments extérieurs que l’entreprise devait séduire ce soir étaient les artistes, certainement pas les addicts des chiffres venus jouer les pique-assiettes dans la seule soirée de gala à laquelle ils n’avaient jamais été invité de toute leur vie. Toujours dans la même atmosphère glaciale, Ella poursuivit. « Ou bien alors tu es venu pour avoir un aperçu de la vie que mènent les rock stars, et finalement enlever ce balai que tu as enfoncé si profondément dans le cul ? » Car c’était aussi ça, une des plus grosses choses qu’elle lui reprochait. Ils ne se voyaient que dans le cadre professionnel, mais ce type était toujours beaucoup trop sérieux à son goût, bien ancré dans son rôle d’emmerdeur ennuyeux chargé des chiffres, il ne lâchait jamais un sourire et paraissait toujours beaucoup trop coincé, comme s’il n’avait pas de vie en dehors du boulot. Ou alors, il le cachait vraiment très bien.