« Handicapé social… » Souffla Lucie en secouant la tête de gauche à droite. C’est exactement ce qu’elle lui avait reproché deux secondes plus tôt. N’écoutait-il donc rien ? « Tout le monde se revendique handicapé social. C’est la mode. Comme si on attendait qu’un être spécial bondisse de nul part pour nous apprendre à nouveau à aimer. Rayan, tu attends le prince Charmant. Cet être si spécial qui va réparer ton cœur. Les hommes attendent qu’un être viennent donner un nouveau sens à leur vie tandis qu’ils écument les bars et les boites pour chasser l’humain qui parviendra à ce miracle. Les filles adorent tellement jouer les mécanos du cœur. Je devrais faire une thèse là-dessus. Ou un livre. Ca se vendrait bien.» Finit-elle en tournant son portable pour regarder l’heure.

Probablement que Rayan n’écoutait que la moitié du discours, dans le meilleurs des cas. Lucie se moquait qu’il soit d’accord ou non. C’était son avis et il n’adhérait pas à ce petit manège. Son cœur battait pour l’honnêteté avec ses proches, la sincérité et la bonté. Tout le contraire de ses actes envers Rayan. Un signe qu’ils n’étaient pas fait pour se rapprocher. Pourquoi avait-elle cherché à courir derrière lui alors ? Pour plaire à son frère. C’était le mensonge qu’elle tentait de se faire avaler. La raison, la véritable raison ne tarderait pas à se faire connaître. Elle avança à la lumière lorsque les doigts de Rayan glissèrent sous son menton. Et si Lucie papillonnait du regard ce n’était que pour tenter de replacer les choses dans l’ombre. Mais le baiser remua tout. Beurk. Ce fut la première pensée de la demoiselle. Les performances du Delta n’étaient en rien remises en cause. Seule, la maturité autant psychologique que sexuelle de la jeune femme se retrouvait fautive. Le revers de sa main vînt essuyer ses lèvres à plusieurs reprises.

« Ne refais jamais ça. » Murmura-t-elle avant de laisser ses doigts atterrir sur son flanc gauche duquel une douleur lancinante prenait vie.

Le portable tourna à nouveau entre ses doigts pour couper la lumière. Un temps de réflexion, dans une forme relative d’intimité, devenait nécessaire. Le choc passé, la blonde ressentait la brulure des doigts de Rayan sous son menton. Ce détail la portait entre deux eaux. Les paisibles vaguelettes d’un premier baiser palpitant et celles troubles et sombres de la culpabilité s’offraient à elle. Sa trahison se payerait à prix fort et plus elle repensait au contact des lèvres du blondinet contre les siennes, plus la douleur sur son flanc gauche la saisissait. Elle avait trahit sa moitié : sa défunte sœur. Si les erreurs à ne pas commettre pouvaient être classées, celle de bafouer les promesses faites un mort trônerait au sommet. Il n’aurait pas dû se rapprocher. Rayan n’aurait jamais dû la toucher. Il devait la considérer comme une moins que rien, la regarder de haut, se moquer d’elle, l’ignorer et roucouler avec des filles de son niveau. Il n’aurait jamais dû la toucher se répétait-elle. Il devait rester une illusion après laquelle elle aurait couru pour avoir l’air d’être une fille normale mais trop fleur bleue. Il aurait dû rester intouchable et elle ridicule. Au lieu de ça, son ventre se tordait entre l’envie de combler un vide immense entre les bras de Rayan, de s’emplir de sa chaleur et se perdre contre lui et la douleur de la trahison orchestrée contre sa sœur.

« Faut que je sorte. » Souffla-t-elle en se levant d’un bond, l’avant-bras contre son ventre.

L’air s’alourdissait. Sa respiration s’emballait. Lucie ignorait les craintes de Rayan et son mal-être. Elle se moquait bien de son habituel self-control et des conséquences de sa panique sur la peur de Rayan. Ses doigts libres appuyaient avec frénésie sur le bouton d’appel à l’aide. Puisque personne ne répondait, Lucie se tournait vers Rayan, braquant à nouveau la lumière de son portable contre le visage de Monsieur.

« Elle va être déçue et triste. C’est de ta faute. Encore. Non, je ne voulais pas dire ça. » Peut être que respirer l’aiderait. Une petite oxygénation du cerveau ne lui ferait pas de mal. Aussi, une profonde inspiration lui permit de calmer les tremblements de ses mains. « Quoique tu puisses dire, tu es quelqu’un de bien. C’est juste que j’aime ma sœur plus que tout au monde et que je ne peux pas envisager un seul instant ma vie sans elle. Même si tu te prétends handicapé social, tu as forcément aimé quelqu’un de toutes forces. Un ami, un membre de ta famille, un amour… Alors tu comprends quand je te dis que sans elle, je ne suis rien. »

Raconter sa vie à Rayan ne lui parût en rien déplacé. Il avait souhaité cette forme de rapprochement en l’embrassant. Il avait cherché ce lien et il ne pourrait revenir en arrière tant que les portes restaient closes.

Trop de paroles, cette fille n'était rien de plus qu'un moulin à paroles ambulant qui commençait plus qu'à agacer le grand blond prit soudainement d'une certaine envie de meurtre à son égard. Assez des paroles puériles qui ne veulent strictement rien dire, Rayan n'y comprenait que traître mot puisque qu'une fois ces derniers assemblés, le tout semblait venir d'une langue qu'il ne connaissait. Peut-être qu'une part de cela n'était pas totalement faux, peut-être que son anglais n'était pas aussi développé qu'il le pensait. Certes, il était loin d'être parfait, mais à dévorer nombreux ouvrages de littérature, il s'améliorait encore et encore. « Comme si j'avais besoin d'une personne pour réparer une chose dont je suis démuni. J'ai assez de personnes autour de moi pour donner un sens à ma vie, et cette dernière est très bien de la sorte. Je n'ai aucunement envie de voir une autre tête entrer dans ma vie et qui serait capable de semer la zizanie dans cette dernière. Je suis très bien capable de le faire moi-même. » Chasser l'humain qui pourra réparer son cœur, quelle profonde débilité que les paroles prononcées par Misty, comme si tout cela avait touché le jeune homme, et puis quoi encore ? Son cerveau débloquait et ce baiser n'aurait jamais dû avoir lieu, il perdait la tête et ne voulait que sortir de cet enfer, pourquoi avait-elle dû le suivre, aussi ? Presque aussi pot de colle que sa frangine, il se serait bien passé de rencontrer l'une comme l'autre. Levant les yeux au ciel et poussant un soupir ô combien désespérer, la mauvaise humeur du delta se fit bien rapidement ressentir, une fois encore. « Évidemment, tout est toujours de ma faute, c'est très connu. Un aimant à problèmes ambulant, ça t'évitera de m'approcher à l'avenir. » Rayan devenait grognon, et lorsque cela était le cas, cela ne devenait jamais bon, notamment lorsqu'il se trouvait en présence d'une personne qui l'exaspérait au plus haut point, ce qui était actuellement le cas. Écouter Misty devenait un véritable supplice, assez de toute cette psychologie, il ne fallait pas croire que le bonhomme allait ouvrir son cœur à cette pimbêche. « Je comprends. Et je sais ce que c'est, de ne pas vouloir perdre une personne, ni de pouvoir se passer d'elle. J'ai aussi un frère jumeau qui compte plus que n'importe qui d'autre à mes yeux et pour qui je serais prêt à donner ma propre vie. » En très peu de temps, Kenzo avait su se faire une place de choix dans sa vie. Rayan n'avait jamais été du genre à se faire des amis rapidement, où alors, il ne faisait que les utiliser afin d'arriver à ses fins personnelles. Il n'y avait eu que Dalia qui avait réussi à percer la carapace que l'Israélien s'était rapidement forgée, mais aujourd'hui, le blondinet se sentait complet. Dés sa rencontre avec son frère jumeau, il avait su que quelque chose était en train de se passer, qu'un changement venait à se faire et il s'était rapidement senti lité à Kenzo. Ce lien prenait de plus en plus d'ampleur au fil des jours, et le delta se demandait souvent s'il en était de même pour son frère, mais impossible pour lui de lui demander. Trop pudique, il ne pouvait se résoudre à avouer tout ce qu'il ressentait vraiment, même à son propre jumeau. Mais il l'aimait, autant qu'il aimait celle qui l'avait toujours élevé. Cependant, il n'avait guère évoqué sa mère adoptive, sans nul doute parce qu'il passerait pour un moins-que-rien, un type qui a encore besoin de sa maman, et pourtant... qu'est-ce qu'elle pouvait lui manquer. « Quand on sortira d'ici, j'veux plus te revoir. Toi ou ta stupide sœur, vous êtes des malades mentales, l'une comme l'autre. J'me considérais déjà dangereux, mais vous... » Il voyait très clairement la ressemblance, aussi frappée l'une que l'autre et il se ferait un réel plaisir de se débarrasser de ces deux attardées mentales dés que possible. Soudainement, la lumière se rallume à nouveau dans l'habitacle, et Rayan ne trouve rien d'autre comme réflexe que de plisser les paupières pour ne pas tant être ébloui. Un haut-le-cœur s'en suit, signe que l'ascenseur est à nouveau en marche et qu'il sera très bientôt débarrassé de celle qui l'insupporte depuis trop de temps maintenant. « Enfin, la fin de ce calvaire. », souffla l'étudiant en littérature tout en se redressant difficilement contre la paroi métallique se trouvant derrière lui.

Le silence répondait à Rayan. Sans lui donner raison, l’absence de mots cherchait à éviter de nouveaux tourments à ce pauvre garçon. Il lui faisait de la peine. Une forme de compassion, à ne pas confondre avec de la piété, finissait par éclore dans le cœur de la jeune femme.  Il avait perdu foi en l’avenir. Que restait-il alors dans le cœur de Rayan ? De la colère probablement. Peut-être de la crainte. Comment savoir ? Tout ce qu’elle pouvait essayer de deviner ne ferait que lui échapper. Elle n’était pas Rayan. Elle n’était pas un homme. Elle aurait voulu lui offrir la lumière de son portable pour éclairer un peu son cœur et chasser l’obscurité. Dans le noir, on s’effraye, on prend de mauvaises directions, on se interprète tous de façon démesurée. Mais pour ça aussi, elle ne pourrait rien faire.

« Tout fini toujours par s’arranger.  » Murmura-t-elle simplement.

Pour  elle ? Pour lui ? Qu’est-ce que ça changeait. L’ascenseur ne tarderait plus à ouvrir ses portes. Ils pourront s’envoler vers la liberté et ne plus se revoir. S’il le désirait, pourquoi pas ? Elle avait d’autres choses à faire, comme tenter de trouver son identité, sa sœur, sa propre voie. Elle aussi se perdait dans l’ombre et elle savait parfaitement que personne ne pourrait lui apporter les réponses qu’elle cherchait. Elle avait suffisamment parlé pour permettre à Rayan de se concentrer sur autre chose que le noir et l’enfermement. A présent, elle pouvait retourner à son habituel silence.  

« Dans ce cas, c’est à toi de m’éviter. Je n’ai pas l’intention de changer ma vie et mes habitudes pour te faire plaisir. Bonne soirée, King Kong. » Finit-elle en quittant à son tour l’ascenseur.

La jeune femme prenait la direction de son foyer, espérant fortement se retrouver seule. Son état de santé mental commençait à l'inquiéter. Est-ce qu'elle devenait folle? Est-ce qu'elle avait réellement une part de Misty en elle? Est-ce qu'elle était réellement Lucie? Qu'est-ce qui lui prouvait que sa soeur était réellement morte? Une chose était sûre, en revanche. Elle ne pouvait pas continue à vivre de la sorte et son état. Son état ne devait pas s'ébruiter. On lui interdirait les études, la forcerait au repos et elle devrait faire une croix sur son rêve. C'était hors de question. Sans lui, elle n'était plus rien.